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« 1er décembre 2018 : porter plus loin le désordre »

Nous ne pouvions pas ne pas relayer un article aussi “à chaud” sur l’évènement et venant de camarades dont nous sommes si proches.

Nous tenons tout de même à signaler que nous avons, cette fois ci, quelques réserves (le mot est faible) quant à l’enthousiasme et au manque de distance par rapport à l’évènement, ce qui est le propre d’un texte écrit au coeur du dit événement…

Le niveau violence n’a jamais suffit à qualifier le contenu d’un mouvement.

Nous sommes en attente des commentaires que les lecteurs feront de ce texte de Carbure mais, d’ores et déjà, nous avons “du mal” avec des phrases comme  celles qui suivent:

“le contenu révolutionnaire de la période actuelle a commencé à apparaître sous la croûte des discours et des idéologies”.Quel contenu?

“la rencontre avec les « quartiers » lui a apporté ce qui lui manquait pour correspondre au « mouvement réel “. Ou et quand y a t’il eut rencontre??

“Cet état de fait porte aussi bien la guerre civile comme limite que le dépassement révolutionnaire : franchir le pas qui mène de l’insurrection à la révolution, c’est marcher sur la lame d’une épée”.

“on pourra imaginer passer de l’émeute ou du soulèvement à la révolution.”

“Ce mouvement porte tout ce que peut être aujourd’hui une révolution communiste, ses limites, ses dangers, son caractère imprévisible”

Nous pouvons entendre l’enthousiasme et la prise de parti. Nous avons tout de même besoin  de distance et d’analyse plus à fond du mouvement en cours…. A suivre dndf

 

 

Article publié sur le blog Carbure Lutte des classes / Guerre civile / Communisation

« 1er décembre 2018 : porter plus loin le désordre »

Le samedi 1er décembre, le mouvement des Gilets jaunes a cessé de s’appartenir, il a cessé d’être le mouvement de la France blanche-d’en-bas qu’il était à ses débuts. Face au prévisible refus de l’Etat de satisfaire la moindre revendication (comme en atteste le refus ou l’incapacité des « porte-paroles » du mouvement de rencontrer le Premier ministre), face aussi à l’aspect dérisoire que prend toute revendication au regard des existences insupportables qui sont les nôtres, et grâce à la convergence en milieu urbain de TOUTES les colères, le contenu révolutionnaire de la période actuelle a commencé à apparaître sous la croûte des discours et des idéologies, et ce contenu est le chaos. La question est désormais de savoir où ce qui a commencé va s’arrêter, ou plutôt jusqu’où ce qui a commencé ici pourra porter le désordre. Déjà, ceux qui sont à l’origine du mouvement font office d’arrière-garde poussive de ce qu’ils ont initié, en appellent à la raison et réclament dans le JDD le retour à l’ordre républicain. Ils sont l’incarnation du mouvement à ses débuts, et leur frilosité montre assez ce que ce mouvement n’est déjà plus. Ils se satisferaient d’un moratoire sur le prix du carburant, d’une hausse quelconque de quoi que ce soit ou de l’organisation d’un référendum sur la transition énergétique, là où se dessine un mouvement qui veut tout emporter sur son passage, et ne parvient plus à se cristalliser sur aucun discours ni aucune revendication, si ce n’est « Macron démission », répété comme une espèce de mantra en appelant au néant, à la disparition de tout ce qui représente ce monde. « Macron démission » c’est à la fois la limite politique de ce mouvement, et l’appel à la fin de toute politique.

Face à ce qui s’est produit le samedi 1er décembre, il serait absurde de continuer à qualifier ce qui se passe de « mouvement contre la vie chère », de maquiller en revendication économique ce qui va de toute évidence bien plus loin. Samedi, les « cahiers de doléances » ont servi à allumer des incendies. Le mouvement des Gilets jaunes avait déjà dépassé ce stade de la revendication économique dès la première semaine, pour entrer dans sa phase politique populiste, pour exiger que l’Etat se retire devant le peuple ou que le peuple se fasse Etat. Nous avons critiqué cette phase et déterminé le contenu des revendications portées par la France blanche-d’en-bas dans sa médiation de classe, montré les limites de cet interclassisme, pointé le danger de l’union nationale populaire des uns contre les « autres ». A peine avions-nous fini de faire la critique de cette phase que nous n’en étions déjà plus là.

Il manquait à ce mouvement une dose de nihilisme pour donner du sens à son « apolitisme » : la rencontre avec les « quartiers » lui a apporté ce qui lui manquait pour correspondre au « mouvement réel », qui n’est pas celui du progrès social mais celui de la destruction de la société, et pour joyeusement s’y reconnaître comme chez soi. L’interclassisme s’est retourné en tension à l’unité, entre tous ceux qui savent de manière claire ou confuse qu’ils n’ont rien à attendre de cette société, qu’ils soient relégués dans les quartiers, naufragés du cauchemar pavillonnaire périurbain ou RSAstes qui survivent en ramassant des châtaignes en Ardèche. Il fallait voir passer l’armée des morts du cortège syndical sur la place de la Bastille, planquée derrière ses drapeaux et ses slogans, affirmant la particularité ouvrière du travail, et sentir l’indifférence totale de ceux qui, en gilets jaunes ou non, marchaient sans but mais ensemble dans Paris, pour comprendre à quel point l’ancien mouvement ouvrier, ses syndicats, ses représentants et ses revendications sont une chose du passé. Il n’y aura pas de « convergence sociale », ce mouvement n’est pas revenu à la raison de gauche, il ne sera jamais un mouvement social. Cette époque est terminée. Il n’est plus question d’antiracisme ou d’antifascisme, de gauche ou de droite, quand il n’est plus question que de tout brûler, et de savoir avec qui on peut le faire. Cet état de fait porte aussi bien la guerre civile comme limite que le dépassement révolutionnaire : franchir le pas qui mène de l’insurrection à la révolution, c’est marcher sur la lame d’une épée.

Cette rencontre a bien eu lieu, reste à savoir si elle peut se répéter et s’étendre. Tout ce qui peut s’y opposer est déjà là, présent dans la nature « sociale » du mouvement aussi bien que dans les rapports sociaux eux-mêmes : le slogan fédérateur « Macron démission » contient en creux la possibilité d’une alliance nationale-populiste prenant le pouvoir d’Etat au nom du peuple (Le Pen et Mélenchon appelant d’une seule voix à des élections anticipées), et offrant à l’Etat une forme adéquate à la crise : une forme compassionnelle-autoritaire, apte à mettre tout le monde au pas, en assignant les uns à l’altérité, et symétriquement les autres à la responsabilité et au patriotisme, à écraser les uns au nom des autres pour dominer tout le monde. On l’a vu dix fois ces dernières années : Que se vayan todos, c’est souvent l’appel à renouveler, pour le pire, le personnel politique. Mais pour en arriver là, il faudra réassigner la France blanche-d’en-bas à elle-même, la remettre à sa place, sous la direction des classes moyennes, du travail honnête payé son juste prix et de la circulation marchande harmonieuse. C’est la seule sortie de crise actuellement concevable, à moins que le gouvernement Macron n’aborde de lui-même ce tournant autoritaire.

Pour éviter cela, il faudra porter plus loin le désordre. Le moment de l’émeute urbaine est en soi une limite à ce qui se passe actuellement : historiquement, il répond à deux fonctions, qui sont soit la prise du pouvoir d’Etat, soit sa mise en crise pour le pousser à des concessions. Mais nous ne sommes pas en 1917, aucune prise du pouvoir d’Etat afin de réaliser un programme socialiste n’est concevable, et nous ne sommes pas en 1968, il n’y aura pas d’accords de Grenelle. En rester à l’émeute urbaine c’est en rester à ce que mouvement a d’encore politique. Mais si ce qui s’est manifesté samedi à Paris et partout en France retourne sur les barrages, en crée de nouveaux et se met en devoir de véritablement « bloquer le pays », c’est-à-dire de s’en saisir, et de décider à partir de là de son avenir, on pourra imaginer passer de l’émeute ou du soulèvement à la révolution. Mais personne ne peut dire quelle direction va prendre ce qui se passe actuellement, qui court plus vite que tout le monde : il n’est pas de meilleure marque du contenu révolutionnaire de ce qui se produit là. Ce mouvement porte tout ce que peut être aujourd’hui une révolution communiste, ses limites, ses dangers, son caractère imprévisible : mais pour en arriver là, il faudra sans doute que brûlent encore beaucoup de ces choses qui se dressent entre nous, que ce soient des voitures ou des rapports sociaux.

  1. adé
    03/12/2018 à 10:47 | #1

    Au nom des 366 200 banquiers et banquières qui, chaque jour, accompagnent leurs clients sur le terrain, j’adresse mes pensées aux collaborateurs et collaboratrices victimes des conséquences des violences dans des agences bancaires », a réagi Marie-Anne Barbat-Layani, la directrice de la FBF.

  2. F
    03/12/2018 à 14:18 | #2

    “la rencontre avec les « quartiers » lui a apporté ce qui lui manquait pour correspondre au « mouvement réel “. Ou et quand y a t’il eut rencontre??

    Et bien à partir de 17h dans tout le secteur de la place de l’Etoile. Quiconque n’a pas vu la présence des “jeunes de banlieue” et leur contribution aux affrontements et aux pillages n’a pas dû voir grand chose…

  3. AC
    03/12/2018 à 15:57 | #3

    Post-scriptum : En réponse à quelques critiques et interrogations autour de ce texte, il faut préciser qu’il est à comprendre comme un instantané dans les événements en cours. Si d’aucuns ont été surpris par sa tonalité « optimiste » (ça n’est pas tous les jours), il faut aussi noter que cet optimisme est tempéré par la perspective du retour à l’ordre, qui est aussi bien porté par ce mouvement. Toutes les interrogations du texte précédent demeurent valables. Mais s’il est essentiel de demeurer lucides, il est essentiel aussi d’être conscients que la lutte des classes n’est pas un long fleuve tranquille, ni une piste d’atterrissage bien balisée pour les bombardiers de la théorie « lourde ». Ce qui se fait et se défait dans le cours d’une lutte va plus vite que nos capacités d’analyse, et si ce qui s’est ouvert le 1er décembre se referme rapidement, il fallait pourtant en rendre compte, comme de tout le reste. Rien n’est écrit : il y a de la conjoncture, de la « défaisance », et aussi du n’importe quoi dans les luttes. Mettons que ce texte en fait partie, et l’assume.

  4. ânonime
    03/12/2018 à 17:54 | #4

    @AC

    Service minimum, cette justification. Il s’agit quand même de ce que TC appelait une “intervention” au sens de l’activisme immédiatiste, non ? Où est passé AC aspirant théoricien de la communisation, et accessoirement partisan en attendant la fin de l’auto-organisation ? Les Gilets Jaunes sont bordéliquement auto-inorganisés, mais vous, vous avez fini par choisir cette “alliance” qu’on pouvait croire critiquée par vos questions du précédent texte, qui est très très organisée et l’est politiquement.

    Pour tout dire, je vous trouve assez opportuniste, notamment sur Facebook. On dirait que vous les draguez, les “racisée.e.s”, c’est pas très loin de ce que fait le NPA…

  5. pepe
    03/12/2018 à 18:23 | #5

    Certaines personnes nous ont fait la remarque que notre chapeau était un peu sévère. Soit. C’est vrai que nous préférons modérer nos enthousiasmes et être du coté des pessimistes dynamiques plutôt que du coté des appels réguliers à l’insurrection (ce que n’est pas ce texte de Carbure). Le commentaire de AC ci dessus nous convient assez, à vrai dire.
    Il est incontestable que quelque chose d’assez nouveau est en train de se passer en France…. Les infos qui tombent toute la journée confirme un bouillonnement qu’il ne s’agit pas de brider, même si nous savons nous avons bien peu d’influence sur la marche du monde!
    Et si nous nous sommes trompés, si le mouvement débouche sur quelque chose de “plus grand” nous le reconnaitrons avec énergie et une grande joie!!!! Quel plaisir de se tromper et de reconnaitre qu’on a dit des conneries, des fois!
    Cela dit, nous vous rappelons une des grosses différence entre décembre 2018 et mai 1968: LA GREVE GENERALE

  6. pepe
    03/12/2018 à 18:59 | #6

    Pour la Place de l’Etoile après 17h… don’t acte.
    Cela dit, comme on est pas ici sur BFM TV, le mouvement ne se limite pas a l’émeute sur le plancher (de verre) parisien.
    Nous aimerions donc recevoir des témoignages des autres points de friction du mouvement partout en France, de ce point de vue de “la rencontre avec les quartiers”, en dehors de la situation marseillaise, très spécifique et bien décrite sur le site Lundi matin.

  7. adé
    03/12/2018 à 22:40 | #7

    Répression sur les jeunes, ici
    https://www.lemonde.fr/societe/video/2018/12/03/gilets-jaunes-tabasse-par-des-policiers-un-jeune-homme-temoigne_5392150_3224.html

    Le jeune s’appelle Mehdi; vidéo atroce, félicitations de Castaner pour eux.

  8. AC
    04/12/2018 à 11:18 | #8

    Une discussion avec un camarade grec sur carbureblog

    How the yellow-vests « ceased to be the movement of white france » when national flags, celtic crosses, monarchist flags, Breton flags, etc, were seen everywhere, even in the barricades? Yes, there were cases that nationalists were attacked, but in some cases, and for 3 weeks now they are present. Why so many protestors (is it the majority?) if not agreeing with them, at least tolerate them? Are all of these just empty signifiers? Isn’t it pointing to a gloomy situation of what will happen if the state apparatus collapses while under the current conditions, the current correlation of class powers? Isn’t it telling that what the yellow-vests movement inspired in other countries (Netherlands and Germany) is purely reactionary and anti-immigrant protests? Can current protests in France provide an exit from the tunnel or are they getting us deeper into its darkness? Here in Greece, in the indignados movement nationalism was dominant, and it now has supplied immediately a chain of events leading straight to the antiMacedonian protests, which now came back around the corner (last week, high-school students mainly in Northern Greece closed their schools against Macedonia and Albania) and as we get closer to the official enactment of the Prespa agreement things will intensify.

    Comradely,
    Nick
    traduction:
    Comment les gilets jaunes ” ont ils cessés d’être le mouvement de la France blanche ” quand les drapeaux nationaux, les croix celtiques, les drapeaux monarchistes, les drapeaux bretons, etc. étaient partout , même sur les barricades ? Oui, il y a eu des cas où des nationalistes ont été attaqués, mais dans certains cas, et depuis 3 semaines maintenant, ils sont présents. Pourquoi tant de manifestants (est-ce la majorité ?) s’ils ne sont pas d’accord avec eux, pourquoi les tolérer au moins ? Tous ces signifiants ne sont-ils que des signifiants vides ? N’indique-t-elle pas une situation sombre de ce qui se passera si l’appareil d’État s’effondre alors que dans les conditions actuelles, la corrélation actuelle des pouvoirs de classe ? N’est-il pas révélateur que ce que le mouvement des gilets jaunes a inspiré dans d’autres pays (Pays-Bas et Allemagne) est purement réactionnaire et anti-immigrant ? Les protestations actuelles en France peuvent-elles nous permettre de sortir du tunnel ou nous plongent-elles dans l’obscurité ? Ici, en Grèce, dans le mouvement des indignados, le nationalisme dominait, et il a maintenant fourni immédiatement une chaîne d’événements menant directement aux manifestations anti-macédoniennes, qui sont maintenant revenues au coin de la rue (la semaine dernière, des lycéens du nord de la Grèce ont fermé leurs écoles principalement contre la Macédoine et l’Albanie) et à l’approche de la promulgation officielle de l’accord Prespa les choses vont s’intensifier.

    Hello Nick,
    I am sorry not to be able to reply in English. If a comrade could translate it, I’d be very grateful.

    Tu as raison de poser toutes ces questions. Il est certain que ce mouvement a une composante d’extrême-droite très forte depuis ses débuts. Il est aussi probable que sa traduction politique soit la venue au pouvoir d’une coalition populiste quelconque, si ce n’est directement le RN. On ne peut ignorer cela, ainsi que la tentative qu’il comporte de se structurer en « peuple », y compris contre les partis classiques et toutes les médiations, et que le « peuple » ne puisse rien signifier d’autre que la France blanche et une alliance de classe entre une partie du prolétariat et la petite-bourgeoisie. Nous disons cela depuis le début du mouvement, contre à peu près toute la gauche qui voit la possibilité d’une « convergence sociale » dans ce mouvement, et considère que le racisme qu’il porte est simplement une affaire de mauvaise éducation des classes populaires, sans prendre en compte son contenu politique, que tu soulignes très justement pour le cas de la Grèce, ainsi que plus généralement en Europe.

    Simplement, tout va très vite, et depuis quelques jours on peut constater que le mouvement a pris une tonalité différente, qui a explosé le 1er décembre. Je pense que sur les barrages et dans les manifestations, la composante prolétarienne de ce mouvement a petit à petit pris le dessus sur les autres. Ce mouvement, qui au départ est celui d’une petite classe moyenne craignant le déclassement, qui mettait en avant les situations les plus difficiles pour améliorer la sienne propre, s’est trouvé pris à son propre jeu, et a réussi à rassembler les franges les moins stables du prolétariat. Il s’agit de composantes prolétaires issues de la restructuration et de la crise, et qui existent hors des syndicats et des instances de représentation traditionnelles. Il est caractéristique que la revendication autour du retour de l’ISF et de la hausse du SMIC se trouve désormais côte à côte avec la critique des taxes. On est sortis d’un mouvement sur le « harcèlement fiscal ». Par ailleurs, si au début du mouvement des agressions racistes à tendance nationaliste ont été rapportées, ça n’est plus le cas (pour le moment) depuis la semaine dernière. Hier, un journaliste de télévision connu pour ses positions libérales et qui le soutenait depuis le début déclarait que le mouvement avait « perdu son âme ».

    Mais, plus important, ces revendications restent diffuses, et le mouvement ne peut mettre en place aucune structure politique pour les porter devant le pouvoir. Les quelques porte-paroles qui proposaient une sortie de crise ont reçu des menaces de mort et se sont rétractés. Le pouvoir, qui ne « dialoguait » déjà pas beaucoup, ne trouve plus personne avec qui dialoguer. Plus, le mouvement même qui exige des « réponses » ne demande rien, et refuse tout dialogue. Ce qui s’est passé samedi, et que je résume un peu rapidement au fait que des racisés et des prolétaires blancs se sont trouvés côté à côte pour « tout casser », résume une situation anomique, une situation de débordement produite et désirée par ce mouvement tel qu’il est devenu, et qui abolit au moins momentanément les barrières entre les sujets. « On ne peut pas se faire entendre sans violence » disent-ils, mais la « violence » semble être devenue le but principal, dès lors qu’on ne revendique plus rien.

    Le 1er décembre, ce mouvement a échappé à ceux qui l’avaient initié, et ceux qui devaient en être de simples figurants sont arrivés sur le devant de la scène. Si je dis que le mouvement dans cette phase traduit le « mouvement réel », c’est que tel qu’il existe désormais il porte les contradictions de la classe qui l’anime, et se trouve dans cette situation où explose l’impossibilité de toute amélioration de nos existences dans le capital, et la prise de conscience du caractère insupportable de cette situation. Cette impossibilité, qui fait que ce que nous sommes socialement, et qui nous définit entièrement, est précisément ce qui nous empêche d’exister, c’est cela que nous avons toujours qualifié de situation révolutionnaire, et je crois que quelque chose de cet ordre s’est manifesté le 1er décembre. Ce constat n’est en rien une prédiction.

    Amicalement,

    AC

  9. adé
    04/12/2018 à 15:38 | #9

    …contenu politique…
    La critique de Nick est focalisée sur l’appartenance politique: l’extrême-droite.
    Rien sur son contenu social…ou anti-social.
    Rien sur la forme auto-organisée, par défaut, ou pas, glissement vers l’auto-organisation consciente et affirmée.
    Rien non plus sur le point de départ: l’augmentation de la taxe carbone et rien non plus sur les modalités d’actions : blocage des routes, ronds-points, centres de logistique ou dépôts pétroliers…
    Cette appartenance politique, populiste d’extrême-droite, voire d’ultra-droite (cf.Castaner) ne rend pas compte de la composition sociale de ce mouvement des G.J. où l’extrême-droite politique organisée est très minoritaire, ou totalement absente, non plus l’extrême-gauche.

    Aucune des personnes interpellées, ou déjà condamnées, n’avait d’affiliation politique, la violence relative des manifs ne s’explique pas par les casseurs d’un bord, ou de l’autre;
    A trop se focaliser sur les drapeaux, fussent-ils vendéens, on perd de vue l’ensemble d’un mouvement protéiforme, contradictoire, revendicatif et subversif, où de nombreux niveaux interfèrent (défense du pouvoir d’achat, haine envers les dominants, revendication de démocratie directe, défense du peuple français, référence à Mai 68, à 1789…).

    N’est-ce pas le propre de tout mouvement social que de conformer, dans un foisonnement contradictoire et on dirait confus, naïf (mais ne faut-il pas être naïf, un peu pour encore l’espoir de révolutionner?) un ensemble labile, un mouvement que rien ni personne n’avait vu venir, et dont personne ne sait le devenir?

  10. 04/12/2018 à 17:01 | #10

    Traduction du commentaire de Nick, en anglais ci dessous. dndf
    Ma réponse à Carbure, essayant de mieux expliquer ce que je veux dire, désolé pour l’anglais, mais je ne parle pas français :

    Le 12 février 2012 a été le point culminant du mouvement anti-austérité en Grèce. A Athènes, il s’agissait de la plus grande manifestation en Grèce après le changement de régime, qui n’a été dépassée en nombre que par la manifestation anti-macédonienne de Thessalonique en 1992 (on ignore lequel des deux avait le plus de manifestants, le nombre estimé est très proche). Le 12 février 2012, j’ai vu des anarchistes avec des drapeaux noirs et rouges mélangés à des nationalistes avec des drapeaux grecs, combattant les flics ensemble côte à côte dans les mêmes rues. Entre les attaques de la police anti-émeute, j’ai entendu des nationalistes avec des drapeaux grecs parler de la nécessité de former des milices populaires pour défendre les manifestants contre les flics (bien sûr, plus d’émeutes ont eu lieu après ce jour, donc, heureusement, ces milices nationalistes n’ont jamais été formées). Pendant toute la période 2010-2012, avec les grandes manifestations contre l’austérité, presque aucun immigrant n’y a jamais participé. Les immigrés étaient préoccupés par leur défense contre Aube Dorée et les flics et, bien sûr, les militants armés de couteaux d’Aube Dorée qui attaquaient les immigrés n’étaient pas des gens avec des biens et un statut, mais surtout des gens ” sans rien à perdre “, des prolétaires, défendant leurs intérêts sur le marché du travail en période de chômage accru (ou, du moins, c’est ce qu’ils pensaient faire). Les indignados ne se sont jamais souciés des immigrés, c’était un mouvement de citoyens grecs exigeant de l’Etat grec qu’il les protège de la tempête du marché mondial et de la crise internationale. Les émeutes d’Athènes de cette période n’ont jamais été initiées par les indignados de la place Syntagma, qui n’étaient qu’une partie du mouvement anti-austérité (et même de nombreuses assemblées des places locales avaient un caractère très différent de la place Syntagma) et non le mouvement entier. Les grandes émeutes d’Athènes étaient directement liées aux manifestations de la classe ouvrière, aux grèves générales de l’époque. Je vis dans un quartier où vivent de nombreux immigrants, principalement d’Albanie, du Pakistan et du Bangladesh. Sur la place de l’assemblée locale, aucun immigré du Pakistan et du Bangladesh n’a participé, même presque aucun Albanais (les Albanais, présents dans le pays depuis le début des années 90 et avec leurs enfants nés et élevés ici, sont beaucoup plus intégrés dans la société grecque et dans l’Etat grec que les deux autres nationalités). Dans l’assemblée locale, il n’y avait pas de fascistes : le quartier est généralement dominé par des partis et organisations politiques de gauche. Alors, pourquoi l’absence d’immigrants ? Parce que le contenu politique n’a rien à voir avec eux. Le contenu de l’assemblée était politisé, c’est-à-dire stratifié, il concernait la politique de l’Etat grec : hors de l’UE, annulation de la dette de la Grèce, pas de privatisation des services publics (dont la majorité des immigrés, n’étant pas citoyens, étaient de facto exclus), pas de vente de biens nationaux grecs et d’entreprises nationales aux Etats étrangers ou investisseurs étrangers privés… Contrairement à décembre 2008, aucun immigrant n’a participé aux émeutes de 2010-2012. Les seuls immigrants que l’on ait jamais trouvés dans les indignados de la place Syntagma et les émeutes de 2010-2012 ont été quelques petits vendeurs ambulants immigrés essayant de gagner leur vie en vendant des drapeaux grecs, des bouteilles d’eau, des sandwiches, des masques de ski et des lunettes de bain aux manifestants.

    Ce que j’essaie de dire, c’est que la nationalisation d’une lutte n’est pas seulement le résultat de la participation de la droite. Et même lorsqu’une émeute ou un mouvement ou quoi que ce soit d’autre n’a pas une certaine demande, il a sûrement un contenu ou un caractère général. L’émeute du 12 février 2012 n’avait pas de revendications, mais son contenu ou son caractère était de facto national par les processus des deux années précédentes : elle était l’aboutissement de ces processus sociaux. Le résultat de ces processus a été la culture du nationalisme même dans les milieux politiques ” radicaux “, comme les anarchistes (ici, même nous sommes considérés comme anarchistes, car ici les ” anarchistes ” sont généralement considérés comme des anti-étatiques et contre les médiations comme les partis, les syndicats, etc). Un collectif/organisation anarchiste après l’autre (bien sûr pas tous, mais beaucoup) a commencé à embrasser une rhétorique anti-impérialiste et léniniste, et certains ont même publié des ” programmes ” pour l’Etat grec libre et son économie après la ” révolution “.

    Le caractère national de la lutte n’est pas seulement donné par un groupe de participants de droite, et s’ils sont chassés des manifestations, tout ira bien. Le problème n’est pas tant les manifestants de droite eux-mêmes, mais le fait que, comme vous l’écrivez, il y avait ” des racistes et des prolétaires blancs côte à côte “. Même si les classes moyennes et les petits bourgeois se retirent des manifestations à cause de la violence des émeutes, cela ne veut pas dire que le nationalisme et le populisme sont partis avec eux, la question n’est pas si simple. La question n’est pas seulement la composition de classe d’un mouvement, mais son contenu.
    Bien sûr, ces deux éléments sont liés, mais ce n’est pas un lien direct, c’est une médiation.

    Dans Marx in his Limits, Althusser écrivait que ” non les idées communistes, mais le mouvement général de la lutte de classe du prolétariat contre les capitalistes ouvre la voie, et continuera d’ouvrir la voie, au communisme, qui est un “mouvement réel”. L’influence des idées ne se fait sentir que dans des conditions idéologiques et politiques qui expriment un équilibre donné des forces de classe : c’est cet équilibre des forces, et ses effets politiques et idéologiques, qui déterminent l’efficacité des ” idées ” en ” dernière instance “. “En regardant les événements, hors de France, je suppose que les idées qui arrivent ici sont les idées dominantes, et que ces idées expriment un certain équilibre des forces de classe. Si ces idées sont bien les idées dominantes, alors je ne peux que conclure que l’équilibre des forces qu’elles expriment n’est pas en faveur d’une révolution, ni même en faveur de quelque chose qu’on pourrait appeler ” progressiste “. Si ces idées sont effectivement dominantes, exprimant un certain équilibre des forces de classe, alors le populisme et le nationalisme ont déjà gagné, comme ici, en Espagne, en Italie, en Ukraine, en Grande-Bretagne, aux USA. Je ne peux qu’espérer que les informations et les idées qui arrivent ici de l’ensemble des ” gilets jaunes ” sont déformées, de sorte qu’il y a encore de l’espoir dans la période actuelle. Et mon plus grand espoir est que les gens des banlieues rejoignent les émeutes.
    Nick

    My response to Carbure, trying to somewhat better explain what I mean, sorry for the English, but I don’t speak French:

    The February 12th of 2012 was the peak of anti-austerity movement in Greece. In Athens this may was the biggest demonstration in Greece after the Regime Change, challenged in number of protestors only by the 1992 antiMacedonian protest in Thessaloniki (it’s unclear which of the two had most protestors, the estimated numbers are very close). In Febrary 12 of 2012 I saw anarchists with black&red flags mixed with nationalists with Greeks flags, fighting the cops together side-by-side on the same streets. In the « quite » moments between the attacks of anti-riot police, I’ve heard nationalists with Greek flags talking about the need to form popular militias to defend the protestors from the cops (of course, no more riots took place after that day so, fortunately, those nationalist militias were never formed). In the whole period of 2010-2012 with the big anti-austerity protests, nearly no immigrant ever participated in them. The immigrants were preoccupied defending themselves from Golden Dawn and the cops and, of course, the knifewielders of Golden Dawn attacking immigrants weren’t people with property and status, but mainly people « with nothing to loose », proletarians, defending their interests in the job market in times of increased unemployment (or, at least, that’s what they thought they were doing). The indignados never cared about the immigrants, it was a movement of Greek citizens demanding from the Greek state to protect them from the tempest of the global market and the international crisis. The Athens’ riots of that period were never initiated by the indignados of Syntagma square, who were only a part of the anti-austerity movement (and even many local square assemblies had very differnent character from the Syntagma square) not the whole movement. The big Athens’ riots were directly linked with the working-class protests, the general strikes of that period. I live in a neighbourhood with many immigrants, mainly from Albania, Pakistan and Bangladesh. In the local square assembly participitaed no immigrant from Pakistan and Bangladesh, even near no Albanians (the Albanians, being in the country since the early 90s and with their children born and raised here are far more integrated in the Greek society and the Greek state than the two other nationalities). In the local square assembly there were no fascists: the neighborhood is generally dominated by left political parties and organisations. So, why the absence of immigrants? Because the political content had nothing to do with them. The content of the assembly was politicised, ie statified, it was concerning the politics of Greek state: out of EU, write-off Greece’s debt, no privatisation of public services (from which the majority of the immigrants, not being citizens, were de facto excluded), no selling Greek national property and national enterprises to foreing states or foreign private investors, etc. In contrast to December 2008, no immigrant participated in the riots of 2010-2012. The only immigrants ever to be found in the indignados in Syntagma square and the riots of 2010-2012 were some immigrant small street vendors trying to make a living, selling Greek flags, bottles of water, sandwiches, ski masks and swimming goggles to the protestors.

    What I’m trying to say, is that the nationalisation of a struggle isn’t just the result of the participation of the right-wing. And even when a riot or a movement or whatever don’t have a certain demand, it surely has a general content or character. The riot of February 12th of 2012 posed no demand, but its content or character was de facto national by the processes of the previous two years: it was the culmination of those social processes. The outcome of those processes was the cultivation of nationalism even in the « radical » political milieus, like the anarchists (here, even we are considered anarchists, because here « anarchists » are generally considered those who are anti-state and against mediations like parties, trade-unions, etc). One anarchist collective/organisation after the other (of course not all, but many) started embracing an anti-imperialist and leninist rhetoric, with some even publishing « programs » for the free Greek state and its economy after the « revolution ».

    The national character of the struggle is not given just by a bunch of right-wing participators in it, and if they are ousted from the protests then everything will be okay. The problem isn’t so much the right-wing protestors themselves, but the fact that, as you write, there were « racists and white proletarians side by side ». Even if the middle-classes and the petit-bourgeois withdraw from the protests due to the violence of riots, that doesn’t mean that nationalism and populism have left with them, the issue isn’t so simple. The issue isn’t just the class composition of a movement, but its content. These two of course are connected, but it’s not a direct connection, it’s mediated.

    In Marx in his Limits, Althusser wrote that « not communist ideas, but the general movement of the proletariat’s class struggle against the capitalists is paving the way, and will continue to pave the way, for communism, which is a ‘real movement’. The influence of ideas makes itself felt only under ideological and political conditions that express a given balance of class forces: it is this balance of forces, and its political and ideological effects, which determine the efficacy of ‘ideas’ in the ‘last instance’. » Looking the events outside of France, I assume that the ideas that are reaching here are the dominant ones, and these ideas express a certain balance of class forces. If these ideas are indeed the dominant ones, then I can only conclude that the balance of forces that they express aren’t in the favour of not just a revolution, but even in favour of something that could be called « progressive ». If these ideas are indeed the dominant ones, expressing a certain balance of class forces, then populism and nationalism have already won, like here, in Spain, in Italy, in Ukraine, in Britain, in USA. I can only hope that what informations and ideas reach here from the whole « yellow-vests » are distorted, so that there is still hope there in the current period. And my biggest hope is that people from the banlieues are in riots again.

    Comradely,
    Nick

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