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Il Lato Cattivo : “Covid-19 et au-delà”

Traduction du dernier texte des camarades de « Il Lato Cattivo »

Covid-19 et au-delà

(mars 2020)

« Rien que l’homme ne craigne plus que d’être touché par l’inconnu. » (Elias Canetti)

Dans un monde économiquement en avarie, mais politiquement stagnant, le choc doit parfois venir « de l’extérieur », par des facteurs ou des événements qui ne sont initialement ni strictement économiques ni strictement politiques et, en l’occurrence, même pas strictement humains. Non pas que les épidémies puissent être qualifiées de phénomènes purement biologiques[1], mais il nous semble évident que si cet épisode de l’éternelle lutte entre l’homme et les agents pathogènes, qui porte aujourd’hui le nom de Covid-19, est en train de prendre une tournure aussi dramatique, ceci résulte de l’environnement particulier – pour sa part purement social – dans lequel il se déroule. Qu’une « tempête parfaite » au niveau économique allait arriver, on le savait depuis un certain temps[2]. Qu’elle serait combinée avec une pandémie de grande ampleur, on aurait difficilement pu le prévoir. Cela introduit indéniablement un élément de nouveauté dans le scénario, dont l’évaluation exige prudence et sang-froid : trop souvent il a été dit que rien ne serait plus comme avant pour les déplacements de virgule les plus insignifiants. Toujours est-il que le mode de vie concret d’une partie croissante de la population mondiale est déjà fortement affecté (environ trois milliards de confinés sur le papier au 25 mars), et la tendance va sans doute se renforcer. Les quelques personnes qui pensent encore pouvoir retourner à leur train-train habituel après trois semaines de confinement léger passées sur Netflix seront déçues. Pas seulement et pas tant parce que, en Italie comme ailleurs (France, Espagne, etc.), le fameux pic de contagion se fait attendre, mais surtout parce que le retour à un semblant de normalité dans l’activité économique et les déplacements quotidiens adviendra à un moment où l’épidémie sera encore en cours, imposant des mesures de contrôle et de mise en sécurité considérables afin d’éviter une deuxième vague de contagions et de décès. Cela vaut en particulier pour les pays où la tentation néo-malthusienne de l’« immunité de troupeau » a été rejetée à différents degrés.

En attendant, l’objet de la théorie communiste reste toujours le même : le rapport social capitaliste en tant que porteur de son propre dépassement ou de sa reproduction à un niveau supérieur – rapport d’exploitation entre classes antagonistes qui, parmi tous ceux qui ont existé historiquement, est le plus contradictoire et donc le plus dynamique. Au milieu de la cohue de faits et de discours sur les faits, il s’agit de saisir les retombées que les développements actuels introduisent dans ce rapport, tant à court qu’à long terme. Ce qui, soit dit en passant, est tout le contraire de la légèreté avec laquelle certains évoquent l’« effondrement du capitalisme » –  un expédient grâce auquel tout devient facile parce qu’on a tout bonnement fait disparaître la réalité qui, elle, est faite de déclinaisons socio-économiques et institutionnelles inégales, de temporalités de propagation du virus et de taux d’incidence inégaux, de stratégies de réponse différentes à l’urgence sanitaire. Sans oublier la répartition inégale des pertes entre les multiples capitaux individuels, sur le front de la crise économique. Encore et toujours, l’inégalité de développement est la règle dans le processus historique. Les notes suivantes – à peine plus qu’un patchwork – ne sont qu’un modeste ajustement de focale, pour notre propre usage et celui de ceux qui nous lisent.

Disons tout d’abord que la situation déterminée par la propagation internationale de la pandémie met définitivement à nu un certain nombre de limites inhérentes au cycle d’accumulation généralement défini comme « mondialisation », et exige en même temps que les acteurs concernés (entreprises et centres de pouvoir à tous les niveaux) se confrontent à ces limites, en préparant d’urgence des réponses immédiates, dont certaines (peu nombreuses) – comme toujours dans un cadre concurrentiel – s’avéreront adéquates et susceptibles d’être généralisées, tandis que d’autres (la plupart) finiront dans les poubelles de l’histoire. Pour reprendre une formule sur laquelle nous avons souvent insisté, « le laboratoire secret de la production » est précisément ceci : un laboratoire, d’où les agents de l’accumulation se meuvent sans relâche – et même dans les situations les plus désespérées – pour s’adapter aux nouvelles conditions chaque fois données, et les modifier à leur avantage dès que l’occasion se présente. Procédons donc à un bref examen des limites dont nous parlions, non sans faire quelques hypothèses sur les réponses qu’elles vont engendrer.

En premier lieu, l’urgence actuelle révèle la fragilité des supply chains mondialisées et de l’option zero stock. Aux États-Unis, on a pu constater à quel point l’approvisionnement en médicaments et matériels médicaux dépend de fournitures provenant de l’autre côté du Pacifique. Comme on le sait, la diffusion de Covid-19 a subi un net ralentissement en Chine et la production est en train de reprendre. Néanmoins, le pic de contagion dans les States devrait être atteint en avril ou en mai, avec un taux d’incidence prévu entre 30 et 40 % de la population. L’augmentation de la demande sera massive. Il est donc probable que les États-Unis seront contraints de prendre des mesures pour relocaliser la production dans ce secteur, ne serait-ce que partiellement, pour certains produits pharmaceutiques ou équipements médicaux. La réquisition de General Motors pour la fabrication de respirateurs, autorisée par la Defense Production Act, est un premier pas dans cette direction. Si cette tendance devait s’exacerber, ce serait une accélération considérable du decoupling sino-américain déjà entamé dans d’autres secteurs (l’industrie militaire, surtout). Au Royaume-Uni, les pénuries générées par la ruée dans les supermarchés a mis en évidence la dépendance alimentaire d’un pays dont les besoins en aliments de base sont satisfaits à 50% par des importations (principalement de l’UE) et où la montée vertigineuse de la rente foncière urbaine a fortement réduit la capacité de stockage, tout en contribuant au déclin de l’agriculture locale[3]. En France, le ministre de l’économie Bruno Le Maire, lors d’un point-presse du 9 mars dernier, a pris acte des scénarios émergents :

«  […] Je suis convaincu qu’il y aura un avant et un après cette épidémie de Coronavirus, en ce qui concerne l’organisation de l’économie mondiale. Il est clair, dans un certain nombre de domaines, à quel point il est important de réfléchir à une meilleure organisation des chaînes de valeur, à la relocalisation d’un certain nombre d’activités stratégiques, notamment dans le secteur de la santé, et d’établir une mondialisation dans laquelle les chaînes de valeur soient mieux protégées, plus indépendantes, afin d’éviter de la même manière des déplacements parfois inutiles, lorsque certaines productions peuvent être réalisées à proximité ».

Qu’on puisse articuler un tel discours tout en se référant encore à la mondialisation, alors qu’en réalité on parle de son démantèlement, n’est qu’un oxymore politicien : les dés sont jetés. On pourrait énumérer une infinité d’exemples, d’indications et de suggestions similaires.

Deuxièmement, l’urgence actuelle révèle les risques auxquels l’accumulation capitaliste est exposée dans un contexte de sous-financement des systèmes de santé publique et des infrastructures en général. Rappelons que la nécessité et la sévérité des mesures de confinement dépendent principalement de la capacité du système de santé à détecter et à prendre en charge les contagions réelles au sein de la population. Dans un scénario hypothétique de surabondance de lits d’hôpitaux et de disponibilité massive et immédiate de de tests, le confinement n’aurait rien d’inéluctable et pourrait être évité. Sans se faire d’illusions sur la clairvoyance ou la noblesse d’esprit de ses décideurs et gouvernants, ça s’est bien vu en Corée du Sud, un pays qui en termes de taille n’est pas la Chine mais pas Saint-Marin non plus (50 millions d’habitants), et si elle présente sans doute un âge moyen inférieur à celle de l’Italie (42,1 contre 46,3), elle affichait début mars deux fois plus de cas officiels de contagion. On ne s’étonnera pas qu’en Corée du Sud le nombre de lits d’hôpitaux pour 1000 habitants soit de 12,27, contre 3,18 en Italie (chiffres 2017). Pour l’Italie, un récent rapport de l’Observatoire GIMBE[4] a estimé à 37 milliards les coupes budgétaires dans la santé publique effectuées entre 2010 et 2019, dont environ la moitié a touché les infrastructures, les équipements et les matériaux, et l’autre moitié les nouvelles embauches et les augmentations de salaire (médecins, personnel administratif et directions notamment). Nous n’allons certainement pas plaindre ceux que Marx fustigeait comme co-dévoreurs de plus-value, mais laissez nous dire que les salaires élevés de certaines catégories professionnelles visent non seulement à susciter le prestige ou la révérence des usagers et des personnels subordonnés, mais aussi l’esprit de corps et la disponibilité au sacrifice individuel chez les premiers concernés – sauf à croire qu’il soit souhaitable qu’un chirurgien entre en salle d’opération avec la même attitude qu’un O.S. à la chaîne. Dans la mesure où ces niveaux de rémunération sont érodés, leur corollaire subjectif s’affaiblit aussi. Que dire des médecins lombards retraités, dont seulement 10% se sont déclarés prêts à reprendre le service ? Que dire de la Région Lombardie, contrainte d’importer des médecins et des virologues de Chine, de Cuba, du Venezuela et de Russie ? Que le vent d’Est ait commencé à souffler sur la capitale de l’autonomisme euro-compatible de marque Ligue du Nord et de la Movida[5] de gauche revendiquant l’apéritif à tout prix, cela ne va pas sans une certaine ironie. Entre-temps, en Vénétie, il semble que le président de la région Luca Zaia se soit converti à l’école coréenne : dépistage de masse à raison de 20 000 tests par jour pendant trois semaines. En tous cas, il est clair que les mesures de confinement les plus drastiques, introduites pour éviter l’implosion de systèmes de santé souvent déjà à bout de souffle, sont extrêmement douloureuses en termes de répercussions sur l’activité économique. Le paradoxe qui en résulte est donc qu’à force d’épargner sur le système de santé, un virus un peu plus agressif et mortel que la grippe habituelle suffit pour faire perdre dix points de PIB. Sauf à choisir de simplement laisser les gens crever.

Troisièmement, l’urgence actuelle révèle – notamment au sein de l’Union européenne – les pannes d’une multilevel governance qui, à force de « subsidiarité » et de redistribution des compétences de l’État national vers le bas et vers le haut (régions et organismes internationaux), est désormais incapable de produire un ordre quelconque. Ce n’est pas nouveau : on l’avait déjà vu lors de la crise migratoire de 2015. Mais aujourd’hui l’affaire est bien plus grave, du moins en Italie, notamment parce qu’elle engage directement ses régions, qui sont responsables de la planification et de l’organisation des services de santé. Et on a vu comment, dans ce domaine, chacun fait ce qui lui chante. Les différents pays de l’UE font de même, d’ailleurs. Le 23 mars, dans une interview parue dans Le Monde, le gouverneur de la Banque d’Italie, Ignazio Visco, a réitéré pour la énième fois le souhait de circonstance d’une ever closer Union : « La crise du Coronavirus doit nous permettre d’avancer vers une Europe unie ». Mais qui y croit encore ? Que cela nous plaise ou non, Marine Le Pen est incomparablement plus en phase avec la réalité en déclarant aux micros de RT France (25 mars) que « l’Union européenne est la première victime du Coronavirus ». Le fait nouveau est que le diktat de la rigueur sur les comptes publics est tombé en Allemagne aussi, ce qui risque d’entraîner un relâchement général des contraintes budgétaires. Macron a sauté sur l’occasion pour annoncer, pas plus tard du 25 mars, un plan d’investissements « massifs » dans le système de santé. Au-delà des effets d’annonce, il faudra voir combien d’argent sera mis sur la table. Mais si l’UE n’est plus en mesure de discipliner ses membres (PIIGS ou non), elle se réduit à n’être plus qu’une vache à lait pour ses derniers (ou futurs) adhérents, et elle devient ainsi parfaitement inutile même pour ceux qui, jusqu’à présent, ont engraissé à dans son ombre.

En parlant de gouvernance, il y a presque trois ans, nous écrivions :

« L’intégration entre l’État et l’entreprise privée […] est devenue trop forte, même du point de vue, purement capitaliste, de leur fonctionnement optimal. […] cette coexistence/combinaison de gestion managériale et de gestion parasitaire de la sphère étatique, avec toute ses interpénétrations, limite considérablement l’efficacité et la réactivité de l’action étatique dans son rapport vis-à-vis de la société, surtout dans une situation de raréfaction de plus-value. […] Du point de vue du « parti de la subversion », aujourd’hui dispersé, la désintégration actuelle de l’État séparé est une bonne nouvelle, car elle annonce la possibilité d’une paralysie institutionnelle complète face à une éventuelle rupture insurrectionnelle. Mais gardons-nous d’un optimisme facile : une reprise révolutionnaire, ou même simplement un fort élan revendicatif, pourrait contrarier cette tendance au lieu de l’exacerber. »[6].

Le principal défaut de cette analyse est d’évaluer le dysfonctionnement de l’État national exclusivement du point de vue du « but final » de la lutte des classes, en négligeant ses effets immédiats sur le « mouvement ». Une paralysie institutionnelle est-elle souhaitable en l’absence d’une perspective révolutionnaire immédiate, à laquelle s’ajouterait –  par hypothèse – une situation de grave urgence sanitaire ? Libre à chacun de souhaiter en son for intérieur le chaos ou l’apocalypse, mais alors qu’on ne se plaigne pas si parents et grands-parents finissent par crever comme des chiens, à la maison ou dans les couloirs d’hôpitaux hors contrôle. De plus, dans la mesure où les dysfonctionnements de l’État couillon auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui se répercutent lourdement sur la vie quotidienne de ceux qui n’ont pas d’alternative au service public – non seulement ouvriers et employés, c’est-à-dire l’essentiel de l’armée prolétarienne active, mais aussi, de plus en plus, les classes moyennes inférieures, salariées ou non – cet état de fait surdétermine le contenu des instances et des revendications sociales. En résumé, moins l’État fonctionne, plus la question de sa réforme en un sens souverainiste contamine la lutte des classes quotidienne et les humeurs politiques des classes dites « subalternes », se combinant à différents degrés avec la confrontation directe avec tel ou tel autre capital ou tel ou tel autre patron. À moins de vouloir jouer aux ventriloques des luttes des autres, en mettant dans leur bouche ce qui nous convient, il est impossible de passer sous silence le fait que dans la vague de grèves encore en cours en Italie, les revendications sur les conditions de travail (mesures de sécurité) et la mise à l’arrêt de secteurs non essentiels s’adressent en même temps aux patrons et à l’État, et obligent ce dernier à adopter un comportement moins complaisant envers Confindustria[7] et cie, c’est-à-dire à faire preuve d’autonomie relative vis-à-vis des souhaits de la fraction dominante du patronat. La menace rampante de pillages qui a incité Giuseppe Conte à annoncer l’introduction de bons alimentaires n’allait-elle pas dans la même direction – objectivement, sinon subjectivement ? Ces mesures, avec d’autres déjà prises ou à prendre, ne vont-elles pas enfin déchirer la camisole de force européenne ?

Non sans rapport avec le point précédent, la propagation et les conséquences de Covid-19

mettent en évidence les limites de la subjectivité libérale, l’individu souverain de sa propre volonté et titulaire de son propre corps. Face à la contagion ou à son risque, pour soi-même et pour les autres, les principes du « je fais ce que je veux » ou du « mon corps m’appartient »[8] montrent toute leur relativité, pour la simple raison que le lien de l’individu avec le corps social, ainsi que sa dépendance vis-à-vis de celui-ci, font valoir leurs droits. Il faut être une écrivaine à succès qui s’indigne de ne pas pouvoir faire les magasins de chaussures, ou un philosophe de la biopolitique en odeur de sainteté auprès de l’intelligentsia radical-chic, pour ne pas s’en rendre compte. Faut-il encore s’étonner que des libéraux et des libertaires puissent se retrouver côte-à-côté dans la dénonciation de mesures prétendument « liberticides » ?

(Fuani Marino : « Nous sommes en train de sacrifier des choses essentielles comme le droit à l’instruction, la socialité, et enfin l’économie au nom des gens âgés de plus de 75 ans » ; Giorgio Agamben : « L’état d’exception provoqué par une urgence injustifiée ».)

D’un point de vue théorique aussi bien que pratique, l’urgence du Covid-19 pose un problème beaucoup plus profond que celui de la morale individuelle ou de la solidarité entre générations, et qui – à considérer les choses de près –  constitue le fondement des deux : qu’est-ce que la société ? Question pas anodine, et qui oblige d’aller à la racine des choses. À cet égard, le bon Karl a laissé des passages éclairants. En voici quelques uns :

« Que la connexion sociale qui surgit suite à la collision d’individus indépendants se présente comme une nécessité objective, et en même temps comme un lien extérieur leur faisant face, ceci représente précisément leur indépendance, pour laquelle l’existence sociale est certes nécessaire, mais elle n’est qu’un moyen, et donc elle apparaît aux individus eux-mêmes comme une extériorité, et dans l’argent même comme un objet tangible. Ils produisent dans et pour la société, mais en même temps cela se présente comme un pur moyen de matérialiser leur individualité. Comme ils ne sont pas subsumés sous une communauté naturelle, et qu’ils ne subsument sous eux-mêmes la communauté en tant que membres communautaires, la communauté face à eux-mêmes en tant que sujets indépendants doit exister comme une objectivité indépendante, externe et aléatoire ». (Urtext «Zur Kritik»).

« Plus on remonte dans le cours de l’histoire, plus l’individu – et par suite l’individu producteur, lui aussi – apparaît dans un état de dépendance, membre d’un ensemble plus grand : cet état se manifeste tout d’abord de façon tout à fait naturelle dans la famille et dans la famille élargie jusqu’à former la tribu ; puis dans les différentes formes de communautés, issues de l’opposition et de la fusion des tribus. Ce n’est qu’au XVIII° siècle, dans la « société bourgeoise », que les différentes formes de l’ensemble social se présentent à l’individu comme un simple moyen de réaliser ses buts particuliers, comme une nécessité extérieure. Mais l’époque qui engendre ce point de vue, celui de l’individu isolé, est précisément celle où les rapports sociaux (revêtant de ce point de vue un caractère général) ont atteint le plus grand développement qu’ils aient connu. L’homme est, au sens le plus littéral, un ζῷον πολιτιχόν, non seulement un animal sociable, mais un animal qui ne peut s’isoler que dans la société ». (Introduction de 1857)

Ce que nous appelons « société » n’est autre que la connexion réciproque entre les individus en tant qu’elle est autonome par rapport aux individus eux-mêmes, c’est leur propre communauté produite et reproduite en dehors d’eux-mêmes, et capable de s’imposer à chacun comme une force coercitive extérieure. Cette communauté indépendante des individus se prolonge dans l’État, sans toutefois s’y réduire. Ce dernier ne s’articule pas à la société comme un corps extérieur, comme un parasite : il ne fait que matérialiser l’aliénation – entendue ici sans aucune nuance humaniste, essentialiste ou psychologique – c’est-à-dire l’écart entre l’activité individuelle et l’activité sociale globale. Un écart que la grande pensée bourgeoise moderne, de Mandeville à Max Weber, en passant par Hobbes, Vico, Smith et Hegel, n’a cessé de thématiser, tantôt sous la forme optimiste des vices privés qui se transmuent en vertus publiques, tantôt sous la forme pessimiste des bonnes intentions dont est pavée la voie de l’enfer.

Contrairement au rapport entre prolétariat et capital, l’opposition entre individu et société n’est pas une contradiction, elle n’est le moteur de rien, et ne sape pas les fondements de sa propre reproduction ; mais cela ne signifie pas qu’elle ne produit pas d’effets concrets. De ce lien entre les individus qui transcende les individus, il faut d’abord souligner la pression irrésistible qu’il est à même d’exercer sur les individus eux-mêmes. La force contraignante de la société ne pourrait être mieux représentée que dans la célèbre image du Léviathan, dont le corps est précisément composé d’une multiplicité d’individus. Selon Hobbes, celle du Léviathan est la force la plus grande puisqu’elle « vient de tous », et personne ne peut y échapper car chacun, même malgré lui, y participe. Contrairement aux fumeuse conceptions contractualistes ultérieures, le pacte social (complètement fictif) de Hobbes n’est pas un pacte entre l’État et les individus, mais un pacte des individus entre eux, qui précède logiquement l’État et fonde son existence. Qu’est-ce que ce pacte imaginaire sinon la traduction idéologique – le pacte comme fruit de « libre choix » – d’une connexion objective que l’individu trouve toujours déjà là ? Bien que ce dernier puisse l’utiliser – comme le dit Marx –  comme un pur moyen de matérialiser sa propre individualité, au-delà d’un certain seuil, cet usage instrumental s’avère contre-productif. C’est le noyau de vérité contenu dans le reproche que nos parents nous adressaient quand nous étions adolescents : « …et si tout le monde faisait comme toi ? ». Nous, évidemment, nous haussions les épaules, renonçant – sous peine de gifles bruyantes – à la seule réponse possible à laquelle nous pouvions penser (« On s’en fout ! »). Mais si l’on voulait prendre la question au sérieux, il faudrait répondre que la société est capable de se défendre. Là où la pression sociale sur l’individu (par le biais d’interdits, coutumes, normes, etc.) se relâche, le gain initial d’autonomie individuelle, lorsqu’il tend à se généraliser, s’inverse dans son contraire, car le vivre ensemble se dégrade au point de compromettre les buts privés de chacun. Et c’est à ce moment qu’un mécanisme de défense s’active, visant à rétablir un environnement dans lequel l’autonomisation de l’individu est de nouveau possible. Dans tout cela, bien entendu, il n’est question que des limites à l’intérieur desquelles se meut la production – toujours partielle – de l’individu social au sein des formations sociales classistes, et capitalistes en particulier, dans un contexte de paix civile relative. Ce discours ne remet en cause ni la division de la société en classes ni le caractère de classe de l’État. Mais explique pourquoi les individus, et notamment les individus prolétaires, peuvent être amenés, sous certaines conditions, à renforcer la pression sociale, c’est-à-dire à réduire les marges d’autonomie individuelle (socialement acceptés et/ou légalement admises) comme sanction de l’efficacité de leur connexion réciproque. Existe t-il une autre façon, pour les plus faibles, de lutter contre le néo-malthusianisme, quand la liberté personnelle est la liberté du libre… virus dans le libre poulailler ?

Du lien dont il est question, il faut enfin souligner l’extraordinaire résilience. Les adeptes de « l’effondrement du capitalisme » et autres collapsologues n’ont pas seulement la mémoire courte, mais montrent une vision totalement réifiée des relations sociales. En Chine, en 1961, l’effondrement de la production industrielle a atteint près de 40% ; en 1992, en Russie, il a atteint 25%. Aux États-Unis, de juillet 1929 à mars 1933, il était de 52% au total. Pourquoi de telles catastrophes, se traduisant éventuellement en famines ou effondrements démographiques, n’ont-elles jamais suffi à désagréger les rapports de production existants ? Tout simplement parce que la société n’est pas une addition d’individus et/ou d’objets (fussent-ils des usines). Cela devrait suffire à se convaincre de deux choses somme tout assez banales :

  • La première est que les rapports sociaux sont ce qui existe de plus insaisissable et indéchiffrable, et la reproduction des rapports sociaux capitalistes exige parfois d’énormes sacrifices dans leurs supports matériels (choses et personnes) ;
  • la seconde est que, pour la même raison, ces rapports ne se laissent ni modifier à dessein ni défaire par un automatisme de l’histoire (un « effondrement » par exemple). Cela ne signifie pas que le mode de production capitaliste est éternel, mais que la question de savoir comment il peut être dépassé est une question théorique au sens fort, à prendre au sérieux et à traiter de façon systématique. Ceux qui se contentent de vomir des slogans non seulement se rendent ridicules, mais éludent la question au lieu d’y répondre.

Notons, enfin, que le démantèlement de la mondialisation impliquera très probablement le démenti des postulats sur lesquelles les plus féroces critiques du capitalisme et ses apologistes ont pu pour un temps s’accorder, en particulier la conviction antidialectique d’avoir définitivement dépassé l’ère du capitalisme d’État et les problématiques qui y sont associées. Le dépassement de la mondialisation, s’il réussit, ne sera certainement pas un retour à l’ancien keynésianisme. Pourtant, ne sommes-nous pas déjà en train de vivre une nouvelle fin du laisser-faire ? En ce sens, il convient de noter que, contrairement à nos propres prévisions[9], le big bazooka continue de tirer. Et pas qu’un peu! Cependant, on peut d’ores et déjà affirmer que ses effets et ses modalités ultérieures, au fil des mois, seront de moins en moins semblables à ceux des tirs précédents. Malgré les tentatives répétées d’éviter les faillites en chaîne et de sauver des banques pourries par une super-injection de liquidité et de crédit facile, le fossé entre les entreprises rentables ayant de réelles capacités d’autofinancement et d’investissement – qui sont peu nombreuses, mais existent bel et bien – et les entreprises en train de sombrer demeure et se creuse. Seules les premières pourront s’adapter de manière autonome à l’écosystème économique et productif tel qu’il sortira de la pagaille actuelle. Vraisemblablement, beaucoup d’autres devront être sauvées et éventuellement placées sous tutelle de l’État, mais cela ne se fera que sous certaines conditions, et seulement si elles sont considérées comme stratégiques. Donald Trump a déjà exprimé son soutien à l’idée d’interdire les buybacks – c’est-à-dire l’achat de ses propres titres afin d’en augmenter la valeur boursière – aux entreprises qui seront sauvées[10] : cela poserait déjà un premier critère de conditionnalité (la relance des investissements) au bailout. De plus, compte tenu du niveau d’endettement atteint par les entreprises américaines à la fin de 2019 (15,5 trillions de dollars entre grandes sociétés et petites et moyennes entreprises), les développements des prochains mois risquent de faire disparaître la vieille question du début du siècle dernier : pourquoi n’y a-t-il pas de socialisme aux Etats-Unis ? (Werner Sombart). Il va sans dire que cela ne se fera pas sans le passage d’une fraction conséquente de la classe capitaliste américaine et – par ricochet – internationale, de la défense ultra-libérale du statu quo à une attitude d’ouverture vers de puissantes injections d’économie mixte et de dirigisme.

Et de l’autre côté du Pacifique ? La Chine n’est évidemment en rien à l’abri de la crise générale en voie d’éclatement, ni étrangère aux pathologies économiques qui affligent le reste du monde (le surendettement notamment). Les chiffres publiés par la presse économique parlent d’une baisse de 13,5% de la production industrielle chinoise entre janvier et février. Ce n’est pas rien, et il est également possible que le chiffre soit sous-estimé, mais gardons à l’esprit qu’il ne s’agit dans ce cas que d’un bimestre, alors que dans les exemples cités plus haut, les données se réfèrent à des périodes bien plus longues. On verra pour la suite. L’inconnue fondamentale dérive de la tripartition des capitaux en fonction sur le sol chinois (entreprises d’État, entreprises privées chinoises, entreprises étrangères ou hybrides), régulièrement occultée par les lectures en termes de comptabilité nationale (PIB, etc.) : comment les pertes seront-elles réparties sur ces trois fractions ? L’économie chinoise n’est pas un monobloc, c’est un millefeuille. Peut-on pour autant négliger le fait qu’à l’heure actuelle, l’État chinois est, en matière de relations internationales, la seule puissance qui est en train d’exercer une attraction, une force centripète ?

« Au cours des dernières semaines, la Chine a réécrit la narration de l’épidémie, la transformant d’une histoire de scandales, ceux des occultations et de la mauvaise gestion du gouvernement chinois, en une histoire de triomphe, de force et de générosité des Chinois, voire même de supériorité de leur système de gouvernement. Les dysfonctionnements de la Maison Blanche, et peut-être même de Downing Street dans une certaine mesure, ont certainement aidé le gouvernement chinois à consolider ce récit ». (Yangyang Cheng, Cornell University).

« La solidarité européenne n’existe pas. C’est un conte de fées qui n’existe que sur le papier. Moi je crois en mon frère et ami Xi Jinping, et je crois en l’aide de la Chine. Pour ce qui est de tous les autres, merci de n’avoir rien fait ». (Aleksandar Vučić, Président de la République de Serbie, 17 mars 2020)

« L’Union africaine a déjà reçu 2 000 kits de test du gouvernement chinois et en attend 10 000 autres, qui s’ajouteront à d’autres fournitures de matériel médical, essentielles à la lutte contre la propagation de Covid-19 sur le continent. La distribution des équipements médicaux donnés a été centralisée entre les mains du Centre de contrôle et de prévention des maladies infectieuses de l’Union africaine en Éthiopie. Jack Ma, le co-fondateur techno-milliardaire de la plateforme de e-commerce Alibaba, a promis de donner, par l’intermédiaire de ses fondations, 20.000 kits de test, 100.000 masques et 1.000 combinaisons de protection à chacun des 54 États africains » (Zeenat Hansrod, China makes massive donations of medical supplies to fight coronavirus in Africa, site de RFI, 23 mars 2020).

Les dons mentionnés dans cette dernière citation peuvent bien être des peanuts, mais enfin, que faisaient-ils les autres géants du monde entre-temps ? Rien. La Grande-Bretagne, la France et le Japon ont envoyé quelques masques en Chine en janvier, histoire de sauver les apparences, espérant au fond de leur cœur que l’épidémie dévoilerait au monde tous les problèmes et les retards de ce qui, à leurs yeux, n’a jamais cessé, au fond, d’être the sick man of Asia. Maintenant l’arroseur est arrosé. Cela nous ramène au decoupling sino-américain et au fameux piège de Thucydide. Il y a exactement cent soixante-dix ans, Marx prophétisait :

« L’Océan Pacifique jouera à l’avenir le même rôle que l’Atlantique de nos jours et la Méditerranée dans 1’Antiquité : celui de grande voie d’eau du commerce mondial, et l’Océan Atlantique tombera au niveau d’une mer intérieure, comme c’est le cas aujourd’hui de la Méditerranée. ». (Karl Marx, Déplacement du centre de gravité mondial, « Neue Rheinische Zeitung », n.2, 2 février 1850)

Voilà notre proche passé, et notre présent. Peut-être plus pour longtemps. Impossible de savoir ce qui adviendra par la suite. Pour paraphraser un autre Allemand illustre et controversé, les destins de l’histoire du monde passeront une fois de plus par la lutte des puissances maritimes contre les puissances terrestres – une lutte dont l’issue guerrière reste la plus probable.

Justement à propos de la question militaire, la récente exhumation du thème de la « contre-insurrection »[11] indique une fois de plus le divorce entre un certain storytelling militant ou « radical » et la réalité. Que les doctrines et les pratiques de la contre-insurrection visent à réprimer ou à contenir des mouvements de masse est tout simplement absurde. En fait, ils concernent des contextes d’intervention militaire à l’étranger dans lesquels les ennemis sont des sujets belligérants minoritaires, mais confus et dispersés au sein d’une population civile composite, majoritairement hostile, qui doit être cooptée autant que possible par la force d’occupation. L’insurgency opposée à la counterinsurgency est la guerre par bandes, la guérilla, l’action partisane. Ce n’est ni riot, ni insurrection, ni uprising ou upheaval. Il est bien sûr possible que ces doctrines et pratiques puissent être utilisées sur des populations du même État que celui auquel appartient l’armée qui les adopte – bien que ce ne soit pas leur but initial ou prédominant. Mais cela présuppose un contexte similaire à celui d’une intervention à l’étranger telle que nous venons de la décrire, par exemple une tentative de sécession de minorités nationales. Pour le reste, l’emploi de l’armée – quelle qu’elle soit – ne peut jamais être autre chose qu’auxiliaire à celui de la police, pour le simple fait que le contexte n’est pas opaque, et que les fonctions d’intelligence et de contrôle du territoire sont – d’une manière compatible avec les moyens disponibles – déjà couvertes. Alors survient le doute : que la fameuse « militarisation des territoires » n’ait été que l’écran derrière lequel – en Italie et ailleurs – s’est caché le sous-financement des flics ?

Mais ce n’est pas tout. S’il est vrai, comme c’est le cas, que les doctrines de la contre-insurrection ont déjà fait l’objet de nombreuses critiques depuis le lieu même de leur émanation (l’armée américaine), suscitant un contre-mouvement – certes pas unanime – de « retour aux fondamentaux »[12], cela n’est pas seulement dû aux résultats malheureux des missions en Irak, en Afghanistan, etc. – surtout si on les compare aux coûts, et au constat banal que « des forces armées tout à fait régulières, sans doctrine de contre-insurrection ni entraînement particulier ont, par le passé, régulièrement défait des insurgés, en utilisant quelques méthodes éprouvées »[13]. C’est que l’approche contre-insurrectionnelle est consubstantielle au moment unipolaire américain : un monde dans lequel l’intervention et l’occupation militaires ont pu être conçues comme détachées d’un engagement conséquent de troupes au sol et de l’installation d’un gouvernement ou d’une administration dans le territoire occupé ; un monde dans lequel on a pu penser qu’il n’y aurait plus de grandes guerres, sinon contre le prolétariat ou les « damnés de la Terre » des pays périphériques. Le problème est que ce monde est parti en fumée à Benghazi et à Alep. Ceux qui sont restés au rapport de l’OTAN de 2003 (Urban Operations in the Year 2020) ont peut-être raté quelques épisodes au cours des dix-sept dernières années.

Ce qui précède ne change rien ou presque à la donne fondamentale : l’entrée dans une phase historique particulièrement convulsive et décisive, dont l’issue est ouverte et dépendra en dernière instance de la lutte des classes (des deux côtés du Pacifique, surtout). Plus on avancera dans la tourmente, plus la « visibilité » sera réduite. Et dans la mesure où les certitudes « révolutionnaires » accumulées/transmises devront céder la place à l’exploration quotidienne, des réflexions comme la présente, et l’existence même de « pôles » théoriques comme le nôtre, perdront leur raison d’être. C’est moins une question de choix que d’un changement général d’« atmosphère » : les temps tranquilles sont finis et bien finis.

[1]             Le déclenchement même de la pandémie actuelle – ainsi que celui des épidémies les plus notoires du passé récent (Ebola, SRAS, MERS, Zika, etc.) – ne peut pas être considéré comme un événement strictement « naturel », dans la mesure où le soi-disant spillover, c’est-à-dire le passage de « nouvelles » espèces virales des animaux aux humains, est favorisée par la pression du mode de production capitaliste sur l’environnement. Cf. Laura Scillitani, Aids, Hendra, Nipah, Ebola, Lyme, Sars, Mers, Covid…, 18 mars 2020. Disponible ici : https://www.scienzainrete.it/articolo/aids-hendra-nipah-ebola-lyme-sars-mers-covid%E2%80%A6/laura-scillitani/2020-03-18.

[2]             Il y a plus d’un an, nous avions fait état de l’importance du surendettement corporate et non-financial. Cf. Il Lato Cattivo, Il demos, il Duce, la crisi, janvier 2019. Disponible ici : http://illatocattivo.blogspot.com/2018/12/il-demos-il-duce- e-la-crisi.html.

[3]          « Aujourd’hui [en Grande-Bretagne, ndr], un hectare de terre est 100 fois plus rentable lorsqu’il est utilisé pour la construction que pour l’agriculture ». (Michael Roberts, Land and rentier economy, 15 décembre 2019. Disponible ici : https://thenextrecession.wordpress.com/2019/12/15/land-and-the-rentier-economy).

[4]             Observatoire GIMBE, Il definanziamento 2010-2019 del Sistema Sanitario Nazionale, septembre 2019. Disponible ici : https://www.gimbe.org/osservatorio/Report_Osservatorio_GIMBE_2019.07_Definanziamento_SSN.pdf

[5]          « La Movida (ou Movida madrileña) est le nom donné au mouvement culturel créatif qui a touché l’ensemble de l’Espagne pendant la fin de la période de la transition démocratique espagnole, au début des années 1980, après la mort du général Franco. Le terme “movida” vient de l’espagnol “hacer una movida” qui signifiait alors quitter le centre de Madrid pour s’approvisionner en haschisch ou en drogues en tous genres et revenir le consommer dans la capitale. Portée par le désir de renouveau de la jeunesse espagnole et l’émergence de nouveaux acteurs sur le plan artistique et culturel, elle a contribué à la modernisation et à l’intégration de la société espagnole dans l’Europe démocratique ». (https://fr.wikipedia.org/wiki/Movida, NdT).

[6]             Il Lato Cattivo, Photos à travers la vitre, septembre 2017. Traduction française disponible ici (dernière partie) : https://dndf.org/?p=17881

[7]               Confindustria est le syndicat des grands patrons d’Italie. (NdT)

[8]             Précisons, s’il en faut, que le droit à l’avortement ou à pilule contraceptive – que nous définirons sans gêne comme des conquêtes extraordinaires en vue de la régulation consciente de sa propre reproduction par l’espèce humaine – ne sont pas en cause ici.

[9]             7 Cf. Il Lato Cattivo, Il demos, il Duce, la crisi, op. cit.

[10]           Cf. Trump Says He Wants Stock Buybacks Prohibited in Virus Stimulus, «Bloomberg», 20 mars 2020, https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-03-20/trump-says-he-wants-stock-buybacks-prohibited-in-virus-stimulus.

[11]         Cf. Chuang, Contagion sociale. Guerre de classe microbiologique en Chine, février 2020, dont plusieurs traductions circulent en ligne. Texte certes intéressant, mais à prendre avec réserve. Outre quelques divagations plus que douteuses sur la contre-insurrection, et une certaine ambiguïté sur la nature sociale de la Chine maoïste, l’évaluation des mesures anti-Covid-19 dans la région du Hubei est clairement biaisée par une sous-estimation de la capacité de réaction de l’État central. La proposition certainement la plus stimulante et la plus partageable du texte est la suivante : « […] la critique du capitalisme s’appauvrit à chaque fois qu’elle est coupée des sciences dures ».

[12]         Pour ceux qui souhaiteront approfondir le sujet, la bibliographie est vaste. Le critique le plus sévère de la contre-insurrection au sein de l’armée américaine est le colonel Gentile. Cf. Gian P. Gentile, A Strategy of Tactics: Population-centric COIN and the Army, «Parameters», n. 39, automne 2009; Gian P. Gentile, Les mythes de la contre-insurrection et leurs dangers: une vision critique de l’US Army, «Securité Globale», n. 10, 2009, pp. 32-34; Gian P. Gentile, Wrong Turn: America’s Deadly Embrace of Counterinsurgency, The New Press 2013.

[13]           Edward N. Luttwak, Modern war : counterinsurgency as malpractice, «Politique étrangère», 2006/4, pp. 859-61.

  1. QuiVousSavez
    05/04/2020 à 05:53 | #1

    UN EXCELLENT TEXTE… EN PREMIÈRE INSTANCE

    d’une lecture rapide et sans préjuger d’approfondissements, un premier bon texte émanant du milieu communisateur (Il Latto Cativo), “bon” étant une moyenne, entre excellent par certains points, sa prise de distance et sa “focale”, mauvais par d’autres, notamment quand il retombe dans le fantasme de la théorie du prolétariat démiurge révolutionnaire, ce que résume la phrase « l’entrée dans une phase historique particulièrement convulsive et décisive, dont l’issue est ouverte et dépendra en dernière instance de la lutte des classes ». Ah, le prodigue prodige de “la dernière instance”, baguette magique des marxistes ! Entre les deux on trouve une des meilleures caractérisations des événements économiques, sociaux, politiques et idéologiques que nous avons sous les yeux depuis le début de la crise

    “bon” parce qu’il me semble prendre la mesure de ce que je notais en affirmant que CETTE CRISE EST BIEN PLUS “MONDIALE” ET PROFONDE, et MULTIDIMENSIONNELLE QUE 1929 et 2008 et toutes précédentes crises du capitalisme (THÉORIE RADICALE PAR TEMPS DE CORONAVIRUS, épisode XX)

    les trois premiers paragraphes introductifs expriment cette prise de distance, inhabituelle dans le milieu théorique radical, et la suite du texte regorge de considérations de la meilleure tenue théorique balayant les compréhensions actuelles de la crise, avec l’idée centrale que « le démantèlement de la mondialisation impliquera très probablement le démenti des postulats sur lesquelles les plus féroces critiques du capitalisme et ses apologistes ont pu pour un temps s’accorder, en particulier la conviction antidialectique d’avoir ‘définitivement’ dépassé l’ère du capitalisme d’État et les problématiques qui y sont associées. Le dépassement de la mondialisation, s’il réussit, ne sera certainement pas un retour à l’ancien keynésianisme. » Symétriquement, critique réjouissante du « thème de la “contre-insurrection” [texte de Chuang…] [qui] indique une fois de plus le divorce entre un certain storytelling militant ou “radical” et la réalité. »

    banalités philosophiques de bases aussi dont le rappel est bienvenu, quant aux rapports individu(s)-société, avec quelques belles citations de Marx, dont on n’attend pas qu’elles éviteront à ‘Temps Critiques’ (jusqu’ici muet ou parlant d’autre chose) de nous ressortir sa “tension de l’individu à la communauté humaine”

    je pourrais même partager la chute… formellement :

    « Plus on avancera dans la tourmente, plus la « visibilité » sera réduite. Et dans la mesure où les certitudes « révolutionnaires » accumulées/transmises devront céder la place à l’exploration quotidienne, des réflexions comme la présente, et l’existence même de « pôles » théoriques comme le nôtre, perdront leur raison d’être. C’est moins une question de choix que d’un changement général d’« atmosphère » : les temps tranquilles sont finis et bien finis.»

    mais en lui donnant une autre signification que les auteurs, un autre contenu. À mon avis, les « “pôles” théoriques » comme le leur, ou d’autres pourquoi pas, ne sont pas près de « perdre leur raison », ou au contraire voués à la perdre s’ils persistent à penser que la fin de l’histoire sera écrite “en dernière instance” par le prolétariat

    on peut donc renvoyer tout le monde à la phrase d’Elias Canetti en exergue : « Rien que l’homme ne craigne plus que d’être touché par l’inconnu. » C’est l’incipit de ‘Masse et puissance’, 1960. Il n’est pas certain que des communisateurs puissent y voir le même sens que son auteur, mais rien n’interdit dans une pensée d’en projeter une autre

    comme programme de travail, on peut suivre cette recommandation : « la question de savoir comment le mode de production capitaliste peut être dépassé est une question ‘théorique’ au sens fort, à prendre au sérieux et à traiter de façon systématique », le problème étant que le systématisme de ce milieu théorique s’est toujours contenté de vues partielles loin de l’exhaustivité multidimensionnelle. C’est tout de même un surprenant paradoxe qu’un texte commençant par constater que « le choc doit parfois venir « de l’extérieur », par des facteurs ou des événements qui ne sont initialement ni strictement économiques ni strictement politiques et, en l’occurrence, même pas strictement ‘humains’ », ce qu’avait toujours écarté Théorie Communiste, évite soigneusement d’intégrer dans sa compréhension des choses les dimensions non “strictement humaines” que contient le triple rapport humanité-capital-nature…

    source : http://patlotch.forumactif.com/t241-textes-critiques#3208

  2. R.S
    11/04/2020 à 23:46 | #2

    Salut
    “…les salaires élevés de certaines catégories professionnelles visent non seulement à susciter le prestige ou la révérence des usagers et des personnels subordonnés, mais aussi l’esprit de corps et la disponibilité au sacrifice individuel chez les premiers concernés – sauf à croire qu’il soit souhaitable qu’un chirurgien entre en salle d’opération avec la même attitude qu’un O.S. à la chaîne.” (il lato cattivo)
    Mais alors, est-ce que cela ne fait pas partie de la valeur (morale, historique, construite dans la division du travail, Le Capital, éd.soc, t.1, p.174) de sa force de travail ? Je ne sais pas.
    Dans mon souvenir les dévoreurs de pl (voir Théories sur la pl) ne sont pas les chirurgiens que je n’ai pas particulièrement en sympathie (ni perso, ni pour leur revenu) mais les improductifs vantés par Malthus.
    R.S

  3. R.F.
    12/04/2020 à 10:17 | #3

    Salut,
    à ma connaissance l’expression précise “co-dévoreurs de plus-value” (Mitzehrer der Surplusvalue) n’apparaît telle quelle que dans le Chapitre Inédit, § Travail productif et improductif. Certes, il y a la polémique contre Malthus etc. Il faut tout de même remarquer que l’expression est utilisée lorsque la discussion porte sur le cas de figure où “le produit n’est pas séparable de l’acte de produire”. Il y est dit que “là aussi le mode de production capitaliste ne joue que dans des limites étroites et, selon la nature de la chose, dans quelques rares sphères (je veux le médecin, mais pas son garçon de courses). Par exemple, dans les établissements d’enseignement, les maîtres peuvent être de purs salariés pour l’entrepreneur de la fabrique scolaire.” Une fois qu’on a dit ça, on n’a pas démontré que les travaux du médecin et de l’enseignant peuvent être productifs de plus-value. On a juste dit qu’ils peuvent permettre de toucher le profit moyen.

    Mais admettons. La question du “surplus wage” demeure entière. La phrase que tu cites, c’est une boutade. Les problèmes de motivation et de discipline du travail dans les deux cas (O.S. et chirurgien) sont incomparables. Bien sûr l’élément historique et moral dans la valeur de la force de travail existe… mais n’explique pas tout. Il faut la bière pour les ouvriers allemands et le vin pour les ouvriers français, OK. On a là, tout au plus, des variations “culturelles” au niveau de la composition du paniers des subsistances en termes de valeurs d’usage. Il se peut que la valeur totale de ce panier soit identique en deça et au-delà du Rhin. Ensuite, il y a la lutte des classes, son impact sur la volume de ce panier. Qu’on prenne la chose par un bout ou par l’autre: qu’il faille le Dom Pérignon (pour rester dans le thème) pour les chirurgiens – non pas comme un plus, mais comme un élément strictement inhérent à la définition de la valeur de leur force de travail, fût-elle complexe, c’est loin d’être une évidence et ça me paraît faux, tu t’en doutes.

    Bon confinement

  4. R.F.
    12/04/2020 à 10:59 | #4

    PS:

    “La grande masse des travailleurs dit “supérieurs” – fonctionnaires de l’Etat, militaires, virtuoses, médecins, prêtres, juges, avocats, etc. – tous ces gens qui, non seulement ne sont pas producteurs mais sont essentiellement destructeurs, et qui savent toutefois s’approprier une grande partie de la richesse “matérielle”, soit en vendant leurs marchandises “immatérielles”, soit en les imposant de vive force, n’étaient guère flattés de se voir relégués, au point de vue économique, dans la même classe que les buffoons [saltimbanques] et menial servants [domestiques] et de n’apparaitre que comme des consommateurs parmi d’autres, parasites des véritables producteurs (ou plutôt des agents de la production). C’était là une étrange désacralisation des fonctions qui précisément étaient entourées jusqu’alors d’une auréole et jouissaient d’une vénération superstitieuse. L’économie politique, à sa période clas­sique, tout comme la bourgeoisie à l’époque où elle est une parvenue, se montre sévère et critique vis-à-vis de l’appareil se révèle aussi dans la pratique – que de sa propre organisation surgit la nécessité de la combinaison sociale de toutes ces classes, pour une part totalement improductives, dont elle a hérité. Dans la mesure où ces “travailleurs improductifs” ne créent pas des biens de consommation et où l’achat en est donc entière­ment déterminé par la façon dont l’agent de la production veut dépenser son salaire ou son profit – disons plutôt dans la mesure où ils sont ou se rendent indispensables parce qu’existent des maux physiques (c’est le cas des médecins), ou des faiblesses de l’esprit (c’est le cas des prêtres) ou encore en raison du conflit opposant les intérêts privés aux intérêts nationaux (c’est le cas des personnels de l’Etat, de tous les lawyer [juristes], des policiers, des soldats), ils apparaissent à. A. Smith comme au capitaliste industriel ainsi qu’à la classe ouvrière comme des faux frais de production qu’il convient donc, autant que faire se peut, de réduire au strict minimum et d’obtenir aux moindres frais. Sous une forme qui lui est propre la société bourgeoise reproduit tout ce qu’elle avait combattu dans la forme féodale ou absolutiste. Ce sera donc une des principales tâches des sycophantes de cette société, surtout ceux des classes supérieures, que de procéder, sur le plan de la théorie, à la restauration de la fraction purement et simplement parasitaire de ces “travailleurs improductifs”, ou bien encore d’établir le bien-fondé des prétentions exagérées de la fraction de ceux-ci qui est indispensable. C’était en fait proclamer les liens de dépendance unissant les classes d’idéologues, etc., aux capitalistes.” (Théories sur la plus-value, Tome I, Ed. Sociales 1974, pp. 188-189)

  5. 14/04/2020 à 14:59 | #5
  6. R.S
    15/04/2020 à 15:42 | #6

    Réponse à RF (avril 2020)

    Attention aux « boutades », elles laissent échapper souvent beaucoup de vérité.
    Merci pour les références, j’avais écrit cela rapidement et j’avais eu la flemme d’aller contrôler.
    OK pour le vin, la bière, la frontière du Rhin et le Dom Pérignon. Mais sans adhérer à la sociologie bourdieusienne de la «distinction», on peut admettre, me semble-t-il, que depuis 1867 la valeur dite « morale » ou «historique» de la force de travail s’est considérablement diversifiée et « enrichie » quand le capital s’empare de tous les domaines de la production et de la reproduction et en salarie presque tous les acteurs. D’autant plus que déjà dans les considérations de Marx à ce sujet, il ne s’agit pas seulement d’une comparaison entre des besoins selon les pays ou régions, d’une différence dans les goûts des consommateurs, mais de besoins historiquement et culturellement produits (voir à ce sujet le chapitre du Capital sur «Les différences dans les taux de salaires nationaux»). La norme que vous retenez (avec circonspection il est vrai) dans «Le ménage à trois» de l’ouvrier qualifié dont le salaire correspondrait à la valeur de la force de travail me paraît passablement arbitraire. Vous mêmes écrivez : « Pourquoi pas l’OS » ? (p.27). Il est vrai que le cadre (en tant qu’exemplaire de l’espèce humaine) n’a pas besoin de plus d’espace et de calories. De manière générale, je me demande s’il n’y a pas comme une « erreur théorique » à vouloir déterminer, comme une valeur monétaire empiriquement repérable, la « valeur de la force de travail » qui est un concept (le même genre d’ « erreur » que pour n’importe quelle valeur). La forme salaire (« prix du travail ») n’est pas qu’un simple changement de nom de la valeur de la force de travail.
    Plus précisément, en ce qui concerne le membre de cette classe moyenne salariée (je reprends ici cette notion de CMS telle qu’utilisée dans « Le ménage à trois », c’est-à-dire sans distinction entre ce que l’Insee appelle « professions intermédiaires » et les cadres, jusqu‘au cadre sup), productif ou improductif, que ce soit au bureau ou à l’usine (ou dans l’encadrement et la reproduction sociale), peut-on séparer à l’intérieur de la coopération dans le mode de production capitaliste un aspect technique et un aspect social (comme vous le suggérez p.37, à la fois pour le dénier et pour vous en servir comme «justification» du «sursalaire», la distinction est ensuite clairement énoncée et confirmée pp. 282-283) ? Bien que cela affleure parfois dans le chapitre du Capital sur la coopération, je ne le pense pas (on trouve par ailleurs de nombreux fragments où l’histoire de la technologie est une histoire de la lutte des classes, Capital, éd.soc, t.2, p.117). Au-delà de la simple prise en compte de la coopération, l’appropriation du travail vivant par le travail objectivé devient le fait du procès de production lui-même (cf. dans les Grundrisse le fameux « Fragment sur les machines »). Si on ne distingue pas ces deux aspects (sinon, il faut libérer les usines de la domination du capital, ce que nous dit Marx dans Théories sur pl, t.3, p.585 en faisant des coopératives ouvrières la « preuve » de cette distinction) le « prestige » nécessaire au commandement est indissolublement lié au côté technique de sa direction du travail, il fait partie de son travail, c’est-à-dire de la valeur d’usage de sa force de travail qui doit être renouvelée pour fonctionner adéquatement chaque jour (cette indissociabilité est peut être, comme « faux frais » – Théories sur la pl, t.3, p.594 -, le secret de ce salaire structurellement supérieur à la valeur et tout autant continuellement remis en cause par la modification des qualifications). Le renouvellement du « prestige » (et pourquoi pas de « l’allégeance », tout aussi nécessaire dans son travail vis-à-vis de ceux d’en-dessus que l’est le « prestige » pour ceux d’en-dessous) est alors un élément composant la valeur d’échange de sa force de travail, tout comme le terrassier a besoin de calories pour renouveler la valeur d’usage de sa force de travail et que son patron le retrouve tel qu’il est efficace. Nous savons bien que cette valeur d’usage est de produire plus de valeur qu’elle ne coûte, encore faut-il qu’elle s’applique adéquatement. Si même le profit industriel peut apparaître comme travail non pas comme travail non payé mais comme travail salarié, en salaire du travail pour le capitaliste, c’est que « le salaire du travail est, de manière générale très différencié. (c’est moi qui souligne) » (Théories sur la pl, t.3, p.578).
    La valeur de la force de travail est un produit social et historique, dans une certaine société et selon les contraintes de la reproduction d’un mode de production, elle résulte par là de la conjonction de nombreux éléments.

    Malgré toutes les réserves que je viens de formuler, admettons cependant que quelque chose existe correspondant à ce que tu appelles un « sursalaire » (et je pense que la chose existe). Pourquoi appeler cela « sursalaire » quand il ne s’agit que d’un salaire supérieur à la valeur de la force de travail ? Je ne crois pas que cela soit contraire à aucun « dogme » que de penser que, de même qu’il peut être inférieur, le salaire puisse être supérieur à la valeur de la force de travail. Ce qui peut même arriver, dans des circonstances assez rares, pour des prolétaires ; dira-t-on alors que la classe capitaliste leur concède une part de la plus-value prélevée sur le pool social global de celle-ci ? (il me semble que sur le site Hic Salta, quelqu’un vous avez posé une question à ce propos relativement au salaire des dockers déchargeant les tankers sur les raffineries).
    Qu’il s’agisse de membres des CMS productifs ou non, si le salaire est supérieur c’est (comme dans la situation inverse) à une modification de la partition de la journée de travail que l’on a affaire. Donc à une diminution du surtravail et par voie de conséquence de la plus-value. Comment alors le salaire pourrait contenir comme « sursalaire » une fraction de pl qui tout simplement n’a pas été produite. A moins de considérer qu’est octroyé ce qui potentiellement aurait pu être produit. Je sais que vous rejetez le terme de « rétrocession », si cela est tout à fait justifié en ce qui concerne les improductifs, je ne vois pas, dans la problématique qui est la tienne, d’autres termes en ce qui concerne les productifs (quel que soit le cheminement de cette « rétrocession). Mais toujours étrange « rétrocession » de ce qui n’a pas existé. A mon avis, ce que l’on peut dire c’est que la masse totale de pl produite est affectée par ce salaire supérieur à la valeur de la force de travail, et que le montant de cette masse totale rend, selon les moments, la chose plus ou moins supportable pour la classe capitaliste.
    Pour toutes sortes de raisons (« morale », historique, situation du marché du travail, division du travail, apparition de branches nouvelles, nécessité d’acheter l’allégeance dans des situations politiques ou sociales tendues …), le salaire des catégories en questions peut être supérieur à la valeur de leur force de travail. Mais, en considérant qu’il s’agit de travailleurs productifs (mais aussi pour la fraction improductive, largement la plus nombreuse, si le salaire est supérieur à la valeur, c’est la part de la pl captée comme profit par l’entreprise qui en pâtit), c’est à une diminution du temps de surtravail dans la journée que nous avons affaire : le travailleur travaille plus longtemps « pour lui ». Il n’est nul besoin d’invoquer une pl à « distribuer », c’est plutôt sa masse qui diminue. Non seulement on ne leur octroie pas ce qu’ils n’ont pas produit, mais encore il n’est nul besoin de faire appel à une tuyauterie de la pl en provenance du prolétariat pour expliquer que si leur salaire est supérieur à la valeur, c’est la journée de travail qui est modifiée en conséquence, la part du surtravail diminuant.
    A noter que dès que la chose est possible ou si la nécessité s’en fait sentir plus rudement, la classe capitaliste et son Etat sautent sur toutes les occasions (quand elle ne les crée pas) pour rogner ce salaire et modifier en conséquence la partition de la journée : augmentation du nombre de diplômés, possibilité de faire venir dans les hôpitaux des médecins du « tiers-monde », utilisation des informaticiens indiens ou même israéliens, etc.).
    Non pas pour diminuer la pl qu’on leur distribue (sauf pour la fonction d’Etat et assimilés, mais là la pl ne fait pas que rétribuer le dit sursalaire) mais pour augmenter le taux d’exploitation.
    Ce salaire au-dessus de sa valeur avec la consommation, les modes de vie qu’il autorise et les formes de conscience qui vont avec et, surtout, ce qui est essentiel, leur fonction dans le procès de production et de reproduction est amplement suffisant pour comprendre et expliquer la pratique et le positionnement social de ces catégories. Cela avec peut-être, j’en conviens, un peu plus de « jeu » que dans les études « empiriques » du « Ménage à trois » où, à mon avis, un certain schématisme dans la conception des classes et de leurs luttes provient d’un décalque immédiat sur elles des rapports de production. Finalement, ce qui m’intrigue le plus c’est que ce « sursalaire » (fraction de pl) placé au fondement de toutes les analyses, ces mêmes analyses pourraient s’en passer sans que cela change grand chose.

    Je pense que si Baudelot, Establet et Malemort (je n’ai pas lu leur livre, ce n’est qu’une intuition), dans le contexte idéologique de la fin des années 60 / début 70’, ont inventé cette usine à gaz, c’est en raison de leur opposition à la théorie officielle du PCF à l’époque, c’est-à-dire le « Capitalisme Monopoliste d’Etat » et les alliances de classes qu’elle induisait. Il fallait sauver le Prolétariat « en tant que tel ».

    R.S

  7. Anonyme
    18/04/2020 à 16:48 | #7

    “Pour paraphraser un autre Allemand illustre et controversé, les destins de l’histoire du monde passeront une fois de plus par la lutte des puissances maritimes contre les puissances terrestres – une lutte dont l’issue guerrière reste la plus probable.”

    Qui est cet allemand illustre et controversé ? Karl Haushofer ? L’opposition puissance maritime/puissance terrestre venait du britannique Mackinder il me semblait.

  8. R.F.
    21/04/2020 à 18:46 | #8

    @Anonyme
    Carl Schmitt

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