Bref rapport depuis la place Taksim (N°1)
Traduction dndf d’un article envoyé par un camarade de passage à Istanbul
La première barricade semble impénétrable. Des centaines de briques empilées, des clôtures tordues, des voitures renversées, unies en un seule large bouclier de tôle ondulée avec de longues pointes de métal , comme prête à se défendre contre toute charge à cheval. Puis vous marchez encore 10 mètres et apercevez la suivante, deux fois plus grosse, avec plus de briques, plus de barrières, des graffitis partout. Et puis on marche encore un peu plus et on en aperçoit une autre, et une autre, et une autre, et ca n’est pas seulement la rue principale qui est bloquée, mais toutes les rues secondaires et toutes les rues environnantes. Tous les trottoirs sont faits de sable, leurs briques arrachées et promis à de nouveaux usages. Des grappes de personnes occupent chaque barricade, posant pour des photos ; il y a là des vendeurs de bombes à peinture, de masques et de lunettes de protection entre chaque barricade. IPhones, iPads, et tous les i-appareils captent les moments de joie et de fierté pour tout le monde. Toutes les générations se retrouvent à sauter sur les voitures détruites, jouant à l’intérieur véhicules, des bus, des camionnettes de presse. Le masques « Anonymous » sont omniprésents, tout comme les vendeurs de kofte, de maïs, de thé, et bien sûr, des drapeaux, des milliers de drapeaux rouges avec le visage du fondateur de la République, Mustafa Kemal Atatürk, mais aussi drapeaux trotskystes, anarchistes, féministes, et autres drapeaux. Les anarchistes se mélangent aux nationalistes, tandis que les hooligans, les écologistes, les anti-capitalistes, les musulmans, les Kurdes du LGBT partagent chaque mètre de sol dans le parc Gezi, ce qui vous oblige à essayez de vous faufiler, épaule contre épaule, pour passer d’un côté à l’autre.
Fanions sur le toit des tentes, un village entier vit dans le parc aujourd’hui. Des matériaux de construction arrachés jonchent les rues environnantes. Chaque morceau de capital constant ressemble à des décombres après une bataille. Le centre culturel Atatürk, un immeuble de cinq étages sur un des côtés de la place Taksim, est drapé de grandes bannières disant “n’obéissez pas”, “Tayyip démission”, et d’énormes drapeaux d’Atatürk, mélangé avec des graffitis anarchiste et des images de football.
Le tout semble médiéval, avec casques, bâtons, javelots, avec vue sur le Bosphore, Sainte-Sophie et la mosquée bleue à l’horizon ; la place elle-même est plus un carnaval qu’autre chose. Des centaines de milliers de personnes sont rassemblées, dansant, chantant, colportant, célébrant juste la présence de l’autre dans une zone sans flic pour la première fois dans les mémoires. Tout le monde argumente, débat, rit, raconte des histoires de gaz lacrymogène et d’arbres. La police n’a pas attaqué pendant quelques jours, il y avait simplement trop de gens, trop de barricades. Toutes les 20 minutes, une marche démarre avec un chant différent, parfois kémaliste, parfois communiste, parfois une chanson, parfois une prière. Un mélange de jeunes, d’étudiants, de militants, de familles et de voyageurs organisent des pique-nique, des tables et des stands de vente quelle que soit l’idéologie ou les produits qu’ils proposent. Si ce n’était les monticules de briques et les barricades de voitures qui entourent la place, on pourrait facilement oublier la force et de la violence qui ont tout déclenché.
La plupart des gens à qui nous parlons disent qu’ils n’aimaient pas tellement le parc auparavant, mais la réponse de la police à la manifestation d’origine pour l’environnement fut si dure qu’il fallait sortir. Certains sont en colère contre le développement néolibéral, d’autres contre les nouvelles lois islamistes interdisant l’alcool, certains contre la police, d’autres enfin sont tout simplement anti-gouvernement. Presque tout le monde est surpris que cela ait pris une telle ampleur, aussi vite. ils s’inquiètent de ce qui va suivre, mais pour l’instant, le sentiment est la joie, presque euphorique, comme les derviches tourneurs et les cornes et tambours non stop. Les rues secondaires, en dehors du parc et les pâtés de maisons sont pleines de gens aussi, qui boivent en public tard dans la nuit et assis dans la rue, là ou c’était interdit avant. Les flics ont abandonné toute la région autour de Taksim, se repliant sur Besiktas, le palais présidentiel et le stade de football. Pour l’instant, chaque jour est un rassemblement et chaque nuit une fête.
La majorité de la violence, semble t-il, s’est déplacée vers les 60 autres villes de Turquie où les manifestations ont démarré, notamment à Ankara. Les revendications locales du parc Gezi n’ont plus aucune pertinence pour la majorité des personnes qui participent à ce soulèvement de masse, mais tout le monde est toujours unis par l’opposition à la police et furieux de la réaction excessive du gouvernement. Ce qui lie les centaines de milliers de personnes sur la place Taksim ne peut être expliqué par aucune idéologie politique ni par la division séculaires/ religieux ni par le mouvement vert. Au contraire, il semble que la joie de reprendre le centre de la ville a su garder le mouvement en vie, le libérant à la fois du contrôle de la police et des impératifs de la croissance du marché, devant déterminer quoi faire de chaque pouce gagné, ignorant les engins de construction, les camions de police et les fourgons des médias, assis ensemble à chanter, parler, discuter, danser indéfiniment, pas pour la liberté ou la démocratie, mais pour autre chose, quelque chose comme la propriété du présent.
pour suivre la situation, 3 liens vers des blogs des révoltés :
Occupé Taksim
gezipark: fr – 2013-06-06 16:03:03 +0200
Qu’est-ce qui se passe à Istanbul? | # Occupygezi