THE ITALIAN JOB ou comment on devient ce que l’on est
Une réponse de RF aux commentaires qui ont suivi l’article “bordiguistes contre la communisation”. dndf.
THE ITALIAN JOB
ou comment on devient ce que l’on est
L’itinéraire de Bordiga doit se comprendre à l’aune de la convergence des gauches social-démocrates européennes vers la fin de la Première Guerre mondiale, jusqu’à la scission avec les maisons-mères respectives et à la formation des premiers partis communistes (dont le PCd’I fondé en janvier 1921, c’est-à-dire assez tard), puis de leur divergence et marginalisation dans la phase de recul des luttes de classe de cette période. La cristallisation de courants particuliers comme la Gauche communiste italienne, la Gauche germano-hollandaise etc. fut un produit de la contre-révolution, et la prétention du bordiguisme au monopole de la filiation marxiste authentique ou encore à l’invariance du programme communiste, le fruit d’un maquillage a posteriori. Celui-ci ne résiste pas à l’étude de l’histoire réelle (la fraction menée par Bordiga était encore dans le PSI en 1920), mais il n’est pas arbitraire pour autant dans la mesure où l’aspiration à rétablir la doctrine véritable de Marx et Engels contre les « déviations » révisionnistes et centristes fut, si l’on en croit Karl Korsch, le trait marquant du renouveau marxiste de la période. L’invariance du programme ne fut que la variation tardive sur un thème beaucoup plus répandu, et toute critique qui se limiterait à en relever la fausseté est superficielle, puisque ni l’histoire ni les théories n’évoluent en fonction d’une rationalité abstraite et désincarnée.
Par ailleurs, il est bon de souligner que la convergence aussi bien que la divergence ne se firent pas « en milieu stérile », mais à partir et au sein de contextes nationaux et même locaux historiquement déterminés, avec leurs spécificités et leurs modes de constitution particuliers. Le contexte italien, notamment, demeurait marqué, d’une part, par le développement très précoce mais contrasté des rapports sociaux capitalistes (1), et d’autre part par l’unification récente du pays effectuée, dans la quasi-indifférence des masses populaires, sous la bannière du fédéralisme monarchiste (et non pas sous celle du républicanisme unitaire de Mazzini). L’anémie congénitale d’un État italien sans tradition ni appareils pré-unitaires, à l’exception très relative de la monarchie piémontaise, n’est pas la moindre raison du tropisme organisationnel et anti-individualiste des italiens en matière de révolution (le léninisme systématique de leurs théoriciens, de Bordiga à Tronti et au-delà), de contre-révolution (le mouvement fasciste issu, lui aussi, de la gauche du PSI) et d’autres affaires. On en retrouve encore aujourd’hui des beaux restes dans la société civile italienne au sens hégélien au terme – de la famille aux chambres de commerce en passant par les coopératives et les syndicats (2). Tout le monde n’a pas eu la chance de naître dans un pays comme la France qui, avant même la révolution bourgeoise, a connu un processus de construction proto-étatique durant plusieurs siècles et des frontières relativement stables en ce qui concerne l’hexagone (mille ans d’histoire et soixante rois, comme le disait De Gaulle), ce qui a rendu et continue de rendre possible des conduites plus libérales et individualistes dans beaucoup de domaines. Ces déterminations qui ont trait, non pas au mode de production capitaliste dans sa généralité, mais à ce que j’appellerais les « formations sociales spécifiques », tout délaissées qu’elles soient par les communistes de tout bord, ne sont pas moins essentielles pour comprendre les déclinaisons historiques du marxisme et de ses suites dans différentes aires géo-historique (il est clair en ce sens que la communisation, comme les andouillettes, reste une pitance très franchouillarde).
En raison de ces mêmes déterminations qu’on ne pourra pas développer davantage ici, la Gauche communiste italienne, toute internationaliste qu’elle était, fut bel et bien italienne. Sa trajectoire fut singulière et immensément plus puissante que celle des courants ultragauche proprement dits qui, réduits pour l’essentiel à une poignée d’électrons libres, connurent un appauvrissement théorique et politique accéléré, et devinrent hors-sol en moins de deux décennies. Pannekoek en 1920 et même avant 1914 était une figure d’une autre envergure par rapport à celui de la période conseilliste, idem a fortiori pour Gorter qui mourut beaucoup plus tôt ; pour Rühle ce fut une dérive irréfrénable vers l’anarchisme ; et quant à Mattick Sr., il y a du bon et du moins bon, mais le moindre qu’on puisse dire c’est que son œuvre maîtresse Marx et Keynes – moins une théorie de la crise que de la dépression longue – passait à coté de pas mal de choses aussi bien chez Marx que chez Keynes. Il est donc déjà assez ardu de faire rentrer la Gauche italienne dans un schéma préconçu selon lequel elle suivrait globalement la même trajectoire que l’ultragauche (celle de la fameuse « balle dans le pied », cf. Histoire critique de l’ultragauche). Mais l’affaire devient paradoxale et même un peu irritante lorsqu’on laisse entendre que l’ultragauche serait allée « plus loin » cependant qu’on prétend par ailleurs en faire la critique au titre de l’impureté nécessaire de la lutte des classes. La Gauche italienne et Bordiga lui-même n’ont pas attendu les années 2000 pour savoir que le prolétariat « dans sa pureté », dépourvu de différenciations internes, de cultures spécifiques (3), d’institutions, d’idéologies et même de… partis (oups !) n’est pas le prolétariat révolutionnaire, mais la simple force de travail telle qu’elle est mise en action par le capital.
Le Bordiga le plus connu, celui de ses écrits d’après 1945, ne représente qu’une partie de son œuvre politique et théorique commencée dans les années 1910, et ce n’est qu’un aspect de la richesse de la Gauche italienne dans son ensemble. Cette richesse s’explique par des conditions originales qui n’ont pas d’équivalents dans l’aire européenne, et qu’il faudrait étudier de près, en dehors des grilles analytiques toutes faites. Les conditions de départ, sont celles déjà évoquées plus haut. Les conditions de développement se résument en la séquence suivante : Bienno rosso 1919-1920 ; fascisme donc confinement, prison ou exil ; diaspora organisée (la Fraction à l’étranger), puis guerre civile en 1943-45 avec une certaine reprise de la lutte des classes, et la reconstitution d’un parti formel que Bordiga crût prématurée, mais qui fut l’incubateur de facto de l’organisation proprement bordiguiste résultant de la scission de 1952 (séparation du PC Internationaliste et du PC International). Bordiga put alors revenir dans la bagarre parce que les événements s’étaient chargés de le soustraire à l’isolement des années 1930 et du début des années 1940. Pendant ces « années obscures », il était resté là où il était, à Naples et n’avait pas tourné le dos à la lutte des classes, mais subissait les inévitables conséquences de l’exclusion de l’IC et du Parti communiste, ainsi que les attentions particulières que le régime fasciste lui consacrait. Il connut l’assignation à résidence sur l’île d’Ustica, les interrogatoires récurrents de la police, la surveillance constante de l’OVRA, les provocations et les tentatives de le compromettre avec le régime, voire les calomnies des staliniens pour étouffer sa renommée auprès des ouvriers italiens. Mais il connut surtout les difficultés de la subsistance, lui qui était ingénieur mais n’avait toujours pas d’emploi stable à quarante ans et peinait à en trouver du fait de sa célébrité involontaire. Il aurait peut-être préféré se conformer à son éthique personnelle (« subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, premier devoir du révolutionnaire ! »), au prix même de se ranger, mais il y a des engagements que le système ne pardonne jamais et qui, de ce fait même, empêchent toute abjuration. Bordiga avait brûlé les ponts : il resta donc ouvert à ce que l’avenir pouvait encore lui réserver, et c’est dans cette perspective qu’il entama un travail d’approfondissement théorique et de réflexion sur les raisons de la défaite, mené en parallèle et de façon non coordonnée avec celui de la Fraction à l’étranger, en France et en Belgique principalement. Contrairement à ses propres attentes, ce travail se poursuivit de manière croissante au sein des nouveaux regroupements nés en 1943 et 1952 (bien qu’il ne fut officiellement membre que du second). En bref, il s’était encore fait avoir : « J’aspirerais à un plus-temps qui porterait la journée à 26 heures, pour dormir au moins ces deux heures-là. » (lettre à Bruno Maffi, 14 janvier 1953). La passion du communisme, disait-on.
Comme Marx et Engels en leur temps, le Bordiga de la maturité fut un « intégrationniste » à 360 degrés : loin de l’agnosticisme ou du silence à l’égard de la place de l’histoire humaine dans l’histoire naturelle, des faits marquants de son époque en matière de découvertes scientifiques, technologies et politique internationale, Amadeo prenait à la lettre la maxime de Terrence préférée de Marx (nihil humanum a me alienum puto). Il le faisait sans jamais oublier l’analyse et le commentaire des moments forts de la lutte des classes – y compris celle qui se déroulait de l’autre côté du Rideau de fer (Berlin 1953 notamment), même s’il savait qu’elle ne pouvait pas avoir de débouchés anticapitalistes dans les conditions données. Il était un marxiste complet, le dernier communiste « occidental » capable d’une maîtrise théorique générale et expansive sans se perdre en questions de détail et en développements théoriques trop « sectoriels » qui prennent la partie pour le tout. Théorie du capital (et de la rente foncière), théorie des crises (critique de la crise permanente : trotskistes et autres), théorie de la révolution (parti historique et parti formel), vision positive de la société future. Et de façon subordonnée : critique du modernisme (Socialisme ou Barbarie), appréciation de l’activité des classes non-prolétariennes dans les aires périphériques (inachèvement du cycle des révolutions bourgeoises) et même dans les aires centrales, collection et déchiffrement de données économiques de toutes sortes en vue de la prévision de l’ouverture d’une nouvelle phase révolutionnaire. Excusez du peu. Tout cela n’est bien sûr pas exempt de faiblesses et d’erreurs, mais avant de faire la fine bouche, il faudrait voir que ce fut la dernière tentative systématique de tenir ensemble tous les tasseaux, et de le faire de façon collective. Hé oui, car le petit parti sur lequel Bordiga s’appuyait n’était pas pour la galerie et lui fournissait des collaborateurs vaillants qui apportaient leur pierre à l’édifice. La dimension impersonnelle de la théorie n’était pas ici une pétition de principe : c’était bien sûr Bordiga qui menait le bateau, mais les autres ne faisaient pas de la simple figuration du point de vue de l’élaboration théorique, ce qui résultera évident au fil des nombreuses scissions successives, en Italie et à l’internationale. Lorsqu’on se demande pourquoi Bordiga résiste au passage du temps, on ne peut pas faire l’impasse sur l’existence de ce réseau organisationnel, aussi limité qu’il fût, et sur ses implications y compris du point de vue de la transmission théorique. Deux millénaires de christianisme : et si l’Église y avait été pour quelque chose ?
Bordiga fut le dernier communiste de gauche à nourrir non pas un vague internationalisme moral, mais une vision réellement mondiale, dynamique et stratégique de l’action réciproque des pôles capitalistes et des classes en lutte les uns sur les autres (centres et périphéries confondues) et des conditions nécessaires pour l’éclatement et la réussite d’un nouvel assaut du ciel. Ce qui incluait également une appréhension de comment mettre à bas, non pas l’État bourgeois en général (qui n’existe pas), mais le système des États, qui évidemment ne tombera jamais d’un coup et ne peut pas être démantelé à partir de n’importe quel point sur la planète (aujourd’hui comme hier, l’estocade n’aboutira pas si elle ne terrasse pas Washington).
Il fut également l’un des rares communistes de gauche à apercevoir l’importance de la décolonisation et des luttes de libération nationale dans le Tiers monde (4), dont les conséquences indirectes – déjà énormes à la lumière du redéploiement productif des années 1980 – n’ont pas cessé de se déployer depuis lors : « Il faut se rendre compte qu’outre-mer, dans les pays jaunes, noirs et olivâtres, vivent d’immenses collectivités humaines qui, réveillées par le vacarme du machinisme capitaliste, semblent ouvrir le cycle de leur propre lutte pour la liberté, l’indépendance et le patriotisme, comme celle qui enivrait nos grands-parents, mais qui, au contraire, entrent comme un facteur remarquable dans le conflit entre les classes que la société actuelle porte en son sein ; plus et plus longtemps il sera étouffé, plus ardent il brûlera dans l’avenir » (Pression « racial » du paysannat, pression classiste des peuples de couleur, 1953). Bons baisers de Kazan !
À part cela, Bordiga eut ses rigidités et ses marottes comme n’importe quel mortel. Celles qui lui sont le plus souvent reprochées ne me paraissent pas les pires. En effet, il refusa toujours de cracher sur Lénine – alors que ce dernier l’avait visé dans La Maladie infantile – car il incarnait à ses yeux la rupture communiste avec la social-démocratie telle qu’elle s’effectua réellement en termes organisationnels et programmatiques, en Europe occidentale et centrale, dans la foulée de la révolution russe de 1917. Aussi, Bordiga connaissait par cœur les textes de bataille et savait trouver chez Lénine ce qui passait à la trappe dans le léninisme ordinaire (5). Même la critique des constructeurs de partis et des faiseurs de révolutions, il la tirait bel et bien de lui, ce qui en général a été peut relevé : « […] on ne peut pas “faire” la révolution […] les révolutions naissent des crises et des tournants historiques objectivement mûris (indépendamment de la volonté des partis et des classes) » (Lénine, La faillite de la II° Internationale, 1915). Il ne se priva pas pour autant de rejeter la théorie de la conscience venant de l’extérieur (le parti étant un organe et non pas un outil de la classe) et, après la scission avec Damen et cie en 1952, de mettre à l’ordre du jour le dépassement des formes d’organisation héritées de la Troisième Internationale (mise en œuvre explicite du centralisme organique). Si on est en droit de considérer cette tentative comme un échec, notamment au vu du déroulement réel des scissions, qui pour l’essentiel restèrent caractérisées par les modalités habituelles en vigueur chez les groupuscules léninistes (alors que le centralisme organique visait précisément à empêcher cela), on ne peut pas disqualifier l’exigence sous-jacente d’un principe de fonctionnement qui ne se réduise ni à l’ancienne discipline mécanique ni à l’informalité gazeuse qui prévaut de nos jours (le monde des « copains »), où la mainmise de quelques individus prospère d’autant plus facilement qu’elle n’est soumise à aucune forme de contrôle collectif.
On a également beaucoup reproché à Bordiga le maintien de ses positions sur la question syndicale. Simple conservatisme ? Étant entendu que la Gauche italienne a toujours défendu la nécessité d’être sensible à toutes les formes d’association et d’activité spontanée de la classe prolétarienne, peut-on reprocher à Bordiga de ne pas avoir confondu l’Italie d’avant l’Automne chaud (1969) avec l’Allemagne des années 1920 ? Faut-il rappeler que même l’épopée opéraïste, devenue l’objet d’une mythologie invraisemblable en dehors de l’Italie, a germé à l’intérieur de la CGIL, au sein même de son secrétariat national (cf. Vittorio Foa) ?
S’il y a reprise des thèmes et des formulations de Bordiga aujourd’hui, c’est peut-être pour des bonnes raisons. Tout d’abord, est-ce que la France ne serait pas un peu en train de « s’italianiser » ? Semi-périphérisation, disparités territoriales, passage de l’État stratège à l’État couillon, emprise des mafias… les indices ne manquent pas. Blague à part, c’est peut-être que, malgré les changements intervenus dans les cartes géographiques, les problèmes sous-jacents auxquels nous sommes confrontés ne sont pas si différents de ceux d’alors : « Des côtés opposés, le problème du monde actuel est pour tout le monde le même : celui de l’organisation de l’Europe, qui dépend du problème de l’unité allemande ». (La comune di Berlino : dura e lunga la strada, meta grande e lontana, 1953). Enfin, plus banalement, c’est peut-être que les temps tranquilles sont finis, qu’on revient aux choses sérieuses, et que le manque d’une proposition communiste mature – théorique certes, mais incluant explicitement la préparation d’une intervention politique organisée – commence à se faire sentir.
Les débris de la génération « révolutionnaire » soixante-huitarde pourront vociférer et protester autant qu’ils voudront. À la preuve des faits, la période 1917-1921 reste une rupture historique plus profonde que toutes celles, présumée ou avérées, qui ont suivi – années 1968 incluses. L’aile la plus radicalisée des classes moyennes alors montantes, n’a d’ailleurs retenu de ces dernières que ce qui l’arrangeait, c’est-à-dire tout ce qui minait sa véritable cible : le « vieux monde » des staliniens et des catholiques sociaux (en France, le compromis gaullo-communiste). Vers la fin de sa vie, Bordiga avait bien vu venir le coup et c’est même à celui-ci qu’il consacra ses dernières cartouches, voir à ce propos les Notes élémentaires sur les étudiants et le marxisme de gauche authentique (1968), ainsi que son « testament » (lettre à Umberto Terracini, 4 mars 1969) :
« Moi, j’attends, dans une position toujours entêtée et sectaire que, comme je l’ai toujours prévue, arrive au monde au cours de l’année 1975 notre révolution, plurinationale, monopartitique et monoclassiste, c’est-à-dire surtout sans la pire pourriture interclassiste : celle de la jeunesse soi-disant étudiante. »
Environ un demi-siècle plus tard, les ramifications théoriques déclenchées par le tournant-68 dans les pays occidentaux (dont la communisation, entre autres) ont toutes montré, sans exception, qu’elles ne font pas le poids face au réel et – plus grave encore – que leurs mirobolantes « ruptures » théoriques ne leur ont pas permis une meilleure compréhension de l’évolution des rapports sociaux capitalistes, qu’il s’agisse du déroulement économique ou de la lutte des classes. Lorsqu’il leur arrive de toucher juste, c’est moins en raison leurs innovations propres que de l’héritage historique qu’elles trimballent, même à leur corps défendant, avec plus ou moins de mauvaise conscience. Old is the new New. Vengeance du napolitain depuis le règne des éternels ? Dans tous les cas, il serait peut-être temps de faire un bilan (autre thématique typiquement bordiguienne). La Grande Refondation théorique n’en fut pas une. Reste à savoir si l’on peut en tirer quelque chose malgré tout.
La quarantaine approchant pour moi, persuadé d’avoir déjà perdu assez de temps dans des bagatelles sans avenir, j’encourage ceux qui peuvent partager au moins en partie mon constat à s’interroger sérieusement sur la suite. Quant aux autres, je ne peux que leur souhaiter un excellent sommeil sur les doux oreillers de la communisation. «Jateve a cucca’ !» (Redresser les jambes aux chiens, 1952).
R.F., novembre 2024
Notes:
(1) « En Italie, où la production capitaliste s’est développée plus tôt qu’ailleurs, la dissolution des rapports de servage s’est produite également plus tôt. Le serf y est émancipé avant de s’être assuré un quelconque droit de prescription sur sa terre. Son émancipation fit donc de lui aussitôt un prolétaire hors la protection des lois, qui trouva tout de suite, par-dessus le marché, de nouveaux maîtres, prêts à entrer en fonction, dans les villes qui dataient le plus souvent de l’époque romaine. Lorsque la révolution du marché mondial, à partir de la fin du XV° siècle, anéantit la suprématie commerciale de l’Italie du Nord, il se produisit un mouvement en sens contraire. Les ouvriers des villes furent refoulés en masse dans les campagnes où ils donnèrent une impulsion sans précédent à la petite culture qui était alors plutôt pratiquée sur le mode du jardinage. » (Karl Marx, Le Capital, Livre I, Quadrige/PUF, Paris, 1993, p. 806).
(2) Voir p. ex. le taux élevé de syndicalisation des salariés en Italie : 32,5% (chiffres 2019), soit le 7ème pays dans le classement des pays de l’OCDE, juste derrière les pays scandinaves, où la syndicalisation est souvent obligatoire, et la Belgique. La différence est criante par rapport à la France (8,8 %), où ce taux est inférieur à celui des États-Unis (9,9%).
(3) Au sujet du contexte français, voir p. ex. : Caractères du mouvement ouvrier français, « Invariance », I° série, année IV, n. 10, 1971, p. 1-40. Article non dépourvu d’intuitions encore actuelles.
(4) « Entre 1945 et 1960, pas moins de quarante pays – soit une population totale de 800 millions, un quart de la population mondiale – se révoltèrent contre le colonialisme et conquirent l’indépendance. Dans toute l’histoire de l’humanité, jamais au grand jamais un bouleversement révolutionnaire ne s’était produit avec une telle rapidité. Ce changement de position des peuples d’Asie et d’Afrique par rapport à l’Europe fut le symptôme le plus sûr de l’avènement d’une nouvelle ère, et lorsque l’histoire de la première moitié du XX° siècle […] sera écrite avec davantage de recul, il fait peu de doute que la révolte contre l’Occident dépassera en importance n’importe quel autre thème. » (Geoffrey Barraclough, An Introduction to Contemporary History, Penguin, 1967, p. 153-154). Il existe une traduction française de ce livre (Stock 1967), certainement daté mais assez utile au vu de certains développements actuels. Voir en particulier le sixième chapitre, « The Revolt Against the West ».
(5) De façon générale, Bordiga cherchait toujours chez les anciens les réponses aux problèmes des modernes, et non seulement chez Marx ou Lénine, mais également dans milles autres figures oubliées, rarement citées, mais auxquelles il vouait la plus grande admiration. Ainsi pour le patriote socialiste Carlo Pisacane, dont il actualisait la critique du chef providentiel et sa préférence pour la solidité du programme : « Malheur aux masses qui en viennent à croire à l’inviolabilité et à l’infaillibilité d’un homme. […] Indiscipline en paix et discipline en guerre est la devise de toute révolution : celle-là suscite la discussion et crée le concept, c’est-à-dire le drapeau ; celle-ci unifie les efforts et incite le soldat à garder les yeux rivés sur le drapeau et non sur le capitaine. Peu importe que la mitrailleuse détruise un général : un autre le remplace ; mais le drapeau ne change pas, chaque soldat doit l’avoir gravé en son cœur. » (Carlo Pisacane, « Guerra combattuta in Italia negli anni 1848-1849 », in La rivoluzione in Italia, Editori Riuniti, Rome, 1968).
Jusque-là, R.F. “dormait d’un excellent sommeil sur les doux oreillers de la communisation” en la taie de Hic Salta, mais ne trouve rien à redire aux critiques réduisant à néant les considérations d’Astarian sur la valeur (qu’il avait avalées, ou pas ?).
Le démon bordiguiste de la quarantaine l’a réveillé d’un coup et son ange gardien de sang Italien (il se sent italien comme d’autres juifs ou français), pour découvrir le caractère radicalement “franchouillard” de la théorie de la communisation (on attend de savoir ce qui la caractériserait comme telle en essence plus qu’en naissance), et le vide sidéral de toute théorisation communiste depuis 1968.
J’avoue mon incompétence quant à cet éloge de Bordiga (italien comme R.F., c’est capital), mais je ne vois pas en quoi il répond aux critiques salées (c’est du Vieux Port) de R.S. Je crois sentir un rien d’amertume dû à d’anciens échanges mal digérés, qui débouchent sur une mise en cause franche de points essentiels de la théorie de la communisation, et de douteuses nostalgies.
Franchement à quoi ça sert de s’enfermer dans ces vieilles histoires, l’invariance d’un ressassement mortifère ?
Je suis plus curieux d’une critique même partielle des analyses de R.S. depuis 6 mois (européennes, Gaza…).
Comme par hasard, aucun, AUCUN, commentaire n’en fait, ni ailleurs que chez dndf, ni chez d’éventuels bordiguistes italiens ou pas.
Bref, Bordiga, je m’en fous, italien ou pas. D’ailleurs je suis auvergnat, une race qui n’a jamais rien fait pour changer le monde, et franchement, vous imaginez une théorie auvergnate de la révolution, vous ?
Je