Quelques brefs éléments afin de mieux comprendre le «printemps» québécois.
1- Au Québec, la crise économique ne se laisse pas voir directement, la plupart des gens croit encore que le pays s’en sort bien parce que le taux de chômage n’a pas grimpé en flèche comme aux États-Unis, beaucoup de monde pense que le pays n’est pas en crise. Les raisons pour lesquels le Canada et le Québec sont en mesure d’absorber les effets directs de la crise ne seront pas traitées ici. Cependant, considérant que la crise touche en fait un capitalisme mondialisé, le Canada et ses provinces ne sont pas exemptés d’appliquer à leur tour des plans d’austérité permettant aux capitaux internationaux de se revaloriser et aux entreprises financières de renflouer les coffres. Donc, bien que les effets de la crise furent tant bien que mal amortis par les politiques gouvernementales, ces mêmes gouvernements doivent désormais rendre des comptes aux grandes institutions capitalistes.
La hausse des frais de scolarité fait partie du plan d’austérité que doit appliquer le gouvernement de Jean Charest, premier ministre du Québec. L’augmentation des frais de scolarité vise minimalement deux objectifs précis :
a) l’augmentation des frais aura pour conséquence une augmentation de l’endettement étudiant et qui dit endettement dit aussi taux d’intérêt qui profitent surtout aux banques ;
b) la hausse des frais se veut également un moyen de rentabiliser et de favoriser la compétition des universités québécoises sur le marché mondial de l’éducation. Le gouvernement Charest cherche ni plus ni moins à remplacer la masse des étudiants locaux par une masse d’étudiants étrangers qui sont près à payer plus cher pour étudier ici.
Pendant que le gouvernement québécois se tape une grève générale étudiante face à ses politiques de hausse, le gouvernement fédéral canadien de Steven Harper dépose en bloc un projet de loi omnibus qui ouvre la porte à de multiples déréglementations au niveau du travail et de l’environnement, à un durcissement du système juridique et pénitentier, à des coupures de postes dans la fonction publique ainsi qu’un désengagement de l’État du filet de sécurité sociale. Avec de telles mesures venant des différents palliers de gouvernement, la crise, au Québec, apparait davantage comme une offensive gouvernementale et par conséquent comme une crise qui se donne à voir sous une forme politique : ici, l’austérité est avant tout un choix du gouvernement plus qu’une nécessité économique visible pour tous.
2- Ceci dit, revenons à la grève étudiante et aux politiques d’austérité du gouvernement Charest. Depuis le début de cette grève – qui aujourd’hui par son étendu et sa durée dépasse tout ce qui a été connu jusqu’à maintenant comme grève étudiante – le gouvernement de la province ainsi que les grands médias capitalistes du Québec cherchent à contenir et à brouiller le mouvement. Déformation des concepts, répression et campagne de salisage, démagogie et faux dialogue… Les deux mamelles de la désinformation se sont fait un plaisir de jouer des mots transformant une « grève » en « boycott » de service public et l’accessibilité à l’éducation un « droit » supérieur à celui de « faire la grève » et de tenir des lignes de piquetage. Cette manoeuvre gramatico-juridique a ouvert la porte aux injonctions que certains étudiants opposés à la grève se sont fait plaisir d’utiliser afin de casser le mouvement et de pouvoir enfin accéder à leur cours malgré la grève. Le problème c’est que la majorité des étudiants en grève n’ont pas respecté les injonctions, ce qui a forcé le gouvernement les faire respecter par la force. Mais la présence des policiers ne fait qu’augmenter la tension et provoquer des altercations qui se terminent par des arrestations et des blessés. Devant cette violence qui menace leurs enfants, les parents ont vite fait d’intervenir entre les étudiants et les flics, rendant inefficace le travail d’intervention des policiers. Sans compter que les profs, qui se voient dans l’obligation par la loi de se présenter en classe malgré la grève et les lignes de piquetage, se sont solidarisés avec les étudiants en refusant de donner leurs cours sous prétexte que la situation contrevient à la loi sur la santé et la sécurité au travail. Finalement, devant cette incapacité à faire respecter les injonctions, les recteurs d’école se sont vus contraints d’annuler les cours et de fermer les portes donnant ainsi gain de cause à la grève.
C’est donc devant cet insuccès de la stratégie juridique et l’obstination des étudiants à poursuivre la grève que le gouvernement Charest en vient à exiger en coulisse la démission de la Ministre de l’éducation, Line Beauchamp, pour la remplacer immédiatement par l’ancienne Ministre, Michelle Courchesne. Tout ceci n’est qu’une manoeuvre qui répond à l’échec d’une entente de principe dans laquelle le gouvernement ne s’est pas privé d’afficher toute sa mauvaise foi avant même que cette entente soit discutée dans les assemblées étudiantes en grève. Le gouvernement n’a jamais eu l’intention de se compromettre dans ce dossier et face à un mouvement de grève qui en fait tout autant, le gouvernement a finalement décidé de déposer un projet de loi spéciale (loi 78) dans le but non seulement de permettre aux étudiants qui « veulent étudier » d’accéder à leur cours, mais aussi et surtout de criminaliser le mouvement de grève dans ces aspects les plus dérangeants : soit les lignes de piquetage et les manifestations.
3- Ce n’est pas la première fois que le gouvernement adopte une loi spéciale face une grève qu’il ne tolère pas. Cette pratique anti-grève existe au Québec depuis le début des anées 80, mais cette fois, la loi dépasse le schème habituel d’encadrer et d’étouffer la grève en rendant illégal tout ce qui donne du pouvoir à la grève. En effet, cette loi spéciale ne fait pas que limiter l’efficacité des lignes de piquetages en interdisant sa pratique à moins 50 mètres de l’institution visée ou encore en décrètant que la grève est terminée puisque la sessions des 14 cégep et 11 facultés universitaires en grève est suspendue jusqu’à l’automne, elle franchit aussi le pas d’interdire pratiquement toute forme de manifestation… ce qui est un nouveauté.
Donnant l’impression de vouloir se montrer d’avant-garde dans la course mondiale à la répression, le gouvernement du Québec (qui possède la majorité des sièges au parlement et se sent donc légitime de faire ce qu’il veut) a tout simplement décidé que la contestation de son pouvoir était un crime contre la nation. Désormais, toute manifestation organisée qui prévoit plus de 50 personnes oblige les organisateurs à transmettre à la police l’itinéraire de la manif sans quoi la manifestation est déclarée illégale. De plus, la police a le pouvoir discrétionnaire de modifier l’itinéraire de la manif ou simplement de l’annuler. Mais ce n’est pas tout, car une fois que la manif est autorisée par la police, il n’en demeure pas moins que tout acte criminel commis par un manifestant est ultimement passible d’incriminer les organisateurs eux-mêmes… Bref, plus personne n’osera organiser des manifs de peur d’être des criminels en puissance.
En ce qui concerne la ville de Montréal, cette loi spéciale adoptée par le gouvernement provincial s’accompagne d’une loi municipale sur le port du masque que la mairie de Gérald Tremblay cherchait à adopter depuis quelques temps. Cette double législation a pour résultat de permettre aux policiers d’user d’un abitraire immense sur le déroulement des événements. Par exemple, les lois anti-terroristes ont déjà permis d’arrêter et d’accuser 4 jeunes étudiants et étudiantes (1 gars, 3 filles) pour avoir commis des actes dans le but d’ « incité à craindre un acte terroriste… » et sont donc suceptibles de 5 ans de prison pour des actes qui non seulement ne furent pas commis par eux (puisque cela semble difficilement possible) mais dont les preuves tiennent à des photos prisent hors contextes par des citoyens délateurs. L’arsenal législatif dont se sert la police contrevient présentement à toute les chartes sur les droits humains du pays et seront probablement condamnés par l’ONU comme ce fut déjà le cas envers la police de Montréal dans les années 2000 qui abusait de sa tactique d’arrestations de masse. C’est donc en raison de toute cette folie répressive que les manifestations à Montréal sont volontairement et formellement illégales dès le départ, car, comme disent les manifestants : « Ta loi spéciale, On s’en calisse ».
L’adoption de ces mesures répressives par le gouvernement n’a fait qu’élargir la base d’une grève qui commençait à succiter de la sympathie pour la frange de la population qui était directement touchée par cette grève et sa répression : les parents et les profs. Maintenant, c’est tout ceux et celles qui considèrent le droit de manifester comme inaliénable qui descendent dans la rue. Dans les manifs, depuis l’adoption de la loi spéciale, ce sont des familles, des personnes âgées, des travailleurs, des militants de tout horizons et, évidement, des étudiants qui défilent dans les rues. La loi spéciale a finalement transformé la grève générale étudiante en lutte politique de désobéissance civile. Cette métamorphose du mouvement a la particularité de faire revivre différemment le mouvement passé des indignés, mais l’indignation a ici pour cible le gouvernement Charest et ses politiques répressives.
Du côté mouvement étudiant lui-même, cette métamorphose de la grève étudiante en mouvement de désobéissance civile, a provoqué la première scission dans le discours unitaire des trois syndicats étudiants (CLASSE, FEUQ et FECQ). La CLASSE qui est majoritaire dans le mouvement de grève a finalement choisie de se faire le représentant du mouvement de désobéissance civile contrairement aux deux fédérations étudiantes (universitaire et collégienne) qui ont choisie une alliance avec les trois grandes centrales syndicales ouvrières (CSN, FTQ et CSQ) afin d’appeler au respect de la loi et au dialogue avec le gouvernement. Ce qui se dessine, selon moi, dans cette alliance, c’est une tentative de récupérer cette grogne populaire contre le gouvernement Charest en vue d’accélérer le processus de négociation ou encore le déclenchement des élections et, dans le même temps, de renouveler la base électorale du Parti Québecois (opposition officielle) ou encore d’élargir celle de Québec Solidaire.
Du côté policier, la surcharge de travail qu’impose plus de 100 jours de grève qui compte pas moins de 250 manifestations et 2000 arrestations, plusieurs émeutes ou actions de pertubation et 29 jours successifs de manifestation nocturne (ce sont les chiffres de Radio Canada), augmentent considérablement les risques de dérapage pouvant conduire à des tragédies mortelles. Un tel dérapage dans une conjoncture où le mouvement acquiert de plus en plus de sympathie pourrait faire basculer une situation de luttes sociales passablement pacifique en situation pré-insurectionnelle dans laquelle le gouvernement fédéral serait tenté d’user de la loi des mesures de guerre comme ce fut le cas face à la crise d’octobre de 1970. Si beaucoup se souviennent de l’armée qui occupait les rues de Montréal, d’autres se souviennent du FLQ et d’un certain Pierre Laporte en scandant des slogan comme : « Dans un coffre de Charest » (il faut mentionner que le Ministre Laporte a été retrouvé mort dans un coffre de voiture). Chose certaine, tout-le-monde est d’accord pour dire que la conjoncture est explosive et que tout semble possible.
Amer Simpson
22 mai 2012
http://www.courrierinternational.com/breve/2012/05/23/plus-de-200-000-personnes-defilent-au-centieme-jour-du-conflit-etudiant