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Illusions sur la gauche parlementaire

Traduction d’un texte du blog « communist i situ »

https://cominsitu.wordpress.com/2015/09/18/doom/

Le texte qui suit est un extrait d’une intervention plus longue de Franco Berardi (Bifo), avant une conférence prévue par la revue Effimera à Milan, en Italie. Nous ne prévoyons pas d’assister à cette conférence, car nous trouvons l’approche de Bifo et d’Effimera très éloignée d’une compréhension du monde. Il est clair, par exemple, que ces gens ont placé beaucoup d’espoir en Syriza, une tendance visible dans de nombreuses parties de la gauche mondiale désorientée, que nous ne comprendrons jamais vraiment. Et nous trouvons cette révélation «soudaine» de l’échec tout aussi surprenante. En outre, nous n’avons plus de temps pour un récit qui explique et comprend la gestion de la crise européenne comme une simple continuation du plan géopolitique de l’Allemagne nazie avec des moyens différents, une notion tout à fait ridicule que l’on peut lire (à leurs propres risques) dans la seconde partie (non traduite) du texte original de Bifo. Mais ce que nous avons trouvé attrayant dans ce texte, c’est sa description de la perte et de la défaite, ainsi que la façon poignante dont il détruit (leurs) illusions sur la gauche parlementaire. Dans ce contexte, nous avons pensé intéressant de le traduire et de le publier ici, simplement comme  document historique qui témoigne de la façon dont une  partie de la gauche à comprend notre situation.

cominsitu

[…] L’idée d’une conférence est née du flux sans fin de la revue Effimera dans les jours frénétiques de Juillet, après le référendum et avant la «capitulation». Une conférence semblait urgente à tout le monde, alors qu’en réalité elle ne l’était pas. Pendant quelques jours, nous avons cru que «l’action et la volonté » étaient de retour sur scène, mais cela était simplement une illusion. En réalité, les choses ont évolué vers la seule direction possible, l’automate financier et économique a prévalu et la société n’a pas trouvé le moyen d’en sortir, n’a pas trouvé la route qui mène à l’autonomie.

Après le référendum, Tsipras a réalisé (et l’a dit ouvertement) que ni lui ni ses camarades n’avaient les compétences  nécessaires pour trouver un moyen de sortir du monument des dispositions techno-linguistique contraignantes de la gouvernance. Et ils ne possédaient pas cette connaissance pour la simple raison que celle-ci n’existe pas. Quelqu’un possède t-il la quadrature du cercle? Bien sûr que non, de même que l’on ne peut ne pas posséder les connaissances nécessaires pour échapper au cercle vicieux de la dette. Si vous l’acceptez, vous êtes mort. Si vous la refusez, vous êtes aussi morts.

Et ainsi, sans hâte, la conférence aura-t-elle  lieu les 3 et 4 Octobre à Milan, nous laissant largement le temps de réfléchir. Quel en serait le sujet? L’horizon? Je n’ai pas de proposition spécifique, ou de programme sur mesure à suggérer, mais je ne crois que le mieux serait d’avancer sans présupposer ce que «nous serons en mesure de faire » dans la période à venir. Dans  les 30 dernières années, chaque conflit social, toutes les luttes contre le pouvoir, se terminent par notre défaite, nous laissant quelques mètres en arrière, espérant que nous pourrons tenir jusqu’à la prochaine attaque et peut-être commencer une contre-attaque. Stop, SVP. Il n’y aura pas de résistance ou de contre-attaque. Regardons la “capitulation” de Syriza de façon réaliste. Au niveau électoral le résultat immédiat de cette capitulation est l’effondrement de la moindre crédibilité que la gauche parlementaire avait encore. Pourquoi les espagnols ou les italiens votent-ils pour la gauche après la performance de Syriza? Pourquoi vous aligner avec quelqu’un qui va inévitablement être vaincu? Pourquoi combattre Schäuble s’il  il n’y a pas d’alternative à gauche?

Ceci est la première leçon de cet été amer, si nous voulons comprendre ce qui est arrivé et non pas simplement rester amer. Entre le jour ou 62% du peuple grec a dit non au chantage et celui ou Tsipras a enlevé sa veste et dit: «vous pouvez aussi l’avoir », la dernière bataille de la gauche, à mon avis, a été perdue. Il est possible que Tsipras ait appelé au référendum en espérant qu’il perdrait, de sorte qu’il serait alors chargé, par le vote, de reconnaître et d’accepter le caractère irréversible de l’automatisme économique et financier. Dès lors, il a été forcé de trahir le résultat du scrutin puisque la seule alternative serait le chaos, la violence dans les rues, une éventuelle intervention de la police, avec l’influence bien connu qu’Aube dorée a à l’intérieur …

Tsipras est une personne décente, et ceci est la raison pour laquelle les Grecs le soutiennent, il n’est pas un économiste radical comme Varoufakis. Cela explique son choix de ne pas conduire le pays à la guerre civile, dans la direction que les criminels de l’Eurogroupe construisaient. La défaite de Syriza n’est pas le résultat d’erreurs, ni une trahison de quelque sorte. Elle est tout simplement l’acceptation que la domination de ceux qui gouvernent, qui est la domination de l’abstraction financière et économique sur la réalité de la vie sociale, ne permet pas de changements politiques. Après la fin de l’histoire grecque, nous ne verrons ni sabotage, ni tentative ridicule de réveiller et de réactiver la gauche. Mais il est temps de réaliser que la capacité de la gauche à résister politiquement n’est rien d’autre qu’un souvenir qui n’a jamais gazouillé aussi faiblement.

Avons-nous besoin d’une conférence pour en arriver à ces conclusions? Probablement pas. Mais afin d’avoir une conférence qui ne soit pas de la simple rhétorique ou de du pur auto apitoiement, nous devons inverser la perspective à partir de laquelle nous regardons la situation dans son ensemble. Pour abandonner sans ambiguïté l’idée de résistance et d’espoir, et pour considérer comme acquis les développements désastreux à venir. Pour plus d’honnêteté et une meilleure compréhension, je vous propose le titre suivant pour la conférence: « comment survivre et être heureux dans la période à venir de pauvreté, d’esclavage et de guerre ? ». Un tel titre a deux conséquences interconnectées. D’une part, nous sommes amenés à reconnaître que les conditions sociales et psychologico-éducatives pour résister n’existent pas. Donc, la résistance ne résiste pas. D’autre part, il devient nécessaire de venir avec une proposition pour la production d’une carte des «voies d’évacuation” existentielles collectives […]

 

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