Armée, police, ex-ministres : les Egyptiens veulent « nettoyer »
Cinq mois après la chute de Moubarak, les Egyptiens réinvestissent la place Tahrir, au Caire. Comme un air de déjà-vu… Reportage.
(Du Caire) Plus d’une semaine que des violences ont à nouveau embrasé la place Tahrir, au Caire. Depuis, Magdy Hussein, 53 ans, passe ses journées et une grande partie de ses soirées sur le rond-point le plus célèbre d’Egypte. A manifester, à discuter, à préparer du thé et même à régler des conflits entre manifestants et vendeurs ambulants.
Ces derniers jours, la place s’était peu à peu vidée de ses tentes mais jeudi soir, de nouvelles ont été installées. Ce vendredi, on attend un million de manifestants.
Magdy, artiste peintre aux cheveux gris et aux yeux bleu foncé, y a campé trois nuits à la suite des affrontements du mardi 28 juin. Il a décidé d’y retourner jusqu’à la manifestation du « millionnaire » organisée vendredi 8 juillet. Ses trois enfants, deux garçons de 28 et 26 ans et une fille de 18 ans, ont prévu de l’accompagner.
Son objectif : « nettoyer » le pays des personnalités de l’ancien régime.
Du déjà-vu, mais une colère qui va crescendo
Un refrain bien connu en Egypte depuis la chute d’Hosni Moubarak le 11 février dernier. Mais étant donné les récents clashs, l’évènement a pris une toute autre envergure.
Les esprits sont échauffés. Vendredi 1er juillet, des milliers de femmes et d’hommes, de toutes générations et de différents milieux sociaux, se sont retrouvés pour débattre de la situation actuelle du pays. Des petits groupes se sont formés et chacun y allait de ses revendications.
Mona Seif, 25 ans, militante phare de la Révolution et membre de l’organisation « No to military trials » (« Non aux tribunaux militaires »), continue sa campagne pour que manifestants, blogueurs et autres citoyens arrêtés par l’armée n’aient pas à faire face à la justice militaire.
Salah, 22 ans, réclame que les procès des personnalités de l’ancien régime soient publics et retransmis à la télévision. L’une des demandes prioritaires du peuple est d’ailleurs l’accélération des procès des personnalités et des officiers accusés du meurtre de manifestants pendant la Révolution.
Les révolutionnaires marquent plus que jamais leur solidarité avec les familles des « martyrs ». Le mauvais traitement dont elles ont été victimes et la violence des policiers dans la nuit du 28 au 29 juin ne font que renforcer leurs revendications.
Si le flou perdure autour de la genèse de ces récents heurts, tous affirment que la répression policière a été particulièrement féroce, une des raisons principales qui motive les Egyptiens à descendre dans la rue. « Cela prouve que rien n’a changé. »
Mercredi, des incidents ont également éclaté à Suez à la suite de la
relaxe de policiers accusés du meurtre de manifestants.
Des personnalités du régime de Moubarak encore en poste
Leur colère est dirigée contre le ministère de l’Intérieur, où des éléments de l’ancien régime travaillent encore. Une jeune manifestante est scandalisée :
« Les officiers de l’ancien régime sont toujours en poste et certains ont même été promus ! »
Le ministre de l’Intérieur, Mansour el-Essawi, a démenti dans la presse que les hommes de son prédécesseur continuaient de diriger son ministère. Il a assuré que les quelque 1 000 officiers du service de sécurité d’Etat aujourd’hui dissout étaient chez eux, attendant de nouvelles attributions.
Mais pour l’instant, les Egyptiens n’observent aucune avancée. Le procès de l’ancien ministre de l’Intérieur, Habib el-Adly, pour le meurtre de manifestants pendant la Révolution a été reporté pour la troisième fois, au 25 juillet. C’est l’un des hommes les plus détestés du pays.
Le 26 juin dernier, Journée internationale contre la torture, celui surnommé par de nombreux Egyptiens le « ministre de la Torture » a ainsi pu regagner le fourgon de police deux heures après l’ouverture de l’audience. Une scène qui a déclenché la colère des manifestants et la tristesse des proches de victimes de la Révolution, réunies devant le tribunal.
L’armée discréditée
Depuis, les critiques se font de plus en plus sévères envers le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige actuellement le pays. Son chef, Mohamed Hussein Tantawi, est devenu la cible de tous les manifestants.
De la place Tahrir au tribunal d’Alexandrie, le jour du procès concernant l’affaire Khaled Saïd (jeune de 28 ans victime à Alexandrie le 6 juin 2010 de la violence policière, endémique sous l’ancien régime.
Extrêmement discret, jugé incompétent par de nombreux militants et même « stupide » selon les confidences d’un ancien haut gradé de l’armée égyptienne, l’ancien ministre de la Défense est totalement discrédité dans la nouvelle Egypte.
Proche du Président déchu, beaucoup doutent de sa réelle volonté de placer l’ex-raïs dans le box des accusés. La date du procès a finalement été fixée au 3 août, sous la pression de la rue. Les révolutionnaires, conscients de la volonté du CSFA de chercher le consensus, espèrent que leur méthode va continuer à fonctionner : un p’tit tour place Tahrir et un objectif réalisé…
Les Frères musulmans seront place Tahrir
Les Frères musulmans, qui ont récemment créé leur parti politique, ont également annoncé mercredi leur participation à la manifestation. Ils avaient au départ rejeté l’appel à manifester lorsque les révolutionnaires réclamaient l’écriture d’une nouvelle Constitution avant la tenue des élections législatives prévues en septembre. Mais depuis que le mot d’ordre a changé – « la Révolution d’abord » – les « Frères », souvent jugés opportunistes, ont décidé de rallier la barque.
Très populaires dans le pays, notamment dans les campagnes, leur présence devrait déplacer les foules place Tahrir.
source rue89
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