« DAWLA – Crise capitaliste au moyen orient »

Après « CLASSE / RACE : FAUX DILEMME, VRAI PROBLÈME », une nouvelle vidéo de Guillaume Deloison

Analyser les événements au moyen orient avec des éléments d’ordre macro-économique et géopolitique n’est pas suffisant: la question du « croissant chiite », celle des hydrocarbures transitant par la Syrie, les bases militaires russes et les diverses rivalités internationales jouent alors le rôle de deus ex machina du ce drame. Qu’en 2011, des milliers de personnes soient descendues dans les rues chaque vendredi pour manifester sous les balles du régime, et qu’en Palestine ou se batte avec des pierres ne s’explique plus dès lors que par le fanatisme des manifestants, guidé par l’action d’ organisations secrètes: tout le reste n’est plus qu’économie, diplomatie, rapports commerciaux entre États. Quand on n’a pas affaire carrément à une rhétorique complotiste on a bien souvent affaire à une analyse de type marxiste vulgaire, qui revient à dévoiler une série de déterminations qui prennent leur source dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’économie ». Ce n’est pas un hasard si toutes ces analyses reviennent le plus souvent à soutenir le régime el-Assad, c’est-à-dire le statu quo : « l’économie » est une pensée de l’ordre.

Ce qu’il nous faut tenter de saisir, c’est en quoi les conflits aux moyen orient s’inscrivent dans le moment présent de la crise mondiale du capital, comprise non seulement comme crise économique mais aussi comme crise sociale, dans les conditions particulières de ces société. Il nous faudra saisir les déterminations de cette crise, sans ramener à un seul facteur – que ce soit la religion ou le pétrole – l’explosion sociale généralisée qu’est toute guerre civile. Tentons de saisir en quoi ce moment est aussi le nôtre.

  1. salle des machines
    06/11/2018 à 14:48 | #1

    le texte de la vidéo :

    DAWLA – Crise capitaliste au moyen orient
    8 OCTOBRE 2018 / GUILLAUME DELOISON

    Au Nord, un premier front, la région Kurde, les forces du PYD/YPG se sont saisies de l’opportunité historique d’obtenir une région indépendante. Un deuxième front est celui de la vaste zone allant de la Syrie à l’Irak, tenu par l’État Islamique (EI), qui aujourd’hui semble nettement s’essouffler sous les coups de la coalition internationale. De ces deux fronts, le régime syrien s’est rapidement retiré, se concentrant sur la Syrie « utile », celle des grandes villes et des ports, où est située l’essentiel de l’activité économique du pays. Si on considère l’ensemble du tableau, on est face à ce qui se présente empiriquement comme un éclatement généralisé, une situation purement anomique. Dès lors le bombardement d’Alep et les tirs de roquettes des rebelles sur les zones tenues par le régime, revêtent la même nature « barbare » que les exactions de l’EI, avec l’idée que c’est bien toujours ce qui se passe dans ces pays-là.

    Analyser les événements au moyen orient avec des éléments d’ordre macro-économique et géopolitique n’est pas suffisant: la question du « croissant chiite », celle des hydrocarbures transitant par la Syrie, les bases militaires russes et les diverses rivalités internationales jouent alors le rôle de deus ex machina du ce drame. Qu’en 2011, des milliers de personnes soient descendues dans les rues chaque vendredi pour manifester sous les balles du régime, et qu’en Palestine ou se batte avec des pierres ne s’explique plus dès lors que par le fanatisme des manifestants, guidé par l’action d’ organisations secrètes: tout le reste n’est plus qu’économie, diplomatie, rapports commerciaux entre États. Quand on n’a pas affaire carrément à une rhétorique complotiste on a bien souvent affaire à une analyse de type marxiste vulgaire, qui revient à dévoiler une série de déterminations qui prennent leur source dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’économie ». Ce n’est pas un hasard si toutes ces analyses reviennent le plus souvent à soutenir le régime el-Assad, c’est-à-dire le statu quo : « l’économie » est une pensée de l’ordre.

    Ce qu’il nous faut tenter de saisir, c’est en quoi les conflits aux moyen orient s’inscrivent dans le moment présent de la crise mondiale du capital, comprise non seulement comme crise économique mais aussi comme crise sociale, dans les conditions particulières de ces société. Il nous faudra saisir les déterminations de cette crise, sans ramener à un seul facteur – que ce soit la religion ou le pétrole – l’explosion sociale généralisée qu’est toute guerre civile. Tentons de saisir en quoi ce moment est aussi le nôtre.

    ISRAËL ET PALESTINE – CAPITAL, COLONIES ET ÉTAT

    Le conflit comme Histoire

    A la fin des guerres napoléoniennes, certaines parties du Moyen-Orient se retrouvèrent envahies par le nouveau mode de production capitaliste. Dans cette région, l’industrie textile indigène, surtout en Egypte, fut détruite par les textiles anglais bon marché dans les années 1830. Dès les années 1860, les fabricants britanniques avaient commencé à cultiver le coton le long du Nil. En 1869, on ouvrit le canal de Suez dans le but de faciliter le commerce britannique et français. Conformément à cette modernisation, on peut dater les origines de l’accumulation primitive en Palestine à la loi de l’Empire ottoman de 1858 sur la propriété terrienne qui remplaçait la propriété collective par la propriété individuelle de la terre. Les chefs de village tribaux se transformèrent en classe de propriétaires terriens qui vendaient leurs titres aux marchands libanais, syriens, égyptiens et iraniens. Pendant toute cette période, le modèle de développement fut surtout celui d’un développement inégal, avec une bourgeoisie étrangère qui prenait des initiatives et une bourgeoisie indigène, si l’on peut dire, qui restait faible et politiquement inefficace.

    Sous le Mandat britannique, de nombreux propriétaires absentéistes furent rachetés par l’Association de colonisation juive, entraînant l’expulsion de métayers et de fermiers palestiniens. Étant donné que les dépossédés devaient devenir ouvriers agricoles sur leurs propres terres, une transformation décisive des relations de production commençait, conduisant aux premières apparitions d’un prolétariat palestinien. Ce processus eut lieu malgré une violente opposition de la part des Palestiniens. Le grand tournant dans une succession de révoltes fut le soulèvement de 1936-1939. Son importance réside dans le fait que « la force motrice de ce soulèvement n’était plus la paysannerie ou la bourgeoisie, mais, pour la première fois, un prolétariat agricole privé de moyens de travail et de subsistance, associé à un embryon de classe ouvrière concentrée principalement dans les ports et dans la raffinerie de pétrole de Haïfa ». Ce soulèvement entraîna des attaques contre des propriétaires palestiniens ainsi que contre des colons anglais et sionistes. C’est dans le même temps que se développa le mouvement des kibboutz, comme expérience de vie communautaire inspiré notamment par des anarchistes comme Kropotkine, s’inscrivant dans le cadre du sionisme mais opposées au projet d’un état.

    La Seconde Guerre mondiale laissa un héritage que nous avons du mal à imaginer. L’implantation des juifs en Palestine, déjà en cours, mais de faible importance entre 1880 et 1929, connaît une augmentation dans les années 1930 et puis un formidable élan dans l’après-guerre; de ce processus naquit Israël. Le nouvel Etat utilisa l’appareil légal du Mandat britannique pour poursuivre l’expropriation des Palestiniens. La prolétarisation de la paysannerie palestinienne s’étendit encore lors de l’occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza en 1967. Cette nouvelle vague d’accumulation primitive ne se fit pas sous la seule forme de l’accaparement des terres. Elle entraîna aussi le contrôle autoritaire des réserves d’eau de la Cisjordanie par le capital israélien par exemple.

    Après la guerre de 1967, l’Etat israélien se retrouvait non seulement encore entouré d’Etats arabes hostiles, mais aussi dans l’obligation de contrôler la population palestinienne des territoires occupés. Un tiers de la population contrôlée par l’Etat israélien était alors palestinienne. Face à ces menaces internes et externes, la survie permanente de l’Etat sioniste exigeait l’unité de tous les Juifs israéliens, occidentaux et orientaux. Mais unir tous les Juifs derrière l’Etat israélien supposait l’intégration des Juifs orientaux, auparavant exclus, au sein d’une vaste colonie de travail sioniste. La politique consistant à établir des colonies juives dans les territoires occupés est un élément important de l’extension de la colonisation travailliste sioniste pour inclure les Juifs orientaux auparavant exclus. Bien entendu, le but immédiat de l’installation des colonies était de consolider le contrôle d’Israël sur les territoires occupés. Cependant, la politique de colonisation offrait aussi aux franges pauvres de la classe ouvrière juive un logement et des emplois qui leur permettaient d’échapper à leur position subordonnée en Israël proprement dit. Ceci ne s’est pas fait sans résistance dans la classe ouvrière Israélienne, certain s’y opposaient comme les Panthéres noir israélienne mais l’Histadrout,« syndicat » d’Etat et employeur important s’efforçait d’étouffer les luttes de la classe ouvrière israélienne, comme par exemple les violents piquets de grève des cantonniers.

    En 1987, ce sont les habitants du camp de réfugiés Jabalya à Gaza qui furent à l’origine de l’Intifada, et non l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) composé par la bourgeoisie Palestinienne, basée en Tunisie et complètement surprise. Comme plus tard en 2000 avec la seconde intifada, ce fut une réaction de masse spontanée au meurtre de travailleurs palestiniens. A long terme, l’Intifada a permis de parvenir à la réhabilitation diplomatique de l’OLP. Après tout, l’OLP pourrait bien être un moindre mal comparée à l’activité autonome du prolétariat. Cependant, la force de négociation de l’OLP dépendait de sa capacité, en tant que « seul représentant légitime du peuple palestinien », à contrôler sa circonscription, ce qui ne pouvait jamais être garanti, surtout alors que sa stratégie de lutte armée s’était révélée infructueuse. Il était donc difficile pour l’OLP de récupérer un soulèvement à l’initiative des prolétaires, peu intéressés par le nationalisme, et qui haïssaient cette bourgeoisie palestinienne presque autant que l’Etat israélien.

    Quand certaines personnes essayèrent d’affirmer leur autorité en prétendant être des leaders de l’Intifada, on raconte qu’un garçon de quatorze ans montra la pierre qu’il tenait et dit : « C’est ça, le leader de l’Intifada. » Les tentatives actuelles de l’Autorité palestinienne pour militariser l’Intifada d’aujourd’hui sont une tactique pour éviter que cette « anarchie » ne se reproduise. L’utilisation répandue des pierres comme armes contre l’armée israélienne signifiait qu’on avait compris que les Etats arabes étaient incapables de vaincre Israël au moyen d’une guerre conventionnelle, sans parler de la « lutte armée » de l’OLP. Le désordre civil « désarmé » rejetait obligatoirement « la logique de guerre de l’Etat » (bien qu’on puisse aussi le considérer comme une réaction à une situation désespérée, dans laquelle mourir en « martyr » pouvait sembler préférable à vivre dans l’enfer de la situation présente). Jusqu’à un certain point, le fait de lancer des pierres déjouait la puissance armée de l’Etat d’Israël.

    D’autres participants appartenaient à des groupes relativement nouveaux, le Hamas et le Jihad Islamique. Pour essayer de mettre en place un contrepoids à l’OLP, Israël avait encouragé la croissance de la confrérie musulmane au début des années 1980. La confrérie ayant fait preuve de ses sentiments anti-classe ouvrière en brûlant une bibliothèque qu’elle jugeait être un » foyer communiste « , Israël commença à leur fournir des armes.

    D’abord connus comme les « accords Gaza-Jéricho », les accords d’Oslo fit de l’OLP l’autorité palestinienne. Le Hamas a su exploiter ce mécontentement tout en s’adaptant et en faisant des compromis. Ayant rejeté les accords d’Oslo, il avait boycotté les premières élections palestiniennes issues de ces accords en 1996. Ce n’est plus le cas désormais. Comme tous les partis nationalistes, le Hamas avec son discours religieux n’a nullement l’intention de donner le pouvoir au peuple, avec ou sans les apparences de la démocratie bourgeoise. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de profondément commun entre ce mouvement et l’OLP dans toutes ses composantes : la mise en place d’un appareil politico-militaire qui se construit au cours de la lutte, au nom du peuple mais clairement au-dessus de lui dès qu’il s’agit de prendre puis d’exercer le pouvoir. Après plusieurs années au gouvernement, le crédit du Hamas est probablement et selon toute apparence bien entamé, sans que personne non plus n’ait envie de revenir dans les bras du Fatah(branche militaire de l’OLP). C’est semble-t-il le scepticisme, voire tout simplement le désespoir et le repli sur soi, qui semblent l’emporter chaque jour un peu plus au sein de la population.

    Le sionisme, un colonialisme comme les autres ?

    Dans cette situation, la question de déterminer les frontières de ce qui délimiterait un État israélien «légitime» est oiseuse, tant il est simplement impossible: la logique de l’accaparement des territoires apparaît inséparable de son existence en tant qu’État-nation. S’interroger dans quelle mesure l’État israélien est plus ou moins «légitime» par rapport à quelque autre État, signifie simplement ignorer comment se constituent toujours les États-nations en tant qu’espaces homogènes.

    Pour comprendre la situation actuel il faut appréhender la restructuration générale des rapports de classes à partir des années 1970. Parallèlement aux deux «crises pétrolières» de 1973-74 et 1978-80, à la fin du nationalisme arabe et l’ascension de l’islamisme, la structure économique et sociale de l’État d’Israël change radicalement. Le sionisme, dans son strict sens, fut la protection et la sauvegarde du «travail juif», soit pour le capital israélien, contre la concurrence internationale, soit pour la classe ouvrière contre les prolétaires palestiniens: ce fut en somme, un «compromis fordiste» post-1945, d’enracinement d’une fraction du capital dans dans un État-nation. Le sionisme impliquait qu’il donne alors à l’État et à la société civile une marque de «gauche» dans ce compromis interclassiste et nationaliste. C’est ce compromis que le Likud a progressivement liquidé ne pouvant plus garantir le même niveau de vie au plus pauvres. Pourtant la définition d’Israël comme «État sioniste» résiste. Agiter des mots comme «sioniste», «lobby», etc. – consciemment ou pas – sert à chargé l’existence d’Israël d’une aire d’intrigue, de mystère, de conspiration, d’exceptionnalité, dont il n’est pas difficile de saisir le message subliminal: les Israéliens, c’est-à-dire les Juifs, ne sont pas comme les autres. Alors que le seul secret qu’il y a dans toute cette histoire, c’est le mouvement du capital que peu regarde en face. La concurrence généralisé, qui oppose entre eux «ceux d’en haut » et aussi «ceux d’en bas». L’aggravation de la situation du prolétariat israélien et la quart-mondialisation du prolétariat palestinien appartiennent bien aux mêmes mutations du capitalisme israélien, mais cela ne nous donne pour autant les conditions de la moindre «solidarité» entre les deux, bien au contraire. Pour le prolétaire israélien, le Palestinien au bas salaire est un danger social et de plus en plus physique, pour le prolétaire palestinien les avantages que l’Israélien peut conserver reposent sur son exploitation, sa relégation accrue et l’accaparement des territoires».

    La solidarité est devenue un acte libéral, de conscience, qui se déroule entièrement dans le for intérieur de l’individu. Nous aurons tout au plus quelques slogans, une manifestation, peut-être un tract, deux insultes à un flic… et puis tout le monde rentre chez soi. Splendeur et misère du militantisme. Entre temps, la guerre – traditionnelle ou asymétrique – se fait avec les armes, et la bonne question à se poser est la suivante: d’où viennent-elles? Qui les paye? Il fut un temps, les lance-roquettes Katioucha arrivaient avec le «Vent d’Est ». Aujourd’hui, pour les Qassam, il faut dire merci à la Syrie et à l’Iran. Il fut un temps où l’on pouvait croire que la Révolution Palestinienne allait enflammer le Tiers Monde et, de là, le monde entier. En réalité le sort des Palestiniens se décidait ailleurs, et ils servirent de chair à canon à l’intérieur des équilibres de la Guerre Froide. Réalité et mythe de la «solidarité internationale».

    Nous savons trop bien comment la religion peut être «le soupir de la créature opprimée, le sentiment d’un monde sans cœur» (Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel). Mais cette généralité vaut en Palestine, en Italie comme partout ailleurs. Dans le Proche et Moyen-Orient, comme dans la plupart des pays arabes du bassin méditerranéen, l’islamisme n’est pas une idéologie tombée du ciel, elle correspond à l’évolution des luttes entre les classes dans cette zone, à la fin des nationalisme arabe et la nécessité de l’appareil d’état pour assurer l’accumulation capitaliste. Le minimum, je n’ose même pas dire de solidarité, mais de respect pour les prolétaires palestiniens et israeliens, nous impose tout d’abord d’être lucides et sans illusions sur la situation actuelle ; de ne pas considérer le prolétariat palestinien comme des abrutis qui se feraient embobiner par le Hamas ni comme des saints investi par le Mandat du Ciel Prolétarien ; de ne pas considérer le prolétariat israélien comme des abruti qui serait simplement rempli de haine envers les palestinien ni comme des saint dont la situation ne repose pas sur l’exploitation d’autres. L’antisionisme est une impasse, tout comme l’antimondialisme (défense du capital national contre le capital mondialisé), ou toutes les propositions de gestion alternative du capital, qui font parties du déroulement ordinaire de la lutte des classe sans jamais abolir les classes. Sans pour autant tomber dans un appel à la révolution global immédiate pour seul solution, il nous faut partir de la réalité concrètes et des divisions existante du mode de production, pour s’y attaquer. Le communisme n’est pas le fruit d’un choix, c’est un mouvement historique. C’est avec cette approche que nous cherchons à affronter cette question. Il en reste pas moins que désormais – à force de réfléchir a partir de catégories bourgeoises comme « le droit», « la justice» et « le peuple» – il n’est pas seulement difficile d’imaginer une quelconque solution, mais il est devenu quasi impossible de dire des choses sensées à cet égard.

    LE KURDISTAN, ENTRE ESPOIR ET ILLUSION

    Un peu d’histoire

    L’émergence d’une « question kurde » spécifique, à la fin de la Première Guerre mondiale, est à inscrire dans le processus chaotique de la formation des États-nations dans le Proche et Moyen-Orient. Si en Europe la formation des États-nations s’est faite sur l’impulsion du développement d’un capitalisme intérieur, rendu possible par la succession bien définie des modes de production antérieurs, dans les Balkans et le Moyen-Orient cette formation s’est faite selon un développement capitaliste venant d’ailleurs, avec les rivalités intercapitalistes qui en ont découlé. À la suite du démembrement de l’Empire Ottoman, dont les puissances victorieuses (Grande-Bretagne et France) se partagent les dépouilles, il y a la création de l’Irak et de la Syrie que Britanniques et Français mettent sous mandat, et d’autre part celle de la Turquie avec l’ascension du mouvement nationaliste de Mustapha Kemal (Atatürk).

    Une première période du mouvement kurde – sous la domination de la bourgeoisie terrienne – se caractérise par une série de violentes secousses : de 1919 à 1930 les soulèvement se multiplie. Confédération tribale de Shikak, cheikh Mahmoud Barznadji, s’autoproclamant roi du Kurdistan, puis la famille Barzani prendront la tête du mouvement ; en Turquie, on enregistre 18 soulèvements en moins de 15 ans ; les Kurdes syriens participeront à la plupart de ces mouvements. L’événement le plus important de cette période c’est la proclamation, le 22 juillet 1946, d’une république indépendante en Iran dans le sillage de l’occupation par l’URSS d’une partie du pays. Ces soulèvements sont écrasés dans la férocité par les nouvelles bourgeoisies nationales de Turquie, Syrie, Iran et Irak.

    Après l’ « ère du silence » de 1948-1958 c’est un nouveau nationalisme qui voit le jour : De nombreux jeunes venant de milieux pauvres peuvent alors entreprendre des études universitaires permise par le développement capitaliste dans cette région: ce sera cette petite-bourgeoisie instruite – formée en Turquie occidentale, à Istanbul et Ankara, – qui va réactiver le nationalisme kurde à partir du premier coup d’État en Turquie (1960), donnant au mouvement un caractère plus nettement national-populaire. Ce sont les « années d’ingouvernementabilité » qui voient la succession de gouvernements incapables de reprendre en main les rênes de la situation jusqu’au nouveau coup d’État militaire de 1980. Dans cette période, les organisations illégales kurdes se multiplient. Leur composition sociale est presque la même que celle de la période précédente : étudiants et professions libérales, l’âge moyen est plus bas et l’appartenance politique vire au marxisme-léninisme, à l’époque très en vogue parmi les intellectuels européens. Naissent alors des formations comme le PSTK (Parti socialiste du Kurdistan turc, qui a pour projet un Kurdistan autonome dans le cadre d’un socialisme turc) et le PKK (Parti des travailleurs kurdes, séparatiste).

    Initialement, le PKK ne regroupe qu’une poignée de jeunes étudiants imprégnés d’un marxisme vague et surtout réunis autour de la personnalité de Abdullah Oçalan (de la génération de 1949). Le caractère de classe revendiqué dans le nom de l’organisation existe uniquement sur le plan verbal et n’est guère qu’un vœu pieux. Le parti, existant officiellement en 1978, affirme viser la libération du Kurdistan contre l’impérialisme et les féodaux kurdes appartenant à la bourgeoisie terrienne qui sont désignés comme « la principale cause sociale empêchant le développement national kurde ». Le PKK reprend donc les thèmes d’organisations de type marxiste-léniniste, guévariste, tiers-mondiste, etc., alors qu’ils sont déjà dans la courbe descendante. À partir de 1978, l’organisation est suffisamment forte pour se lancer dans la « guerre révolutionnaire » contre les « féodaux » ; dans cette phase, ses actions consistent principalement en homicides (tentés ou réussis) de chefs de tribu, tout en n’excluant pas la participation aux élections municipales.

    Le 15 août 1984, le PKK après sa réorganisation relance la lutte armée en attaquant deux postes militaires turcs. Cela va changer la base sociale de l’organisation : « La guérilla du PKK attire rapidement l’attention des jeunes kurdes qui vont bientôt gonfler ses rangs. Il recrute massivement dans les campagnes, mais aussi dans les cités kurdes, entre jeunes et ouvriers des grandes cités turques et dans certains pays européens, en Syrie et en Libye. Le PKK acquiert un caractère principalement rural ». En 1991, le mouvement s’est désormais implanté dans la quasi-totalité des villes kurdes et dans beaucoup de villes turques (Ankara, Istanbul, Adana, Izmir, Denizli). Dans cette période, parallèlement aux manifestations de rue se développe une vraie diaspora kurde dans toute l’Europe, dont la France, l’Allemagne et la Suède sont les principaux pays d’accueil.

    Dans les années 1990 – malgré la répression en Turquie et l’exacerbation du conflit infranational entre le PKK et les kurdes irakiens du PDK – la guérilla se développe au-delà des prévisions les plus raisonnables, sur la base de la revendication d’un État kurde indépendant. En 1995, on crée un parlement kurde en exil, dont le siège est en Europe et, si l’objectif de mettre en place un gouvernement local ne se réalise pas, le PKK parvient malgré tout à remplir une série de fonctions étatiques de taxation et d’administration de la justice. Mais à la fin des années 90 le PKK subit la douche froide de la capture d’Oçalan. À partir de cet événement, la période comprise en 1999 et 2005 est relativement calme jusqu’à la reprise des affrontements entre l’armée turque et le PKK, interrompus depuis.

    En Syrie, l’expulsion d’Oçalan voulue par Hafez el-Assad marque la fin de l’idylle kurdo-syrienne. À partir de ce moment, le mécontentement et la volonté de « démocratisation » (mais aussi les sympathies proaméricaines) des Kurdes syriens se manifestent à plusieurs reprises jusqu’aux manifestions de 2011 et à l’éclatement de la guerre civile. En Irak, les jours glorieux de la guérilla autonomiste du PDK de Mustafa Barzani sont plus que jamais lointains : « […] la guerre du Golfe a radicalement changé la configuration de la question kurde. Elle a abouti à la création d’une zone de protection dans laquelle les Kurdes irakiens ont pu édifier des institutions qu’ils gèrent eux-mêmes. Enfin, la guerre d’Irak de 2003 qui a renversé Saddam Hussein et recomposé l’Irak et l’espace régional a confirmé les Kurdes d’Irak dans leur rôle d’alliés stratégiques des États-Unis.

    Crise ou révolution ?

    On ne peut comprendre l’évolution de la question kurde sans prendre en considération la structure de « l’economie monde » et sa dynamique mondiale d’accumulation capitaliste. Diviser entre un « centre » et une « périphérie » mondiale et par des rapports rigides, investis nationalement, entre l’un et l’autre. Cette structure assignait au centre la charge d’entraîner l’accumulation par un développement industriel intensif et à la périphérie, le rôle subordonné de fournir des matières premières à bas coût. Le « bloc socialiste » avec tous ses conflits internes (URSS vs Chine, etc.) était une zone d’accumulation fermée, exclue du marché mondial, et servait de pôle d’attraction à toutes les tentatives de « déconnexion » de la part des périphéries tentant d’échapper au rôle que le centre leur avait assigné. Ces diversifications au niveau des formations sociales ne prenaient de sens – comme il advient à chaque époque du mode de production capitaliste – que dans les rapports réciproques à l’intérieur de la division internationale du travail (« l’économie-monde »), dont la complexe cohérence n’évite en rien la possibilité de conflits internes.

    Le régime en place au Rojava annonce une « volonté de défendre une forme d’organisation de la société respectueuse de l’égalité hommes femmes et de la diversité linguistique » et « une société fraternelle, démocratique, écologique et émancipatrice pour tous sans distinction de genre, d’ethnie ou de confession ». Oçalan s’inspire de l’écologie social de Murray Bookchin (penseur libertaire), et développe ce qu’il nomme un confédéralisme démocratique.

    Le tournant libertaire pris au sein du PKK, c’est-à-dire l’abandon de la perspective d’un État kurde indépendant, répond à trois ordres d’exigences : 1) la reconnaissance d’un état de fait : l’obsolescence des « nationalismes d’en bas » ; 2) l’issue négative de la stratégie de la guérilla, symbolisée par l’arrestation d’Oçalan à Nairobi en 1999 ; 3) les transformations sociales advenues dans le Kurdistan historique ces 25 dernières années.

    En ce qui concerne l’obsolescence des « nationalisme d’en bas » : La crise des années 1970, commençant avec le choc pétrolier, la fin du « bloc socialiste » et la décomposition du Tiers-Monde en « naufragés » (Quart et Cinquième Monde) et « rescapés » (les pays émergents : Brésil, Chine, Inde, Turquie, etc.) apparaît comme une nouvelle configuration qui – loin d’empêcher ou d’atténuer la polarisation centre / périphérie – la rend néanmoins plus complexe, en la dé-nationalisant. Une structure diversifiée, hiérarchisée par zone s’impose : au sommet, les hypercentres capitalistes liés à la finance et au high-tech, au milieu, une zone intermédiaire répartie entre logistique et distribution commerciale d’un côté, activités d’assemblage et outsourcing de l’autre ; en bas la zone de crise et les « poubelles sociales » animées par toute une économie informelle. Cette tripartition se reproduit de manière fractale à tous les niveaux du monde, jusqu’aux quartiers des villes. « Aujourd’hui, le grand capital s’installe au-dessus de l’État national, à l’égard duquel il tend à entretenir une relation instrumentale et conflictuelle à la fois. Elle est instrumentale quand il cherche à le plier à ses propres intérêts, soit par l’action directe des lobbies, soit par la discipline des marchés. Elle est conflictuelle quand la dislocation de ses intérêts sur un espace mondial provoque dans les économies des nations, surtout celles à capitalisme avancé, des difficultés économiques mettant en crise la fonction de « capitaliste collectif national » assumée dans le passé par les États ».

    Le déclin des modèles traditionnels de la guérilla marxiste-léniniste ou tiers-mondiste explique en partie que le PKK chercha à se lier au mouvement altermondialiste. Le « mouvement des mouvements », le « peuple de Seattle », fournirent à Oçalan et ses camarades tout le matériel nécessaire pour réaliser le renouvellement théorique et organisationnel imposé par la situation, principalement en ce qui concerne l’articulation d’une perspective qui était et reste la libération nationale, avec le renoncement à l’obtention d’un État kurde indépendant. Dans sa nouvelle source d’inspiration théorique, le PKK déploie une efficacité rhétorique qui met au premier plan le changement à réaliser ici et maintenant, la revendication de l’éthique, la critique des hiérarchies, l’éloge de l’horizontalité, un éclectisme théorique (écologie, féminisme, etc.) qui renonce aux synthèses unitaires sentant trop le « marxisme », ainsi qu’une insistance sur l’auto-gouvernement et l’autonomie

    La contestation kurde après ces 25 dernières années se déploie désormais dans un espace largement urbanisé. Le paysage rural auquel les Kurdes étaient étroitement associés tant dans leur réalité quotidienne que dans celui de l’imaginaire des orientalistes a pratiquement disparu […]. Dans le Kurdistan d’Irak, où les villages kurdes ont été détruits dans le cours des années 1980 par le régime de Saddam Hussein, les trois quarts de la population vivent dans les trois grandes villes, la capitale Erbil, Dihok et Souleimaniye. […] En Syrie, le noyau central des politiciens kurdes s’est toujours battu dans les villes et aujourd’hui plus qu’hier, ce sont l’intelligentsia et la jeunesse qui occupent la scène.

    Économie de guerre et utopie

    L’« expérience révolutionnaire » du Rojava est souvent présentée comme devant faire face à l’hostilité générale et aux menaces des armées impérialistes et « fascistes » de la région, sinon de la planète. Mais dans les milieux d’extrême gauche occidentaux qui font preuve d’un fervent et nécessaire soutien, même les derniers admirateurs de « l’utopie libertaire » du Rojava doivent reconnaître « l’aspect étatique » de cette « expérience », ses « institutions protoétatiques », le poids du PYD, le service militaire obligatoire, le culte du chef, le respect de la propriété privée, l’imposition d’une monnaie etc. Ils gardent malgré tout l’espoir qu’avec le temps la situation puisse évoluer positivement. En attendant, on parle beaucoup de ces communes que le PYD met en place dans les villages et les quartiers. Pourtant, loin des conseils ouvriers, elles sont surtout des conseils de quartier aux pouvoirs limités, consultatifs, et au rôle de médiateurs judiciaires de première instance. Le reste du fonctionnement politique et administratif, semble-t-il très bureaucratique, est, lui, calqué sur les institutions démocratiques occidentales – ce qui, il est vrai, est une nouveauté en Syrie.

    La guerre est une catastrophe, en premier lieu pour les prolétaires qui la subissent et la font, la guerre civile y ajoutant ses atrocités. Était-il nécessaire de le préciser ?… Que le maniement des armes, en tant qu’activité séparée, étouffe toute expression de la lutte des classes ? Mais que cela n’empêche pas les prolétaires d’être particulièrement actifs ? Ces situations sont toujours plus confortable à critiquer de son fauteuil. Dans ce chaos, et en particulier dans la guerre civile syrienne, il y a une chose à voir et qui crève les yeux tant elle est partout : c’est justement tout ce que la révolution n’est pas ; que ce soit en matière d’auto-organisation, de survie, d’activité militaire, d’alternatives, d’utopies protoétatiques, etc. Il n’y a pas de modèle à y trouver, ni d’ailleurs de contre-modèle. La révolution ne sera certes pas un dîner de gala, loin de là, mais elle ne ressemblera pas à ces ignobles guerres civiles dont le capitalisme contemporain a le secret

    SYRIE, LES LIMITES D’UNE RÉVOLTE

    « Le Parti dirige la société et l’Etat » (Article 8 de la Constitution)

    Depuis le mandat français en Syrie et au Liban, toutes les instances dirigeantes se succédant à la tête de l’Etat syrien se sont appuyées sur les divisions confessionnelles et communautaires existantes afin d’asseoir leur pouvoir politique et économique. Sous le mandat français, les cadres de l’armée et de l’administration étaient, selon une méthode coloniale classique, recrutés parmi les minorités, entre autres la minorité alaouite, majoritairement composée de paysans pauvres et quasiment considérés comme hérétiques du point de vue de l’Islam, afin de tenir loin du pouvoir une majorité sunnite acquise aux idées du nationalisme arabe, et de s’assurer le soutien sans faille d’un groupe social lié organiquement à l’Etat. Le problème de la « division confessionnelle » de la Syrie était plutôt celui du mandataire français désireux d’exercer son pouvoir sur les 80 % d’arabes sunnites présents en Syrie, sans pour autant remettre dans les mains de cette majorité les outils du pouvoir. Cette politique permit la constitution d’une élite bureaucratique et militaire se recrutant et se cooptant selon des réseaux familiaux et claniques, et fournit la base de ce qui devait devenir le système el-Assad à partir des années 1970.

    Ainsi, l’Etat syrien se construit d’emblée non comme un Etat-nation à proprement parler, mais comme l’outil d’une minorité dirigeante devant résister à une population toujours potentiellement hostile. Ce schéma issu de la période coloniale est renforcé par la structure rentière de la région dans laquelle l’Etat syrien s’insère, qui fait de l’Etat l’outil de captation de la rente, au bénéfice de cette minorité. Le nationalisme arabe a longtemps été le ciment idéologique de l’Etat syrien, et a servi à la fois à capter la rente indirecte des monarchies arabes en soutien de la lutte contre Israël, et à offrir un alibi « arabe » à la minorité au pouvoir.

    Cette période nationaliste , sous la domination du parti Baas, a été une lutte économique et politique contre la bourgeoisie des commerçants et grands propriétaires fonciers afin d’asseoir le pouvoir de l’élite bureaucratique et militaire, ce qui a conduit au renforcement du pouvoir d’Etat et à la domination du Parti sur toutes les activités sociales. Concrètement, cela a conduit à la domination de fait d’une minorité d’alaouites recrutés sur des bases claniques et clientélistes sur toutes les instances de l’armée et – surtout – des services secrets. C’est l’article 8 de la Constitution syrienne (avant sa révision « démocratique » en 2012) qui le dit : « Le Parti dirige la société et l’Etat. » Le maillage social ainsi obtenu est un mélange entre des méthodes inspirées de la Stasi et un recrutement communautaire, dont la densité relationnelle augmente à mesure qu’on se rapproche du pouvoir. Au sommet, la famille el-Assad, frères, beaux-frères, etc., et à la base, tout un réseau clientéliste basé sur des relations de confiance et de sujétion.

    L’insurrection dans ses débuts : entre revendication démocratique et répression

    Depuis les années 1990, avec la chute du bloc soviétique, l’intégration au cours mondial du capital sur la base du sous-développement, la fin du nationalisme arabe et du socialisme redistributeur de la rente, les classes dirigeantes issues des décolonisations apparaissent de plus en plus comme parasitaires. Des Etats comme l’Egypte ou la Syrie, dont le caractère autoritaire avait pu se justifier auprès des plus pauvres par la nécessité, par exemple, de mener contre les anciennes bourgeoisies des réformes agraires qui pouvaient passer pour révolutionnaires, n’existent plus que comme nouveaux propriétaires de pays qu’ils exploitent plus qu’ils ne les gouvernent. La crise de 2008 a précipité les choses, et en 2011 la hausse brutale du coût des matières premières, notamment du blé, a éclairé d’un jour cruel d’une part la dépendance de ces économies au marché mondial, malgré tous les discours sur l’indépendance nationale, et l’incapacité des Etats (à l’exception notable de l’Algérie) à opérer la redistribution de l’argent de la rente, qui est devenue leur justification a minima.

    L’alternative que le clan el-Assad a posée dès les premières manifestations, et qui se résume à la formule « nous ou le chaos », est non seulement une prédiction mais une menace. La répression a immédiatement pris une forme ultra-violente et militaire. Il est évident que la répression des manifestations pacifiques de 2011 est le premier déclencheur de la militarisation de l’insurrection à proprement parler, en 2012-2013, et du début de la guerre civile, à partir de 2013.

    A la différence de celle des années 1980 des Frères musulmans et leur branche militaire, brutalement écrasée, qui appuyaient sur l’antagonisme alaouite/sunnite, cette insurrection a été spontanée. C’est une population inorganisée et explicitement pacifique qui s’est jetée dans la rue, sans objectif précis, sans agenda et sans capacité militaire. De plus, le référent religieux était, au début de l’insurrection, non seulement absent, mais explicitement écarté. Alaouites, kurdes, druzes et chrétiens se mêlaient aux sunnites. Lors des manifestations, les slogans faisaient référence à l’unité nationale syrienne, et appelaient à la chute du régime.

    Il s’agissait alors, pour l’insurrection, de se présenter comme démocratique et pacifique. Si les manifestations se déroulaient après le prêche du vendredi, c’est que la Syrie est un pays musulman, et que des manifestations, pour spontanées qu’elles soient, doivent se donner un lieu et un moment pour exister. Déclarer que le soulèvement en Syrie était dès 2011 initié par des religieux, des « salafistes », voire des djihadistes, c’est ne rien comprendre au déroulement des événements, et notamment à la tournure confessionnelle qu’a ensuite effectivement pris l’insurrection.

    L’histoire de la confessionnalisation, de la militarisation, du verrouillage en guerre civile de l’insurrection, c’est aussi celle du départ progressif de tous ceux qui pouvaient encore partir, pour ne laisser sur place que les plus pauvres ou les plus politisés, contraints à continuer la lutte pour ne pas se retrouver désarmés face aux représailles du régime sur eux ou leurs familles. Des soldats déserteurs rejoignent leurs familles dans leurs villages, quitte à s’engager auprès de fractions djihadistes afin d’avoir accès aux armes, pour défendre les leurs. Cette histoire est celle du passage de la lutte révolutionnaire à la lutte pour la survie, qui s’achève en survie dans la lutte, sans aucune fin discernable.

    Le redoutable appareil répressif syrien a seulement été capable de maintenir le régime au pouvoir, et non de lui donner la victoire. Parallèlement, l’insurrection, devenue guerre civile, s’est avérée incapable de profiter de son avantage, et de la maîtrise de fait de larges pans de territoire, pour mener l’insurrection à la victoire, c’est-à-dire à la chute du régime.

    De l’insurrection à la guerre civile : la société sans l’Etat ?

    Au moment de 2011, c’est un être syrien idéal qui est construit en sujet collectif par les manifestants, et cet être syrien était démocratique et citoyen. Les manifestations étaient l’expression d’une société revendiquant son droit à l’existence. A ce moment-là, les manifestants semblent être unis par l’idée simple et efficace de faire ce que les Tunisiens et les Egyptiens on fait avant eux : en finir avec le régime. Cet objectif apparaît comme dépassant les divisions sociales existantes, lesquelles sont mises à l’écart, afin d’obtenir, le temps d’une manifestation au moins, voire comme projet collectif démocratique. Pour les manifestants, il s’agissait alors avant tout de faire peuple.

    L’insurrection s’est trouvée contrainte d’assurer les fonctions habituellement dévolues à l’Etat, en se calquant sur les divisions sociales existantes : fonction militaire, fonction de soin, approvisionnement, voirie, défense civile, fonction judiciaire, etc. De ce point de vue la continuité l’emporte sur la rupture. L’exemple de la pratique judiciaire est à ce titre particulièrement intéressant. Afin de juger des conflits courants dans les zones tenues par l’insurrection, le rôle de juge a rapidement été attribué à des imams locaux, le plus souvent peu qualifiés, les autorités religieuses ayant quitté le pays, mais considérés comme les plus aptes à donner une forme juridique à ces conflits. Il ne s’agit aucunement là d’application stricte de la charia ni de tribunaux islamiques à la mode Daesh, mais d’une institution civile dans laquelle les religieux sont reconnus comme les plus compétents, les juges civils étant quasiment absents. Si le droit civil est parvenu ici et là à s’imposer, là où des juges avaient rejoint l’insurrection, face au manque de personnel capable de l’appliquer, c’est le droit chariatique, qui est de toute façon à la base d’une grande partie du code civil syrien, qui s’est imposé. Cette volonté de normalisation institutionnelle du secteur judiciaire a conduit à l’adoption presque générale par l’insurrection du code de l’Union arabe, fondé sur la charia et produit en 1996 par des experts de la Ligue arabe sous financement des pays du Golfe.

    La division du travail entre civils et militaires, la spécialisation des activités produisent ainsi d’elles-mêmes leurs propres médiations. Des institutions nouvelles se créent, calquées sur les anciennes et généralement considérées comme légitimes. Les institutions qui fondent tout Etat, comme l’armée, la police, la justice, etc., ne sont pas contestées pour elles-mêmes, c’est le caractère antidémocratique qu’elles avaient sous le régime qui est remis en cause. Il faut enfin noter que la forme démocratique qui découle de cette critique n’est pas la démocratie directe, mais la démocratie représentative, du moins lorsque c’est possible au regard de la situation explosive.

    Le peuple sans l’Etat du début de l’insurrection tend ainsi rapidement à passer de la fiction unanimiste à un mouvement qui tente de reconstituer un Etat à partir du peuple, c’est-à-dire à partir des divisions de classe existantes. Mais cela même, dans le cas de la Syrie, est problématique, et l’opposition ne parvient pas à réaliser en son sein une structuration de classe susceptible de conduire à la formation d’un Etat. L’Etat syrien a perdu toute légitimité et se présente comme un corps étranger vis-à-vis de sa propre société tandis que la société syrienne en état d’insurrection ne parvient pas à se constituer en État. Espérons que derrière cette impasse, s’ouvre d’autres horizons post-capitaliste

    DAESH – LA CONTRE-RÉVOLUTION DE L’ÉTAT

    L’État Islamique, ou DAESH, attire tous les regards, mais son image est brouillée. Le reflet qui nous parvient via les médias est celui d’une foire aux atrocités soigneusement mise en scène, ou d’épisodes guerriers choisis en fonction d’obscurs intérêts politico-militaires. Mais parmi les groupes « rebelles » ayant émergé durant le conflit irako-syrien, l’EI tente de mettre en place une structure de type étatique et qui s’appuie sur un projet politique structuré et ambitieux : le rétablissement du Califat disparu en 1258 qui implique une critique du monde, de sa marche, de l’Occident, de la démocratie, du nationalisme, etc. Est-ce à dire une critique du capitalisme ? Certainement pas, mais plutôt celle de certains de ses maux et excès, ceux qui entraveraient le fonctionnement libre et harmonieux d’une société califale rêvée… et surtout de son économie.

    Naissance de DAESH : Un état comme les autres ?

    DAESH ou l’État Islamique n’était à l’origine qu’un des groupes de résistance armée à l’occupation américaine en Irak (donc un groupe terroriste) ; mais, à partir de 2009, il bénéficie du ralliement de milliers de miliciens sunnites et de centaines d’ex-officiers de l’armée irakienne. Militairement très efficace, l’EI a été considéré par une bonne partie de la population irakienne sunnite comme une « armée de libération » et donc fêté comme telle, et beaucoup de chefs de tribus ont choisi de lui faire allégeance. L’EI s’est ainsi emparé d’un important arsenal qui lui servira pour progresser en Syrie à partir de 2013 ; dans ce pays les localités sont prises à la suite de violents combats contre d’autres groupes islamistes ou grâce au ralliement de ceux-ci. Dans le chaos ambiant, ses capacités logistiques et régaliennes lui valent une certaine popularité dans la population. Nombre des rebelles syriens du printemps arabe feront allégeance à l’EI lorsque celui-ci entrera en Syrie en 2013. Ils sont donc physiquement le lien entre les révoltes de 2011 et le Califat qui se revendique lui-même comme « le seul véritable héritier » des Printemps arabes. Il est en tout cas la conséquence, voire la réponse, à leur échec.

    En Irak il a chassé les troupes chiites considérées par la population comme une abominable armée d’occupation, une « check point army » dont la présence n’apportait qu’exactions, violences, viols, racket, corruption généralisée et insécurité . Dans une ville comme Mossoul où régnaient le clientélisme, et où une misère massive jouxte d’inexplicables poches de prospérité, les premières mesures du nouveau régime, hautement symboliques, peu onéreuses et très médiatisées, sont l’éviction et l’exécution publique des corrompus. Si l’ordre règne à Mossoul, c’est aussi que la répression est impitoyable. Mais loin d’être dictée par une folie mortifère incontrôlée, elle répond à de froides logiques étatique et administrative et trouve une légitimité dans une interprétation littérale du Coran et très rigoriste des Hadith (actes et paroles du Prophète)

    Lorsqu’une ville est conquise, comme toute armée d’occupation conséquente, l’EI a parmi ses priorités de rétablir le fonctionnement des services publics. L’État islamique s’efforce de reconstruire les infrastructures endommagées par la guerre mais lance aussi de nouveaux projets mis en valeur dans sa presse : réparation de ponts et de circuits électriques, création de lignes des transport public à prix réduit, restauration d’un service postal, etc. sorte de relance « keynésienne » financée par le trésor de guerre de l’EI.

    L’EI rétablit une forme d’État de droit, et ainsi « répond aux aspirations d’acteurs locaux » et offre une porte de sortie aux plus pauvres, car outre son volet caritatif, il est un employeur potentiel pour le prolétariat surnuméraire qui n’a pas émigré. Dans les zones d’Irak et de Syrie qu’il contrôle, l’EI semble donc opérer une jonction entre les intérêts d’une partie de la classe capitaliste mais aussi ceux d’une partie du prolétariat, forçant ainsi la création d’une même communauté vectrice de paix sociale, ou plutôt d’ordre.

    Daesh représente les intérêts d’une classe bien déterminée, la fraction évincée de deux États, l’Irak et la Syrie, où la bureaucratie et l’armée jouaient un rôle essentiel. Son insistance à se présenter comme un véritable état, comme l’État islamique, et à s’entourer de tous les attributs de la souveraineté, ne sont pas anecdotiques, mais expriment sa véritable nature de classe. Cela ne l’empêche pas d’entrer en relation avec le marché international, que ce soit pour vendre du pétrole, acheter des armes ou réaliser des opérations financières, comme d’autres bureaucraties avant elle. Ce n’est pas le business que souhaite bouleverser l’EI, plutôt l’apparence et la surface pour les remettre en adéquation avec la volonté divine.

    Monstre du capital : L’état réactionnaire

    Les états occidentaux répugnent à considérer officiellement l’État islamique comme un État et préfèrent le considérer comme un groupe terroriste. Mais on ne peut pas opposer strictement les deux. Il dispose d’un territoire, d’une armée, d’une administration, d’une fiscalité, d’une monnaie, et ainsi de suite. Il n’est pas né comme un groupe terroriste, mais comme l’émanation de fractions évincées des appareils d’état irakiens et syriens en vue de retrouver leur place.

    Sa forme peut paraître surprenante, mais l’EI joue son rôle d’État en préservant les intérêts de la classe capitaliste locale et en ayant une vision d’avenir. D’un point de vue économique, la volonté qu’à l’EI d’unifier (au-delà des divisions artificielles, nationales, ethniques) et de pacifier un territoire, et d’y relancer, rationaliser, et moderniser l’économie, notamment l’extraction pétrolière. Et s’il lance des appels à l’Hijra, invitant à émigrer vers ses territoires non seulement les musulmans ayant une expérience militaire, mais aussi les enseignants, juristes, médecins et ingénieurs, c’est pour compenser l’émigration de beaucoup des membres des classes moyennes/supérieures et préparer le futur.

    L’EI, qui dénonce le nationalisme comme une « ordure de l’Occident », et qui a aboli la frontière entre la Syrie et l’Irak, s’appuie pourtant sur une version religieuse du nationalisme baasiste. L’islamisme est ancré dans toutes les classes et il peut également reprendre des éléments de l’idéologie nationale syrienne qui traverse toutes ces classes. Il est en capacité de se ressaisir du nationalisme arabe, tant dans son rôle identitaire que comme perspective d’insertion économique régionale, en lui substituant la Oumma, la communauté des croyants, voire le Califat. Il en va de même de la répartition « socialiste » dont la fonction, essentielle dans un contexte rentier, est assurée par la charité considérée comme un devoir religieux pour l’Etat comme pour les particuliers, etc. Quant au caractère « médiéval » il est trompeur car s’il passe injustement en France pour archaïque, grossier, ou primitif, dans le monde arabo-musulman il évoque une période d’âge d’or, de référence. Reprendre cette thématique c’est raviver « un rêve arabe ». Certes un « Un rêve éveillé qui sème la mort », mais « la dernière idéologie totalitaire crédible, à la fois idéaliste et réaliste » et capable de mobiliser les foules.

    L’EI s’appuie également sur une pratique entièrement misogyne, destinée à restaurer intégralement la domination masculine. La brutalité patriarcale de l’État islamique, dont l’esclavage sexuel de femmes issues des minorités non musulmanes est la forme extrême, s’inscrit dans ce contexte de contre-révolution patriarcale. la situation des femmes s’est progressivement dégradée en Irak depuis le premier embargo de 1990 et surtout après 2003. La place des femmes dans la lutte armée au Kurdistan, dans la victoire de Kobanê contre l’État islamique, est significative car l’un des enjeux centraux de cette guerre est la place des femmes dans la société. L’État islamique promet aux hommes de restaurer leur place dominante dans la famille, et multiplie les actes les plus outrageants les plus dégradants envers les femmes, pour le montrer.

    Les attentats à l’extérieur qui constitue une véritable strategie sur laquelle s’appuie l’EI, sont un instrument dans une guerre asymétrique, qui puise ses méthodes dans une généalogie du terrorisme au proche et Moyen-Orient. Les attentat de DAESH ne sont pas irrationelles, Ils expriment sa nécessite politique de survivre comme État dans ses conditions de faiblesse.

    Crise globale, Réaction locale

    Pourtant, sortis de leur contexte, certains projets et pratiques du Califat renvoient un écho inattendu. Son programme comporte en effet la lutte contre la corruption et la spéculation financière (interdiction de l’usure), la création d’une monnaie alternative (pièces en or, argent et cuivre en référence aux dinars et dirhams abbassides, c’est-à-dire une « vraie » monnaie afin d’échapper au système monétaire dominant), la revalorisation des services publics, la décentralisation du pouvoir par l’autonomie régionale, le rejet de la démocratie parlementaire (et de la démocratie « tout court », l’EI prônant une sorte de « centralisme organique » sous domination divine), l’abolition des frontières, la lutte contre le racisme, sans oublier le rejet de la consommation effrénée et de la soumission aux marques.

    Un discours qui semblerait altermondialiste s’il se référait au Monde Diplomatique et au Sous-Commandant Marcos, plutôt qu’au Coran et au Calife Ibrahim. Oui, l’EI se veut médiéval mais moderne, « égalitaire, universel et multiracial ».

    Les mots ont-ils ici encore un sens ? Ni plus ni moins qu’ailleurs. L’EI, en pratique ou en théorie, ne mène évidemment pas une critique du capitalisme, il cherche à modifier certains aspects qui lui semblent les moins licites, les plus gênants, à en adapter d’autres. Si certaines pratiques sont extrêmes, le discours résonne souvent fort creux. L’extrême droite dénonce elle aussi depuis longtemps les dérives et les excès du capitalisme. Capitalisme financier s’entend. Source de tous les maux, d’autant qu’on y ajoute aisément des doses de conspirationnisme et d’antisémitisme. Rapports de classes, exploitation, plus-value et autres vieilleries passent donc à la trappe, le vocabulaire s’en trouve simplifié et tout le monde est d’accord.

    Les promesses de lendemains enchantés ne faisant plus recette, le mot d’ordre du Califat est « Marche arrière toute ! » A la croisé de l’État islamique et de la France, on trouve : born again salafistes, Manif pour Tous, défense de la famille, de traditions, du sol, etc. Si l’irruption du capitalisme est la cause de tous les maux mais qu’il est devenu indépassable, que faire sinon revenir à « l’avant » et, dans ce cas, pourquoi pas le Moyen-Âge ? Celui d’un Âge d’or tant qu’à faire.

    Pourtant, malgré son séparatisme et sa démesure, le discours califal, comme l’alternativisme plus raisonnable auquel nous sommes habitués, est un discours produit par le système dominant, et son projet est une alternative au sein de ce qui existe. Le Califat ne peut survivre que relié économiquement au reste d’un monde capitaliste. Le goût des jihadistes pour les esclaves ne les conduit pas pour autant à instaurer ou restaurer un « mode de production esclavagiste », et le salariat règne à Mossoul autant qu’à Milan. Rêve éveillé et nouvelle phase du cauchemar, DAESH ne peut être compris et combattue que comme une variante monstrueuse d’un ordre capitaliste mondial dont elle se prétend l’ennemi. L’État Islamique n’est pas un retour archaïque, fruit de rapports sociaux en décomposition, mais une entité politique en adéquation avec l’époque et le milieu qui l’ont produite : c’est l’État dénationalisé en personne. Du point de vue idéologique, la reconstitution du Califat et la reconquête de Jérusalem se présentent comme une réponse crédible, en tout point digne de succéder à la « nation arabe » comme acteur social et géopolitique ; Le déroulement de la lutte de classe quotidienne, dans la mesure où (et tant que) elle reste prise à l’intérieur des rapports de distribution, et non de production, trouve son prolongement politique naturel dans la revendication d’une redistribution du revenu qui, dans l’aire méridionale, ne peut vouloir dire que réappropriation et redistribution de la rente.

    L’EI a tiré sa puissance, son prestige et ses finances de ses conquêtes guerrières. La stagnation des fronts, les replis tactiques et les incessants bombardements seront sa perte. Le processus de normalisation et d’étatisation est mis à mal. Le Califat va ainsi voir s’amoindrir les capacités « sociales » qui font sa force ; il ne pourra les compenser que par des augmentations d’impôts et une répression accrue, ce qui ne manquera pas de provoquer le retournement d’une partie de la population et de certains chefs de tribus. Les divergences d’intérêts risquent alors de resurgir. Projet de construction d’un État sur des bases entièrement nouvelles, les aspect religieux de l’EI ne tient pas à un extrémisme propre à l’islam, mais au fait que le fanatisme religieux se déchaîne dans un contexte de crise global, de guerre civile et d’interventions étrangères.

    ***

    Si les clés de la compréhension de la guerre civile syrienne, de DAESH ou du Kurdistan ne se trouvent pas qu’en Syrie ou en Irak, ce n’est pas en raison de quelque complot des puissances internationales, mais bien en raison de l’évolution mondiale du capitalisme, et de la place spécifique de la région dans celui-ci. Une place peu enviable, dans laquelle le développement proprement capitaliste s’accommode et se nourrit de formes d’exploitation et de reproduction de la force de travail où la prédation des entreprises capitalistes peut se déchaîner sans les freins qui leurs sont imposés dans les aires les plus développées. Localement, ce sont des pôles d’intense richesse, qu’ils se trouvent non seulement en Israël ou dans les pays du Golfe, mais y compris, par taches, dans les pays les plus pauvres de la zone, pôles qui se nourrissent d’un océan de pauvreté.

    Que des masses de pauvres vivent de plus en plus dans des zones sans État, loin d’être la promesse de réalisation d’utopies anarchistes, ouvre bien plutôt la perspective d’un effondrement du monde capitaliste dans sa préservation même, la possibilité d’une rétraction du capitalisme avancé par l’extension du rapport d’exploitation le plus sauvage, jusqu’à l’abandon de toute forme sociale adéquate à la reproduction de ce rapport d’exploitation, jusqu’à l’abandon de l’êtat.

    La possibilité pour le capitalisme de se dégager de la contradiction qui consiste à devoir reproduire en lui-même la force de travail tout en l’expulsant sans cesse du procès de valorisation pourrait consister à l’avenir dans l’expulsion effective dans des « zones grises » de masses de prolétaires surnuméraires, qui seraient seuls chargés de leur reproduction et auraient la liberté d’autogérer leur propre misère. La « déprolétarisation » à l’intérieur même du monde du capital se ferait alors sur le mode de l’extension du bidonville et de territoires en situation de guerre civile permanente. Il faut considérer ceci comme une hypothèse de sortie de crise pour le capital, à placer sur le long terme. Nous entrons dans une période de conflits sans issue dont les prémisses s’annoncent déjà, que ce soit en Syrie, mais aussi en Libye, au Mali, dans certaines zones d’Afghanistan, ainsi qu’aux marches de l’Europe, en Ukraine. Mais une crise sociale générale n’est pas la somme de crises locales évoluant en parallèle, sans se toucher. Dans les crises insurrectionnelles ou pré-insurrectionnelles ayant atteint un certain niveau d’extension, les insurgés de tel pays seront contraints – par la nécessité même de poursuivre le conflit – à chercher un soutien au-delà de ses frontières nationales, ou à franchir en masse (ou dispersés…) ces frontières pour soutenir ailleurs l’insurrection. C’est ainsi – matériellement, et non sur la base d’appels abstraits à l’internationalisme – que la révolution détruit la séparation et unifie l’humanité. La perspective de la communisation, comme activité de mise en commun dans la crise et comme sortie de ce monde capitaliste, semble dans ces conditions être alors un horizon des plus nécessaire.

    Synthèse par Guillaume Deloison

    Source:
    Ni Allah ni pétrole : pour une approche ouverte de la question syrienne:
    https://carbureblog.com/2017/02/04/ni-dieu-ni-petrole-pour-une-approche-ouverte-de-la-question-syrienne/

    État, société et guerre civile en Syrie
    https://carbureblog.com/2017/05/11/etat-societe-et-guerre-civile-en-syrie/

    Califat et barbarie (première partie):
    https://ddt21.noblogs.org/?page_id=667

    Califat et barbarie (deuxième partie)
    https://ddt21.noblogs.org/?page_id=728

    Qu’est-ce que l’Etat islamique ? Éléments d’analyse marxiste
    https://mars-infos.org/qu-est-ce-que-l-etat-islamique-546

    Saisir la question du communisme:
    https://dndf.org/?p=13854

    Califat et barbarie : la lutte finale ?
    https://ddt21.noblogs.org/?page_id=1906

    Lettre à des amis « rojavistes »
    https://ddt21.noblogs.org/?page_id=914

    Contre-histoire de l’islamisme comme phénomène capitaliste – avec Clément (Sortir de l’économie)
    http://www.sortirducapitalisme.fr/143-contre-histoire-de-l-islamisme-comme-phenomene-capitaliste-avec-clement-sortir-de-l-economie-23-02-2016

    Il Lato Cattivo : « Lettre sur l’antisionisme »
    https://dndf.org/?p=13757

    Introduction : nationalisme et émergence d’un prolétariat pétrolier
    http://www.mondialisme.org/spip.php?article191

    Gaza : polémique autour d’un rapport accablant d’Amnesty
    https://dndf.org/?p=4634

    Israël-Palestine : une politique internationaliste pour la classe ouvrière est-elle encore possible ?
    http://mondialisme.org/spip.php?article1303

    L’espérance du Kibboutz
    https://www.franceculture.fr/emissions/talmudiques/talmudiques-du-dimanche-08-avril-2018

    Behind the 21st century intifada
    http://libcom.org/library/21st-century-intifada-israel-palestine-aufheben

    Par-delà sionisme et antisionisme. Pour une critique globale de l’idéologie nationale-étatique moderne.
    http://benoitbohybunel.over-blog.com/2016/12/israel-palestine-penser-une-critique-globale-de-l-ideologie-nationale-etatique-moderne-contre-un-antisionisme-spectaculaire-et-fetic

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