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A Villiers-le-Bel, en novembre 2007, “c’était la guerre”

es mots ne sont pas sortis. Des regrets, parfois. Quelques excuses prononcées à voix basse. Mais pas d’explications. Des longs silences. Comme une incapacité à communiquer. Rien, ou si peu, sur le pourquoi de la violence. Presque rien, non plus – pour ceux qui nient les faits – pour tenter de se défendre. Les dix hommes, âgés de 21 à 25 ans, jugés jeudi 2 et vendredi 3 juillet par le tribunal correctionnel de Pontoise (Val-d’Oise) pour des jets de projectiles contre des policiers à Villiers-le-Bel, en novembre 2007, n’ont pas su mettre de mots sur les émeutes et la “rage” qui les ont saisis lorsqu’ils ont appris le décès de deux adolescents dans une collision avec une voiture de police.

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Nicolas Alexandre, par exemple. Devant le tribunal, le jeune homme, âgé de 22 ans, cheveux ras, déjà six condamnations sur son casier judiciaire, reconnaît avoir lancé des projectiles. Un copain l’avait prévenu par téléphone immédiatement après l’accident. “Tout le monde disait: “La police, elle a tué les deux petits””, raconte-t-il.

Comme il a vite senti que la soirée allait virer à l’émeute, il est rentré chez lui pour se changer : enlever son survêtement blanc, trop visible, enfiler des vêtements sombres avec une capuche pour se dissimuler. La présidente du tribunal, Marie-Claire Maier, essaie de comprendre ses motivations : “Qu’est-ce que vous pensez de tout ça ?”Un silence. “Je sais pas.” Un autre silence. “J’ai pas d’opinion, juste que je regrette”.

Les autres ne sont guère plus loquaces. Parfois déconcentrés, à peine attentifs. Parfois repris, sur la forme, par une présidente agacée par un prévenu qui mâche un chewing-gum ou qui répond “ouais” à ses questions. “On dit pas “ouais” mais “oui”. On n’est pas à la cité ici.”

TÉMOIGNAGES SOUS X

De l’autre côté de la salle d’audience, les policiers victimes des violences, dont certains sont venus en uniforme d’apparat, secouent la tête d’incompréhension : un gouffre, deux mondes qui s’observent avec méfiance.

L’enquête s’appuie presque uniquement sur des dénonciations entre jeunes. Aucun indice matériel en dehors de quelques photos et relevés téléphoniques n’est venu renforcer le dossier, construit, à son démarrage, grâce à des témoignages sous X.

L’accusation pourrait en souffrir mais les prévenus, jean, T-shirt de marque, baskets et casiers judiciaires chargés, sont les pires défenseurs de leurs propres intérêts. “Qu’est-ce que vous pensez des émeutes de 2007 ?”, demande ainsi la magistrate à Terki Bouchiba, 21 ans. Pas de réponse.

“Vous ne savez pas quoi penser ?” Silence. “C’est malheureux”, finit par dire le jeune homme, dénoncé par trois camarades mais qui nie avoir participé aux violences. La magistrate poursuit. “Vous avez quelque chose sur votre casier judiciaire ?” Réponse : “Une condamnation.” La présidente s’étrangle : “Non, moi j’en vois cinq.” Du recel. Un outrage. Un vol. Des violences. Une conduite sans permis. “C’est quand j’étais petit”, se justifie-t-il. “C’est parce qu’il y en a qu’une seule qui a débouché sur de la prison. Ça veut dire que quand on va pas en prison, ça compte pas ?” Silence du prévenu.

En garde à vue, les suspects se sont accusés mutuellement. A l’audience, la plupart sont revenus sur leurs dénonciations. Stéphane Farade, intérimaire de 22 ans, déjà condamné quand il était mineur, avait assuré avoir reconnu plusieurs émeutiers. Il avait aussi avoué sa participation aux violences : “J’ai envoyé des pierres parce que je voulais pas passer pour une poule mouillée ou un bouffon. Si j’avais rien fait du tout, j’aurais été ennuyé tous les jours par les autres.”

Devant le tribunal, il réfute ces déclarations : “C’est des mensonges. Les policiers m’ont mis la pression comme ils savent très bien le faire.” Mais face aux enquêteurs, il avait donné un luxe de détails sur l’organisation des émeutes. Des éléments corroborés par les autres témoignages recueillis. Sur les consignes des leaders : “Avancez, avancez, ne reculez pas.” L’usage de fusils à pompe à plusieurs reprises. Les mouvements coordonnés, les contre-attaques. L’utilisation de chariots de supermarché remplis de cailloux : “Il y avait des mecs qui distribuaient des pierres. Ils disaient : “Les keufs ont tué nos frères, ils faut les fumer, les tuer””, avait ainsi témoigné, Yassine Mouaddan, 22 ans, aide cuisinier, avant de se rétracter.

“TOUT ÇA A SERVI À RIEN”

Les émeutiers disposaient d’un atout exceptionnel : en dérobant un véhicule de police, ils avaient réussi à mettre la main sur un appareil radio. Un des meneurs poursuivis pour tentative d’homicide dans le dossier sur les tirs avec fusil suivait ainsi en permanence les échanges radio entre policiers. “Il cherchait à les localiser pour les prendre au piège puis il donnait des instructions aux jeunes”, a raconté Stéphane Farade devant les enquêteurs.

“C’était la guerre”, ont résumé les prévenus. Yassine Mouaddan : “Tout était orchestré pour faire venir les policiers et les attaquer.” Mathieu Bozor, 25 ans, père de trois enfants, déjà condamné à dix reprises : “Lorsque ceux qui avaient les fusils rechargeaient, les autres caillassaient pour empêcher les policiers d’avancer. Les jeunes étaient plus forts que la police, plus nombreux, mieux organisés.”

A la barre, un des prévenus se réveille enfin : “Tout ça a servi à rien. Pour nous, ça a apporté des problèmes. Pour les deux petits, ça a rien changé. Pour les policiers, ça a fait des blessés”, se désole Abdelkader Daoud, 23 ans. Le réquisitoire et les plaidoiries devaient avoir lieu vendredi 3 juillet.

Luc Bronner


Les autres procédures

La juge d’instruction chargée de l’enquête sur des tirs par arme à feu contre les forces de l’ordre à Villiers-le-Bel en novembre 2007 renvoie cinq personnes – quatre pour tentative d’homicide, un pour complicité – devant la cour d’assises de Pontoise.

Des instructions sont en cours en ce qui concerne l’agression du commissaire Jean-François Illy et la collision à l’origine des émeutes entre une voiture de police et une moto sur laquelle se trouvaient deux adolescents, morts dans l’accident.


Premier procès de Villiers-le-Bel, la police décrit des émeutes “très organisées” L
ors de la première journée du procès des violences de novembre 2007 à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), certains des dix jeunes jugés pour jets de projectiles contre les forces de l’ordre ont reconnu, jeudi 2 juillet, avoir participé à ces émeutes, décrites comme “particulièrement violentes” et “très organisées” par la police.

Jusqu’à vendredi, dix prévenus comparaissent libres, sous contrôle judiciaire, pour les jets de projectiles sur des policiers, avec armes, en réunion, avec guet-apens. C’est le premier procès consacré aux violences de Villiers-le-Bel. L’enquête principale sur les tirs contre la police donnera lieu à un autre procès, aux assises, probablement fin 2009, où cinq personnes ont été renvoyées jeudi par la juge d’instruction.

Le 25 novembre 2007, la mort de deux adolescents dans la collision de leur mini-moto avec une voiture de police avait provoqué deux jours de violences à Villiers-le-Bel. Une centaine de policiers avaient été blessés par des tirs d’armes à feu et des jets de pierres et de bouteilles, un commissaire roué de coups, des bâtiments publics et des commerces détruits.

“ILS ONT TUÉ NOS FRÈRES, IL FAUT LES FUMER”

Parmi les prévenus, Nicolas A. a reconnu avoir “jeté des cailloux comme tous les jeunes” et regrette “d’avoir participé à tout ça”. De même Abdelkader D. et Yassine M. ont reconnu les jets de pierres. Au cours de l’instruction, ce dernier avait résumé l’état d’esprit des jeunes face à la police : “Ils ont tué nos frères, il faut les fumer.”

Stéphane F. a nié en bloc : “Je n’étais pas là, je n’ai rien fait.” Au cours de l’enquête, il avait pourtant reconnu avoir “jeté des cailloux pour ne pas passer pour une poule mouillée, un bouffon”. “Tout le monde était fier d’avoir blessé autant de policiers”, avait-il ajouté avant de revenir sur des propos lâchés, selon lui, “sous la pression policière”.

Au cours de l’audience, Thierry Aubry, capitaine de police à la police judiciaire de Versailles a souligné l’organisation minutieuse des “émeutes”, avec la “constitution de groupes et de secteurs”, des “lampadaires cassés” pour plonger les quartiers dans le noir, l’organisation de “guet-apens” et l’écoute du “trafic radio de la police” pour anticiper les mouvements des CRS.

UN “MUR HUMAIN DE 250 PERSONNES”

“Les émeutes de 2005 étaient beaucoup plus improvisées. C’est la première fois qu’on voit autant de policiers blessés sur un si petit périmètre”, a-t-il affirmé, faisant état de “plus de deux cents émeutiers”. Gilbert Siniscalco, chef d’une unité de quarante CRS présente à Villiers-le-Bel, a décrit le “mur humain de deux cent cinquante personnes” auquel ses hommes ont fait face, “avec des individus qui venaient au contact pour essayer d’extirper un policier avec la volonté de le lyncher”.

“Un fonctionnaire encerclé par des émeutiers a sorti son arme, a pointé les casseurs et ça n’a eu aucun effet”, a-t-il dit. “Comment va-t-on juger ces dix-là alors que deux cent cinquante ont commis les mêmes faits”, a demandé Me Jean-Christophe Tymozko, avocat d’un prévenu. “Le risque c’est qu’ils prennent pour les autres”, a-t-il ajouté. Les prévenus encourent jusqu’à sept ans d’emprisonnement, le verdict devrait être connu vendredi.

lemonde.fr

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