La révolte syrienne inquiète les Libanais
Qu’ils soient amis ou ennemis du régime syrien, les Libanais observent avec inquiétude ce qui se passe chez leur voisin en proie à un mouvement de contestation sans précédent. Une éventuelle déstabilisation de la Syrie pourrait avoir de graves répercussions sur le Liban.
Les alliés de la Syrie au Liban, avec à leur tête le Hezbollah et le leader chrétien Michel Aoun, sont inquiets d’un éventuel effondrement du régime syrien. En revanche ses ennemis, plus précisément le Courant du Futur conduit par le Premier ministre sortant, Saad Hariri, prient pour la chute du président Bachar el-Assad. Mais tous sont conscients que la déstabilisation de la Syrie aura certainement des conséquences dévastatrices sur le Liban.
A part la géographie -230 kilomètres de frontière commune-, les deux pays sont liés par l’histoire, la culture, la langue, la démographie, l’économie et la géopolitique, et partagent un passé tumultueux.
Liz Sly, envoyée spéciale du Washington Post à Beyrouth, écrivait lundi 1er mai, que « la chute du président Bachar el-Assad provoquera un chaos cataclysmique, un conflit sectaire et une explosion des extrémismes, bien au-delà des frontières syriennes».
Hilal Khachan, professeur de Sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) est du même avis : « si le régime s’effondre, il y aura une guerre civile qui s’étendra à toute la région, frappant le Liban, l’Irak, l’Arabie saoudite et plus loin encore. La chute du régime syrien constitue un scénario apocalyptique pour tout le Moyen-Orient»l.
Acteur-clé au Moyen-Orient
Bien plus que l’Egypte de Hosni Moubarak, la Syrie de Bachar el-Assad est un acteur-clé au Moyen-Orient et contribue, par conséquent, à la constitution des rapports de forces régionaux. Son influence est importante en Irak, déterminante sur la scène palestinienne et incontournable au Liban. La disparition du régime ou son affaiblissement d’une manière significative, auront forcément des répercussions sur les équilibres régionaux qui impliquent Israël, les Etats-Unis, l’Iran et les pays arabes alliés des Américains. Damas apporte en effet un soutien multiforme au Hezbollah libanais et au Hamas palestinien et fournit une couverture arabe à l’Iran qui l’aide à étendre son influence jusqu’à la Méditerranée.
Mais au-delà de ces enjeux géopolitiques, le Liban est déjà directement touché par les troubles qui secouent la Syrie depuis le 18 mars. L’afflux au Liban de 1500 réfugiés syriens en l’espace de 48 heures, la semaine dernière, est un petit exemple du problème humanitaire qui peut apparaitre en cas de crise majeure. Ces réfugiés ont fuit leur village de Tall Kalakh, près de Homs, pour trouver refuge chez des amis et des proches dans la région de Wadi Khaled, à l’extrême nord du Liban. Si un tel scénario se reproduisait dans d’autres villages frontaliers, le pays du cèdre verrait des dizaines de milliers de personnes déferler sur son territoire.
Sur le plan économique, la Syrie constitue le seule débouché du Liban sur l’Irak et les Etats arabes du Golfe. Le transit des marchandises entre le port de Beyrouth et ces pays constitue un poste essentiel de recettes pour le Trésor. Lors de l’annonce de la fermeture de la frontière syro-jordanienne, lors de l’entrée de l’armée syrienne à Deraa, le 25 avril, le transport des marchandises a été sérieusement perturbé et des longues files de camions ont été bloquées à la frontière libano-syrienne. Par ailleurs, la place financière syrienne est importante pour les banques libanaises qui ont ouvert des dizaines de branches en Syrie, ces six dernières années, à la faveur de la libéralisation économique amorcée par Bachar el-Assad.
Crise politique
Politiquement, les accusations lancées par les autorités syriennes sur l’implication présumée de personnalités libanaises dans les troubles en Syrie ont provoqué une vive polémique au Liban. Les amis de Damas réclament l’ouverture d’une enquête, alors que ses ennemis dénoncent les pressions de la Syrie et «ses tentatives d’exporter vers le Liban ses problèmes internes».
Cependant, la conséquence politique la plus grave reste l’impossibilité des Libanais à former un gouvernement depuis plus de trois mois. Occupée par ses propres affaires, la Syrie n’a ni le temps ni les moyens d’intervenir pour accélérer la formation du gouvernement. Ses alliés, qui ont fait tomber le cabinet de Saad Hariri, le 11 janvier, ne parviennent toujours pas à prendre le pouvoir, bien qu’ils disposent désormais d’une légère majorité parlementaire.
Sans gouvernement, le Liban va à vau-l’eau. L’administration et l’économie roulent au ralenti et le relâchement sans précédent de l’autorité de l’Etat se traduit par une vague de constructions illicites dans de nombreuses régions, des mutineries dans la principale prison du pays et une détérioration de la sécurité. Et si la situation se dégrade en Syrie, le pire est à venir au Liban.
L. Mouaoued/RFI
Par Paul Khalifeh
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