« Il Lato Cattivo » sur la Bosnie
Traduction par nos soins de l’introduction du texte Dossier-Bosnia http://illatocattivo.blogspot.fr/2014/04/dossier-bosnia.html des camarades italiens comprenant entre autre « Retour de Bosnie » paru initialement début mars sur dndf.
Le dossier que nous soumettons concerne la vague de lutte qui a traversé la Bosnie-Herzégovine en février 2014. Ce dossier contient deux textes : le premier est un ensemble de réflexions et d’anecdotes écrites à « chaud » par un camarade ayant participé au mouvement, augmenté d’un sommaire chronologique ; le second, de caractère plus théorique, permet d’éclairer les récents événements en Bosnie à la lumière de l’histoire de la lutte des classes dans l’aire balkanique, et de leur transformation et retransformation dans un « insoluble montage » des frontières nationales et des problématiques de la réalité ethnique.
C’est évidemment une bonne occasion pour montrer, une fois de plus, qu’aux racines de la « balkanisation » de l’ex-Yougoslavie (et des autres régions) il y a toujours le rapport capitaliste, et donc le rapport de classe entre le prolétariat et le capital : rien de ce qui advient dans la société n’est étranger à ce rapport. Ceci dit, s’en tenir à cette seule affirmation nous limiterait à la polémique et à la réaffirmation d’un principe. Nous voudrions avec ce « dossier », stimuler chez nos lecteurs une réflexion sur les nouvelles configurations dont la crise actuelle pourrait être génératrice. Comme mis en évidence par d’autres avant nous, la restructuration capitaliste, à partir des années 70, a mis en place une nouvelle organisation spatiale, surpassant – à travers la « contre-révolution libérale » des années 80, la chute du Mur, la construction de UE, les plans d’ajustements structurels des pays du Sud, l’apparition de pays « émergents », etc. – la division du globe en Occident, Bloc de l’Est et Tiers-Monde qui avait caractérisé la seconde après-guerre. S’est affirmé, ainsi, une organisation organisation tripartite : « des hypercentres capitalistes regroupant les hautes fonctions dans la hiérarchie de l’organisation des entreprises (finances, hi-tech, centres de recherches) ; une seconde partie, chargée d’activités nécessitant des technologies intermédiaires, qui regroupe la logistique, la distribution commerciale et séparée par des frontières fluides de la périphérie consacrée aux activités d’assemblage, souvent en outsourcing ; enfin, des zones de crises et de « décharges sociales », dans lesquelles prospère une économie informelle basée sur des produits légaux et illégaux […] à tous le niveaux, du monde jusqu’aux quartiers où l’on retrouve cette tripartition ». (R.S., The present moment, in «SIC», novembre 2011)
La crise actuelle est aussi celle de cette organisation spatiale, devenue désormais contre-productive. On peut aussi souligner les difficultés croissantes de la Chine, pour laquelle les exportations ne suffisent plus, et qui cherche pour l’instant, sans succès, à stimuler la demande interne – difficultés qui préoccupent tous ceux qui espéraient sur le colosse asiatique pour sortir le capital de la « récession ».
Nous nous demandons, dès lors, si cette vague de luttes en Bosnie et les discours politiques anti-particularistes et – comme l’affirme l’auteur du premier texte – mêmes « néo-titistes », ne nous suggèrent pas l’idée d’une inversion de tendance par rapport à la dynamique de fragmentation à l’œuvre ces dernières trente années dans toute série de régions à basse intensité de capitaux, et ponctuellement marquées par les interventions militaires des USA et de l’Otan. Une dynamique parfaitement synthétisée par un commentateur de renommée internationale qui, récemment, se félicitait de la non-intervention des USA en Syrie : « Si aujourd’hui nous avons réellement trois différents Irak, une intervention américaine en Syrie finirait par découper le pays en vingt parties ».
Dans ce cadre, non seulement les luttes prolétariennes quotidiennes sont, comme toujours, enfermées dans les rivalités inter-capitalistes, mais – en l’absence d’une rupture révolutionnaire – poussent le capital à se transformer. Ne nous attardons pas sur les exemples historiques. Aujourd’hui, dans de multiples régions d’Europe, les luttes revendicatives « économiques » ne sont nullement étrangères au discours « politique » anti-UE et anti-Euro : on le voit aussi bien en Grèce qu’en Syrie, on le voit par ailleurs avec le succès du Front National en France et du Mouvement Cinq Étoiles en Italie ; et si l’anti-européanisme populiste ou de droite (plus ou moins « extrême ») prévaut très souvent sur celui plus à la page et politiquement correct d’extrême-gauche, c’est simplement parce que, dans l’impossibilité de trouver dans l’identité ouvrière une médiation dans le politique et l’économique, c’est l’identité nationale qui assure une telle fonction, avec toutes les conséquences que cela comporte. Le problème des pulsions populistes, et même chauvinistes, c’est qu’elles ne sont pas étrangères à l’activité du prolétariat : non seulement la concurrence entre les vendeurs de la force de travail est réelle, loin de se développer entre individus génériques et indéfinis, elle se coagule autour de toute une série de déterminations historico-sociales parmi lesquelles, la nationalité, le sexe, la couleur de la peau, la religion, etc. : « […] dans tous les grands centres industriels d’Angleterre se diffuse un profond antagonisme entre le prolétariat irlandais et le prolétariat anglais. Typiquement, le travailleur anglais hait le travailleur irlandais en tant que concurrent responsable de la baisse du salaire et des conditions de vie. Preuve d’une antipathie nationaliste et religieuse dans leurs confrontations. (Karl Marx & Friedich Engels, Sur l’Irlande, Napoléon, 1973)
L’enjeu réel, bien que non actuel dans l’immédiat, est une relative « démondialisation », c’est-à-dire une partielle ré-nationalisation de certains intérêts industriels et financiers ainsi que de la force de travail au sein de l’aire nationale. Il est au moins logique que le revers de la médaille de cet état de chose soit le fait que la même lutte des classes quotidienne – dans l’aire où la mondialisation coïncide, par contre avec une fragmentation territoriale et administrative – se traduisent politiquement dans une contestation de cette même fragmentation. C’est, à notre avis, ce qu’on peut lire en transparence dans les accents « yougoslavistes » du « printemps bosniaque ».
Ces accents ne sont pas à considérer comme un embryon ou une distorsion du « bon » principe internationaliste, que les prolétaires bosniaques pourraient retrouver sous la patine des mystifications bourgeoises : ils sont l’horizon politique des luttes quotidiennes de cette fraction du prolétariat qui, comme toutes les autres, ne peut faire semblant de ne pas vivre à l’intérieur du mode de production existant. Ce ne sera pas une aggravation de la crise actuelle à pouvoir dissiper, comme une simple rideau de fumée, cet horizon politique de recomposition nationale – qui, comme nous l’avons vu, se décline de façon variable, et même en opposition, selon les zones en question. A ce propos, limitons-nous à souligner l’essentiel : la dévalorisation massive, vitale pour une éventuelle restructuration, n’a pas encore eu lieu ; un effondrement déflationniste est logiquement nécessaire et inévitable. Les zones d’éclatement les plus probables seraient, objectivement, Pékin et Wall Street.
Le « printemps bosniaque » n’est pas, de toute évidence, le revival d’un mouvement prolétarien : à l’heure actuelle, à peine les luttes prolétariennes outrepassent le moment revendicatif, qu’elles trouvent nécessairement dans l’interclassisme leur propre expression politique et leur propre limite. Le rejet de la représentation nationale, la dénonciation des politiciens comme parasites, tout cela n’est pas l’étape d’une radicalisation à venir et se réalisant graduellement ; pour l’instant il n’y a que ce qui est : « Le problème actuel c’est l’État, et dans tout ce qui pose problème, il se présente comme la solution. Les limites de toute les luttes des classes est ce qui les unis, c’est le fait de se présenter comme refondation de l’État, étant donné que ces classes existent comme moment de la crise de tripartition zonale ». (Théorie Communiste, Où on est dans la crise? Textes disponibles sur le Web)
Si l’éventuel effondrement déflationniste pourra produire une rupture de l’interclassisme, il ne nous est pas donné de le savoir : pour l’instant, rien n’est moins certain et il n’y a rien qui ne soit plus souhaitable.
Il Lato Cattivo
Avril 2014
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