le dernier texte de TropLoin : Et maintenant ?
Et maintenant ?
troploin est à un tournant. Tout en continuant à réfléchir ensemble, Karl Nesic et Gilles Dauvé exposent ici l’un et l’autre comment ils apprécient la situation.
Deux ou trois raisons de ne pas désespérer
Karl Nesic
A quelqu’un qui me demandait récemment ce que je faisais, à quel projet révolutionnaire je m’occupais, j’ai répondu par mon insatisfaction d’avoir raison dans la « défaite », mon insatisfaction d’analyser les raisons de notre incapacité à transformer le monde, donc de comprendre et d’expliquer en quoi le rapport de force est et sera pour longtemps encore en faveur du capitalisme. (Ce constat m’oppose d’emblée à la quasi-totalité du mouvement dit communisateur. J’en reparlerai plus bas.)
Ce sentiment s’inscrit dans un double échec.
Au plan externe, s’il est exact que parfois les publications de troploin ont suscité de la sympathie, et même quelques « accords » théoriques, il est évident que ces convergences n’ont pas été jusqu’à la mise en commun de nos réflexions, ni le désir de faire ensemble un bout de chemin. Chacun a préféré continuer son propre jardin, son propre isolement.
Au plan interne, il s’est produit une rupture dans notre capacité (ou volonté) d’articuler de façon dialectique la critique de la vie quotidienne, et la critique de sujets plus fondamentaux comme la composition de classe, la crise, la communisation, etc., pour ne plus finir par s’occuper que de la seconde forme de la critique. Sans se payer de grands mots ni nous couvrir le visage de cendres, il semble évident que cette évolution reflète la prégnance et la force de la puissance même négative du capitalisme jusque dans nos têtes. Nous n’échappons pas à la réalité du monde qui nous entoure, et la radicalité, la globalité de la critique communiste ne peuvent que s’en ressentir. Bref, en voulant privilégier les « questions de fond », on tend à se condamner de fait à ne plus vouloir comprendre le monde dans lequel nous sommes, donc à ne plus comprendre ce que nous y faisons ou pourrions y faire. En dernière analyse, c’est accepter d’être étranger à sa propre histoire et donc à son possible devenir.
Je ne dis pas qu’il faudrait toute affaire cessante ne plus se préoccuper que de « l’analyse concrète d’une situation concrète », selon la formule célèbre et critiquable de Lénine (écrite d’ailleurs dans un article justifiant la participation aux élections). Je ne fais que pointer cette rupture qui au demeurant ne nous est pas propre, car elle fait partie du lit commun du mouvement dit communisateur. On mesurera l’ampleur du recul en comparant par exemple à Socialisme ou Barbarie ou à l’I.S. qui tant bien que mal parvenaient à cette articulation : cf. les articles de Lyotard sur l’Algérie (réunis dans La Guerre des Algériens. Ecrits 1956-63, Ed. Galilée, 1989). Aujourd’hui la critique communiste du monde réellement existant est totalement désincarnée, étrangère à elle-même et surtout au monde qu’elle prétend critiquer.
Face à la domination sans partage aujourd’hui de l’idéologie capitaliste, ne reste que la fuite en avant sous forme soit de praticisme sans pratique, soit de réflexion théoricothéorique.
Même à ce simple niveau, la rupture entre critique pratique et critique théorique n’aura jamais été aussi importante. Il n’existe pas aujourd’hui l’amorce de la moindre praxis tendant à la fin de ces mondes séparés que sont critique pratique et critique théorique : ces moments particuliers de la critique suivent un cheminement parallèle sans lieu de rencontre possible.
Ces courtes remarques s’inscrivent dans une réflexion plus vaste menée dans troploin sur le mouvement communiste en général, et le mouvement communisateur en particulier. En fait, à part des généralités sur la « possibilité nécessaire » de la révolution communiste, sur sa pratique et son contenu concret comme abolition immédiate des rapports de production capitalistes, le mouvement communisateur ne nous a pas apporté grand-chose.
Vouloir prendre à bras le corps la compréhension réelle de ce monde, ou au moins s’y essayer en évitant par exemple de répéter les mêmes généralités entendus depuis des années et déjà fausses en 1975, conduirait obligatoirement à la mise en cause de quelques certitudes, et je ne pense pas les communisateurs capables de cet exercice. Quelques exemples en vrac :
– L’inéluctabilité de la révolution : cela fait quand même pas loin de 200 ans que nous courons après cette inéluctabilité. Ne tournons pas autour du pot. Voici le cadre théorique généralement admis par le mouvement communisateur : avant-hier et hier, domination formelle, donc affirmation de la classe, affirmation du travail et possibilité du réformisme ; aujourd’hui, domination réelle, donc fin de la possible affirmation du travail et fin du réformisme : ne reste alors que la révolution communiste comprise non comme possibilité mais comme certitude, et qui devient dès lors inéluctable.
– Le communisme. Je me réfère ici à Crises de Léon de Mattis, notamment p.164, non que je poursuive d’on ne sait quelle vindicte une personne qui me paraît l’une des plus estimables de ce courant, mais ce passage résume à mon avis l’ambiance générale chez les communisateurs. Il affirme en effet que la révolution est plus que jamais à l’ordre du jour, tout en disant qu’elle pourra se produire dans 10, 20 ou 200 ans. Nous changeons alors l’échelle du temps, en l’occurrence le rapport entre temps « intemporel » et temps « humain ». Je remarque aussi qu’il est beaucoup question pour LdM de la fin du capitalisme, mais depuis quand la fin du capitalisme serait-elle synonyme de révolution communiste obligatoire ou inéluctable ? Il suffit d’ouvrir le moindre journal, la moindre revue pour voir que ce qui est à l’oeuvre aujourd’hui dans les mouvements sociaux est tout sauf une possible production du communisme. Les pires archaïsmes humains et sociaux refont surface et mobilisent de larges masses. Sans doute la glaciation dure-t-elle beaucoup plus longtemps que souhaitable.
Le débat sur le communisme et son possible contenu est aussi vieux que la lutte des classes, ce n’est pas le passage de la domination formelle à la domination réelle qui lui aurait donné son contenu réel et, contrairement à l’opinion courante parmi les communisateurs, je persiste à penser qu’une discussion sur le communisme et son contenu a moins de « résonance sociale » qu’il y a 20 ou 30 ans.
– La classe ouvrière. D’abord, personne n’a jamais affirmé que le prolétariat se résumerait à la classe ouvrière.
Mais nombre de personnes ayant quelques prétentions communistes se réjouissent de la disparition relative du nombre d’ouvriers dans les pays capitalistes dits développés, et de son corollaire : la fin symbolique du fait ouvrier. Quitte à paraître outrageusement caricatural, j’affirme qu’un tel contentement devant cette fin était hier le produit de certaines fractions de la petite-bourgeoisie, et l’est aujourd’hui de fractions radicalisées de la classe moyenne qui n’ont pas et de loin l’intelligence de Pannekoek. N’importe qui peut alors ressembler à Kautsky ou à Lénine, lesquels développaient, bien que de manière différente, une même détestation du fait ouvrier. On nous fait croire que ce qui aurait empêché – pour parler vite – la révolution n’est pas la capacité du capitalisme à surmonter ses crises, mais le rôle essentiellement contre-révolutionnaire du monde ouvrier. Et on finit par trouver un substitut à la lutte des classes « traditionnelle » menée par des prolétaires, donc aussi des ouvriers, en faisant l’apologie de la pègre. Bref, le Prolétaires de tous les pays, unissez-vous remplacé par Proxénètes de tous les pays, unissez-vous. Le plus grave, c’est que cette disparition tant souhaitée et vantée n’a pas changé quoi que ce soit de manière positive à la réalité et au contenu de la lutte des classes : au contraire, la situation ne fait que se dégrader.
Si la classe ouvrière, aujourd’hui accusée d’avoir été au temps de la domination formelle contre-révolutionnaire du fait de sa supposée affirmation de soi dans et par le travail, car le programme qu’elle semblait mettre en avant était aux antipodes du contenu du communisme tel que l’avaient défini les Manuscrits de 1844 (abolition des classes, du travail et de l’Etat), comment cette classe a-t-elle pu devenir « potentiellement » révolutionnaire et communiste par la seule magie de la domination réelle ?
Sans prétendre que l’ensemble du courant communisateur proclame la fin de la lutte des
classes ou la fin de la mission historique du prolétariat, l’existence même minoritaire de cette position est un indice sensible de la contre-révolution en marche et triomphante. Semblable comportement s’est produit dans les « pires » moments de l’histoire, citons entre autres la société pyramidale théorisée par SoB à son déclin, ou l’attrait exercé en leur temps par les provos et les blousons noirs, y compris dans l’I.S.
– L’affirmation péremptoire de l’impossibilité du réformisme. C’est oublier la nécessairedistinction entre le réformisme « obligé » des prolétaires dans l’attente d’une possible révolution, et le réformisme institutionnel assumé comme programme politique : le premier est évidemment la condition du second, mais ne se réduit pas au second. Il arrive même que ces deux formes entrent en conflit, comme sous le Front Populaire : « Il faut savoir terminer une grève… » Si impossibilité du réformisme il y a, on ferait mieux de se demander d’où elle vient : d’une critique implicite ou explicite du réformisme par les prolétaires ? ou, comme c’est en réalité le cas, d’un rapport de force sans partage au profit du capital qui empêche la possibilité de vendre au mieux sa force de travail, contraignant le prolétariat à accepter tout et n’importe quoi ? De surcroît, en quoi l’impossibilité du réformisme ouvrirait-elle automatiquement la porte à la révolution communiste ?
– Un européocentrisme qui n’ose pas dire son nom, qui pose comme impossible ledéveloppement économique, politique et social de pays dits émergents comme la Chine ou l’Inde. Je ne dis pas que ce développement adviendra nécessairement, mais qu’il demeure une forte probabilité, si ce n’est possibilité. Constatons que le capitalisme chinois a pu créer en quelques années un marché solvable au niveau européen ou nord-américain de quelque 400 millions d’individus. Reconnaître cette évolution permettrait à tout le moins d’éviter une compréhension idéalisée du développement auto-centré de l’Europe et des USA pendant les « 30 Glorieuses ».
– Le progressisme historique qui imprègne le mouvement communisateur, pour qui le capitalisme règlerait ses archaïsmes, ouvrant ainsi la voie à la révolution communiste. Cela revient à séparer totalement deux périodes : celle de la « domination formelle » du capital qui interdisait la révolution et entretenait les scories du passé, et celle de sa « domination réelle » qui va quasi-automatiquement nous en débarrasser pour ne plus laisser en présence que capitalisme et prolétariat. O. Rühle, quant à lui, disait que les classes et catégories sociales, y compris les ouvriers, manquaient de mémoire. L’histoire fonctionne certes par ruptures, mais aussi par recommencements.
Le mouvement communisateur se trompe de période historique. Il commence d’ailleurs à être atteint de sclérose théorique, dont il ne se débarrassera ni aujourd’hui ni dans un avenir proche ou lointain, tant il est évident qu’il n’y est poussé par aucune réalité sociale. Aujourd’hui – aujourd’hui – l’avenir ne nous appartient pas ! En ce qui nous concerne, c’est pour cette raison que troploin n’a pas réussi à faire bouger les choses et les lignes. Nous n’avons pas pu – ou voulu – autre chose que ce que nous avons fait. Sans doute avons-nousatteint à ce moment la limite de la compréhension de notre propre activité et donc de son possible devenir. La publication en 2011 de Communisation a peut-être achevé un cycle.
Que faire ? Que continuer à faire ?
« Du passé faisons table rase »… Je me refuse à me répéter, à dire sous d’autres formes ce qui a déjà été exposé dans le passé. Force est de constater que l’ensemble des discussions que j’ai pu avoir avec divers camarades du mouvement communisateur n’a pas fait avancer le schmilblick d’un iota.
Participer à ce genre de débat ne sert donc à rien.
Je suppose que ce court texte suscitera ricanements et commentaires acerbes. Celam’indiffère.
Que faire ? :
– Tenter de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là. P. Mattick n’avait pas peurde poser la question : et si l’ère des révolutions était passée ?
– Continuer à réfléchir sur ce monde et son possible devenir : déplacement vers l’Asie du centre de gravité du capitalisme et donc du prolétariat ; évolution du prolétariat, notamment dans les pays développés ; rapport entre plus-value relative et absolue.
C’est dire la difficulté de l’entreprise.
K.N.
7 questions, et presque autant de réponses
Gilles Dauvé
1 : Quel était le but de troploin ?
Contribuer à poser cette question : Quelle articulation y a-t-il entre la lutte de classes (moteur de l’histoire, en tout cas sous le capitalisme) et l’émancipation humaine qui dépasse les classes ?
La lutte de classes ne nous intéresse pas en elle-même, mais en ce qu’elle peut produire sa fin : le communisme. Or, cette lutte peut aussi n’entretenir qu’elle-même, forcer le rapport capital-travail à évoluer, à s’adoucir tout en se renforçant, et c’est ce qu’elle fait la plupart du temps : le travail affrontera le capital dans toutes les étapes du capitalisme… jusqu’à l’étape où sa lutte de classe aboutira à la révolution, ou au moins à sa tentative.
La question cruciale de la théorie communiste est de savoir si, comment et quand les prolétaires mènent une lutte de classes capable de produire autre chose qu’elle-même.
La révolution communiste n’est pas le simple prolongement de la lutte du travail contre le capital : elle prolonge cette lutte et rompt avec elle.
Il y a bien là une contradiction : le prolétaire n’y échappe pas, la théorie communiste non plus. On pourrait refaire l’histoire de la théorie révolutionnaire selon les façons successives de traiter le problème : en l’acceptant dans toute son ambiguïté, ou en l’escamotant, ou en le déclarant insoluble, ou en le supposant résolu d’avance, le cours historique du capitalisme finissant par aboutir au point où la reproduction du rapport prolétariat/capital deviendrait impossible. (C’est cette dernière position qu’adopte une grande partie du courant dit communisateur.)
Telle est, très résumée, la perspective de troploin. L’objectif était de développer cette perspective, et de nouer à partir d’elle un minimum de relations.
2 : Le but a-t-il été atteint ?
Pour ce qui est de tenter de saisir la révolution dans toutes ses dimensions, il n’y a pas d’échec (sachant que nous avons rédigé et publié le tiers ou le quart de ce que dans l’idéal nous aurions souhaité !). Ce que nous avons écrit depuis une douzaine d’années sur le prolétariat, la lutte de classes, la crise… ne se comprend qu’avec nos textes traitant de sexualité, de justice, de la relation enfant/adulte, d’identité… Et réciproquement. De plus, lorsque nous avons parlé des conflits au Kosovo et en Irak, ce n’était pas pour les réduire à l’enchaînement « Capital + Travail → Etat → guerre ». S’agissant de religion, nous ne l’avons pas traitée en scorie du passé, ni la démocratie. En gros, la réalité, y compris récente, confirme plus qu’elle n’infirme nos analyses. (Entre autres : Il va falloir attendre, 2002 ;
Solidarités sans perspective & réformisme sans réforme et L’Appel du vide, 2003 ; Demain, orage. Essai sur une crise qui vient, 2007 ; Zone de tempête, 2009 ; et Sortie d’usine, 2010).
Par contre, si troploin a créé et suscite encore des contacts, des échanges, des traductions en divers pays et (ce qui n’est pas rien) des amitiés, aucune collaboration de fond et durable ne s’est installée.
3 : Que peut la théorie communiste ?
A chaque époque, la théorie communiste exprime à la fois le plus haut niveau atteint par la phase insurrectionnelle précédente, et ce qui, dans les luttes prolétariennes contemporaines, annonce le contenu des insurrections à venir. A aucun moment, la théorie ne s’élève à la position privilégiée d’embrasser la totalité de l’histoire passée et future et d’en révéler le sens.
Cette incomplétude reflète dans la sphère théorique l’entre-deux qui est le lot des prolétaires, y compris quand ils luttent.
Aucune pensée, même révolutionnaire, ne dépasse complètement son époque. C’est pourquoi notre texte Communisation devait décrire la genèse du concept en tenant compte de l’expérience pratique et théorique particulière d’un petit milieu radical des années 60 et 70. Le concept de communisation a beau être essentiel, il n’est pas la solution enfin trouvée au problème révolutionnaire, pas plus qu’il n’introduit une coupure définitive entre un hier voué au réformisme, et un aujourd’hui inévitablement porteur du communisme.
4 : Justement, dans quelle période vivons-nous ?
Un mot résume le maximum de radicalité des années 60-70 : l’autonomie, c’est-à-dire le refus (par une minorité active des prolétaires) des médiations étatique, syndicale, de parti,idéologique aussi, et la tentative d’agir et de s’organiser sans et contre ces médiations. 35 ou 40 ans après son apogée en Italie, l’autonomie est devenue le bien commun, ou plutôt le Plus Petit Commun Dénominateur des mouvements sociaux : action à la base, prise de décision collective, circulation maximale de l’information. Or, si l’autonomie est une condition nécessaire du mouvement communiste, jamais elle ne suffit à en donner le contenu.
Cette limite n’est ni dépassée ni en voie de l’être par la poussée revendicative en Asie, les résistances en Europe, l’Argentine, Oaxaca, la Grèce, ou les réactions même violentes à la paupérisation.
Au moment où l’exigence d’autonomie atteignait son sommet, émergeait l’idée de la révolution comme communisation (Un Monde sans argent, 1975), sans que cette percée théorique joue alors le moindre rôle pratique. Rien ne montre qu’il en aille autrement aujourd’hui.
Deux hypothèses sont envisageables :
[1] A en juger par les signes que nous percevons, tandis que les prolétaires des vieux pays industriels mènent des actions défensives généralement battues, les prolétaires des pays émergents pratiquent un réformisme « obligé », sans quasiment aucune convergence entre la défense des acquis en Occident et l’élan revendicatif en Asie, et rien ne dit que l’aggravation de la crise radicalisera la situation dans le sens communiste. Bien des chosespeuvent sortir d’une crise, on l’a vu après 1929.
[2] Cependant, une révolution communiste future étant un événement historique profondément nouveau, ses signes annonciateurs nous échappent, et il n’est donc pas exclu qu’un avenir plus ou moins proche nous surprenne positivement.
La 1ère hypothèse, la plus plausible, entraîne une certaine pratique, mais n’annule pas la 2e.
5 : Et le travail ? Et les travailleurs ?…
Plus encore au 21e siècle qu’au 19e, le rapport salarial continue de structurer le monde, et le travail n’est pas devenu inessentiel.
Pour autant, la réalité du « sujet révolutionnaire » est aujourd’hui différente de ce qu’elle était pour Marx comme pour la Gauche communiste « conseilliste » ou « bordiguiste ». Parce que le travail marchandisé est la marchandise qui reproduit et contient toutes les autres, le rapport capital-travail place le prolétaire au coeur de la société. Mais qui sont les prolétaires…?
Définir et distinguer classe ouvrière et petite bourgeoisie était assez simple en 1848, quand pour, Marx et Engels, « [p]etits industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans, tout l’échelon inférieur des classes moyennes de jadis, tombent dans le prolétariat (..) De sorte que le prolétariat se recrute dans toutes les classes (..) » (Manifeste communiste). La difficulté commence (dès la fin du 19e siècle) quand on constate que l’essor capitaliste est loin de produire une masse ouvrière absorbant à peu près toutes les autres couches et agrégeant ainsi un ensemble uni pour le socialisme.
Lorsque Gorter attribuait l’échec de la révolution allemande après 1918 au poids social et politique des petits-bourgeois, son explication découlait de sa vision de la révolution. Pour lui, comme pour l’immense majorité des communistes et des anarchistes d’alors, la révolution était la conséquence ultime de la montée en puissance des travailleurs au sein d’un capitalisme qu’ils allaient renverser pour créer une société des producteurs associés. Le socialisme, c’était mettre tout le monde au travail afin de développer les forces productives au point où elles « jailliraient en abondance ».
Dans l’Allemagne d’après 1919, revendiquer la solitude du prolétariat – assimilé à la classe ouvrière -, c’était reconnaître l’incapacité des révolutionnaires à proposer aux petitsbourgeois et aux paysans autre chose que d’aller travailler en usine. En refermant la révolution sur le travail ouvrier, Gorter et Rühle faisaient de nécessité vertu. L’histoire a tourné cette page. Un siècle plus tard, nous vivons encore dans une société industrielle, mais tout le monde ne travaille toujours pas en usine et, quoique la moitié des Terriens habitent désormais en ville, la révolution ne se fera pas sans les deux ou trois milliards de sans réserves, « semi-prolétaires » dont beaucoup sont des semi-ruraux, encore moins contre eux. (Cf. notre Sortie d’usine, § « Vers un prolétariat global ? ») Les prolétaires communisateurs ne changeront leur propre mode de vivre et de produire qu’en entraînant aussi ces quelques milliards à participer au changement. Les prolétaires ne « rallieront » pas à eux d’autres groupes, ils les transformeront en même temps qu’ils se détruiront eux-mêmes comme salariés et salariables. La communisation détruit et crée. Elle rejette et elle rassemble. Elle sépare et elle intègre. Il ne s’agit donc plus d’opposer un bloc de travailleurs au reste, comme le théorisait Gorter.
6 : Et la suite ?
Notre contribution principale à une révolution future, c’est d’éclairer la question de la communisation.
Ni utopie, ni programme à appliquer le jour venu, la réflexion sur la communisation n’est possible qu’articulée à la situation actuelle, sans tordre les mouvements sociaux pour les faire coller à nos espérances. Le mode de production capitaliste ayant donné naissance à ce qui a l’ampleur d’une civilisation, on n’en comprendra la crise qu’en réunissant ses différentes composantes. Notamment : la question sexuelle, « le genre », la famille ; le rapport entre espèce humaine et nature ; économie et écologie ; l’identité ; le temps ; mais aussi l’Etat, la nation, la guerre…
Quelles contradictions travaillent la société capitaliste actuelle ?
Donc, qu’aurait à accomplir une révolution pour réussir ?
Pour le comprendre, il faut saisir deux vérités à la fois, car chacune vaut par l’autre : le rapport capital/travail est central, et ce centre ne fonctionne pas seul, car il n’y a pas de production de valeur en entreprise sans reproduction de l’ensemble social. Donc : [1] Ni la crise contemporaine ni une future communisation ne sont une addition de faits ou de domaines. Et [2] : Il existe des réalités structurantes et d’autres structurées. Par exemple, la question du travail détermine la question sexuelle, mais on ne détruira le travail qu’en détruisant aussi la division sexuelle du travail, c’est-à-dire en bouleversant le rapport homme/femme. Il ne s’agit pas de reléguer les concepts de classe et de prolétariat à une place secondaire, mais de leur donner leur plein sens aujourd’hui.
7 : Comment ?
Alors que l’un des objectifs de troploin était de diffuser des textes plutôt courts (d’où l’idée d’une Lettre de troploin), de préférence en réaction à des événements dignes d’intérêt, nous en sommes venus à privilégier des analyses « de fond » plutôt longues, indispensables mais indirectement reliées au présent. En 2011, Communisation a été comme une synthèse de ce qui nous paraît fondamental. Cet essai équivalait pour troploin à une « fin de cycle » de réflexion et de publication. C’est autrement que nous écrirons et agirons à l’avenir. Peut-être sous des formes plus brèves : une note de lecture apporte parfois davantage qu’un essai. Ce que nous avons dit plus haut autour de la crise de civilisation n’annonce pas un « programme de travail ». L’important est que ces critiques soient menées, par nous comme par d’autres. Si nous en sommes capables, l’ambition ne sera évidemment pas de tout dire, ni même l’essentiel, seulement de poser quelques (bonnes) questions qui éclairent cet essentiel.
Bonjour,
Je suis très étonné de trouver un texte de Gilles Dauvé sur votre site et de remarquer que son site Trop Loin est également relayé dans votre blogroll, ce que je n’avais à mon grand regret pas noté jusqu’ici bien que je vienne régulièrement vous visiter, sinon je vous en aurais déjà fait part.
En effet, Gilles Dauvé, ancien de la Vieille Taupe, est connu et reconnu comme un des principaux instigateurs dès la fin des années 1970 des rapprochement entre négationnistes d’ultragauche et d’extrême droite. Sur son site personnel, Trop Loin, on trouve d’ailleurs encore des textes de la revue d’ultragauche La Banquise datant du début des années 1980. La Banquise avait été précédée de La Guerre Sociale et est née d’une scission au sein de ce dernier groupe au sujet de Robert Faurisson, l’équipe qui a fondé La Banquise (dont Quadruppani) ayant décidé, mais sur le tard, de retirer son soutien à l’écrivain négationniste. Il n’en reste pas moins que la Banquise a tout de même publié par la suite de nombreux textes révisionnistes, et le fait que Dauvé reprenne l’un d’eux (“Y-a-t-il une question juive ?”) sur son blog actuel démontre qu’il n’a en rien rompu avec ses idées passées, quoi qu’il veuille bien en dire. Contrairement à Quadruppani qui a depuis été réintégré au sein de la sphère militante après s’être expliqué sur ses dérives, rien de tel avec Dauvé.
Il est à noter qu’Indy Paris vient de refuser le texte ci-dessus pour ce motif. Le fait que vous vous en fassiez le relais ne risque pas de servir la cause pourtant plus que jamais nécessaire de la communisation. Ce choix éditorial est d’autant plus étonnant qu’au sein de votre blogroll vous relayez par ailleurs des sites connus pour leur combat contre l’extrême droite, contre ces ponts rouges-bruns et le négationnisme en particulier de gauche, par exemple mondialisme.org.
Cette dérive et ce retour en grâce de Dauvé sont bien regrettable, j’espère qu’il ne s’agit là que d’une erreur de votre part.
@Antifa75
Non, je ne pense pas qu’il s’agit d’une erreur, plusieurs textes de Dauvé sont en ligne sur ce site et sur d’autres d’ailleurs
Gilles Dauvé c’est déjà expliqué dans un livre intitulé « Libertaires et ultragauches face au négationnisme » et dans un article paru en 1999 : « Le fichisme ne passera pas ».
il faut arrêter de jouer aux flics communistes et de ressortir ces histoires vieilles de 30 ans
la chasse aux rouges-bruns, je la laisse aux apôtres de la démocratie
Quant à ceux ou celles que cela gêneraient dans “la cause de la communisation”, qu’ils passent leur chemin
ce qui nous sépare est du domaine théorique
Il ne s’agit bien sur pas d’une erreur. L’erreur, c’est de suivre régulièrement DNDF et d’être étonné d’y trouver des liens avec des productions de Dauvé. G. Dauvé fait partie des gens qui gravitent dans une nébuleuse théorique dont nous faisons partie, qu’on l’appelle “communiste” ou “de la communisation”. Puisqu’il faut, pour la X° fois, ressortir des cadavres définitivement enterrés pour nous, nous publions ici la position sur le sujet de la revue Théorie Communiste (N° 13). C’est de cette position que nous nous sentons le plus proches, n’en déplaise aux polices anti- fascistes de tous ordres:
“L’ultra gauche, le négationnisme, et le démocratisme radical
Théorie Communiste 13
Quelques réflexions à la suite de la lecture de la pleine page du “Monde” (“La querelle du négationnisme rebondit à l’ultra-gauche”) du 8 juin, de sa reprise dans “Libération” à la fin août et de la brochure “Libertaires et ultra-gauche contre le négationnisme” (ed Réflex).
Le négationnisme est une erreur historique, les chambres à gaz ont existé, l’extermination des juifs fut une nécessité fonctionnelle pour l’Allemagne nazie dans sa guerre à l’Est, décision étendue alors à toutes les zones occupées. Que le capital dans l’achèvement de son passage en domination réelle, durant la deuxiéme guerre mondiale, dans son aire centre et est-européenne ait produit l’élimination des juifs n’a rien d’inexplicable pour toute analyse critique du mode de production capitaliste : achèvement de la formation des Etats-nations ; élimination des allégeances intermédiaires à des communautés particulières face à la communauté abstraite du citoyen ; universalisation de l’individu de la société civile dans son rapport à l’Etat ; élimination d’un prolétariat rétif et organisé en partie sur cette particularisation communautaire ; concurrence à l’intérieur de la petite bourgeoisie, élimination de la particularisation de la circulation du capital argent…Tout cela s’organisant en un racisme d’Etat.
Cependant le négationnisme (dans sa revivification par des éléments issus de l’ultra-gauche) est avant tout une erreur théorique sur deux points fondamentaux. D’abord sa conception générale du capital : ce dernier n’est pa conçu comme un rapport social, c’est à dire comme le procès de reproduction, toujours à remodeler dans le matériau historique existant , du face à face du capial et du travail, mais comme une petite affaire de comptabilité immédiate. C’est pourtant exactement de la même manière que le considère Lavacquerie dans sa participation à la brochure “Libertaire et ultra-gauche contre le négationnisme”, à la différence que reconnaissant la réalité de l’extermination , il fait appel à “l’absurde” (les guillemets ne changent rien à l’absence d’explication s’ils ne sont pas justifiés) et à l’irrationnel ; de façon moins abrupte, dans le même ouvrage, le texte “Les ennemis de nos ennemis…” critique le “matérialisme primaire”, la “rationalité économique étriquée”, mais ne nous propose que de réintroduire un peu d’efficience de l’idéologie dans ce matérialisme étriqué.
La rationalité de la reproduction des rapports sociaux n’est pas celle du management d’entreprise, il n’y aurait sinon jamais ni crises, ni guerres. Cette rationalité c’est pour le capital de reproduire sans cesse les conditions du face à face de la force de travail et du capital et, de l’accumulation, en surpassant ses contradictions et en les posant comme sa propre dynamique, quitte à traverser des phases prolongées de dévalorisation. C’est là qu’il y a production d’idéologie, quand le capital se prend lui même comme objet, en tant que totalité à reproduire et qu’il se comprend et agit en tant que tel. C’est là bien-sûr que “la rationalité économique étriquée” ne trouve plus son compte, mais ce n’est pas pour autant que l’on doive en appeler à l’absurde à l’irationnel sauf à prendre pour argent comptant ce que le nazisme raconte sur lui-même.
Ensuite et c’est là l’essentiel : la critique de la démocratie. Non qu’il ne faille pas critiquer la démocratie, mais quand on le fait il ne faut pas se tromper d’ennemi, face au prolétariat, l’autre pôle de la contradiction, ce n’est pas la démocratie mais le capital. Dans l’impasse et le marasme théorique qui suivit la reconnaissance par la théorie communiste de la disparition de l’affirmation du prolétariat comme procès général de la révolution et base du communisme, l’humanité était venue supplanter le prolétariat. La lutte de classe avait été remplacée par l’affrontement entre la “vraie communauté humaine” et la “fausse”, entre l’activité humaine et le capital (“La Guerre Sociale”, “La Banquise” “Mordicus” …). La “fausse communauté” c’était celle qui réunissait les individus sur la base de leur isolement et l’entérinait : la démocratie. La démocratie devenait l’ennemi intime, l’autre, du communisme. Comme forme et contenu de la société actuelle la démocratie n’était alors qu’un mensonge. “La guerre sociale” écrivit même dans un article qu’elle était un mensonge par rapport à ses propres idéaux (Rousseau), mensonge qu’il fallait dénoncer. Cela parce qu’entre la “vraie” et la “fausse” communauté, la base était la même, le même individu isolé de la démocratie et de l’échange marchand, considéré comme la base réelle de la société. La communauté humaine, le communisme était la bonne relation entre ces individus dont l’activité humaine s’était libérée de sa vampirisation capitaliste, la démocratie la mauvaise.
Voilà comment la démocratie devint l’ennemi et dans la contradiction entre prolétariat et capital se substitua au second. Son dépassement devint simple affaire de dénonciation d’un mensonge, de dévoilement, puisqu’en dessous du voile, de la forme, se trouvait déjà le même individu, l’activité humaine, l’humanité. A ce point là de la démarche et de l’impasse théorique, on ne pouvait comprendre le mouvement contradictoire des classes que comme l’affrontement entre le vrai et le faux. Tous ne franchirent pas ce pas , mais alors ils se turent ou s’activèrent de façon extrèmement utile et nécessaire, mais la théorie était close. L’explication de la “dérive” par le comportement “radical”, le “schématisme marxeux” ou la non prise en compte de “l’absurde”, proposée par Lavacquerie, n’explique rien. Sauf sa propre incompréhension, et sa confusion entre le travail théorique effectué par l’ultra-gauche et les groupes qui travaillent sur la base de cette problématique en la dépassant, et les pitreries crypto-situationnistes. Il le reconnait lui même en disant que tout cela ne peut justifier le “basculement”, si ce n’est en s’accompagnant d’”une certaine naïveté” à propos de l’impact du dévoilement du mensonge du capital et du fait que l’on puisse le situer en un point précis. En outre après avoir tiré un coup de chapeau aux analyse des communistes radicaux et de l’ultra-gauche, “l’originalité du nazisme” envoie tout cela par terre. Quant à l’explication de Dauvet : rien à dire sur l’idéologie ultra-gauche, le malheur c’est que certains ont eu besoin d’actions, oubliant les recommandations des sages figures tutélaires de Pannekoek, Mattick et Bordiga …c’est un peu bref.
C’est pour ces raisons, qui amenèrent sa “dérive”, et malgré son inexistence sociale, que l’ultra-gauche est devenue et est maintenant construite, au travers de la querelle du négationisme, comme l’ennemi nécessaire du “démocratisme radical”. L’enjeu, le sujet qui est en question dans la campagne présente, ce sont les luttes de classes actuelles. Quadruppani s’en aperçoit quand il écrit : “En outre, elle (la chasse obsessionelle aux negationnistes dans l’ultra-gauche) ouvre la porte à des amalgames staliniens bien utiles pour démoniser l’ultra-gauche et l’ensemble de l’aire révolutionnaire anti-capitaliste et anti-étatique.” Ce que dans “Le Monde Libertaire” (n° 1056, oct 96), le “Groupe Maurice Joyeux”, à propos du n° 47 de “Golias” sur le négationnisme avait également repéré et souligné : “Il n’est certainement pas vain de penser que le réformisme social-démocrate, à bout de souffle et sans propositions séduisantes, sans même la possibilité aprés quatorze années d’expérience des affaires (là aussi c’est le mot qui convient) de vendre l’illusion d’une rupture, ait besoin pour apparaître comme la seule alternative malgré son assourdissant silence en Novembre-Décembre 95, de disqualifier tous ceux qui pourraient représenter (et ont représenté durant cette même période de Novembre-Décembre 95) une contestation de l’ordre social et économique, et de son rôle de gestionnaire intéressé de ce monde, d’autant que la prespective d’une nouvelle cohabitation se présente à lui pour 1998.” On assiste au sein de la recomposition qui va de la gauche du P.S jusqu’à certaines tendances anarchistes en passant par le P.C, les Verts, la Ligue et tous les regroupements alternativistes (cf le front uni de tous ces gens dans l’anti G 7, à Lyon en Juin 96 ; la dévotion à Marcos …) à la construction d’un ennemi : l’ultra-gauche. Le fonds théorique des gauches allemandes, hollandaise et italienne reste le seul fondement à partir duquel peut s’élaborer une critique de ce “démocratisme radical” devenue l’idéologie corollaire et aternative au “libéralisme” et, mensuellement formalisée par “Le Monde Diplomatique”.
C’est en cela que l’ultra-gauche a acquis une situation d’ennemi qui excède de loin ce qu’elle fut et encore plus ce qu’elle représente aujour d’hui, il y a construction politique et idéologique d’un ennemi qui pour le “démocratisme radical” est processus d’autoconstruction. Des mouvements comme celui de décembre, l’évolution de la lutte des sans papiers et de façon générale le cours quotidien de la lutte de classe montre que l’enjeu n’est pas une page d’histoire de la seconde guerre mondiale, ni même le débat théorique sur l’Etat, la démocratie et le capital, mais bien immédiatement les luttes de classes actuelles, qui sont le sujet véritable de cet affrontement, de cette démonisation, de cette autoconstruction du “démocratisme radical” au travers de la construction d’une ultra-gauche démonisée. Il ne s’agit que de lire “Le Monde Diplomatique”, l’organe central du démocratisme radical, à propos des grèves de décembre, pour le comprendre. Petit exemple : à propos de la manifestation de solidarité avec les “sans papiers” du samedi 28 septembre 96, organisée par le P.C.F, la C.G.T, S.U.D, la F.S.U, la C.F.D.T, une fraction du P.S, et tous les Jacquard, Schwartenzberg, Marina Vlady, Krivine, Gaillot, Harlem Désir…”Au milieu de la place du colonnel Fabien, le député (P.S.), Julien Dray, sera agressé physiquement par des militants de l’ultra-gauche aux cris de “P comme pourri, S comme salaud !” Brève mais violente, ce sera la seule fausse note d’un cortège digne mais heureux de son métissage.” “Le Monde 1/10/96). La critique, quoique “sommaire”, n’était pas dénuée de fondements vis à vis de ceux qui furent presque 14 ans au pouvoir et multiplièrent les déclarations sur “le seuil de tolérance”, les lois sur l’immigration, et la racisation de la lutte de classe dans les grèves de l’automobile de 81-84, et continuent à parler “d’immigration zéro”, ou maintenant de quota à gérer qvec les anti-racistes (Cohn-Bendit avait ouvert la voie). Les cortèges dignes et unanimistes sont toujours des enterrements et Marina Vlady et Harlem Désir ce n’est pas un “métissage”, c’est un coktail…à l’Elysée.
Cet ennemi est nécessaire à l’alternativisme, au “démocratisme radical”, à la “démocratie participative et citoyenne” pour se définir eux-mêmes. Il faut être clair : l’ultra-gauche n’existe plus depuis le milieu des années 70. C’est le “démocratisme radical” qui a besoin de ce qu’il baptise “ultra-gauche”. Il a besoin de cette “ultra-gauche”, limitée à la dérive théorique de l’opposition démocratie-communisme (qui explique le basculement négationniste, sans en faire un aboutissement nécessaire), parce que l’héritage théoriques des gauches pour les mêmes raisons qui, il est vrai, peuvent expliquer la dérive de l’opposition démocratie-communisme, demeure ce à partir de quoi se sont élaborées les productions théoriques actuelles susceptibles de produire “à gauche” la critique de l’alternativisme et du citoyen, et, dans la situation actuelle, de continuer de parler de la révolution comme rupture, abolition du capital, des classes et communisation de la société. L’ultra-gauche devient alors simultanément l’ennemi idéologique mythique, construit pour se définir soi-même, dans l’amalgame avec le négationnisme, et l’ennemi réel en ce qu’il désigne toute critique théorique et pratique du capital et de la démocratie. Ce n’est donc pas en faisant patte blanche devant la démocratie et l’antifascisme, en cherchant l’absolution de Vidal Naquet ou de Taguieff, que l’on réfutera cet amalgame, mais en revendiquant les véritables raisons de cette démonisation : tout ce qui dans la lutte de classe travaille au dépassement de cette société. Il faut bien comprendre que ce qui est visé dans cet amalgame ce n’est pas la critique de la démocratie et du capital en ce qu’elle a pu mener certains dans l’ultra-gauche, dans des conditions historiques particulières, au négationnisme, mais cette critique elle même, en ce qu’elle peut servir sous le nom d’ultra-gauche d’appelation générique à tout ce qui combat la vision alternativiste ou démocratique du “dépassement” de cette société comme revenant à sa perfectibilité permanente ou au mouvement progressif positif de prise en charge à l’intérieur d’elle de secteurs de plus en plus vastes de la réalité sociale.
Ce serait encore donner raison au négationnisme que d’en laisser la critique à la démocratie et à l’antifascisme et plus grave, capituler sur ce qui est théoriquement en jeu dans cette construction d’un ennemi. C’est malheureusement le chemin qui semble pris par le texte de Janover dans “Le Monde Libertaire” et celui de Gilles Perrault dans “Le Monde” en défense de Quadruppani et Dauvé. Janover, dans “Le Monde Libertaire” de juin 96, décrit avec justesse comment le stalinisme se refait une virginité dans l’antifascisme après avoir été un des grands artisans de l’écrasement du mouvement ouvrier de l’entre deux guerres, écrasement qui ouvrit la voie au fascisme et au nazisme. Cependant dans ce long article aucune critique de la démocratie qui fut pourtant la forme politique essentielle sur laquelle fut mené cet écrasement avant qu’elle ne se mue presque spontanément en forme fasciste du pouvoir du capital contre le prolétariat. La distinction, pertinente, des formes politiques, reprise de Korsh, semble n’être là que pour esquiver la critique de la démocratie.
Perrault (un “ami de l’Humanité”) quant à lui, qui pourtant dit avec raison que “le ventre immonde ce sont les rapports sociaux actuels”, roule dans la farine “l’ultra-gauche” en la définissant comme l’expression la plus conséquente et combative de l’antifascisme. Ce que malheureusement s’empressent de confirmer les textes de Lavacquerie et de Quadruppani qui s’appliquent à appeler antifascisme leur anticapitalisme, comme s’il y avait là simple équivalence, comme si les mots étaient neutres. D’où tout le soin apporté à se démarquer de l’antifascisme officiel de la gauche et…de la droite. Quant à Dauvé tout ce qu’il trouve à reprocher à l’antifascisme démocratique c’est d’être ineficace contre Le Pen, comme si c’était là son souci. Le racisme actuel, Vigipirate, l’attaque à la hache de St Bernard, les charters etc. ne sont pas fascistes mais capitalistes, comme ces textes le montrent pertinement et le disent. Il s’agit là d’une pratique et d’une idéologie de l’Etat démocratique, alors pourquoi dire que la lutte contre cela est le vrai antifascisme? L’affirmation de la démocratie actuellement a absolument besoin de passer par l’antifascisme parce que la démocratie n’a tout simplement rien à revendiquer en tant que telle, la démocratie on l’a. Le passage par l’antifascisme permet de qualifier de luttes démocratiques, les luttes actuelles qui posent le caractère direct du rapport des prolétaires à leurs luttes (Déc 95, les “Sans-papiers …). Cette nécessité de passer par l’antifascisme fait bien sûr mettre en exergue le “phénomène Le Pen”, mais il faut croire au fond que cela ne suffit pas, il faut aussi consolider cette ligne démocratico-antifasciste, par la lutte contre un anti-antifascisme, tellement le front uni avec la petite-bourgeoisie et le stalinisme est ressenti comme la “trahison” contre-révolutionnaire par excellence.
On ne peut comprendre l’actuel renouveau de la querelle négationniste et de la mise en exergue de la relation de celui-ci avec l’ultra-gauche, qu’en relation avec la recomposition générale qui s’effectue à gauche, de Julien Dray aux alternativistes anarchistes en passant par les Verts, la Ligue, Robert Hue, Alain Birh. C’est cette recomposition sur les thèmes d’un “démocratisme radical”, de l’alternative comme longue marche au travers de la société actuelle, du “communisme” comme mouvement positif gangrénant progressivement la société capitaliste, qui se délimite en baptisant ultra-gauche, et en le démonisant dans le même mouvement, tout ce qui peut pratiquement et théoriquement, dans les luttes de classes, la remettre en cause. Octobre 96″
DNDF
“L’Allemagne nazie a délibérément tué des millions de Juifs, dont un bon nombre dans des chambres à gaz. Ce génocide, et sa méthode, sont des faits. Or, depuis la fin des années 1960 (mais non au lendemain de 1945), ces faits sont interprétés en Europe et aux Etats-Unis comme le phénomène majeur et la grande cassure du 20e siècle, le repère fondamental qui donnerait son sens à tout le reste, un événement si totalement différent de tous les autres qu’il devrait nous servir de guide parce qu’il inaugurerait une nouvelle ère dans l’évolution des sociétés humaines. En un mot, Auschwitz a été sorti de l’histoire.
“La critique sociale peut et doit remettre en cause cette interprétation. Cela ne veut pas dire contester la matérialité des faits historiquement établis sur lesquels se fonde l’interprétation. (On les trouvera dans La Destruction des Juifs européens de R. Hilberg, L’Allemagne nazie et les Juifs de Saul Friedländer, et sous forme très synthétique dans un paragraphe du chapitre 6 du Fascisme en action de R. Paxton.) Il s’agit ni plus ni moins de remettre Auschwitz dans l’histoire , et dans ce qui domine l’histoire des 19e, 20e et 21e siècle : le capitalisme.”
(extrait de: Gilles Dauvé e Karl Nesic, La ligne generale, Lettre de troploin n.8, avril 2007)
“le mouvement communisateur ne nous a pas apporté grand-chose.”
“C’est dire la difficulté de l’entreprise.”
Karl Nésic fait la fine bouche, tout en se payant de prédictions définitives : à propos du courant communisation “Il commence d’ailleurs à être atteint de sclérose théorique, dont il ne se débarrassera ni aujourd’hui ni dans un avenir proche ou lointain, tant il est évident qu’il n’y est poussé par aucune réalité sociale. ”
encore -“donc de comprendre et d’expliquer en quoi le rapport de force est et sera pour longtemps encore en faveur du capitalisme. ”
Je ne comprends pas où KN va chercher cette soupe sur le caractère inéluctable de la révolution, sur l’européocentrisme ( Voir : De la Politique en Iran, Théo Cosme, senonevero, 2010; Moyen-orient 1945-2002, Histoire d’une lutte de classes, senonevero 2002, j’en passe…)sur le mépris de la classe ouvrière qui serait vue comme responsable des défaites révolutionnaires, etc…
Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec ce qui est effectivement élaboré par les différents groupes du courant de la communisation. Karl Nésic de fourvoie dans des dénonciations stupides et sans objet, tout en s’entourant d’un halo vaguement universaliste et se posant comme réaliste-pessimiste, face aux communisateurs empêtrés dans leurs certitudes, c’est rien facile, en effet :”Participer à ce genre de débat ne sert donc à rien.”en tout cas, pas à réveiller Karl Nesic, et donc “que faire?”, le laisser à ses chères opinions, à son contentement d’avoir eu raison, mais oui, la messe est dite -et pour toujours- amen Karl Nesic, qui repose Trop Loin.
Ceci est un commentaire acerbe.
En off: ricanement sarcastique.
il y a quelqu’un qui s’étonne que l’on publie ici un texte de Gille Dauvé. Mais ce qui est plus étonnant encore c’est que ce quelqu’un s’est choisit le pseudo” antifa75″. s’il n’a pas encore compris ce qu’est l'” antifascisme” il y a fort a craindre que son cas soit désespéré, on ne peut que lui conseiller de s’inscrire au parti socialiste et d’y rester.
“Quant à Dauvé tout ce qu’il trouve à reprocher à l’antifascisme démocratique c’est d’être ineficace contre Le Pen, comme si c’était là son souci. ”
un peu réducteur comme résumé. peut mieux faire:
http://www.troploin.fr/component/search/antifascisme/?ordering=&searchphrase=all