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L’Espagne s’interroge sur l’avenir du mouvement des indignés

A Madrid, la Puerta del Sol, devenue depuis un mois le campement des “indignés” espagnols, a presque retrouvé lundi son apparence habituelle. Dimanche, les manifestants ont démonté leurs installations, laissant seulement derrière eux quelques pancartes et un large “espace d’information” pour montrer que le mouvement perdure.

Au lendemain de ce départ, la presse espagnole retrace l’histoire de ce mouvement inédit et atypique, et s’interroge surtout sur l’avenir de la contestation populaire. Pas toujours tendres avec les manifestants du mouvement du 15-Mai, mouvement qu’ils ont souvent négligé de couvrir, les journaux espagnols reconnaissent cependant que ce “bras de fer pacifique” a réveillé la société espagnole.

DIFFICULTÉS “TECHNIQUES”

Selon la presse espagnole, le retrait des manifestants de la Puerta del Sol dimanche a été pour le moins animé. El Pais, premier quotidien du pays, relate avec un certain amusement – outre l’attitude des récalcitrants décidés à rester sur la place madrilène – les quelques difficultés “techniques” qui ont compliqué la tâche des manifestants pour plier le campement. En cause, notamment, la “bibliothèque” du mouvement du 15-Mai, qui “en trois semaines de contestation, a réussi à s’enrichir, toujours grâce à des dons, de quelque 4 000 œuvres.”

Le quotidien La Razon (sympathisant de la droite) évoque pour sa part ce chantier sous l’angle des commerçants de la place. Ceux qui ont vu leur chiffre d’affaires sévèrement baisser, soulagés, espèrent voir “revenir les 50 à 60 % des clients qui l’ont désertée”.

El Pais s’interroge dans le même temps sur les raisons de ce départ. S’il évoque l’épuisement des manifestants, il publie également une tribune d’un professeur d’économie de l’université de Barcelone, Félix Ovejero Lucas, qui cherche à expliquer l’essoufflement du mouvement. Sous le titre “L’ignorance des indignés”, le chercheur explique que le mouvement a été traité “avec suffisance” par tous les acteurs de la société espagnole.

“Les mobilisations du mouvement du 15-Mai ont provoqué toutes les réactions possibles et imaginables, mais presque toutes, opposées ou favorables au mouvement, avaient une caractéristique commune : la suffisance”, écrit-il. Il critique cette défiance par rapport à un mouvement venu du peuple, soulignant qu’au moins “la discussion est toujours positive.”

QUEL AVENIR POUR LA CONTESTATION ?

Dans une brève chronologie du mois de contestation, le quotidien El Mundo revient sur “ce qui a commencé le 15 mai comme une manifestation dans cinquante villes espagnoles pour une vraie démocratie, et a fini par devenir un bras de fer pacifique avec l’Etat espagnol”. Pour El Mundo, les manifestants “sont sortis renforcés de la bataille”, malgré qu’ils aient “failli à plusieurs reprises être sur le point de perdre la dynamique” du mouvement.

El Mundo poursuit sa réflexion sur le mouvement en confrontant les analyses de deux professeurs de sociologie. L’article constate que “les experts ne parviennent pas à trouver un consensus, entre ceux qui estiment que le mouvement du 15-Mai est déjà un acteur politique, avec une réelle capacité à se maintenir dans le temps, et ceux qui estiment que sa structure en assemblée va progressivement se dissoudre et manquer d’un projet politique concret”.

Pour le chercheur Jaime Pastor, le “phénomène social du mouvement du 15-Mai expérimente une nouvelle phase dans sa structuration en abandonnant l’occupation des places publiques.” Mais cette étape “ne signifie pas nécessairement que le mouvement va perdre en intensité”, s’il parvient à trouver un soutien de la société, et à se convertir en acteur politique de premier plan. A l’inverse, le chercheur Ricardo Montoro Romero pense que “le mouvement ne prend pas forme mais se déforme”, et qu’il doit impérativement “se transformer en parti politique” traditionnel pour perdurer.

Dans un autre article, El Mundo évoque la municipalité de Redondela, en Galice, où une “corporation” — système espagnol de représentation populaire —, le “groupement des lecteurs de Redondela”, porte les revendications du mouvement du 15-Mai. Un scénario qui pourrait être reproduit dans plusieurs autres communes, selon le quotidien, et laisse à penser que le mouvement est loin d’être fini. Une conclusion pour laquelle opte aussi le journal barcelonais El Periodico, qui résume “Puerta del Sol s’en va, mais pas le 15-Mai”.

PAYSAGE POLITIQUE EN CHANTIER

Pour la presse espagnole, le mouvement du 15-Mai est surtout une preuve supplémentaire des bouleversement qui modifient le paysage politique du pays. A peine le campement de la Puerta del Sol démonté, c’est désormais l’éventualité d’une élection législative anticipée, en novembre, qui occupe la “une” des journaux.

Selon El Pais, “la persistance de la crise économique, les circonstances politiques, la stabilité parlementaire et le climat social sont autant d’éléments qui pourraient conduire le chef du gouvernement à avancer les élections législatives”, prévues en mars 2012. De hauts responsables du Parti socialiste (PSOE), au pouvoir, et des membres du gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero travaillent sur ce scénario, affirme le quotidien.

La décision finale d’organiser ou non des élections anticipées reviendra à M. Zapatero lui-même, selon El Mundo. Le premier ministre répète depuis plusieurs mois qu’afin d’achever les réformes en cours, il n’envisage pas d’élections anticipées malgré les demandes réitérées de l’opposition conservatrice du Parti populaire (PP), renforcée par une victoire écrasante lors d’élections locales, le 22 mai.

Une stratégie qui pourrait s’avérer payante pour les socialistes, car le chômage a généralement tendance à baisser en été grâce à la création d’emplois saisonniers. Les deux journaux, citant le ministre du travail, Valeriano Góme, estiment que novembre serait donc un “bon moment” pour le parti socialiste, donné perdant des prochaines législatives par tous les sondages.

Laissant la parole aux lecteurs pour déterminer si ce scénario est légitime, El Pais souligne cependant que la tenue des élections en mars aurait l’avantage de “prouver la volonté de poursuivre les réformes, et surtout d’éloigner les élections législatives le plus possible de la déroute électorale du 22 mai”.
Charlotte Chabas

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