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Blog RÉALITÉ : « Misère et vanité de la voie française – Capitalisme en France, épisode 1. »

Avec ce texte, nous entamons la publication d’une série d’articles consacrés à la France. En vue d’une rentrée qui s’annonce mouvementée, il nous a semblé opportun de commencer à esquisser une vision générale – aussi schématique soit-elle – du capitalisme français dans son devenir (jusqu’à aujourd’hui). Le but de cette série n’est pas de faire de l’érudition, mais de permettre une meilleure compréhension de notre environnement immédiat, des mouvements sociaux futurs et in fine une action plus percutante au sein de ceux-ci.

Introduction

Dans ce qui suit, nous essayerons de saisir le contexte français en tant que formation sociale. Étudier les sociétés comme des formations sociales signifie – par analogie avec les formations géologiques – les concevoir comme des empilements de strates, dont les plus historiquement récentes n’effacent pas (du moins pas complètement) les plus anciennes. Nous accordons une certaine importance à cette notion parce qu’elle permet de bien distinguer deux niveaux d’analyse différents et souvent confondus. Le premier niveau est celui, très abstrait, du rapport social capitaliste à l’état pur, ou pour s’exprimer comme Marx celui du « mode de production capitaliste » (MPC) et de ses lois de développement. L’autre niveau d’analyse est celui des multiples déclinaisons du MPC dans l’espace et dans le temps, c’est-à-dire précisément celui des formations sociales particulières, avec leurs histoires, leurs caractéristiques et leurs évolutions propres. Pour le moment, nous en resterons là et ne traiterons pas l’ensemble de questions plus ou moins épineuses que cette notion soulève, entre autres celle de la délimitation (par exemple: les formations sociales capitalistes sont-elles par définition nationales ?). Partons simplement du fait que la France d’aujourd’hui est et reste une formation sociale nationale, même malgré son inscription au sein de l’UE, de la zone euro, de l’OTAN, etc.

De nos jours, la reconnaissance des spécificités nationales est souvent considérée avec méfiance par les révolutionnaires anticapitalistes. Pourtant ces spécificités existent bel et bien, et elles jouent un grand rôle – y compris en termes de lutte des classes, de composition des classes sociales, d’expression institutionnelle ou idéologique de ces classes, etc. La dernière tentative communiste d’analyser sous cet angle celles de la France est probablement l’article de Jacques Camatte intitulé Caractères du mouvement ouvrier français[1]. Seulement, cet article date de la période du boom économique du second après-guerre, où le mouvement ouvrier français était dominé par le Parti Communiste Français. Son analyse en pâtit. L’histoire est toujours écrite pour et en fonction du présent; le nôtre nous permet de l’aborder d’une manière différente.

Quelques éléments pour comprendre la formation sociale française

Les deux tares historiques du capitalisme français

Il faut ici remonter brièvement à 1789. La Révolution française est souvent considérée comme le modèle par excellence de la révolution bourgeoise. Or cette idée doit être maniée avec beaucoup de prudence, d’une part parce que la révolution française n’est pas la première révolution bourgeoise (on pense ici à l’Angleterre de 1648-1651, mais aussi à la guerre de libération des Provinces-Unies contre l’Espagne au XVIIe siècle, et dans une moindre mesure à celle de la Suède contre le Danemark de 1521-1523); d’autre part parce que son cours réel ne correspond qu’à un cas de figure parmi d’autres possibles dans l’éventail des révolutions bourgeoises qu’on a connu historiquement. Soit dit en passant, si l’on considère la révolution iranienne de 1979 comme l’achèvement de la révolution bourgeoise en Iran, cela nous donne un cycle de bouleversements politiques qui, finalement, aura duré quelques 300 ans, voir beaucoup plus si l’on tient compte de tous les échecs qui ont dû précéder la première franche victoire de la bourgeoisie. Par ailleurs, ce cycle n’est achevé que depuis moins de 50 ans, c’est-à-dire depuis assez peu de temps.

De façon générale, l’un des terrains sur lesquels les différentes révolutions bourgeoises se différencient les unes des autres se situe dans leur façon de traiter la question agraire, étant entendu que ces révolutions adviennent toutes, sans exception, dans des contextes où le développement capitaliste n’en est qu’à ses débuts, et où l’immense majorité de la population vit à la campagne et se consacre à l’agriculture sous des rapports sociaux de production qui sont soit pré-capitalistes, soit primitivement capitalistes. En très résumé, on a trois configurations possible:

  • soit la bourgeoisie ascendante et les forces sociales qu’elle entraîne à sa suite s’attaquent radicalement aux avoirs et aux privilèges des classes dominantes précapitalistes (aristocratie, clergé, etc.) procédant alors à la redistribution des terres confisquées, et créant ainsi une classe de paysans petits propriétaires (on a là le cas français et beaucoup d’autres);

  • soit la bourgeoisie parvient à un compromis avec l’aristocratie qui préserve les possessions de cette dernière et la transforme en une classe de grands propriétaires fonciers qui louent leurs terres à des fermiers (cas anglais), ou en une sous-classe de grands exploitants agricoles qui gèrent directement la mise en culture de leurs terres (cas prussien);

  • Enfin, troisième option: la bourgeoisie et ses alliés procèdent à la nationalisation de la terre, c’est-à-dire à sa transformation en propriété étatique, susceptible d’être mise en culture soit par des petits paysans usufruitiers (c’est-à-dire non-propriétaires) soit par des salariés agricoles. C’est dans cette catégorie qu’on peut ranger des cas aussi divers que la Russie stalinienne, la Chine maoïste, voire Israël avec le kibboutz comme forme centrale de la colonisation jusqu’aux années 1960, etc.

Chacune de ces variantes est le résultat des aléas de lutte des classes; chacune présente ses avantages et ses inconvénients du point de vue du développement capitaliste. Des hybridations entre ces trois variantes sont également à prévoir.

Pour ce qui est de la première, celle qui nous intéresse davantage ici, la création d’une classe de paysans petits propriétaires représente évidemment un frein à l’éclosion de la grande industrie, à l’approfondissement des rapports capitalistes à la campagne comme à la ville, et finalement à la formation du prolétariat lui-même. Cela se vérifie de multiples façons dans le cas français. Par exemple, selon l’étude de Gérard Noiriel Les Ouvriers dans la société française (Seuil, 1986), dans la seconde moitié du XIXe siècle « l’insuffisance de l’exode rural provoque une pénurie constante d’ouvriers »[2] dans les quelques branches de l’industrie lourde – mines et métallurgie d’abord, chemins de fer ensuite – qui s’élèvent sur un paysage économique encore très marqué par la manufacture dispersée et le travail à domicile. Par ailleurs, le caractère semi-prolétaire (ouvrier-paysan) de la main-d’œuvre limite sa disponibilité sur le marché du travail (une partie d’entre elle s’en retire dès qu’une bonne récolte le permet), ainsi que son efficacité au sein de l’entreprise (du fait de la double journée de travail). Autre aspect du même problème, l’existence dans de proportions massives d’une petite paysannerie propriétaire empêche « l’éclosion d’un marché urbain suffisamment important pour stimuler la demande en produits manufacturés »[3]. En définitive, il ne fait aucun doute que la petite paysannerie créée par la révolution française a constitué un facteur d’arriération persistant dès la période napoléonienne jusqu’à la Quatrième République incluse (à des degrés divers, bien entendu). Ce facteur s’est révélé d’autant plus durable et difficile à extirper que les forces gouvernementales, républicaines ou non, s’y sont appuyé à chaque fois que le prolétariat a semblé menacer l’ordre social: c’est le cas en 1848 et en 1871, c’est le cas également lorsque, dès 1938, le gouvernement Daladier (III) revient sur les conquêtes du Front populaire. « L’expropriation paysanne ne se fait réellement avec l’aide de l’État que depuis l’avènement de De Gaulle au pouvoir »[4].

L’autre facteur historique d’arriération de la formation sociale française, sur une période plus courte mais plus décisive, est de nature énergétique: il s’agit de la faiblesse des réserves de charbon et de pétrole présentes en France – faiblesse aggravée par le rattachement de l’Alsace-Lorraine et de ses gisements à l’Empire allemand entre 1871 et 1919. Des politiques publiques telles que le « programme hydraulique » (120 grands barrages construits entre 1946 et 1960) d’abord, le plan Messmer ensuite (programme nucléaire civil lancé en 1974, combiné à un encouragement à l’électrification des usages), visaient bien à compenser ce désavantage chronique.

Ces deux facteurs se combinent donc, jusqu’à la période gaullienne, pour donner un capitalisme – et des capitalistes – souvent réfractaires aux développement de la grande industrie, souvent poussés ou portés à bout de bras par l’État, souvent plus attirés par des activités improductives comme la banque et le commerce, enclins à exténuer la main-d’œuvre dans les activités productives, et égalements enclins à compenser la faiblesse des débouchés domestiques par l’expansion coloniale (marchés protégés). On peut rappeler, par exemple, la façon dont le colonialisme français renaît de ses cendres sous la monarchie de Juillet (1830-1848) après avoir été réduit à néant pendant la période révolutionnaire et napoléonienne. On peut également rappeler, au sujet des rapports entre l’État et le capital dans cette phase proto-industrielle, la manière dont une entreprise comme Peugeot, devenue célèbre par la suite, est créée par Napoléon Ier pour approvisionner l’armée français en uniformes et autres produits textiles.

1789-1958: un développement bridé du salariat

Ces spécificités ne peuvent que se répercuter sur l’évolution du salariat et du mouvement prolétarien naissant. La révolution de 1789 a vu naître des courants sans-culottes radicaux (Hébert) et même communistes (Babeuf). La période successive au congrès de Vienne (1815) voit un certain développement de doctrines socialistes diverses. Toutefois, en raison de la structure sociale française et notamment de l’entrave représentée par la prédominance du paysannat, les propositions du communisme agraire babouviste (mise en commun de la terre) et de l’industrialisme saint-simonien sont plutôt reléguées au rang de pétitions de principe.

La bourgeoisie a accepté la paix et la Restauration (1815-1830), c’est-à-dire un compromis politique avec l’aristocratie foncière, pour éviter l’épuisement du pays et l’exacerbation des antagonismes sociaux. À l’issue des guerres napoléoniennes, l’Angleterre a réussi à remettre la France à sa place; par contrecoup, celle-ci se replie sur la solution de facilité représentée par l’expansion coloniale en Afrique. Il n’en reste pas moins que la Restauration est rythmée par une succession de crises économiques, endogènes ou transmises depuis l’extérieur: crise de 1816-1817, crise bancaire et commerciale de 1825 en Angleterre, crise agricole de 1827. Celles-ci aboutissent finalement à la chute de Charles X et à la révolution de 1830 (rupture provisoire du compromis entre bourgeois et aristocrates), puis à la seconde Restauration et à la monarchie de Juillet.

À cette époque, le développement capitaliste en France est essentiellement tiré par la production de tissus de luxe (soie) s’adressant moins au marché intérieur qu’à des marchés d’exportation. La paix avec l’Angleterre a permis l’importation des machines nécessaires (la célèbre Jenny) et même des transferts de technologie – dans la production de métiers à tisser, certes, mais aussi dans la construction de bateaux (présence importante d’ingénieurs anglais au port de Marseille, p. ex.). Pour le reste, la période est surtout marquée par une première vague d’exode rural vers la capitale, qui voit sa population croître considérablement sans qu’il y ait une quantité correspondante d’emplois et d’équipement urbain en face – d’où la formation d’un prolétariat parisien sous-employé, sous-alimenté et très mal logé, en proie à une « misère monstrueuse […] s’exaspérant aux moments les plus forts des crises et acculant à la faim, à la maladie et à mort, près de la moitié de la population de Paris, c’est-à-dire la quasi-totalité de la population ouvrière »[5]. Ce processus atteint un seuil critique en 1848. En mai, la République rétablie après la Révolution de février lance un programme de création d’emplois à Paris et dans le département de la Seine pour répondre au problème du chômage massif. Les grands bourgeois et autres aristocrates retirent leurs avoirs des banques, qui se trouvent alors dans l’impossibilité de financer les Ateliers nationaux. Une fraction du prolétariat parisien – la plus âgée et enracinée dans la ville – se soulève, mais est vite écrasée dans le sang par une organisation paramilitaire recrutées parmi les prolétaires les plus jeunes et les nouveaux arrivants[6].

Après 1848-1851, à la différence de l’espace mitteleuropéen, l’influence de Marx ne se développe en France qu’avec des grandes difficultés, tandis que le marxisme ne deviendra le courant politique dominant du mouvement ouvrier français qu’assez tardivement et sous une forme d’emblée sclérosée[7]. Au sein de la Commune de Paris – soulèvement moins prolétarien que populaire au sens large – le blanquisme et surtout le proudhonisme sont largement prépondérants; de même à l’échelle du pays, ce qui n’est pas sans lien avec l’importance que continue à avoir à cette époque le lopin de terre pour l’ouvrier français. Peu après la répression sanglante de la Commune, la baisse des prix agricoles de la décennie 1880 incite à l’adoption de tarifs douaniers, sous peine de voir une masse immense de paysans ruinés s’entasser à Paris et dans d’autres grandes villes. Cela entraîne une certaine stabilisation du prolétariat urbain. Le blanquisme et le proudhonisme évoluent alors dans une sorte de dépassement réciproque qui donne le syndicalisme révolutionnaire et d’action directe, avec son principal théoricien Georges Sorel.

Comme on le sait, tous ces courants ne se sont pas privés de tenter des alliances étranges soit avec des secteurs de l’armée (cas des blanquistes, qui soutiennent l’agitation du général Boulanger), soit avec la droite royaliste et monarchiste (Charles Péguy, cercle Proudhon, etc.). De manière plus générale, à partir de 1880, l’appel au prolétariat se répand dans à peu près tous les milieux politiques, et la droite réactionnaire ne fait pas exception. Du reste, la persistance jusqu’en 1945, et dans des proportions non négligeables, d’un mouvement politique tel que l’Action Française, animée par l’aristocratie déchue et caractérisée par le rejet de la République, est également l’indice d’un contexte où la bourgeoisie a bien fait tomber l’ancienne classe dominante et voudrait s’en débarrasser après s’en être servie contre le prolétariat… mais n’y arrive pas dans la mesure où elle n’arrive pas à transformer la société en profondeur. Une telle transformation aurait en fait présupposé la victoire militaire de la France napoléonienne sur la coalition des puissances d’Ancien Régime en Europe, et son accession à une situation d’hégémonie continentale.

Dans ce cadre, la social-démocratie ne se développe que faiblement et de façon fragmentée, à partir d’une multiplicité de tendances et de partis: Parti Socialiste Révolutionnaire (blanquiste), Parti Ouvrier Français (Jules Guesde), socialisme municipal/possibilisme (Paul Brousse), socialistes indépendants (Jaurès, Millerand, etc.). Ces différentes tendances et partis ne parviennent à un équilibre relatif qu’en 1905, date de fondation de la Section française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), essentiellement clivée entre une gauche (Vaillant et Guesde) et une droite (Jaurès et Brousse). Dans un premier temps, ce processus de convergence est fortement accéléré par la « guerre culturelle » autour de l’affaire Dreyfus, dont l’un des principaux résultats est la bipolarisation du champ politique entre une gauche et une droite. Pour être précis, ce clivage existait auparavant, mais seulement dans le cadre du compromis entre la bourgeoisie et l’aristocratie.

Toutefois, si la coagulation de la SFIO s’avère durable, cela s’explique par la trajectoire d’industrialisation, qui connaît une première accélération entre le début du XXe siècle et la crise de 1929. En 1929, la France est le premier producteur mondial de minerai de fer, le deuxième producteur mondial d’aluminium, le troisième producteur mondial d’acier. Cependant, ces exploits ne correspondent pas à une rupture complète avec les tendances en vigueur depuis le XIXe siècle. La guerre de 1914-1918 a bien entraîné une forte augmentation de l’exode rural, dont les retombées positives du point de vue de l’industrie sont toutefois en grande partie neutralisées par la conscription et les pertes humaines sur le front militaire. L’augmentation de la production industrielle s’appuie moins sur un surcroît de mécanisation que sur la rationalisation des tâches (l’Organisation Scientifique du Travail) et sur une immigration massive depuis l’étranger, composées principalement d’Italiens, de Polonais et de Kabyles (2 millions en tout entre 1921 et 1931, soit trois quarts des pertes directes de la guerre[8]). En outre, le caractère ouvrier-paysan de la main-d’œuvre autochtone tend à se maintenir dans de nombreuses régions. Le patronat n’y est pas pour rien dans la mesure où parfois « ce sont les grandes usines qui décident d’elles-mêmes de replier une partie de leur production à la campagne »[9], et que certains employeurs estiment qu’« au-delà d’une certaine taille l’entreprise devient ingouvernable, à cause de l’ampleur du “coulage”, des grèves à répétition et de la compétence “hors pair” dont il faut faire preuve pour assurer la gestion »[10].

En 1914, l’assassinat de Jean Jaurès par un allumé a sufft à faire abandonner à la SFIO ses positions pacifistes initiales. Mais malgré sa participation à des alliances électorales (cartel des gauches) et finalement au gouvernement du Front Populaire en 1936-1937, celle-ci ne parvient pas à exercer le rôle d’une social-démocratie mitteleuropéenne ou scandinave (l’arriération déjà évoquée y est évidemment pour quelque chose). À noter également qu’après une première tentative de créer un parti communiste en France en 1918 – tentative menée par des anarcho-syndicalistes dans la foulée de la Révolution russe et des mutineries qui éclatent un peu partout dans des armées fatiguées par la guerre – la fondation du Parti Communiste lors du congrès de Tours (décembre 1920) est une sorte de fièvre à froid. Non seulement la scission communiste de la SFIO n’est pas réellement portée par l’approfondissement local de la lutte des classes, puisque le mouvement gréviste de 1919-1920 s’est terminé sept mois auparavant, mais elle ne s’opère qu’autour d’une question de « politique étrangère », à savoir à quelle Internationale il faut adhérer (la IIe ou IIIe). Autre différence sensible par rapport à l’aire mitteleuropéenne, c’est la majorité qui passe armes et bagages au nouveau parti : le PCF naît donc d’emblée comme un parti de masse promis à un  opportunisme certain. 

La longue vague de la grande crise de 1929, qui s’aggrave à partir de 1933, semble momentanément trancher en faveur d’un retour en arrière. Sur l’ensemble de la population active, en 1936 la classe ouvrière seule est en recul (34,6%, soit -4 % environ par rapport à l’avant-guerre), tandis que les paysans sont redevenus la catégorie la plus nombreuse (35%). Par ailleurs, dans la fragmentation du système monétaire international en différentes zones monétaires qui se produit à cette époque, la France essaie de réanimer l’étalon-or en crise depuis 1914 (bloc-or). C’est pourtant dans ce contexte que se déclenchent les grèves de 1936 – pierre de touche d’une mythologie du Front populaire largement créée a posteriori, après la Seconde Guerre mondiale. La paradoxe est que le mouvement est considéré comme le jour de gloire de l’unité de la gauche ou du binôme CGT-PCF, alors que la poussée politique et syndicale résulte moins de la grève que de son étouffement (Thorez: « il faut savoir terminer une grève »). Car le mouvement de grève est, quant à lui, spontané et impulsé surtout par des jeunes ouvriers non qualifiés et non syndicalisés, « les OS de la grande industrie française, sans tradition de lutte, sans expérience ancienne du monde ouvrier »[11], « restés complètement en dehors de la vie militante »[12]. Le vote ouvrier n’est pas non plus durablement acquis à la gauche car, comme le rappelle Noiriel dans un autre ouvrage, il y a une certaine porosité entre celui pour le Front Populaire en 1936 et celui pour le Parti Populaire Français de Doriot peu de temps après[13].

Concernant la période de l’Occupation, l’historienne Annie Lacroix-Riz est connue pour avoir affirmé de façon très nette que l’ensemble du grand patronat français avait souhaité la défaite de 1940 et promou activement la collaboration, à la fois pour des raisons économiques et pour des raisons politiques[14]. Bien que sa thèse, prise comme telle, est unilatérale en ce qu’elle sous-estime la concurrence capitaliste et les divisions au sein de la bourgeoisie, il est incontestable que les secteurs dominants du capital français, aussi bien industriels que bancaires, avaient pris peur de la jeune classe ouvrière qui s’était massivement mobilisée en 1936, et craignaient à juste titre que la remise en cause des acquis du Front populaire, et surtout les licenciements de masse de l’hiver 1938-1939, ne débouchent finalement sur un soulèvement insurrectionnel. « Plutôt Hitler que le Front Populaire », alors ? Pas exactement, puisque la carte de la gauche au pouvoir avait déjà été jouée, et c’était bien le problème. Toute chose égale par ailleurs, il est également incontestable que ces secteurs capitalistes avaient de bonnes raisons d’accepter l’englobement de l’industrie française dans l’économie de guerre allemande – notamment à cause de la faiblesse traditionnelle des débouchés domestiques (toujours la petite paysannerie…), exacerbée alors par la crise des débouchés extérieurs[15]. Les gouvernements du Front populaire et de Daladier avaient essayé d’y pallier par la dévaluation du franc, c’est-à-dire par la sortie du bloc-or, mais sans grand succès. Encore faut-il ajouter qu’une partie considérable de la SFIO et des anciens milieux pacifistes et dreyfusards a massivement collaboré. Pour rappel, le ralliement de Pierre Laval à Vichy n’est nullement un cas isolé : sur 150 députés SFIO, 90 votent favorablement aux les pleins pouvoirs à Philippe Pétain. Parmi ceux-ci, Paul Faure (secrétaire général de 1920 à 1940 et chef du courant majoritaire du parti), Charles Spinasse (ministre de l’Économie puis du Budget du gouvernement du Front populaire) et bien d’autres. Les députés SFIO qui votent contre ne sont que 36. Le PCF, quant à lui, avait été dissous par le gouvernement Daladier (IV) et réduit à la clandestinité à cause de son appui au pacte Ribbentrop-Molotov, mais on ne peut pas affirmer qu’il ait été collaborationniste.

On en vient donc à l’après-1945. Contrairement à une idée assez répandue, la sortie de cet état d’arriération persistant qu’on vient de décrire ne se fait pas d’emblée avec le passage à la Quatrième république. Cela reste vrai malgré les injections de dirigisme en matière économique (fondation du Commissariat général du Plan en 1946) et la modernisation entamée par le Conseil National de la Résistance sur le plan de la reproduction de la force de travail (création de la Sécurité sociale en octobre 1945), inspirée du modèle bismarckien[16]. En effet, le pays au lendemain de la guerre se trouve dans un état lamentable, avec une inflation galopante et de graves restrictions alimentaires. L’intensité et l’ampleur de l’agitation sociale en 1947-1948 en témoignent : grèves massives dans l’automobile, à la SNCF et dans les mines, mais aussi émeutes de la faim. Même si la situation a tendance à s’améliorer avec le temps, le mal-logement causé par l’étroitesse  et l’ancienneté du parc des logements en dur va persister jusqu’à la fin des années 1950.

Mais surtout, les deux tares historiques du capitalisme français demeurent entières. Les secteurs de l’industrie lourde continuent de pâtir d’un problème d’approvisionnement en combustibles – charbon notamment. Le plan Monnet-Schumann pour la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) vise précisément à y répondre. Quant à la structure économique et sociale des campagnes françaises, elle est encore dominée par une petite paysannerie propriétaire excessivement nombreuse. L’instauration du marché commun avec le traité de Rome en 1957 (l’Europe des six : France, RFA, Italie, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) se fait, du côté français, dans un souci de modernisation de l’agriculture, et de l’ouverture de marchés d’exportation susceptibles d’absorber le surcroît de production qui va en découler.

À cela s’ajoute la question coloniale toujours pas résolue, notamment en Indochine et en Algérie. Pour rappel, vers la fin de la guerre d’Indochine (1954), l’armée française demande aux USA de larguer la bombe nucléaire sur le Viêt Minh, mais les Américains s’y refusent. Deux ans plus tard, la tentative franco-anglaise d’empêcher la nationalisation du canal de Suez se solde par un autre échec cuisant : les deux anciennes puissances coloniales sont humiliées par les Américains et l’URSS. On retrouve ici un autre élément récurrent de l’histoire de France : les conflits militaires comme force de rappel qui, périodiquement, impose des bonds en avant à une classe dominante attentiste et peureuse. Le rôle de la guerre, des victoires, mais surtout des défaites (1815, 1871, 1940, 1954, 1962…), dans la trajectoire d’industrialisation mériterait une étude à part.

La parenthèse gaulliste

Ce dernier élément (le rôle des « chocs externes » militaires) se donne clairement à voir dans la parenthèse gaullienne, caractérisée par un repli tactique sur l’Hexagone, un règlement de la question paysanne dans le cadre de la Politique Agricole Commune, et un industrialisme enfin assumé. Le régime gaulliste marche sur deux jambes : d’une part, le dirigisme que le régime gaullien a hérité et va ultérieurement développer à partir de celui de la Quatrième république ; d’autre part, un complexe militaro-industriel autonome par rapport à celui des États-Unis, mais conçu en s’inspirant de lui (véritable moteur des Trente Glorieuses américaines selon l’historien Tim Barker[17]). Un tel complexe militaro-industriel, pour subsister et se développer dans des conditions de paix relative, a toutefois besoin de marchés d’exportation – d’où la position de multi-alignement de De Gaulle (analogie possible avec la Yougoslavie vis-à-vis du bloc de l’Est). C’est là toute la question de la production d’armements comme « mésosystème » traitée dans les travaux de Claude Serfati et François Chesnais[18].

Comme on le sait, Mai 68 marque la chute de De Gaulle, pas celle de la parenthèse gaulliste qui se poursuit idéalement à travers les gouvernements de droite des années 1970 (Pompidou et Giscard d’Estaing), jusqu’au tournant de la rigueur de 1983 sous le gouvernement PS-PCF. Mai 68 est un phénomène ambivalent en ce qu’il est la conjonction d’un 68 ouvrier et d’un 68 de la classe moyenne moderne – surtout étudiante initialement, ce qui n’exclut pas une certaine participation des professions intermédiaires à la grève de mai-juin. En effet, la classe moyenne moderne (salariée) s’est développée de manière importante sous De Gaulle, non seulement à partir des couches supérieures de la classe ouvrière, mais aussi et surtout à partir de celles de la petite paysannerie, que l’industrialisme gaulliste s’efforce de réduire à la portion congrue.

Le Mai 68 des ouvriers s’enracine dans la question des salaires mais, de manière analogue au cas italien, surtout dans celle des conditions de travail. En effet, la France et l’Italie sont les deux maillons faibles de la sphère d’influence américaine, où le « fordisme » (si l’on tient à ce mot) est un fordisme du pauvre, en ce sens que les conditions d’exploitation de la force de travail sont plus dures qu’ailleurs : en France, c’est le cas notamment pour les OS français immigrés de l’intérieur (issus des familles et/ou des régions paysannes les plus pauvres), ainsi que de la main d’oeuvre étrangère que les grandes entreprises recrutent souvent dans les pays d’origine – notamment au Maghreb. Les accords de Grenelle (27 mai 1968) introduisent une hausse générale et assez conséquente du salaire nominal, mais dans certaines entreprises (Renault p. ex.) cela ne suffit pas, et des négociations ad hoc entre les directions et les syndicats doivent y mettre du leur pour faire accepter le retour au travail. La dévaluation du franc de l’été suivant favorise la soutenabilité des augmentations salariales, à la fois par l’inflation et l’effet de soutien aux exportations.

Le Mai 68 de la classe moyenne moderne vise, quant à lui, à faire sauter la chape de plomb qui persistait sous De Gaulle, dans une société en voie de modernisation rapide au niveau de la structure productive, mais qui connaît encore des archaïsmes importants au niveau de la superstructure: une société assez militarisée, plus « masculiniste » qu’auparavant par certains aspects (allocation salaire unique, diminution de l’emploi féminin jusqu’en 1961), où le poids du catholicisme et de la censure existent encore. Après le départ de De Gaulle, la droite reste aux manettes tout au long des années 1970. Elle entreprend des réformes « sociétales » importantes (avortement, divorce, etc.). Mais cela ne semble pas suffire aux jeunes membres des classes moyennes ascendantes, désireux d’un changement plus général que le Parti socialiste post-SFIO réussit tant bien que mal à incarner à travers sa reprise de thèmes et mots d’ordre autogestionnaires (autre analogie avec la Yougoslavie). L’alliance de gouvernement avec le PCF se prépare dès 1972 par le programme commun de la gauche. Au cours des années suivantes, le PS recrute beaucoup dans les milieux de jeunesse, aussi bien ceux du catholicisme social que ceux des groupuscules trotskistes et maoïstes. Il noue également des liens avec le peu de renouveau syndical qui a eu lieu dans l’après-Mai (CFDT).

Pendant une décennie, la vague longue de 1968 a continué à infuser sans contradiction apparente entre ses deux principales composantes. Néanmoins, les effets de la crise mondiale du début des années 1970 ont commencé à se faire sentir. La sidérurgie est particulièrement touchée, avec une succession de crises qui culmine avec le plan de sauvetage de Raymond Barre (1978) impliquant 21.000 licenciements : des luttes très dures éclatent et vont jusqu’à contester les directions syndicales nationales et de branche, mais sont finalement défaites. En 1981, l’alliance PS-PCF réussit à « capitaliser » électoralement, avec un programme assez ambitieux de relance keynésienne et de nationalisation d’un grand nombre d’entreprises et secteurs économiques. Sous l’appel à « changer la vie », elle est votée par trois ouvriers sur quatre. Une partie de son programme est mise en œuvre dès le lendemain des élections, avec la hausse du salaire minimum, la retraite à soixante ans et la cinquième semaine de congés payés. Le surcroît d’inflation et le déficit du commerce extérieur qui en découlent sont montés en épingle par une partie du gouvernement (Mauroy, Delors, etc.). Les menaces de sortie du Système monétaire européen (SME) et d’une mise sous tutelle par le Fonds monétaire international (FMI) sont agitées pour susciter un revirement de politique économique, qui a lieu dès l’été 1982 avec l’adoption d’une politique des revenus (blocage des salaires et des prix, désindexation des traitements des fonctionnaires). Au printemps suivant, à la suite de négociations bruxelloises, le franc est dévalué de 8 %, mais reste dans le SME, au prix de coupes budgétaires et autres mesures vouées à soutenir le taux de change.

Avec le tournant de la rigueur de 1983, qui symbolise l’adoption des politiques dites « néolibérales » en France, les deux composantes de 68 se séparent définitivement. La désindustrialisation est enfin acceptée comme un destin inévitable, voire positif ; le barycentre de la paix sociale se déplace vers le haut, pousse la classe moyenne moderne vers la classe capitaliste et laisse la classe ouvrière en proie aux délocalisations et aux dégraissages. Le chômage augmente de manière significative, mais les cadres et professions intermédiaires restent longtemps préservés.

Dans ce contexte, le passage d’une immigration de travail à une immigration improprement dite « de peuplement » exacerbe la concurrence et les crispations identitaires entre les travailleurs[19]. Ces crispations sont exploités, dès 1983-1984, pour polariser l’opinion simultanément autour du binôme islam-immigration et de la ménace raciste/fasciste. D’une main, le gouvernement du PS dénonce, par la bouche de Gaston Defferre, les luttes ouvrières chez Talbot (Poissy) comme « des grèves saintes d’intégristes, de musulmans, de chiites »; de l’autre, par le biais de SOS Racisme, pseudo-mouvement social téléguidé par l’Elysée, il jette l’opprobre sur le « beauf » pour donner bonne conscience au petit bourgeois humaniste – non sans attiser la montée du FN contre la droite post-gaulliste. Par la suite, ces deux mains se sépareront. Ainsi, un nouveau paysage politique va se mettre en place: l’alternance de gouvernements de centre gauche (PS) et de centre droite (sous différents avatars), porteurs d’un seul et même programme, différencié à la marge sur la meilleure façon de gérer la fameuse « fracture sociale ». La suite est plus connue, et nous ne la récapitulerons pas ici (pour aller plus loin, on pourra se reporter à la brochure La France à la croisée des chemins).

Conclusion provisoire : après le tournant

Pour introduire les éléments constitutifs de la nouvelle configuration qui se met progressivement en place à partir de 1982-1983, on peut dire de premier abord qu’on a affaire à une recomposition au sein de la classe capitaliste française autour de nouveaux secteurs dominants, souvent peu sensibles aux problématiques de l’industrie et de l’emploi dans le contexte domestique. Or ces nouveaux secteurs sont, du moins en partie, anciens – on pense ici notamment au capital bancaire – et ils réactivent des caractéristiques tout aussi anciennes du capitalisme français, notamment sa faible appétence pour la grande industrie et une certaine arriération. On pourrait nous rétorquer qu’il ne s’agit pas de spécificités françaises, mais de caractéristiques générales de la mondialisation. Ce point de vue simpliste est démenti par la trajectoire de pays comparables à la France par taille et niveau de développement, tels que l’Allemagne, le Japon ou la Corée du Sud.

Quoi qu’il en soit, ce sont ces nouveaux secteurs dominants qui impulsent – bien avant l’entrée en vigueur de l’euro – le passage à une monnaie forte (politique du franc fort à partir du milieu des années 1980). Comme nous l’avons vu ailleurs, une monnaie forte favorise les exportations de capitaux par rapport aux exportations de marchandises. La projection internationale des grands groupes français s’enracine dans ce tournant. Aujourd’hui, environ 75 % du chiffre d’affaires des firmes incluses dans l’indice boursier CAC40 est réalisé à l’étranger. Dans la mesure où ces firmes ne relèvent pas du capital industriel dans leur majorité, elles n’exportent pas une véritable dynamique de développement dans les pays destinataires de leurs investissements directs. On peut parler à ce titre de lumpen-impérialisme plutôt que d’impérialisme au sens propre.

On pourrait se demander comment tout cela a pu être accepté par les autres fractions capitalistes, industrielles notamment, qu’elles soient exportatrices ou tournées vers le marché intérieur, grandes firmes ou PME. C’est à ce niveau qu’apparaît le rôle des subventions indirectes aux entreprises en tant que levier de la recomposition, sous la forme d’allégements et crédits d’impôts, ainsi que d’exonération des cotisations sociales. Cependant, ces subventions n’ont pas été en reste d’effets pervers: elles ont produit un sous-financement de la protection sociale et des caisses de l’État – ce qui, à la limite, peut être vu comme une bonne chose par le patronat – mais elles ont simultanément découragé les investissements de productivité et aggravé les problèmes de compétitivité des entreprises. Sur le long terme, cela a conduit à un creusement de la dette publique. La réalisation du projet français de l’euro, qui découlait du souci de l’État français de limiter la souveraineté de l’Allemagne réunifiée, a eu pour conséquence de permettre à la France un endettement public à des taux « allemands » (c’est-à-dire très favorables, du moins jusqu’à très récemment). Néanmoins, le creusement de la dette a constamment été joué par le pouvoir politique contre la dépense sociale – d’où la succession de mouvements sociaux qu’on a connu depuis 1995.

À cela, on pourrait encore ajouter le renforcement des liens politiques et militaires transatlantiques (jusqu’au retour dans le commandement intégré de l’OTAN en 2009 sous Sarkozy et que de Gaulle avait décidé de quitter en 1966), et donc le renoncement progressif à entretenir un complexe militaro-industriel et un appareil militaire réellement autonomes par rapport à ceux des États-Unis. L’absence d’autonomie de l’armée française s’est manifestée au grand jour en Libye en 2011 et dans les opérations militaires au Sahel des années suivantes. Le propos ici n’est évidemment pas de regretter le déclin du militarisme français, mais de montrer qu’il s’inscrit dans un tableau plus général.

Au final, il en résulte un cercle vicieux, où la réduction de l’État-providence et du salaire indirect s’accompagne d’un décrochage de l’économie française par rapport aux standards de compétitivité internationale. Contrairement à ce qu’on entend souvent, l’une n’empêche pas l’autre, au contraire. Et le décrochage se répercute à son tour en davantage de désindustrialisation, de pressions à la baisse sur les salaires, sur la qualité des emplois et sur le niveau des dépenses sociales. En définitive, il s’agit d’un processus de (semi-)périphérisation. C’est ce que nous verrons de plus près dans le prochain article de cette série.


Notes :

[1] Dans «Invariance», I° série, n. 10, avril 1971, p. 1-40, Téléchargeable ici: https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/gauchecommuniste/gauchescommunistes-ap1952/invariance/1re-serie/invariance-serie1-n10.pdf

[2] Op cit., p. 68.

[3] Op. cit., p. 43.

[4] Jacques Camatte, op. cit., p. 7.

[5] Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris, pendant la première moitié du XIXe siècle, Librairie Générale Française, Paris, 1978, p. 585.

[6] Cf. Pierre Caspard, Aspects de la lutte des classes en 1848: le recrutement de la garde nationale mobile, « Revue Historique », t. 252, fascicule 1 (511), juillet-septembre 1974, p. 81-106.

[7] Au milieu des années 1970, ce constat a fait l’objet d’un livre aujourd’hui oublié, Le Marxisme introuvable de Daniel Lindenberg (UGE 10/18, Paris, 1975), qui s’intéressait à la façon dont il avait pu exister et perdurer, en France, « à l’intérieur même du socialisme une vitalité des courants éthiques ou utopiques inimaginable ailleurs » (p. 14).

[8] Gérard Noiriel, op. cit., p. 133.

[9] Op. cit., p. 144.

[10] Ibid.

[11] Gérard Noiriel, op. cit., p. 187.

[12] Op. cit., p. 188.

[13] « Il ne faut pas oublier qu’une partie importante des ouvriers qui avaient voté pour le Front populaire en mai-juin 1936 a soutenu le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot, qui était un parti d’extrême droite ». (Gérard Noiriel, Les Gilets Jaune à l’aune de l’histoire, Éditions de l’Aube, Paris, 2019, p. 38).

[14] Cf. Industriels et banquiers français sous l’Occupation, Dunod, Paris, 2025.

[15] « La crise mondiale bloque les exportations; en 1934, en francs constants, le total des exportations ne représente plus que 17,5 milliards, contre 34 avant 1914 ». (Jean Barrot, Albert Borczuk, Philippe Riviale, La légende de la gauche au pouvoir, Tête de Feuilles, Paris,1973, p. 23).

[16] Le compromis social bismarckien fut très avant-gardiste pour l’époque : 1883 : assurance maladie ; 1885: assurance vieillesse, etc.

[17] Cf. Cold War Capitalism: The Political Economy of American Military Spending, 1947-1990. Doctoral dissertation, Harvard University. Voir aussi notre discussion de ses travaux dans l’article Dépenses militaires et rapports de classes.

[18] Cf. L’Armement en France, Nathan, Paris, 1992.

[19] Il est impossible de contester qu’avec la priorité donnée au regroupement familial au milieu des années 1970 les mécanismes du phénomène migratoire changent: on passe d’une d’immigration strictement vouée à répondre à des besoins immédiats de certains secteurs, et qui n’a pas forcément vocation à rester sur le territoire national une fois qu’elle a épuisé sa fonction, à une immigration qui a d’emblée vocation à s’y installer. La différence est admise par Abdelmalek Sayad, même s’il conteste (comme nous d’ailleurs) la notion d’immigration de peuplement, la voyant comme une mutation de l’immigration de travail plutôt que comme une forme essentiellement distincte. Certes, en termes très généraux et abstraits ce sont toujours les exigences du capital qui mènent la danse, mais il y a bien une différence entre, d’une part, répondre par l’immigration à des besoins de main-d’oeuvre quantifiables en amont et, de l’autre, accroître la population immigrée d’une manière qui n’est pas prédéterminée par de tels besoins, et qui implique que l’adaptation à ceux-ci se fasse en aval (avec tous les problèmes et les interminables débats politiques qui en découlent).

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