A propos de deux textes de Bruno Astarian
Une critique des deux textes de Bruno Astarian
La communisation comme sortie de crise
Activité de crise et communisation
Le texte qui suit est un commentaire critique de deux textes de Bruno Astarian (B.A)[1]. Le premier intitulé La communisation comme sortie de crise (texte désigné par CSC) a été publié dans le numéro 139 (hiver 2009-2010) de la revue Echanges, le second Activité de crise et communisation (texte désigné par ACC) a servi de base à un atelier lors d’une rencontre internationale organisée en août 2010 par les animateurs de cette même revue.[2]
Le premier de ces textes a fait l’objet d’une critique dans le numéro 23 de Théorie Communiste (mai 2010), critique dont je reprendrai ici certains éléments. Cependant, le second texte justifie une révision substantielle de cette critique. En effet, alors que le premier se limite à un exercice que l’on peut qualifier de « communisation-fiction », c’est-à-dire de description de la révolution et du dépassement à venir du mode de production capitaliste (exercice vain quand il est effectué pour lui-même), le second répond en partie aux critiques qui étaient faites en cherchant à ancrer le dépassement communiste du capitalisme dans les luttes actuelles et l’époque présente du mode de production capitaliste.
« On ne peut se contenter de poser les termes d’une contradiction. Dès qu’on le fait, cette contradiction entre en mouvement, et l’on ne suivra ce mouvement qu’en comprenant autant que possible ce qu’il doit produire » (ACC). B.A désigne dans son second texte une configuration de la lutte de classe déterminante pour comprendre ce que ce mouvement de la contradiction « doit produire » :
« On pourrait dire d’une certaine façon que ce qui était considéré comme antitravail dans la lutte du prolétariat va devenir anti-prolétariat (souligné dans le texte) » (ACC).
Le grand intérêt des deux textes de B.A pris conjointement est de désigner et de se confronter au problème réel de notre époque : la révolution comme communisation dans son lien à la lutte de classe actuelle dans laquelle lutter en tant que classe est devenue sa propre limite et dont l’enjeu est la production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure. Même si cette structure globale de la lutte de classe n’est pas saisie en tant que telle par B.A qui se limite à désigner des aspects des luttes (« antitravail » ; « démassification ») et non la structure et le contenu de la lutte, c’est à ce problème qu’il se confronte surtout dans le second texte.
Toute notre divergence réside dans la manière dont ce problème réel actuel est traité dans la problématique de B.A qui finalement le résout par sa suppression. Ce traitement, je le qualifierai d’idéologique.
Une idéologie (1)
Il faut comparer la problématique de ces deux textes au problème réel dont elle se propose de rendre compte. Mon intention est de montrer que bien qu’elle réponde à un problème réel, non seulement elle ne lui correspond pas, elle se révèle inadéquate, mais encore le problème réel disparaît dans son traitement. La lutte du prolétariat devenant « anti-prolétariat » n’est pas conceptualisée strictement comme lutte de classe mais comme « activité de crise », elle n’est plus l’activité du prolétariat défini comme classe dans son rapport au capital mais l’activité d’un sujet déjà autre. Le problème réel a disparu car le cours ordinaire de la lutte de classe a été renvoyé à un niveau pré-théorique quant à la théorie de son dépassement, ce « cours ordinaire » ne donne que des « indications » (ACC). En revanche, « c’est dans ce moment très spécifique (« l’activité de crise », nda) que s’ancre toute la problématique du communisme, car c’est là et uniquement là (c’est moi qui souligne) que se pose socialement la question du passage du capitalisme (en crise) au communisme (comme dépassement de la contradiction capital / travail) » (ACC). Nous verrons que B.A développe une conception du mode de production capitaliste selon laquelle l’implication réciproque entre le prolétariat et le capital et leur contradiction s’excluent l’une l’autre. Avec l’activité de crise, la « contradiction » n’apparaît que lorsque l’implication disparaît. Ainsi le cours ordinaire de la lutte des classes n’intéresse pas la « théorie du communisme ». Une telle conception donne de rudes camouflets aux luttes de classe. Tout ce qui en elles peut montrer que l’appartenance de classe est devenue dans les luttes une contrainte extérieure et la limite même de l’activité de classe, comme dans les luttes des ouvrières du Bengladesh ou les émeutes en Grèce, est répertorié sous la catégories des déterminations de « l’activité de crise » et donc, si l’on suit B.A, relève de l’apparition d’un autre rapport social que celui reliant le prolétariat et le capital : l’exploitation.
La prévalence donnée à une définition et description du but comme un pré-requis de la compréhension du mouvement ; le rapport d’exploitation conçu explicitement comme « implication réciproque » qui devient une contradiction seulement quand elle se dénoue ; la chronologie révolutionnaire à trois temps : cours ordinaire des luttes / « activité de crise » / communisation ; le blocage de la reproduction capitaliste posé comme préalable à l’activité révolutionnaire qui devient alors une alternative mise en œuvre par un sujet qui n’est plus strictement une classe : c’est-à-dire tous les éléments de la problématique mise en œuvre par B.A constituent cette déformation propre à la confrontation de l’idéologie à un problème réel qui le résout en le faisant disparaître comme représentation d’autre chose.
Le problème de lecture que posent les deux textes en question réside dans le fait que cet « autre chose », le métasystème, n’y est jamais explicitement exposée, elle est présente comme la couche inférieure d’un palimpseste au travers de mots qui sont comme des portes ouvrant sur le discours sacré : « sujet à part entière » ; « antitravail » ; « détermination naturelle » ; « nature » ; « désocialisation » ; « propriété » ; « individu » ; « démassification » …
L’activité de crise
Ce que B.A formalise et décrit comme « activité de crise » c’est parfois le processus révolutionnaire, parfois des caractéristiques actuelles de la lutte de classe « ordinaire », mais la question est de savoir pourquoi B.A invente cette phase intermédiaire. C’est toute sa problématique des contradictions de classes comme représentation et manifestation d’autre chose qui nécessite cette phase intermédiaire. La reproduction du capital dans les contradictions propres qui sont les siennes en tant que mode de production particulier masquerait la contradiction fondamentale dont elle n’est qu’une formes d’apparition. Le blocage de cette reproduction, sa suspension, est la condition de l’apparition de la « vraie » contradiction dont le capital n’était qu’une forme.
« J’appelle activité de crise cette forme particulière de la lutte du prolétariat dans l’insurrection. C’est dans ce moment très spécifique que s’ancre toute la problématique du communisme, car c’est là, et uniquement là, que se pose socialement la question du passage du capitalisme (en crise) au communisme (comme dépassement de la contradiction capital/travail). Et c’est de là que, le cas échéant, partira la communisation de la société. » (ACC). L’activité de crise définie comme « forme particulière de la lutte du prolétariat » devient « le moment de la plus grande intensité subjective dans l’activité du prolétariat » (ACC). Cette « intensité subjective » qui exprime sans l’expliciter toute la problématique du sujet et de l’objet dans le travail prend forme comme « rapport social propre du prolétariat (c’est moi qui souligne), c’est le moment où, dans l’affrontement avec le capital, le prolétariat prend possession d’éléments de celui-ci (usine, stocks, véhicules, bâtiments…). Tant qu’on n’en est pas là, on reste au niveau des réunions et meetings et des revendications. Et quand le prolétariat en arrive là, il a franchi un seuil qualitatif qui, alors seulement le fait apparaître comme sujet possible d’une révolution communiste. Cette distinction relativise l’importance qu’il faut accorder aux luttes du prolétariat dans le cours ordinaire de la lutte des classes. » (ACC).
Soit le prolétariat forme un « rapport social propre », alors il n’est plus le prolétariat (à moins d’appeler rapport social tout et n’importe quoi), soit le prolétariat affronte le capital et alors son rapport social est celui qui le définit dans son rapport au capital, c’est-à-dire le rapport social capitaliste qui fait de l’un le prolétariat et de l’autre le capitaliste.
Entre « activité de crise » et « cours ordinaire de la lutte de classe », B.A a constamment un problème de classification et de chronologie. « Soulignons le caractère fortement paradoxal de ces mouvements (Bengladesh, nda) qui défendent la condition salariale en détruisant les moyens de production. Le prolétariat développe une activité de crise radicale, s’empare des moyens de production, envahit les usines – mais pour les détruire. » (ACC). Donc : une « activité de crise » (qui plus est « radicale ») qui défend la condition salariale. Est-ce que l’on n’est pas plutôt dans le cours ordinaire actuel de la lutte de classe, Défendre / détruire, justement ils font les deux, c’est l’écart à l’intérieur de l’activité en tant que classe devenu limite des luttes. Qui peut soutenir que ces ouvrières ne sont pas des prolétaires luttant en tant que classe définies dans leur rapport contradictoire au capital ?
Mais la chose est plus subtile : « Les destructions d’usines montrent que les prolétaires, dans leur activité de crise, ne s’affirment pas comme des travailleurs » (ACC).
Tout est là : ne s’affirmant pas comme travailleurs, ils ne lutteraient plus en tant que travailleurs. Dans la problématique de B.A, depuis les années 1970, il n’y a pas eu de restructuration du mode de production capitaliste, corollairement pas de nouveau cycle. La décomposition du programme (l’affirmation du prolétariat et la libération du travail) et son impossibilité sont, une fois pour toutes, depuis cette époque, le stade final de la lutte de classe. En conséquence, tout ce qui, dans la lutte de classe, n’est pas « affirmation de la classe » serait au-delà du cours ordinaire des luttes.
Inversement, l’articulation entre le « cours ordinaire » et la communisation (via « l’activité de crise ») est purement négative, le cours ordinaire des luttes ne produit rien (quelques « indications » et encore…), si ce n’est son inefficacité et ses échecs (ce qui est du côté du prolétariat la même chose que le blocage préalable de l’accumulation du côté du capital, voir plus loin).
« Retenons pour l’instant qu’un tel saut (dans la « liberté absolue », nda) requiert l’existence d’un rapport social interindividuel pour être possible. Aucun rapport de classe ne peut évoluer de lui-même vers un tel dépassement (c’est moi qui souligne) dans la mesure où la classe implique la contingence de l’individu et, ce qui revient au même, sa subordination absolue à la détermination naturelle de l’activité sociale. » (Travail, p.165). Donc, le « rapport de classe » passe par une phase transitoire, l’« activité de crise « ou « rapport social de crise », pour être à même d’effectuer ce saut dans la « liberté absolue ». B.A ne peut concevoir que l’activité du prolétariat puisse exister comme négation de sa propre existence comme classe, il lui faut le stade intermédiaire : le purgatoire de « l’activité de crise ». Quand on a le prolétariat on ne peut avoir la révolution (communisation et non communisme), quand on a la révolution, on ne peut pas avoir le prolétariat, car c’est une classe, et « aucun rapport de classes ne peut évoluer vers un tel dépassement ». Astarian évolue dans une logique absolument binaire et exclusive.
Tantôt confondue avec le cours ordinaire des luttes, tantôt avec la communisation, tantôt affirmée comme moment absolument nécessaire entre les deux, la seule nécessité de « l’activité de crise » se situe au niveau de la cohérence du système, c’est l’étape intermédiaire nécessitée par un métasystème sous-jacent relatif au « travail », à « l’homme », au « sujet » et dont la relation prolétariat / capital devenue travail / propriété est la représentation.
Il se forme alors, dans « l’activité de crise », un rapport social qui n’est plus un rapport social entre classes, mais qui n’est pas le communisme. « L’éclatement de la crise se définit comme cet instant précis où le rapport de classes est dissout par l’activité du prolétariat qui, ainsi que nous allons le voir en constitue un autre » (Travail, p.133)[3]. Nous ne pourrions qu’être d’accord, si dans cette dissolution du rapport de classes, action du prolétariat, c’était le communisme qui était produit, mais cela est trop « prolétarien » et contredirait la position originelle selon laquelle aucune classe de l’aliénation ne peut produire quelque chose dépassant l’aliénation. Il faut préalablement que le prolétariat meure pour que, peut-être, puisse exister le communisme.
D’où vient cette nouvelle rupture qui elle seule peut engendrer le communisme, en libérant le contenu potentiellement, négativement, communiste de l’activité du prolétariat ?
La démassification
Cette nouvelle rupture vient du mouvement lui-même qui est, dans « l’activité de crise », sa propre dynamique.
« L’individualisation du sujet ne signifie nullement son atomisation. Au contraire, car c’est sur la base de l’interaction des individus que la classe rassemblée cesse d’être une foule (comme dans les manifestations derrières les bannières syndicales) pour devenir un collectif actif et conscient, capable d’agir et de réagir, de prendre des initiatives et de les corriger, de débattre en son sein et d’affronter les capitalistes de la façon la plus adaptée à la situation » (ACC).
Il n’y aurait rien à redire si ce n’est qu’on trouve cela dans toute grève et mouvement revendicatif. Si, en outre, les initiatives et leurs agents ne relevaient pas d’une miraculeuse génération spontanée : « La témérité désespérée qui se manifeste dans chaque insurrection parisienne est précisément l’apport de ces vieux conspirateurs de profesion, les “hommes de coup de main”. Ce sont eux qui dressent et commandent les premières barricades, qui organisent la résistance, dirigent le pilage des armureries, s’emparent des armes et des munitions dans les maisons, et exécutent en plein soulèvement, ces audacieux cous de main qui si souvent jettent le parti au pouvoir dans la confusion. En un mot, ils sont les officiers de l’insurrection. » (Marx, Les conspirateurs – in La Nouvelle gazette rhénane, Revue[4], 1850 – Pléiade, t.4, p.361)
Mais, il faut surtout dire que ce qu’il se passe dans le cours des luttes n’est pas une « dynamique de groupe », une simple relation entre la partie et le tout. Le rapport que les prolétaires définissent entre eux et leur transformation dans la lutte sont médiés par un Tiers (le capital), dans un système de double médiation. Si la totalisation vient du dedans comme résultat d’une activité commune, c’est qu’elle vient aussi du dehors par suite de la contradiction constitutive de la situation : la lutte contre le capital. Chez B.A, l’auto transformation des prolétaires n’existe pas dans sa coïncidence avec l’abolition des conditions qui comme le dit Marx la définit comme « pratique révolutionnaire (Thèses sur Feuerbach), mais elle est un préalable en tant que constitution d’un sujet apte à faire la révolution.
« Ce que nous venons de dire des automatismes de la reproduction du prolétariat dans la prospérité constitue la classe comme première par rapport à l’individu. L’appartenance à la classe détermine le comportement de l’individu[5]. Les modalités de la subordination du travail au capital lui laissent très peu de liberté (c’est moi qui souligne). » (ACC). Chez B.A, l’individu apparaît en se libérant de son « appartenance de classe » et crée des rapports interindividuels, c’est même le prolétariat qui effectue cela « en son sein ». L’individu dont il est question préexiste à « l’activité de crise » qui est sa révélation, une sorte de libération par rapport à sa situation de prolétaire. Dans le moment où l’on reconnaît l’impasse du programmatisme (libération de l’ouvrier), avec la libération de l’individu de l’appartenance de classe on conserve sa problématique. Là où l’on avait un sujet socialement épais et consistant on n’a plus qu’une baudruche. Tout cela est sous-tendu par une conception particulière de l’individu et surtout de ce qu’est un rapport social : les individus « entrent » dans des rapports sociaux. Par exemple : l’individu-prolétaire est pur sujet et, vendant sa force de travail, il entre dans le rapport social capitaliste ou rapport du travail. A la fin de la journée, de la semaine ou du mois, ce rapport s’éteint.
Ne pouvant (et ne voulant) produire le communisme à partir de la contradiction entre le prolétariat et le capital, pour meubler ces ruptures, et passer tout de même au communisme, dans Le travail et son dépassement B.A mobilisait toute une armature philosophique sur « le sujet », « l’être générique », « la nature », « la détermination naturelle », etc … Si, dans les deux textes en question, cette armature est maintenant plus ou moins passée sous silence au profit d’une dynamique du mouvement de « démassification », cette dernière n’en renvoie pas moins furtivement à tout cet arrière-plan. Dans « l’activité de crise », ce « prolétaire », qui n’est plus dans le rapport social capitaliste, « forme un rapport social en son sein, le prolétariat apparaît, à lui seul, comme porteur de la subjectivité humaine dans sa forme fondamentale. Cet élément (réalisation de la subjectivité dans une seule classe) est de première importance pour comprendre la dimension révolutionnaire / communiste de l’activité de crise du prolétariat. Celle-ci est porteuse de la possibilité d’une révolution dont les enjeux dépassent radicalement ceux de toutes les révolutions passées. » (Travail, p.142). Ce « porteur à lui seul de la subjectivité humaine » devient dans ACC le « sujet à part entière ».
Ne pouvant admettre que ces prolétaires qui ne savent que défendre leur travail et leur salaire soient pour la même raison la classe révolutionnaire, B.A produit ce concept d’« activité de crise » qui vient, avec le « sujet à part entière » (ACC), au moment décisif, prendre la place du prolétariat et de la contradiction entre prolétariat et capital. L’analyse historique du mode de production capitaliste, de la restructuration actuelle, du nouveau cycle de luttes, nous permet d’affirmer que ce « saut dans la liberté », ce sont les prolétaires, tels qu’ils sont dans ce rapport avec le capital, qui sont à même de l’effectuer et qui se transforment dans l’abolition du capital. « La coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ou autochangement ne peut être considérée et comprise rationnellement qu’en tant que pratique révolutionnaire.» (Marx, Thèses sur Feuerbach) ; ou alors « Dans l’activité révolutionnaire se changer soi-même et changer ces conditions coïncident » (Idéologie allemande, Ed Sociales, p.242).
Le blocage de l’accumulation et sa fonction
Pour comprendre l’importance et la signification du blocage de l’accumulation capitaliste comme préalable à l’activité de crise, il faut passer par l’explicitation de trois autres thèmes de la problématique de ces deux textes : premièrement la substitution du rapport entre travail et propriété à la contradiction entre prolétariat et capital, deuxièmement, la conception de l’implication réciproque à l’œuvre dans ces textes et, troisièmement, le concept de « surproduit ». Ces trois thèmes sont étroitement imbriqués.
La propriété et l’implication réciproque
Dans ces textes, comme dans Travail, la propriété est en fait le nom de l’objectivité séparée de la subjectivité. Cette séparation est, chez B.A, l’essence de l’histoire qui n’est que le déroulement spéculatif de la contradiction du travail, jusqu’à son achèvement dans le MPC.
« Nouant le rapport de classes autour d’un capital fixe formidablement accumulé, la présupposition réciproque des deux classes interdit d’envisager une sortie de crise révolutionnaire qui affirmerait la classe ouvrière et le travail contre des capitalistes, qu’elle éliminerait.» (ACC). La propriété c’est l’objet et « le rapport social se noue autour du capital fixe[6] ». Soit cela signifie que le rapport social se noue autour des machines et des bâtiments et c’est une absurdité, soit c’est bien du capital dont il s’agit mais, ce qui en fait « la valeur en procès », c’est l’échange salarial, et si l’on veut désigner un moment de la valeur capital : le capital variable. C’est le rapport capitaliste en tant que tel qui a disparu : valeur se valorisant, subsomption, transsubstantiation.
Ce n’est plus vraiment du capital comme rapport de production dont il s’agit mais de « la propriété capitaliste » : « Le soulèvement insurrectionnel du prolétariat ne peut pas ne pas prendre possession d’éléments de la propriété capitaliste » (ACC). La conception du rapport capitaliste de B.A le centre sur cette notion de propriété et des objets dont elle est la propriété. Pour être le complément du « travail » (subjectivité en soi), le capital doit être objectivité en soi, c’est-à-dire les objets de la propriété qui sont la forme prise par la « détermination naturelle » dont procèderait le travail. Ce n’est plus le capital qui est rapport social mais le travail qui s’est dédoublé en posant la propriété, c’est-à-dire lui-même comme objectivité.
Cette substitution ne prend tout son sens que comme expression du système théorique sous-jacent.
« Dans le MPC encore plus que dans les modes de production pré-capitalistes, la propriété désigne moins le fait d’avoir (une maison, une auto) que le droit d’accès à la nature extérieure (c’est moi qui souligne) monopolisé par la classe capitaliste. » (ACC).
Il faut bien saisir que la relation entre prolétariat et capital devenu relation entre « travail » et « propriété » est une implication réciproque mais n’est pas une contradiction parce que la contradiction n’est pas l’exploitation en elle-même, mais le risque de rupture du rapport à la « nature extérieure » qu’elle comporte : la « dénaturalisation-désocialisation ». « Dans la crise insurrectionnelle, le rapport de présupposition réciproque entre les deux classes tourne à un rapport d’affrontement » (ACC).
La contradiction ne survient que lorsque l’implication disparaît, c’est le rôle démiurgique de la crise et du blocage, mais alors ce ne sont plus les termes antérieurs qui se trouvent en contradiction, les prolétaires sont libérés de « la malédiction (c’est moi qui souligne) de l’implication réciproque » (Luttes de classes dans la Chine des réformes, p.169). Il est vrai que l’implication réciproque est une « malédiction » mais elle est simultanément sa suppression elle est une contradiction pour elle-même elle est la lutte des classes, elle est un jeu qui est l’abolition de sa propre règle. Elle est la contradiction entre surtravail et travail nécessaire, elle est la baisse du taux de profit, elle est l’objet, le mode de production capitaliste, en contradiction avec lui-même dans la contradiction de ses termes. Elle est la lutte de classe dans son « cours ordinaire », celui des « automatismes de la reproduction », celui des « masses indistinctes », le nôtre. Ici c’est toute la conception du « cours ordinaire de la lutte des classes » qui est en jeu.
La problématique générale du travail et du devenir de l’homme dans son essence de sujet vers le « sujet à part entière » revient au travers de la substitution de la propriété au capital et de la relation du « travail » à la « propriété » dont la médiation est le « surproduit »[7].
Le surproduit
« Aussi longtemps que durait l’exploitation, la production d’un surproduit et la remise de celui-ci entre les mains de la propriété constituait la participation du prolétariat à la fabrication du rapport social. Avec la crise, le prolétariat n’est plus sujet partiel et déterminé par son rapport de subordination à l’autre classe, mais accède au statut de sujet à part entière. Les éléments importants de cette subjectivité de crise sont qu’elle passe par des rapports inter-individuels, qu’elle trouve en elle-même les modalités de son accès à la nature (souligné par moi), et que le travail n’est ni son contenu ni son objectif. » (ACC)
Passons sur les sujets qui se rencontrent pour « participer » à la « fabrication d’un rapport social », c’est le « surproduit » qui va maintenant nous intéresser car, comme la propriété, lui aussi est un cryptogramme.
« L’homme doit travailler parce qu’il doit produire du surproduit pour faire exister sa socialité » (Travail, p. 156).
« Or si, dans le travail pris en tant que tel, le travailleur est pris dans un rapport objectif en soi, le moment du rapport subjectif proprement dit se situe nécessairement entre travail et non-travail. C’est en se rapportant au non-travail que l’homme fait déboucher l’arrachement à l’instinct sur un rapport de l’homme à soi comme à son propre objet. Et c’est donc de façon identique que ce rapport au non-travail crée la possibilité même du travail, car il pose la nature appropriée comme surproduit dans une socialisation qui seule explique et justifie le dépassement de l’instinct, et, en particulier, qui seule permet la formulation et le développement des besoins humains. Dès lors, le non-travail apparaît comme la face positive du dépassement de l’instinct, et c’est le travail qui le rend possible en produisant le surproduit. La preuve de la subjectivité du travail, c’est donc son exploitation. En produisant le surproduit et en permettant le non-travail, le travail fait la preuve qu’il n’est pas qu’objectivité en soi, mais aussi production de socialité et production de la présupposition sociale de la vie naturelle de l’homme. » (Travail, pp. 58-59)
Il serait donc dans la nature du travail de créer un surproduit. Pour B.A la nécessité de socialiser la nature par le travail humain au travers de la contrainte au surtravail (celui-ci, faisant de cette nature la propriété d’un autre homme face au travailleur, lui confère un statut social) est à l’origine des sociétés de classes[8].
Cette capacité à s’élever au dessus du travail nécessaire et donc à produire un surtravail est déterminée par le caractère individuel et social du travail. La non-coïncidence de l’activité individuelle et de l’activité de la communauté n’a pas à être expliquée, sinon à considérer le communisme comme l’état normal de l’humanité (ou comme l’essence de l’homme qui doit se perdre pour se réaliser), elle est la contrainte réelle, sociale, à la croissance de la productivité du travail. Cette capacité à s’élever au dessus du travail nécessaire est donc déterminée par cette non-coïncidence, par le caractère individuel et social du travail, par la division sociale du travail qui en résulte, c’est-à-dire par la capacité d’une fraction de la société investie de la reproduction sociale du travail de la collectivité (appropriation des conditions naturelles générales, défense vis-à-vis d’autres communautés…) de produire les notions même de travail nécessaire et de surtravail et de les fixer quantitativement. « Le travail doit donc posséder un certain degré de productivité avant qu’il puisse être prolongé au-delà du temps nécessaire au producteur pour se procurer son entretien ; mais ce n’est jamais cette productivité, quel qu’en soit le degré qui est la cause de la plus-value. Cette cause c’est toujours le surtravail, quel que soit le mode de l’arracher » (Marx, Le Capital, Ed. Sociales, t. 2, p. 189). Il ne suffit pas de dire que la productivité du travail est la cause du surtravail, il ne s’agit pas d’une qualité occulte, inhérente, comme un germe existant dans le travail, pour que de celle-ci (la productivité) on passe à celui-là (le surtravail), encore faut-il que la division de la société soit déjà suffisamment avancée pour que le travail du producteur se scinde en travail nécessaire et surtravail : « … alors et seulement alors, se produisent les conditions où le surtravail de l’un peut devenir une source de vie pour l’autre, et cela n’a jamais lieu sans l’aide de la force qui soumet l’un à l’autre. » (ibid, p 185). Il faut donc que déjà la division de la société soit avancée, que déjà le travail de chacun en tant qu’individuel et social soit scindé, qu’en tant que travail social il ait acquis une forme séparée du travailleur individuel, pour que ce procès devienne celui de la formation de classes antagonistes. Cette séparation n’a pas d’origine, ni conceptuelle, ni historique (chronologique), la recherche de l’origine consiste toujours à poser une réalité une, non encore déjà divisée, c’est-à-dire à chercher non une compréhension de l’histoire, mais quelque chose d’avant l’histoire.
On comprend alors toute l’importance du blocage de l’accumulation comme condition constituante de « l’activité de crise ». Le prolétariat (c’est-à-dire le « travail ») ne livrant plus de « surproduit », ou plutôt ne pouvant plus livrer de « surproduit », est contraint de « s’emparer des éléments de la nature extérieure ». Il devient le rapport social à lui tout seul, « le sujet à part entière », la subjectivité ne sort plus d’elle-même, les temps sont accomplis. L’essentiel ne réside pas dans toute cette construction qui ne présenterait pas plus d’intérêt que n’importe quelle autre du même style, si, premièrement elle ne se présentait pas comme une confrontation théorique au problème actuel de la lutte de classe, et si, deuxièmement, les termes de son propre cryptage (travail, propriété, activité de crise, surproduit, individu…) n’avait pas un effet de réel mimant des déterminations présentes de la lutte de classe alors que tout est masqué, traduit, représenté dans autre chose et que rien ne se pose dans les termes de cette idéologie qui, quand elle se met à parler de la lutte des classes, parle en fait implicitement d’autre chose dont la lutte de classe est l’image.
Le préalable du blocage
Aucune crise au sens de crise sociale comme l’utilise B.A, ne s’est jamais déroulé comme B.A le présente. La « crise capitaliste arrête complètement le travail » nous dit B.A (Travail, p.130). L’essentiel de ma divergence ne réside pas dans un désaccord sur tel ou tel niveau de misère et de chômage mais sur une conception de la révolution qui nécessite un blocage préalable du rapport capitaliste parce qu’il lui faut être autre chose qu’une simple activité prolétarienne de classe. Le prolétariat ne s’abolirait pas parce qu’il fait la révolution et abolit le capital, il ferait la révolution parce qu’en fait il est déjà aboli par le capital lui-même.
La liaison entre le cours quotidien des luttes dans leur spécificité historique et la révolution, pour n’avoir pas été posée (si ce n’est comme « indications »), fait que la crise délimite d’un côté la lutte de classe, de l’autre « l’activité de crise ». Deux moments chronologiques dont on ne produit pas les connexions internes comme activité de la classe dans la crise mais comme impossibilité du premier (simple succession d’échecs) en tant que cause de la seconde. Mais une impossibilité n’a jamais été une cause. Le “blocage de l’accumulation” n’est pas un préalable à la révolution, mais l’action révolutionnaire elle-même.
Le prolétariat abolit les classes dans la révolution, par les mesures qui sont prises dans le cours d’une crise qui devient crise révolutionnaire et qui en tant que telle devient le blocage de l’accumulation. Dans le système que nous propose BA les prolétaires communisateurs ne sont déjà plus des prolétaires, ils communisent la société par défaut : il faut bien vivre. La communisation n’est pas un idéal comme le dit BA, mais elle n’est pas non plus un manuel de survie dans le désert. La vision avancée par BA s’apparente plus à un scénario du type « Le jour d’après » qu’à une analyse actuelle de la révolution.
Même « l’activité de crise », au centre du scénario écrit par BA, n’est pas une activité de crise, mais une activité de réaction à la crise, une activité dans la crise. En fait, encore une fois, la nécessité de ce passage se trouve ailleurs, dans un autre registre : celui du sens de l’histoire comme réalisation de l’homme, celui de la téléologie fondatrice du concept d’activité de crise, et de la nécessité du communisme qui est « l’essence de l’homme » (Travail, p. 42). Il doit y avoir « désocialisation-dénaturalisation », donc blocage, pour que la contradiction du travail amène son agent, le prolétariat, à la dépasser.
Au contraire, la défense de ses intérêts immédiats amène le prolétariat au point où il est conduit à agir pour la destruction du système dominant. S’il y a saut qualitatif, c’est qu’il y a relation avec cette défense, articulation dans sa forme et son contenu, c’est-à-dire articulation avec les luttes antérieures. C’est, au cours de cette défense acharnée, la production de l’existence de classe comme contrainte extériorisée dans le capital qui est ce saut et cette articulation, qui est le moment où la défense de ses intérêts immédiats amène le prolétariat à passer à autre chose, abolir le système dominant. Cela parce que positivement il trouve en lui même la capacité de produire contre le capital, à partir de ce qu’il est comme classe (c’est-à-dire, ici, exclusivement rapport au capital) autre chose.
C’est à ce moment que les conditions antérieures de la valorisation, et du cycle de luttes, sont déterminantes : contradiction entre prolétariat et capital se définissant au niveau de la reproduction de leur rapport ; disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital ; identité entre l’existence comme classe du prolétariat et sa contradiction avec le capital. Dans les deux textes de B.A, la lutte de classe ne nous conduit que d’échec en échec, elle ne produit rien, son « dépassement » n’est que la nécessité de faire autre chose. Bien sûr, il s’agit de faire autre chose mais cette autre chose est une production de la lutte de classe, un dépassement produit dans la lutte de classe.
Les objets sur lesquels la problématique de B.A en tant que théorie de l’activité de crise, se confronte à travers ses propres problèmes, ne sont pas représentés dans leur réalité « immédiate » mais reconstruits pour réfléchir non pas le problème auquel nous sommes confrontés (la lutte du prolétariat devenant « anti-prolétariat ») mais comme représentation d’un autre objet : « Avec le capital, la contradiction que matérialise le travail, et dont l’origine est l’inadéquation de la vie naturelle à l’essence subjective de l’homme, trouve sa pleine socialisation, et donc aussi la possibilité de sa résolution » (Travail, pp. 85-86)
L’antitravail
Le communisme n’est pas centralement l’abolition du travail, il n’est ainsi défini que dans un système théorique fondé sur l’analyse du travail, c’est-à-dire du rapport entre l’homme et la nature comme point originel de la théorie communiste. Ce qui importe en réalité c’est le rapport social qui fait que l’activité humaine est travail, l’important c’est alors l’abolition de ce rapport social, et non l’abolition du travail, terme auquel on ne peut reconnaître aucune dynamique intrinsèque, aucune valeur explicative théoriquement fondatrice[9].
L’impasse de la critique du travail réside dans le fait que l’on part de ce qui est reconnu comme déjà un rapport social, le travail, pour construire la suite historique des rapports sociaux. Pour sortir de ce cercle vicieux, B.A confère au « rapport social » qu’est le travail un contenu hybride de rapport social qui n’en n’est pas vraiment un : rapport social fondé sur une nécessité naturelle. Le travail évolue alors sans cesse entre rapport social et rapport à la nature. On a beau dire que le rapport à la nature est un rapport social, on est toujours contraint de le considérer comme un rapport social d’un type particulier dans la mesure où c’est sur lui, sur ses caractéristiques et ses contradictions, que l’on construit par la suite les rapports sociaux historiques déterminés. Le texte Activité de crise et communisation est un palimpseste, sous le texte trivial existe le texte sacré. Quand le prolétariat pille, s’empare des éléments nécessaires à sa survie et à sa lutte, il réalise la mission inscrite dans la contradiction du travail. Dans les deux textes de B.A, ce n’est pas le mode de production capitaliste qui est en contradiction avec lui-même, c’est la contradiction du travail dont le mode de production capitaliste est l’ultime manifestation qui, par lui, entre en contradiction avec elle-même. La lutte contre le travail qui n’est qu’un prédicat de la contradiction qu’est l’exploitation apparaît comme le sujet, et l’exploitation comme le prédicat.
Avec « l’antitravail » (cf. Astarian, Aux origines de l’anti-travail), des formes de luttes historiques spécifiques, lors de l’introduction du taylorisme et du fordisme, sont subsumées sous le concept d’« antitravail ». Il en est de même avec les luttes des O.S de la fin des années 1960 et des années 1970 qui sont bien sûr la référence obligée de toute théorie de l’« antitravail ». Mais si l’on regarde la réaction de la classe capitaliste à ces luttes (automatisation des « bastions ouvriers », délocalisations, augmentation du chômage), on s’aperçoit que cet « antitravail » était fortement dépendant d’une « identité ouvrière ». Ce qui a contrario laisse penser que cette vague des luttes autonomes et « antitravail » des années 1970 avait son fondement dans l’existence de bastions ouvriers, le bouclage de l’accumulation sur une aire nationale, un certain type de coopération dans le procès de travail, le plein emploi. C’est-à-dire non pas la « démassification » mais l’ouvrier masse et plus généralement : l’identité ouvrière.
Ce qui est en cause ce n’est pas la réalité des faits rapportés mais leur classement et interprétation idéologique sous le vocable d’« anti-travail »[10]. C’est-à-dire la construction théorique d’une contradiction entre prolétariat et capital s’originant dans l’essence du travail. La « démassification », quant à elle, renvoie également à des faits indéniables, le problème est qu’elle rend compte de ces faits en supposant un concept d’individu qui n’est que l’idéalisation de l’individu libre de la société bourgeoise comme « sujet » pour qui l’appartenance de classe est une contingence dont la « démassification » le débarrasse.
La critique du travail est la bouée de sauvetage théorique quand est devenu manifeste que la révolution ne peut plus être affirmation du prolétariat. Elle n’est pas le dépassement de cette situation révolue, mais son exact inverse, son reflet, son négatif. Si l’on fonde la possibilité de la révolution sur une critique du travail, cela entraîne, comme dans le texte de BA, que le dépassement du programmatisme est confondu avec son impossibilité achevée. Après la crise du programmatisme et sa décomposition, il ne peut rien advenir de nouveau si ce n’est le cours de cette décomposition allant vers son achèvement : au-delà de la « crise du travail », advenue il y a quarante ans, il n’y a rien que le communisme.
Il y aurait eu des restructurations mais la crise ne serait pas vraiment surmontée, la croissance serait essoufflée, le chômage persiste, le développement des pays émergents y compris la Chine ne serait qu’un « ballon d’oxygène », la financiarisation du capital productif qu’une « béquille ». La « critique du travail » ne permet pas d’aborder la restructuration positivement comme une transformation du rapport contradictoire entre les classes. Elle l’aborde négativement en termes de « liquidations » ou d’ « épuration ». On multiplie les restructurations pour occulter la restructuration (parler de restructuration, c’est parler de la restructuration du rapport ; parler de restructurations, c’est conserver l’invariance du rapport qui évolue dans un cadre changeant).
Dans la vision conseilliste et auto-organisationnelle, c’était par la critique de tout ce qui « l’articule » comme classe du mode de production capitaliste que le prolétariat devenait classe révolutionnaire. Cette vision s’est achevée dans les années 1970 sous la forme de l’idéologie de l’autonégation du prolétariat et de la critique du travail.
Les notions d’ « autonégation du prolétariat » et de « critique du travail » expriment, dans le cycle de luttes qui s’achève dans les années 1970, cette impossibilité d’un processus continu menant de la défense de la condition prolétarienne à la révolution. Face à cette situation dans laquelle la défense de la condition ouvrière n’était plus l’antichambre de la révolution, il était devenu commode d’opposer la situation de classe qui définit le prolétariat dans le mode de production capitaliste à sa véritable « nature révolutionnaire » qui n’existerait et n’apparaîtrait qu’en rupture avec son existence et son action de classe spécifique du mode de production, véritable nature que sa reproduction de classe masquerait. D’autant plus que la seule liaison pouvant alors exister entre la pratique immédiate de la classe dans le mode de production capitaliste et la révolution résidait dans toutes les pratiques pouvant manifester cette rupture avec cette intégration de sa défense et de sa reproduction : la conquête de son autonomie. « L’autonégation » du prolétariat fut alors l’aboutissement et le corollaire de l’autonomie, de l’auto-organisation. Ce n’était qu’en s’opposant à ce qui pouvait le définir comme classe du mode de production capitaliste que le prolétariat pouvait être révolutionnaire. Naturellement, le « refus du travail » ou « anti-travail », les émeutes, les pillages, les grèves sans revendication, devenaient l’activité par excellence sur laquelle pouvait se fonder cette « autonégation ».
De la fin des années 60 au milieu des années 70, toutes les actions par lesquelles le prolétariat manifestait le refus de sa condition ainsi que les impasses de l’auto-organisation, toutes les actions dans lesquelles apparaissaient la critique du communisme comme gestion, la reprise de l’autogestion par les syndicats, étaient comprises de façon positive comme la preuve que le prolétariat ne pouvait que se nier. La critique de l’auto-organisation, de la libération du travail, de l’idéologie gestionnaire, étaient la preuve et le fondement de la nécessité de la négation du prolétariat et même en étaient le procès pratique. Les limites et les impasses de l’ancien cycle étaient comprises positivement comme aboutissant à la négation du prolétariat.
Maintenant, dans le cycle de luttes actuel, la « critique du travail » se présente comme la résolution des contradictions de l’ancien cycle, mais une résolution qui ne le dépasse pas. Elle ne veut surtout pas de ce qu’elle occulte : la restructuration de la contradiction entre prolétariat et capital. Ce qui n’était que le point extrême de l’ancien cycle devient, une fois la contradiction entre les classes de cet ancien cycle dépassée dans la restructuration du capital, la forme idéologique et la pratique qui se donnent immédiatement pour le dépassement du capitalisme. A la fois expression finale de l’ancien cycle et de son échec, la « critique du travail » apparaît comme ayant eu raison par rapport à toutes les formes d’affirmation du prolétariat incluses dans cet ancien cycle et comme, dans le capital restructuré, la forme immédiate de son dépassement. Immédiate, car elle fait l’économie de reconnaître la restructuration pour elle-même, de façon positive, comme une nouvelle configuration de la contradiction entre les classes. Elle se contente de la considérer comme la perpétuation de la crise de l’ancienne phase de la subsomption réelle et comme l’échec de l’ancien cycle de luttes. La « critique du travail » se croit maintenant en adéquation avec la période historique et celle-ci lui donne immédiatement raison, la légitime et la confirme par la disparition, dans le cours immédiat des luttes, de toute identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital.
Quand agir en tant que classe est devenu, pour le prolétariat, la limite de son action en tant que classe, le prolétariat est à même, dans sa contradiction avec le capital qui est implication réciproque avec lui (l’exploitation), de se remettre lui-même en cause comme classe. Cette dynamique révolutionnaire (communiste) de ce cycle comporte immédiatement, de façon inhérente à elle, comme sa limite, ce par quoi elle n’existerait même pas : le prolétariat produit toute son existence en tant que classe dans le capital qui ne comporte plus aucune confirmation d’elle-même.
Au lieu d’être simplement attentif au cours de la lutte de classe pour y saisir comment ce problème est posé et comment s’y annonce sa résolution, il est beaucoup plus aisé d’en trouver la solution a-priori. La lutte de classe du prolétariat, dans sa manifestation immédiate comme classe du mode de production capitaliste, ne pourrait sortir de la « malédiction » de son implication réciproque avec le capital, la « solution » se trouve alors dans le fait qu’elle n’est elle-même que la manifestation d’un procès allant vers son but et qui la traverse. C’est l’increvable essence de l’homme ou essence du sujet et c’est la nécessité, dans le système, de « l’activité de crise ». Nous reconnaissons notre vieille ennemie, l’Humanité, qui sait si bien renaitre de ses cendres, car elle naît de la question même qui structure chaque cycle de luttes : comment une classe peut abolir les classes ? Elle naît de l’apparente aporie à laquelle la lutte de classe est confrontée, elle en naît et se présente comme la solution, chaque fois changeante, qui élimine le problème à partir de lui-même. Cette résurrection sera dans le programmatisme l’humanité du Travail, dans la crise du programmatisme, l’humanité du « refus du travail », dans l’abandon des classes, l’humanité de l’Humanité, et maintenant, dans la théorie de la communisation, l’humanité de la remise en cause par le prolétariat de son existence comme classe. B.A a réussi la synthèse de tout cela.
Dans ces deux textes, de même que l’appartenance de classe serait pratiquement déjà dépassée dans certains aspects de la lutte de classe, de même, avec « l’activité de crise », la révolution sera le fait de prolétaires ayant déjà abandonné leurs vieux habits de prolétaires. C’est ainsi que dans le cycle de luttes actuel est ressuscitée l’humanité. Un cycle de luttes qui annonce l’abolition de toutes les classes est inévitablement théorisé comme comportant déjà en son sein, potentiellement, le dépassement des classes, dépassement qui devient un abandon préalable par le prolétariat de son existence comme classe. Une théorie de la révolution communiste comme communisation inclut, comme une dérive nécessaire, son expression comme révolution humaine, dérive elle-même ancrée dans l’enjeu actuel de la lutte de classe : la remise en cause par le prolétariat de son existence comme classe dans sa propre action de classe.
Dans la théorie de la communisation, la confrontation avec l’humanisme est inéluctable dans la mesure où il renaît sur son propre terrain. Le concept d’« antitravail » ne se limite pas à prétendre rendre compte de certains aspects de la lutte de classe, il dit aussi pourquoi il fallait l’aliénation. C’est un concept humaniste et téléologique. Le prolétariat, agent de cette activité, est devenu le représentant plus ou moins contradictoire de « l’homme », du « sujet », etc. Pour cela même, parce qu’il n’est encore qu’un attribut de cette substance, parce qu’il est toujours englué dans l’aliénation, il est le dernier obstacle à abolir pour que la parousie s’accomplisse, abolition dont il se charge lui-même dans « l’activité de crise ». Tout le terrain a été déblayé pour qu’advienne la communisation qui était depuis toujours la vérité et la nécessité de cette « histoire ».
La « communisation-fiction » : c’est au présent qu’il faut parler de la communisation
« Ce n’est me semble-t-il qu’à l’échelle locale que la communisation peut faire la preuve qu’elle améliore tout de suite la vie des prolétaires en la transformant radicalement – en abolissant la classe – Or cet aspect est fondamental : les prolétaires font la révolution pour vivre mieux pas par idéal. » (ACC) ;
« Les “lieux de production” seront en fait des lieux de vie car toute « production » se construira comme une activité totalisante, et ce non pas pour la beauté de la totalité, mais parce que cela répondra aux nécessités de la lutte contre le capital (c’est moi qui souligne). » (ACC)
Sommes-nous ici dans le « communisme » ou dans la « communisation » : dans la « révolution communiste (c’est moi qui souligne) » comme le précise B.A ?
La nécessité de la lutte contre le capital dans la communisation ne se réduit pas à montrer la supériorité du communisme sur le capital, le capital c’est aussi la force physique, la violence de l’Etat quelles que soient alors les formes qu’il pourra revêtir. La nécessité de la lutte contre le capital nous amènera à produire des armes. A ce moment là, c’est une question de vie ou de mort que tel projet ne « reste pas en plan », que « les intrants soient fournis à temps ». Cela ne signifie pas la nécessité d’une régulation économique, d’une planification, cela signifie que dans la lutte contre le capital qu’est la communisation cette lutte est une nécessité interne des activités, interne à la non-séparation de l’activité et de son but. La communisation n’est pas le communisme comme semble le penser B.A qui confond les deux. Toute la description de la communisation est ici une description du communisme. La lutte contre le capital, donc son existence comme rapport social c’est-à-dire aussi comme violence organisée n’est considérée que du point de vue d’un auto-dépassement par les prolétaires de leur mode de vie. Dans la communisation, le capital ne se réduit pas aux vestiges de mauvaises habitudes prises par les prolétaires dans leur vie antérieure. Dans la communisation, l’abolition de toute forme d’échange, de la division du travail, du salariat, etc. restent encore des formes de luttes qui sapent les bases de la reproduction sociale de l’ennemi, et qui seulement, dans ce mouvement, par l’élimination du capital conquiert leur propre contenu. Si la communisation est « un processus » connaissant une « succession de moments » (ACC), il faut alors ne pas confondre communisme et communisation.
L’extension des mesures communisatrices n’est pas acquise. Elles sont des mesures qui se prennent contre le capital, les fondements de la reproduction de ses rapports continuent à exister même sous des formes « hétérodoxes » : achat-vente de la force de travail, échange, formes de « welfare de base » organisée par des Etats, ou autres recompositions institutionnelles. Elles sont, en outre, des mesures qui se prennent contre le capital dans une situation éminemment catastrophique : violences de tout ordre, famines, épidémies. Mesure-t-on bien ce que signifie l’effondrement du mode de production capitaliste, l’effondrement de tout ce qui faisait société ? Mais, la communisation développe ses propres contradictions. La plus simple de ces contradictions est qu’elle développe des formes de socialisation qui la fixe en tant que reproduction locale, autogestion de survie, formes bâtardes d’échanges. Les mesures communisatrices, en tant que moyens mis en œuvre en vue d’un résultat déterminé, peuvent elles-mêmes être le vecteur de ces fixations.
Il est une contradiction interne au processus révolutionnaire plus grave encore qui tient au processus même d’unification du prolétariat par son abolition, processus dans lequel il absorbe, contre la classe capitaliste, une grande partie de la société. Si le prolétariat s’unifie dans l’abolition de la valeur, sur cette base il devra englober, entraîner, une masse fantastique de paysans ruinés, de prolétaires de l’économie informelle, de couches intermédiaires socialement anéanties par son action, etc. qui appartiennent certes au cycle mondial du capital, qui sont exploités, mais souvent seulement comme échangistes. Là, le mode de production capitaliste possède une masse de manœuvre physique et sociale qui peut faire frémir. Là se trouve aussi la possibilité d’une multitude de petites guerres barbares.
B.A, dans le dernier chapitre de son second texte, sous le titre de « Communisation » décrit en fait le communisme. Mais si la communisation est le communisme contre le capital, alors elle n’est pas le communisme. On ne peut confondre les deux et se contenter d’ajouter que cela est fait dans la lutte contre le capital, si cela est fait dans la lutte contre le capital, cette lutte est encore une nécessité interne de ce que l’on fait et en détermine le contenu. Ainsi « la circulation des individus remplaçant la circulation des biens » (ACC) : encore faut-il pouvoir circuler. La communisation n’est pas une alternative, le prolétariat ne fait pas sécession.
La communisation, mal connectée avec le contenu et la structure de la contradiction actuelle entre prolétariat et capital, c’est-à-dire le cours ordinaire des luttes, tend à devenir une alternative au capitalisme et au programme : « Le propos de ce document de travail est de présenter l’alternative dite communisatrice au schéma programmatique. Cette alternative est nouvelle à l’échelle de l’histoire, puisqu’on peut en fixer la naissance à la crise des années 60-70. » (ACC). Ce ne sont plus que deux versions de la théorie communiste qui s’affrontent : « Il y a là un élément d’analyse important pour comprendre la différence entre la version programmatique et la version communisatrice de la théorie communiste. » (ACC). Ce qui compte alors ce n’est pas le mouvement qui le produit mais le débouché que la théorie présente : « la sortie de crise ». Ce qui compte c’est « la communisation fiction ».
C’est bien de « l’acte de production » « dans la révolution communiste » dont nous parle B.A quand il écrit que « l’activité aura trouvé sa justification en elle-même avant même d’avoir un résultat productif ». Cela est exact dès la communisation, mais peut-on dire cela sans problème de l’emparement de stocks d’armes, de leur production, ou du détournement de toutes sortes d’engins à des fins de violence sociale ? Que l’on ne me dise pas que je parle ici de « guerre » de « prise du pouvoir » ou de « front ». La diffusion du processus de communisation, son localisme, sur lequel B.A insiste à juste titre, n’exclut pas, loin de là, la violence qui n’est qu’une facette du fait que dans la communisation nous sommes toujours embarqués dans un rapport contradictoire au capital et non dans une alternative. On n’abolit pas le capital pour le communisme mais par le communisme, plus précisément par sa production. En effet, les mesures communistes doivent être distinguées du communisme : ce ne sont pas des embryons de communisme, c’est sa production. Ce n’est pas une période de transition, c’est la révolution, la communisation n’est que la production communiste du communisme. La lutte contre le capital est bien ce qui différencie les mesures communistes du communisme. L’activité révolutionnaire du prolétariat a toujours pour contenu de médier l’abolition du capital par son rapport au capital, ce n’est ni une branche d’une alternative en concurrence avec une autre, ni un immédiatisme du communisme.
Toute la dérive commence avec la nécessité de cette étape conceptuellement fluctuante et floue de « l’activité de crise », la communisation est avant tout dans ces textes une activité du prolétariat sur lui-même, la lutte contre le capital n’est qu’une cadre dans lequel tout cela se passe. Le capital n’est présent dans ce processus que par les effets qu’il peut avoir en tant que permanence du prolétariat, il n’existe jamais en propre comme rapport social, donc classe, donc violence organisée. La dérive s’achève avec la confusion entre communisation et communisme.
On peut dire que la révolution est communisation, qu’elle n’a pas le communisme comme projet et résultat, mais comme contenu. Mais si l’on ne montre pas que ce contenu de la révolution comme communisation est annoncé dans les luttes actuelles, dans le cours ordinaire des luttes, chaque fois que le fait même d’agir en tant que classe apparaît comme une contrainte extérieure, une limite à dépasser, on a séparé le dépassement de son mouvement de production, on a énoncé un nouveau programme. Au mieux, on picotera, dans le cours ordinaire des luttes, quelques éléments indicatifs adéquats à la norme ainsi fixée. Le « mouvement théorique itératif » entre la situation actuelle et le communisme que B.A affirme définitoire de la théorie communiste (conclusion de ACC) s’effectue en sens unique, c’est la fin qui est première vis-à-vis d’éléments reconstruits conceptuellement selon les besoins de cette « définition positive du communisme ».
La communisation et le communisme sont des choses à venir, mais c’est au présent que nous devons en parler.
La grande absente du premier texte c’est la lutte de classe en tant que présent, le grand problème du second, c’est de la faire disparaître dans « l’activité de crise ». Pour parler de la production du dépassement, on ne peut pas se contenter d’évoquer vaguement des « aspects actuels » de la lutte de classe, il faut exposer que c’est la lutte de classe qui est, à l’intérieur d’elle-même devenue le problème.
Dans les textes de B.A, la « communisation-fiction » est un exercice imposé par la problématique. En effet, d’une part on a d’autant plus besoin de cette description que l’on ne maîtrise pas la production du communisme à partir de la lutte de classe, que l’on ne parvient pas à produire le processus qui va des luttes actuelles à la révolution, d’autre part, le système, supposant constamment le métasystème, fonctionne à la finalité. La production d’une description positive du communisme devient alors le point central de la production théorique. L’idée du communisme semblant précéder la lutte de classe, il devient très difficile de dire d’où l’on parle du communisme. Le communisme, dans sa description, est présenté comme un choix de société, comme une « alternative » il vient au terme d’une lutte de classe qui en tant que telle comme le dit le second texte ne donne que des « indications ». Le cours ordinaire des luttes n’est que la reproduction du rapport capitaliste par des masses routinières, il est rejeté hors de la théorie comme une sorte de préambule dont on a pas grand-chose à faire et dont on ne se mêle qu’avec circonspection en attendant le stade intermédiaire entre « le cours ordinaire » et la communisation, car il faut alors un stade intermédiaire où le théoricien de la communisation commence à se sentir chez lui, le stade de l’ « activité de crise » où la classe n’étant plus tout à fait la classe les choses sérieuses pourraient, pour le « théoricien du communisme », commencer.
Une idéologie (2)
B.A cherche à répondre aux problèmes réels de son époque : la disparition (toujours problématique) du programmatisme ; la restructuration du capital en une seconde phase de la subsomption réelle ; l’appartenance de classe devenue limite de la lutte de classe. Mais avec la « critique du travail », « l’activité de crise » venant « résoudre » le fait que les luttes ordinaires ne pourraient être qu’affirmation du travail et défense de la condition prolétarienne, il ne le fait qu’épuiser la vieille problématique du programmatisme face aux problèmes nouveaux que lui pose l’époque.
B.A répète à mainte reprises que « la théorie communiste et la notion même de communisme ont aussi une histoire » (ACC), que « La société communiste projetée à chaque époque a revêtu des caractéristiques propres dérivées de la conformation historique du rapport entre le capital et le prolétariat. » (ibid). Cependant surgit rapidement un problème : « S’il y a des éléments invariants, le communisme de 1848 ou de 1918 n’est cependant pas le même que celui d’aujourd’hui. ». Nous voilà donc avec la sagesse habituelle du noyau dur et des scories historiques. Quels sont les éléments du noyau dur, quelles sont les scories, quels rapports les uns entretiennent avec les autres, comment les départage-t-on ? La question n’est même pas entrevue tant la problématique idéaliste du réel comme amalgame de l’essentiel et de l’inessentiel, du contenu et de la forme, semble toujours spontanément aller de soi.
Comme l’homme, l’invariance est une illusion d’optique. L’« invariant » n’est rien d’autre qu’une abstraction de l’histoire antérieure, une abstraction de l’influence active que l’histoire antérieure exerce sur l’histoire récente.
Notre conception actuelle de la révolution et du communisme est un résultat, le résultat ne préexistait pas en germe, en tendance dans l’histoire antérieure, ce n’est pas « l’invariant » enfin pur de ses scories. Car cet « invariant » est bien sûr ce que nous entendons maintenant par révolution et communisme. Pour nous, maintenant, toute l’importance des révolutions et des perspectives communistes antérieures réside dans ce qui nous apparaît comme leurs contradictions internes, dans leur échec tel qu’il se produisit dans les termes mêmes où ces luttes existaient et étaient vécues. C’est par tout ce qui pratiquement et théoriquement fait pour nous maintenant, de ces échecs, l’impossibilité de ces révolutions que nous nous relions à l’histoire des luttes passées et à la continuité de la production théorique.
La conséquence principale de cette conception d’éléments invariants est de supposer un déroulement linéaire et seulement quantitatif de la contradiction entre le prolétariat et le capital. Il s’agit toujours d’un plus dans une direction unique déjà donnée : l’individualisation, la « négation de la classe » (l’innessentialisation du travail comprise comme un mouvement tendanciel). C’est un invariant de la contradiction et de son dépassement qui se module historiquement ; « Par rapport aux conditions générales d’une révolution communiste telles que nous les avons analysées plus haut, quelle est la spécificité de la période actuelle ? Disons tout de suite que celle-ci offre les meilleures conditions d’un dépassement du capitalisme que jamais (c’est moi qui souligne) : c’est le propre de toute nouvelle crise puisque la contradiction entre les classes ne va jamais en s’amoindrissant au cours de l’histoire. » (ACC). Cette contradiction ne se transforme pas, ne se structure pas différemment, elle est toujours identique, elle ne fait que grossir. Tout est question de conditions. « Si l’insurrection constitue, à toutes les époques de l’histoire du prolétariat, une phase aiguë d’individualisation, cette caractéristique s’accentue cependant avec le temps (c’est moi qui souligne) » (ACC). Nous avons affaire à un déroulement linéaire et quantitatif, il n’y a pas de changement de structure de la contradiction et de son dépassement mais seulement un approfondissement. Les « caractéristiques propres » à chaque époque ne sont qu’une modulation de l’identique.
On sait très bien que ce n’est pas la réponse qui fait l’idéologie, mais la question même qu’elle pose. C’est dans la question elle-même, c’est-à-dire dans la façon de réfléchir un objet (et non dans cet objet lui-même) qu’il faut chercher la mystification idéologique (ou au contraire le rapport authentique à l’objet). Ainsi la séparation entre d’une part le travailleur et d’autre part le produit de son travail et son activité elle-même pourra être conçue comme exploitation ou comme devenir contradictoire du travail. Dans le premier cas, on a un rapport authentique à cet objet (la séparation), car on en fait un objet doué de sens (un objet construit, une “objectivité constituée”) sans en faire lui-même le sens d’un autre objet : on aura le capital, le travailleur salarié, l’achat-vente de la force de travail, la subsomption du travail sous le capital. L’objet est construit sans sortir de son immédiateté, même si le réel n’est pas l’empirique.
Dans le second cas, on a un rapport idéologique à cet objet, car on en fait un objet doué de sens comme représentation d’un autre objet : la scission de l’activité humaine comme sujet et comme objet, elle-même rapportée à une réalité non-divisée mais expliquant la division, on ne l’aborde pas dans son immédiateté, c’est le jeu de miroirs des idéologies.
Par exemple ce que dit B.A sur de nombreuses questions ou de nombreux faits de la lutte de classe actuelle est tout à fait pertinent et je partage un grand nombre de ses analyses sur les émeutes au Bengladesh, la question de l’unité du prolétariat, la critique du programme et de la gestion ouvrière ou plus généralement sur ce que peuvent être la révolution comme communisation ou le « fonctionnement » d’une société communiste (si l’on s’en tient à la pure description). La profonde divergence commence avec la représentation de ces faits et de ces analyses dans une problématique inadéquate et inauthentique dans la mesure même où cette représentation a pour effet de ne faire prendre sens à ces faits que comme représentation d’autre chose et de les faire disparaître. Chaque fait, chaque question n’est chez B.A que le reflet d’un concept qui n’a de sens que dans un système de concepts. Le problème n’est pas dans l’élaboration d’un système de concepts mais dans le fait qu’ici ce système n’est pas le « concret de pensée » de ces faits mais leur raison d’être. Un système qui sans cesse double le réel d’un autre niveau de réalité. Cela ne va pas sans modifier ce que l’on se proposait d’étudier et d’élucider.
Ainsi, par exemple, le prolétaire chômeur, n’est plus simplement un prolétaire chômeur donc membre d’une classe, etc., mais il devient le pur sujet séparé de son objectivité et contraint de redéfinir sa « détermination naturelle » en dehors de la « propriété » dans un rapport subjectif à lui-même où il devient « sujet à par entière » au lieu de « sujet partiel ». Ainsi le prolétaire est devenu autre chose et la question de « l’activité anti-prolétariat du prolétariat » trouve sa réponse en dehors d’elle-même dans une solution existant dans un autre système de concepts où elle trouve sa place non plus réellement, concrètement, dans sa dynamique propre d’objet particulier, mais comme pièce d’un puzzle idéologique qui a sa propre existence, sa propre dynamique. Le prolétaire chômeur est devenu l’incarnation d’un concept. Chaque élément profane possède son double sacré dont il n’est que l’image, ce qui fait que chaque problème auquel ce système idéologique est confronté ne sera pas abordé et résolu dans ses termes propres mais dans ceux de sa représentation où il a déjà sa place.
R.S
[1] Avec les revues Négation puis Crise Communiste, Bruno Astarian a participé au milieu théorique dans lequel, aux débuts des années 1970, s’est forgé le concept de communisation. Il a publié en 1998 la revue Hic Salta (un numéro paru) et est l’auteur aux Ed. Senonevero (2001) de Le travail et son dépassement. Depuis plusieurs années il collabore régulièrement à la revue Echanges dans laquelle il a publié de nombreux articles notamment sur les émeutes de Los Angeles de 1992, le mouvement luddite, les luttes en Chine. Il est l’auteur de plusieurs brochures publiées par Echanges : Le mouvement des piqueteros, Argentine 1994-2006 ; Aux origines de l’anti-travail ; Les grèves en France en mai-juin 1968. Récemment (2009) il a publié aux Ed. Acratie : Luttes de classes dans la Chine des réformes, 1978-2009. Depuis son livre Le travail et son dépassement (publié en 2001 mais achevé en 1993) Bruno Astarian construit, en pointillés, une ligne théorique et historique de la contradiction entre le prolétariat et le capital dont les références sont « l’antitravail » et les mouvements sociaux qui, conçus comme un certain « en dehors » du rapport capitaliste, ou plutôt du rapport salarial, seraient contraints de ce fait d’expérimenter d’autres rapports sociaux, ce qu’il analyse au travers du concept central de sa problématique : l’activité de crise.
[2] Ayant commis l’erreur de demander à l’auteur l’autorisation de publier son texte et celui-ci ayant réagi en tant que tel en nous la refusant, nous nous contenterons d’en citer de larges extraits et de renvoyer à l’intégralité du texte sur les sites Des nouvelles du Front (dndf…) et Trop loin.
[3] Nous citerons par l’appellation Travail le livre de B.A Le travail et son dépassement, Ed. Senonevero, 2001.
[4] La Nouvelle Gazette Rhénane revue est une publication mensuelle qui ne connut que quatre livraisons entre 1850 et 1851 qui devait poursuivre le travail du quotidien La Nouvelle Gazette Rhénane publié en 1848 et 1849.
[5] La contingence de l’appartenance de classe définit un individu contingent c’est-à-dire un type d’appartenance à la communauté et non un individu personnel pour lequel l’appartenance ou la relation à la communauté serait contingente. La contingence elle-même n’est pas contingente.
[6] On attendrait plutôt ici « capital constant ».
[7] L’utilisation de guillemets à « travail », « propriété », « surproduit » s’explique par la signification particulière de ces concepts dans les textes de B.A. Ils sont constamment doubles : leur sens dans le mode de production capitaliste renvoie constamment à un autre sens dans un métasystème par lequel seulement ils auraient un sens dans le mode de production capitaliste.
[8] « C’est dans le rapport des classes et nulle part ailleurs que, tout au long du cycle de l’aliénation, on trouve le rapport de l’home à soi comme sujet en devenir » (Travail, p. 75)
[9] Il est nécessaire de produire, à partir du travail salarié, un concept de travail différent de celui de travail salarié, parce que le communisme est l’abolition du travail, mais ce concept ne doit pas être la simple somme des formes historiques du travail ni devenir le fondement, la raison d’être, de l’histoire. Il doit être une abstraction à partir du travail salarié qui nous dit pourquoi l’abolition du travail salarié est l’abolition du travail, c’est-à-dire l’abolition de l’accession à l’autonomie des moments de l’activité humaine en ce qu’elle est individuelle et sociale, l’abolition de l’accession à l’autonomie non de leur différence. L’activité est toujours individuelle et sociale, mais l’activité, en tant qu’elle est individuelle et en tant qu’elle est sociale, s’est jusqu’à maintenant toujours scindée et le caractère social est précisément ce qui existe comme détachée des individus. Le rapport de ces individus et leur activité revêtent alors une existence objective séparée d’eux. Avec le communisme, les rapports entre les individus ne sont plus soumis à, médiés par, l’activité de l’homme comme être objectif, qui, de médiation entre l’activité sociale et individuelle, dont la non-coïncidence historique n’a pas à être produite, devient la maîtresse du rapport. C’est cette activité comme médiation que l’on peut définir comme étant le travail en tant qu’abstraction distinguée de ses formes historiques particulières. Le travail en général est un concept, c’est-à-dire une abstraction du développement historique réel permettant de le construire comme concret pensé. Il n’est pas ce qui aurait produit l’histoire, ce qui aurait fait qu’il y a eu aliénation et histoire. Le grand danger, c’est d’effectuer le « saut métaphysique » qui fait passer le concept comme concret pensé au concept comme dynamique de l’histoire, comme ce qui ferait qu’elle a eu lieu. L’histoire n’a jamais à être produite, c’est là la frontière du matérialisme.
[10] Ce qui ne va pas sans un découpage des faits adéquat au concept dans lesquels on les construit.
“Il y aurait eu des restructurations mais la crise ne serait pas vraiment surmontée, la croissance serait essoufflée, le chômage persiste, le développement des pays émergents y compris la Chine ne serait qu’un « ballon d’oxygène », la financiarisation du capital productif qu’une « béquille ». La « critique du travail » ne permet pas d’aborder la restructuration positivement comme une transformation du rapport contradictoire entre les classes. Elle l’aborde négativement en termes de « liquidations » ou d’ « épuration ». On multiplie les restructurations pour occulter la restructuration (parler de restructuration, c’est parler de la restructuration du rapport ; parler de restructurations, c’est conserver l’invariance du rapport qui évolue dans un cadre changeant” R.S.
Je me pose cette question : y-a-t-il équivalence entre restructuration du rapport du rapport d’exploitation, et d’autre part “restructuration” sociale ?
Je constate que les tendances à la désindustrialisation des centres est à l’oeuvre depuis les années 60, la marginalisation d’une part croissante de la population également ( les nombreuses facettes du mouvement contestataire, notamment, mais non seulement, au USA laissent apparaître cette marginalisation comme choisie dans les communautés urbaines ou non..). S’il y a eu restructuration, à partir des années 70-80, c’est à mon sens une crise restructurée, car la dynamique de cette restructuration génère structurellement l’exclusion des prolétaires et la baisse des revenus salariaux, ou leur stagnation, de plus, dès la fin des années 90, c’est-à-dire, moins d’une dizaine après le début du procès de restructuration, de nombreuses crises (bulles Asiatique, Amérique latine, stagflation au Japon, accord de La Plaza -1995) secouent et conforment un paysage instable, en restructuration continue.
Du point de vue social, c’est-à dire de celui des restructurations, des liquidations, du chômage, de la précarité..;etc, il s’agit de la restructuration de la crise, d’une extension et d’une intensification de celle-ci, d’une intégration de la crise comme moteur et stucture. C’est pourquoi il me semble vain d’opposer la restructuration des années 70-80(réellement existante) et la continuation en approndissement de la crise générale de la période qui la précède et la comprend comme crise des relations sociales. Cette crise sociale latente et continue, depuis les année soixante ne s’est pas estompée dans les années suivantes, s’enrichissant, au contraire de nombreuses déclinaisons : écologisme, ethnicisme, remise en question des rapports de genre…
La restructuration des années 70-80 se présente à moi comme ayant ce caractère double : restructuration du rapport d’exploitation/ destructuration sociale.
Le mode de production capitaliste est une relation de classes, dont l’extraction de plus-value et l’exploitation de la force de travail spécifiée salariée sont les spécificités; s’il est exact que cette systématique façonne et informe tout le résultat ultérieur, il n’en demeure pas moins que les bases historiques qui ont permis, et obligé, le dévellopement de ce mode fondée sur l’exploitation de la force de travail demeurent en ce mode comme limites indépassables par lui. Le mode de production se heurte aux limites imposés par ce sur quoi il s’élève ,qu’il recombine et conforme. Ce sont les relations sociales, relations à la nature de l’homme, transcendance, domination de genre. Et si le mode se heurte à ces limites, il le fait à sa manière : crise-restructuration.
Tant que restructuration du rapport et cohésion sociale coîncident -au moins approximativement, mais massivement- c’est qu’il y a restructuration à un niveau supérieur qui permet ce remodelage positivement, sinon celui-ci s’avère en équilibre instable, et en évolution confuse mais rapide.
Le mode de production actuel qui entraîne et comprend en son sillage et , tant dans sa dynamique que dans ses limites, les relations de classes qui le fondent historiquement est entré en crise profonde dans les années 60, la restructuration est part intégrante de cette crise, longue, et multiforme. Les tendances apparues dès la fin de l’après-2ème Guerre mondiale, après la période de reconstruction, n’ont fait que s’amplifier, devenant le moteur même de l’accumulation capitaliste et de l’exclusion sans cesse croissante d’une partie de la force de travail. La restructuration s’inscrit, à mon avis, dans une perspective de continuation de la crise générale, du mode et des bases qui le sous-tendent.
Je ne comprends pas bien ton intervention – ni en quoi elle se rattache au texte de BA et à sa critique, mais ça c’est pas grave.
Tout semble se passer pour toi comme si le capitalisme restructuré n’était que la crise du fordisme comme idéal du capitalisme (croissance, Etat providence, etc…). Les crises sont des moments de l’histoire du capitalisme, comme lutte de classes, pas seulement comme économie et comme “social”. Il y a un avant et un après chaque crise, mais dans la crise, il y a une activité du capital par laquelle il intègre la lutte du prolétariat : subsomption. De la crise fin60-début 70, il se restructure dans un processus de 15-20 ans, pour produire un système à prendre comme tel, et non en référence à la période précédente dont il serait la crise permanente.
Nous ne sommes depuis 30-40 ans ni dans une crise permanente ni dans une restructuration permanente. La restructuration s’achève à la fin des années 90, et le marqueur en est la fin des luttes traînant le boulet programmatique, après la “désinsdustrialisation des centres” (sidérurgie, mines, c’est massivement fin des 70 début des 80, + secteur automobile, modifications technologiques de la production et recomposition de la classe ouvrière avec la fin de l’aristocratie des OP et de “l’ouvrier-masse”).
Le capitalisme restructuré est un système qui a fini par trouver sa cohérence en sortant de la nécessité keynésienne d’assurer la reproduction de la force de travail dans une forme confirmant l’identité ouvrière, qui fondait le mouvement ouvrier comme programmatiste, concurrent du capital en son sein. Il a inventé ses propres caractéristiques en dépassant les limites du fordisme, la reproduction bouclée sur des aires nationales, liquidé les obstacles dans tous les moments du procès de production-circulation de la valeur. Il fonctionne comme tel, sur ses propres bases de façon cohérente, mondialement. Tout ce que tu décris comme “crises” ne sont pas les effets d’une “continuation de la crise générale”, mais les produits plus ou moins dérivés de contradictions dans les spécificités de cette forme historique du capital, sa caractéristique la plus intéressante pour nous étant que l’enjeu de la lutte de classes est leur reproduction même, qui se posera comme immédiateté dans la crise économique proprement dit.
Si le capitalisme actuel paupérise absolument, ce n’est pas parce qu’il est en crise, c’est sa nécessité pour maintenir le taux de profit. La précarité généralisée n’est pas un produit de crise, mais la caratéristique “normale” du salariat.
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Sur les commentaires RS as BA, je les trouve beaucoup plus clairs et convaincants que les précédents, sans doute à cause des nombreuses citations faisant le lien entre “Le travail et son dépassement” et les textes récents.
“Je ne comprends pas bien ton intervention – ni en quoi elle se rattache au texte de BA et à sa critique, mais ça c’est pas grave.” Patlotch
Explicitement à la citation en tête de mes mals à propos : le restructuration façon TC/R.S. est utilisée comme argument dans les critiques des thèses de Bernard Astarian, et pour moi cette vision de la crise et du capital restructuré (façon TC/RS) n’est pas exempte d’ambigûités, voire de points, pour moi, non résolus.
Il n’est pas nécessaire de considérer comme cela est répété, pour servir d’argument, que : la période précédente n’est pas la référence, etc…Je constate que la crise sociale engendrée dès la fin des années soixante se poursuit, sous des formes diverses, et qu’il n’ ya pas besoin de se référer à quoi que ce soit pour considérer cela en soi, comme crise.
De la même façon : “De la crise fin60-début 70, il se restructure dans un processus de 15-20 ans, ”
“(Patlotch), ce qui donne 85 à 90, si je ne m’abuse, or dès les années 95 les crises de tous ordres se succèdent (Asiatique, Sud-Américaine) puis en 2000 (bulle internet), ce qui implique une durée très brève sans crises, environ 10 ans -maximum -. IL est restructuré et en crise.
D’autre part”Si le capitalisme actuel paupérise absolument, ce n’est pas parce qu’il est en crise, c’est sa nécessité pour maintenir le taux de profit. La précarité généralisée n’est pas un produit de crise, mais la caratéristique “normale” du salariat.”(Patlotch). A ce moment-là, c’est toi qui dicte la normalité; tu dis c’est ce qui est normal, les guillemets n’y font rien; Il est en crise parce qu’il est nécessaire pour lui de maintenir le taux de profit, de cette façon, il est en crise parcequ’il est nécessaire pour lui de l’être.
De la même manière que multiplier les restructurations fait écran à la restructuration (au sens systémique), on multiplie les crises et on ne sait plus les articuler à celles du capital dans leurs spécificités – crises commerciale, monétaire, financière, industrielle -, mais toujours comme moment problématique pour réaliser la valeur additionnelle, à une échelle plus ou moins grande et touchant tel moment du procès d’ensemble. Je me souviens encore du PCF qui parlait dans les années 70 de “crise sociale, économique, politique et morale…” un fourre-tout qui ne veut rien dire, ou du moins n’a aucune substance théorique – si ce n’est alors, de loin, les vieilleries de Boccara sur le Capitalisme monopoliste d’Etat. Parler vaguement de “crise sociale”, “considérer cela en soi, comme crise”, évidemment cela parle à tout un chacun, parce que ça recoupe tout un tas de phénomènes, de “vécus” concrets, mais ça n’explique rien tant que l’on ne les rattache pas aux connections intimes du rapport social comme rapport de classes.
15-20 ans j’étais un peu court, on peut rajouter 10 ans.
Je te concède que “normale” n’est pas bien choisi, mais ne dicte pas une normalité. Je veux dire que la précarité définissant le salariat est un produit historique de la restructuration, c’est le cours quotidien du capitalisme tel qu’il est devenu aujourd’hui, non une situation de crise larvée, qui renverrait à un fonctionnement “normal” du capitalisme, sans contradictions. Evidemment qu’il y a toujours un risque de ne pouvoir transformer la plus-value en capital additionnel, qu’il est permanent, mais la restructuration a eu justement pour fonction de réguler ce problème, et pour l’heure, le capital général, mondial, est toujours retombé sur ses pieds, quitte à ce qu’en crèvent dans la concurrence pour la péréquation du taux de profit des capitalistes individuels, sectoriels, mais cela ne relève pas d’une situation de crise ouverte. Banaliser “la crise” ne peut que renvoyer à un idéal du capitalisme, dans la confusion entre crise et contradictions qui sont et font l’histoire du capital.
Je prends “crise” au sens fort, qui se présente comme impossibilité pour un temps de réaliser la valeur additionnelle. C’est au sens de théorie des crises dans la tradition marxiste.
Une petite citation, pour la route, en relation avec “Crise et théories des crises” RS 2009 :
« Ainsi les crises de la production capitaliste sont-elles toujours simultanément des crises de suraccumulation du capital (productif) et de surproduction de marchandises. Elles se caractérisent à la fois par la baisse du taux de profit, l’insuffisance vaorisation du capital, l’incapacité de produite (accumuler) du capital additionnel; ET par l’encombrement des marchés, l’insuffisance des débouchés, la baisse générale des prix, etc. On ne peut pas séparer ou opposer ces deux aspects de la crise capitaliste, comme l’ont tenté certains continuateurs ou commentateurs de Marx, en privilégiant l’un par rapport à l’autre. Ce sont là les manifestations, nécessairement conjointes, des deux aspects, qualitatif et quantitatif, de la même contradiction fondamentale de la mise en valeur du capital, qui peuvent cpendant se trouver diversement accentuées au sein des crises structurelles successives ou des phases successives d’une même crise structurelle » Alain Bihr, La reproduction du capital, tome II, p 227-228, 2001.
@A.D.
AD la période précédente n’est pas la référence, etc…Je constate que la crise sociale engendrée dès la fin des années soixante se poursuit, sous des formes diverses, et qu’il n’ ya pas besoin de se référer à quoi que ce soit pour considérer cela en soi, comme crise.
C’est pas un peu contradictoire dans les termes ? Si “la crise sociale engendrée dès la fin des années soixante se poursuit”, c’est bien qu’elle est prise comme “référence”. Dire que le capital “est restructuré et en crise”, celle-ci vue comme “poursuite” de celle “engendrée dès la fin des années 60”, cela revient à gommer la restructuration comme définissant une nouvelle période, et partant un nouveau cycle de luttes, où la lutte de classes pose directement comme enjeu, pour chacune dans son implication avec l’autre, sa reproduction. 1968 et les années qui suivent produisent la fin du programmatisme et ouvrent une nouvelle période dans la subsomption réelle. C’est, au bout de la restructuration, un changement qualitatif dans le système, dont les crises, depuis, ne sont pas de la même nature que celles de cette époque. Ce sont des crises sur la base de ses caractéristiques spécifiques, globalement décrites comme “mondialisation”.