Blog Artifice : « Les pires conditions matérielles sont excellentes – Résurgence de la nation et antiracisme patriotique »
Dernier texte mis en ligne sur le blog “Artitices”
Au cours de ces derniers mois, alors que l’atonie des luttes de classe en France nous contraignait à prendre du recul pour penser la séquence en cours, nous avons subi la popularité grandissante de litanies médiocres rabâchant la nécessité de construire une alliance, électorale autant que stratégique, entre les “petits Blancs” et les “indigènes” (ou, non sans un certain lyrisme, les “beaufs” et les “barbares”). Ce renouveau de la social-démocratie, incarné notamment par le webmedia Paroles d’Honneur et le parti-think-tank des Indigènes de la République, demeure encore cantonné à un espace médiatique marginal mais pénètre progressivement l’espace spongieux de la gauche. D’abord réticent·es à leur consacrer un article qui ne pourrait s’insérer dans aucun dialogue critique (à franchement parler, la perspective communiste leur est totalement étrangère), nous avons fini par décider de les traiter comme un symptôme de la séquence actuelle. En effet, depuis quelques temps s’est imposée une nouvelle idée dans leur agenda théorique : la réhabilitation de la nation et de son projet hégémonique à même de réconcilier “les tours et les bourgs”. Moins qu’une excuse pour entrer dans la danse de la polémique avec le PIR-PDH, c’est à une dissection de la résurgence nationaliste à gauche que nous nous attelons ici.
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« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »
Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une nation ?
Dans le marasme ambiant, quelques figures de l’intelligentsia gauchiste s’échinent à revitaliser une sociale-démocratie qui a fait son temps, et c’est pourquoi il nous a paru nécessaire, à notre corps défendant, de revenir sur l’horizon nationaliste qui semble avoir le vent en poupe. Des apologistes de la guerre civilisationnelle et d’une militarisation exponentielle du pays aux discours d’union des “beaufs et des barbares” dans une rocambolesque transcendance nationale1, sur les cendres du moment altermondialiste réémerge le spectre de notre vieille ennemie : la nation. Les premiers ne méritant pas qu’on s’attarde sur leur cas autrement que par l’injure, nous nous concentrerons ici sur les seconds, qui bénéficient surprenamment d’une certaine audience jusqu’au petit milieu “radical”.
Pour qui prête attention aux récentes inflexions de la politique économique globale et aux symboles brandis en manifestation, la recrudescence de la “question nationale” au sein des pays impérialistes ne peut plus être ignorée. A la traîne de larges segments du prolétariat pour lesquels la nation est (re)devenue le cadre idéologique à partir duquel ils luttent au sein d’alliances interclassistes souvent monstrueuses, la gauche tente alors d’apporter une nouvelle base à son racket politique2. Loin d’être le seul fait des entrepreneur·ses du nationalisme, c’est l’effondrement du vieux mouvement ouvrier et la transformation du rôle économique de l’Etat depuis la restructuration des années 1970-80 qui font que le prolétariat vit sa situation comme une lutte contre la mondialisation, dans laquelle la nation se présente comme un bouclier providentiel.
Prenant la nation pour ce qu’elle est au sein du cycle de lutte actuel, nous tentons de mettre en lumière ici ce que sa réhabilitation dit de la séquence dans laquelle nous sommes entré·es tête la première. Il ne s’agit pas de critiquer l’idée de nation en tant qu’abstraction métaphysique, mais de resituer cette dernière dans la configuration particulière dans laquelle se meuvent les luttes d’aujourd’hui. Sans épargner les visages concrets de cette rédemption d’une vieille idée que le mouvement ouvrier d’antan traînait déjà comme un boulet d’airain, notre ambition est de discerner de quoi ce retour du cadre national est symptomatique.
Les daltonien·nes des rapports sociaux
« Non, la race n’existe pas. Si, la race existe. Non certes, elle n’est pas ce qu’on dit qu’elle est, mais est néanmoins la plus tangible, réelle, brutale des réalités. »
Il est impensable de parler de la nation sans d’abord s’attaquer à l’épineuse question de la race, qui en est constitutive. La fondation de la nation est intimement liée à l’édification des segmentations raciales, dans la colonisation et les “grandes découvertes”, dès les balbutiements de la modernité. Ca ne fait aucun doute pour la France impériale, mais cette thèse pourrait être étendue, pour l’essentiel, à la plupart des États centraux du capitalisme. Si la division raciale induit une exclusion (ou en tout cas une hiérarchie) de l’humanité, elle est simultanément exclusion de la communauté nationale. Subsidiairement, la nation requiert toujours la construction d’un Autre afin de délimiter ses propres frontières ; cet Autre est tantôt un “étranger”, tantôt un “ennemi intérieur”, et bien souvent les deux à la fois. Or, depuis plusieurs années s’est imposée à gauche une vision spécifique de la lutte antiraciste portée par quelques figures médiatiques, s’affichant un jour avec Léaument, un autre avec Kazib, ou encore avec Lordon, ou tout autre intellectuel en quête d’une pincée de radicalité que peine à lui conférer son postdoc. Il ne s’agit nullement ici d’entrer en polémique avec ces saltimbanques, tant cette discussion serait stérile, mais d’interroger leur usage de l’idée nationale, au moyen d’un détour introductif sur ce qu’est (et ce que n’est pas) la race.
Si ce discours rencontre un tel écho, c’est en premier lieu du fait de l’insuffisance manifeste des inepties que lui opposent ses détracteurs. En effet, les principales critiques, d’où qu’elles émanent, adressées à ces organisations se résument à nier la réalité des segmentations raciales. Comme nous le développerons par la suite, considérer la race comme un voile, un artifice ou une manipulation à démystifier revient à nier sa matérialité. Que cette négation se déploie au nom du très abstrait universalisme républicain pour ce qui est de ses versions les plus intégrées aux appareils idéologiques d’Etat, et/ou au nom de l’unité du prolétariat pour ce qui est de ses déclinaisons ouvriéristes, n’altère que marginalement le fond du discours. Renversant la réalité pour mieux naturaliser ces segmentations raciales du prolétariat, on accuse alors celles et ceux qui intègrent cette réalité objective à leur compréhension du monde social d’en être à l’origine. On peut alors traiter de “racialiste” toute analyse reconnaissant la matérialité historique de cette segmentation. Mais les composantes gauchistes de celleux que nous nommons donc les “antiracialistes” ne souffrent pas d’une simple ignorance, iels sont nostalgiques d’une période révolue où le mouvement ouvrier apparaissait comme l’affirmation d’un prolétariat uni — au prix d’une occultation de ses segmentations internes, de race et de genre, unidimensionnalité prenant corps dans la figure de l’ouvrier blanc viril3. En effet, supposer une unité du prolétariat, divisé uniquement par une manipulation du patronat ou par la perversité de l’État contre-révolutionnaire de la bourgeoisie, permet de confiner la segmentation raciale au seul registre des idées, barrière qu’un simple tract pourrait lever. Nous laissons à d’autres le soin de regretter ou de fustiger cette période, mais il importe de reconnaître l’impossibilité d’y revenir dans l’état actuel du rapport de classe. À l’époque déjà, la segmentation raciale structurait l’existence de classe, mais il était possible de la dépasser relativement en intégrant le mouvement ouvrier, parce que l’unité de ce dernier était la condition même de sa survie, mais aussi parce que le travail constituait un facteur d’appartenance à la communauté nationale. Obtenir la nationalité française était un moyen au prolétariat de prouver sa respectabilité et donc d’accéder à la sphère de la représentation d’où il pouvait formuler des revendications. La restructuration du rapport capital/travail des années 1970-80 vient faire voler en éclats cette perspective. Désormais, le “travailleur immigré” est un “musulman”4, et la position qu’il occupe reproduit quotidiennement sa séparation effective avec le prolétaire blanc. Dit autrement, le prolétaire racisé ne peut plus intégrer le mouvement ouvrier car son exclusion des centres industriels (souvent assortie d’une condamnation au chômage ou à la précarité) le sépare du prolétaire blanc, puis bientôt car il n’y a plus de mouvement ouvrier à rejoindre. Du travailleur immigré, avant tout travailleur – au prix de la silenciation du particulier de sa situation – il ne reste que le musulman, assigné à une situation entièrement particulière au nom de différences culturelles essentialisées. La segmentation raciale n’est bien sûr pas apparue lors de cette restructuration, mais cette dernière a reconfiguré les frontières de race et surtout mis le mouvement ouvrier devant l’évidence de sa segmentation réelle, éloignant toute perspective d’affirmation du prolétariat.
Nier l’impitoyable réalité de la segmentation du prolétariat permet aux antiracialistes de continuer à croire en la possibilité de ressusciter un mouvement ouvrier unifié derrière l’archétype du prolétaire pur et souverain. Si la race n’est qu’une illusion dont on pourrait lever le voile, alors la séparation réelle observée ne peut s’expliquer que par des différences culturelles essentialisées ou des stratégies discursives. En dernière analyse, si la race n’est qu’une manipulation et que le prolétariat demeure stratifié, c’est surtout une histoire de mauvaise volonté : une partie est ignorante, bien sûr, mais l’autre est victime du “communautarisme” ou mange dans la main d’une lumpenbourgeoisie hypercapitaliste qui les biberonne à l’Islam(isme).

Or, la race est une réalité objective, une structure du capitalisme reproduite en permanence dans les rapports quotidiens de la production, de la circulation et de la reproduction. Parler de race ne revient bien évidemment pas à faire siennes les catégories racistes biologiques, ou désormais davantage culturalistes5, il s’agit bien d’observer comme construction historique et évolutive un système de classement héréditaire hiérarchisant des groupes sociaux. L’histoire du capitalisme et celle de la race sont indissociables : le capital reproduit activement les segmentations raciales en son sein, segmentations qui le structurent en retour. Il ne s’agit donc pas non plus d’additionner ces deux systèmes, mais bien de comprendre, dans chaque période historique, comment les dispositifs d’assignation de classe et de race sont toujours-déjà structurées ensemble par l’objectivité des rapports sociaux capitalistes. Il n’y a pas de lutte de classe pure, parce qu’elle est toujours surdéterminée. Le prolétariat n’existe pas indépendamment de ses stratifications, et il ne nous apparaît jamais comme concept mais comme contradiction en procès. Plus généralement, le prolétaire racisé affronte à la fois l’identité culturelle qui lui est assignée et la position objective de prolétaire contingent qu’il occupe au sein du mode de production capitaliste (MPC). La désintégration de l’identité ouvrière fait alors apparaître au grand jour l’éventail “d’individualités” qui étaient subsumées dans son être-prolétaire, phénomène que de tristes sires préfèrent nommer la “racialisation de la question sociale”. Considérant l’unité comme un préalable à l’action collective, les tenant·es du programmatisme ne peuvent que déplorer cette situation. Haro sur les trouble-fêtes à la manœuvre ! Mais c’est bien le mode de production capitaliste (toujours lui !) qui produit et reproduit le prolétariat comme sujet contradictoire du rapport d’exploitation : il n’existe donc qu’embourbé dans une réalité concrète, impure et turbulente.
Les divagations de ces “antiracialistes”, bien qu’elles ne soient pas tout à fait de la même teneur selon qu’elles s’expriment sur Indymedia ou dans les colonnes de Marianne, rendent aisé pour n’importe quelle théorie prenant en compte le fait racial dans sa grille de lecture de paraître particulièrement brillante. Lorsque la seule explication à pourquoi les prolétaires de tous les pays ne se sont toujours pas unis, ou pourquoi les cortèges des Gilets Jaunes et les marches “Vérité et Justice” n’ont pas magiquement convergé, est l’épouvantail de la manipulation idéologique, les borgnes sont sacrés rois ne serait-ce que parce qu’ils entretiennent un rapport minimal avec le réel. En effet, c’est en partant de l’objectivité de la segmentation raciale que prospère le racket politique6 auquel nous voulons nous attaquer et dont le PIR-PDH, par exemple, est un éminent avatar7. Leur discours fige la race dans une acception culturaliste reposant tout entière sur la binarité Sud/Occident, sur laquelle nous reviendrons. Il peut donc paraître surprenant d’observer que le débouché politique de cette compréhension culturalisée de la race semble s’être récemment incarné dans la nation, au détour d’un universalisme renouvelé.
De la fortune d’un archaïsme
« Je me souviens seulement que nous criâmes quinze fois : “Vive la république !” durant le cours de la séance, à l’envi les uns des autres. […] Je crois, du reste, qu’ici le cri fut de part et d’autre sincère ; il répondait seulement à des pensées diverses ou même contraires. Tous voulaient alors conserver la république, mais les uns voulaient s’en servir pour attaquer, les autres pour se défendre. »
Alexis de Tocqueville, Souvenirs, Partie II, Chapitre V
« Ma France à moi, elle aime les ouvriers, les usines, les drapeaux rouges et les drapeaux tricolores. Ma France à moi, elle chante L’Internationale et La Marseillaise. C’est coco et cocorico ! »
Fabien Roussel
La nation est redevenue le cadre idéologique incontournable des luttes contemporaines, et ceci aussi bien pour ceux d’en haut que pour ceux d’en bas. Il importe de saisir que la revendication nationaliste ne se réduit pas un “mensonge” qui détourne la lutte des classes des “vrais sujets” d’ordre purement économiques. Au contraire, la lutte de classe se poursuit réellement sous l’idéologie de la nationalité authentique revendiquée contre un État déraciné. Si la nation en est venue à redéfinir le langage naturel dans laquelle s’exprime la revendication politique, après une élision temporaire derrière les alternatives à la mondialisation néolibérale (tiers-mondisme et consorts, altermondialisme etc.), ce n’est pas de manière fortuite ou pour donner suite à un soudain besoin communautaire8. C’est plutôt en réponse à une situation donnée et en adéquation avec ce qu’en vivent les acteurs, et ce qui semble être le retour de la nation comme espace d’accumulation géographiquement circonscrite conformément à la tendance récente à une reterritorialisation de la plus-value. Les rapports de production ne sont jamais vécus directement par les individus qui composent le mode de production capitaliste mais sont toujours médiatisés par une idéologie, qui comprend et répond effectivement aux rapports sociaux, mais en les comprenant à sa façon. Elle donne à voir une représentation de la structure actuelle du MPC selon ses propres termes. C’est pourquoi l’idéologie n’est jamais un reflet passif de “l’économie” mais met plutôt en forme selon ses nécessités propres les rapports de production. Le logiciel nationaliste donne à voir la crise de la mondialisation actuelle comme crise des valeurs morales traditionnelles et revanche d’une population nationale marginalisée contre le mépris d’une élite mondialiste. Cette crise historique de la souveraineté de l’État, à la fois sujet et objet de la mondialisation, se travestit ainsi sous l’idéologie comme crise de légitimité de la société civile par rapport à son propre État9. Aujourd’hui, l’idée nationale n’est plus l’apanage des mouvements contestataires mais, à la faveur de la restructuration qui vient, est en passe de s’imposer comme cadre commun à l’ensemble du champ politique.
Il serait aisé de se moquer et de balayer d’un revers de la main cette représentation imaginaire comme fausse. Pourtant, ce serait oublier qu’elle est le produit adéquat d’une certaine structuration historique du MPC et que les individus agissent et modifient réellement leurs conditions d’existence sous l’impulsion d’une idéologie. Le faux est un moment du vrai comme disait l’autre. Cela implique de prendre au sérieux le faux comme un moment réel de la lutte des classes et pas simplement comme un détournement des pauvres moutons prolétaires de la vérité détenue par la classe des révolutionnaires professionnels. Ce vrai dont le faux est un moment, c’est l’affaissement du monde sorti des années 1980 qui avait promis d’en finir avec l’Etat-nation. C’était aussi la gouvernance mondiale apaisée du “droit international” qui aujourd’hui se noie dans le sang. Ce fantasme d’une mondialisation heureuse a montré son échec, et la nation se réaffirme tendanciellement comme un espace d’accumulation incontournable. Le monde libre est mourant, certes, mais les mauvais choix économiques des politiciens n’en sont pas à la source, cette lente déliquescence est l’aboutissement des tendances séculaires du MPC : baisse de la profitabilité du capital et surproduction, expulsions toujours plus importantes de part entière de la population humaine hors des centres de l’activité productive, qui en conséquence tombe dans la misère et est contraint de mener une existence abjecte10 (économie “informelle”, précarité, voire même de nouvelles formes d’esclavage). Et, enfin, la rupture entre le cours d’accumulation du capital, ses besoins en énergies bon marché et les capacités de renouvellement de matière et d’énergie de la planète terre (déforestation, épuisement des sols) se poursuit à vive allure. Sur le corps agonisant du capital, chaque État essaye d’attirer plus de capitaux (et surtout d’en extraire davantage de plus-value) au détriment de son voisin, arguant d’impérieuses nécessités telle que la défense de sa souveraineté économique ou de l’autonomie face aux risques de perturbation dans les chaînes de valeur globales. Aujourd’hui, les capitaux occupant une place subordonnée dans le système-monde remontent la chaîne alimentaire du capitalisme mondial et gagnent en autonomie contre les monopoles centraux. Des Etats sous-impérialistes comme la Chine ou, à une moindre échelle, la Turquie représentent dorénavant les intérêts de leurs capitaux propres, et font d’eux des puissances régionales capables de se mesurer, dans leur aire d’influence, à l’hégémonie américaine. La fin de la mondialisation heureuse produite par la restructuration des années 1970 ne signifie pas la désuétude du marché mondial mais le chambardement de l’hégémonie américaine sur les chaînes de valeur globales. Si l’espace global du capital n’a pas dit son dernier mot, il traverse néanmoins une crise d’ampleur et doit envisager sa potentielle recomposition sous la prépondérance de l’espace national. C’est une tendance d’ores et déjà observable mais encore inégale qui se traduit différemment selon le contexte historique et politique de chaque pays et qui pourrait potentiellement s’inverser tout aussi rapidement. Dans ce chaos mondial chacun·e rêve de l’identité nationale comme dernier rempart à la dévastation généralisée et prend part aux conflits en cours (de nation et donc de classe) sous cette bannière. Il ne restera plus aux “happy few” qui sortiront indemnes de cette séquence de nettoyer leur vestes nationales des quelques gouttes de sang qui auraient pu les atteindre au cours de ce qui s’annonce comme la prochaine boucherie mondiale.

C’est pourquoi la nation revendiquée ne peut pas être comprise comme une abstraction ou une communauté culturelle imaginaire et plastique, mais fait référence en creux à un contenu concret : citoyenneté, marché du travail, monnaie nationale, place dans le système international, éducation, revenu, impérialisme, hétérosexualité et famille nucléaire. C’est ce contenu concret qui est revendiqué comme bouée de sauvetage. Au travers de la revendication nationaliste, il est toujours question d’inflation, de niveau de vie, de TVA et des fins de mois difficiles. Mais la nation fait adopter à ces revendications sur la vie quotidienne une forme racialisée. Les assisté·es qui profitent de l’État ne sont pas juste les riches mais aussi les “jeunes de quartier”. Ce qui est exigé en définitive de l’État, c’est bel et bien la préférence nationale. Il ne s’agit pas pour le “peuple” de former une communauté parce qu’en chacun se trouverait un désir de transcendance à combler, mais de se promouvoir à la tête de l’État afin de vivre mieux que le mois d’avant, sauf que la croissance est aux abonnés absents. Il est donc question de l’État et de la nation non seulement comme figures identitaires, mais aussi comme garants d’une distribution des revenus plus justes selon des lignes raciales. Et, actuellement, la nation arrange les affaires d’une partie de la classe capitaliste en proie à la concurrence internationale, qui en conséquence valide et promeut l’ensemble des thèmes nationalistes.
Il s’agit d’un travail idéologico-pratique jamais achevé d’interpellation des individus en sujets nationaux, ce qui a pour effet de cadrer par avance toutes leurs revendications économiques dans le giron de la nation, et d’insuffler une âme politique nationaliste à toute revendication économique. Cela nécessite également de projeter une identité commune partagée par le peuple, peu importe que cette identité soit génétique ou culturelle – et bien souvent les deux. C’est pourquoi aujourd’hui la défense d’une distribution plus juste contre un État dénationalisé et européen prend la forme d’une défense d’une francité authentique qui doit redevenir le Peuple souverain. L’extrême-droite devient alors l’expression politique naturelle de cette protestation, et ses thèmes de prédilection peuvent infuser dans toute la sphère politico-médiatique.
Dans ce climat de nationalisation de la lutte des classes, il est forcé qu’une partie de la gauche sente le vent tourner et s’empare aussi de ces tendances idéologiques nationalistes. Que la gauche se retrouve contrainte d’adopter le nationalisme pour tenter de se montrer encore convaincante au regard de la “société civile” n’est qu’un symptôme de cette recomposition idéologique globale qui la contraint, pour garder la tête hors de l’eau, à jeter par la fenêtre le cosmopolitisme qu’il lui arrivait encore d’endosser hier. Car la gauche n’est jamais que le côté opposé du même parlement que celui qu’occupe la droite. Elle participe pleinement à la sphère politique démocratique et donc à la vie de la machine d’État, et possède une fonction en propre : représenter l’identité ouvrière dans l’espace politique capitaliste. Depuis la fin de l’identité ouvrière confirmée et reproduite par le MPC, le problème principal de la gauche a été de dénicher un sujet politique qui puisse justifier son rôle de médiateur entre la société civile et l’État. Avant la restructuration, l’identité ouvrière était le support naturel où la gauche pouvait à la fois être l’expression politique de la montée en puissance de la classe à l’intérieur du MPC, et en même temps faire en sorte que la lutte de classe reste confinée dans le cadre que ce dernier avait lui-même défini. La révolution n’était pas de son ressort, certes, mais le PCF pouvait encore envoyer des prolos à l’assemblée (et ce n’était pas anodin pour la classe ouvrière).
Depuis, la gauche se retrouve contrainte de convoquer les individus de la société civile, non en tant que représentants de leur identité de classe, mais en tant que sujets-citoyens. En ce sens, elle ne fait plus qu’entériner le cadre idéologique du moment pour permettre d’alimenter sa rapine et se poser comme médiateur. Du PIR-PDH à la nébuleuse altermondialiste, une même réalité : le citoyen-national comme unité de base de mobilisation. Dans les conditions actuelles de la lutte des classes, dont le nationalisme tend à redevenir le cadre incontournable, ce citoyen convoqué perd son caractère cosmopolite (l’a-t-il déjà été ?) pour devenir membre intégral de la nation française. La gauche alors ne fait plus que participer et entériner cette ambiance nationaliste, quitte à pour cela remodeler le roman national dans un sens progressiste. Léaument est un expert emblématique de ce genre de tour de prestidigitation qui consiste à gonfler la nation de thèmes révolutionnaires, mais la gauche n’est de toute façon jamais à un escamotage près de la réalité. Elle peut aussi à ce petit jeu invoquer son propre panthéon qui ne manque pas de patriotes convaincus. Mais il n’est pas certain qu’elle arrive à rallier ceux d’en haut et ceux d’en bas à son nationalisme, car la pente de l’ethnicisation n’est jamais loin. Disons juste que l’extrême-droite se sent plus à l’aise avec la nation qui est son habitat naturel, tandis qu’à gauche, Léaument doit bachoter la révolution française pour redorer le blason de Robespierre et tout le monde est bien embarrassé quand Macron nous coupe l’herbe sous le pied en béatifiant Manouchian.
Les Podcasteurs Insupportables de la Réaction
« Dans ce magma, il y a un butin de guerre qui s’appelle Mélenchon. »
Houria Bouteldja, militante pour l’autonomie des luttes antiracistes
Cette ligne n’existe pas toute seule dans les luttes actuelles. Elle connaît comme relais principal un réseau d’intellectuel·les et d’influenceur·ses gravitant autour du PIR-PDH ー le second ayant acquis une visibilité nettement plus importante au cours des dernières années. Nous l’avons vu, s’ils ont pu fleurir sur la réalité de la segmentation raciale face à un discours antiracialiste de toute évidence inconsistant, ils partagent en réalité largement les mêmes catégories et visions des classes sociales actuelles. Cette symétrie n’est pas accidentelle : elle est issue de la position proprement politique qu’occupe le PIR-PDH.
Ne surestimons pas l’importance qu’ont ces organisations dans la lutte des classes actuelles. S’il leur est coutumier de défrayer la chronique sur Twitter, le PIR-PDH est insignifiant dans les “quartiers”. En effet, s’ils se présentaient à leur création comme relais des luttes du prolétariat racisé, ces derniers ont rapidement abandonné cet ambitieux objectif pour se rapprocher du reste du milieu militant, nécessairement ancré dans les classes d’encadrement. Cette distance est désormais assumée, le PIR-PDH se revendiquant davantage comme un think tank chuchotant les mots d’ordre décoloniaux à l’oreille de LFI que comme un fantasmagorique parti de masse ー en dépit des déclarations de principe d’allégeance à Lénine pour séduire le gauchiste moyen. Actant leur échec à s’improviser porte-paroles des émeutiers de 200511, ils se sont tournés vers la stratégie de l’hégémonie pour vendre leur marchandise épistémologique au plus offrant.
C’est à partir de ce désaveu que le PIR-PDH dût entreprendre de fonder son racket politique sur un monopole revendiqué de la représentation des racisé·es. Ce monopole, qui leur confère une indispensable fonction d’appoint auprès de la “gauche blanche”, implique la construction d’un sujet homogène : l’indigène. Par ce sujet unique, il est alors possible de revendiquer une représentation hégémonique ー au prix d’une mise sous silence de leur position de classe ー et ainsi d’imposer leur leadership naturel sur le prolétariat racisé. Mais c’est aussi de la nécessaire homogénéité du sujet sur lequel repose leur position que découle l’unidimensionnalité de leur discours. La race doit être un objet invariant et au fonctionnement systématiquement identique, et surtout à la base d’un sujet racisé unidimensionnel, occultant les segmentations de classe, de genre etc. La question n’est pas tant de déterminer que le PIR-PDH aurait des angles morts sur les questions de genre ou des dérives antisémites, mais pourquoi il a besoin pour justifier son assise dans les luttes de maintenir sous silence toute division externe à la race telle qu’elle est appréhendée dans leurs analyses. Le PIR-PDH ne peut intégrer à son discours la contradiction de genre, ni même les différentes formes que prend la frontière de race, sous peine de laisser s’échapper tout ce que la catégorie “d’indigène” contient d’explosif. De cette unidimensionnalité de la race découle leur complaisance aux mouvements masculinistes et aux clergés les plus réactionnaires12 tant qu’ils peuvent être fondus dans le sujet “indigène”. Tout comme les antiracialistes taisent tout ce qui déborde de la classe, le PIR-PDH ne peut considérer les déterminations annexes à la race qu’incidemment. L’unité du sujet est érigé en suprême nécessité, même si cela implique de confiner la femme au foyer et renvoyer dans le placard les “indigènes” LGBT13. Cette rhétorique s’épanouit d’autant plus opportunément qu’en face l’idéologie dominante reconfigure, sous couvert de féminisme, son discours raciste au travers d’une obsession du voile. Extra Ecclesiam nulla salus14.

Leur usage de l’ambiguïté du terme générique d’islamophobie participe de ce racket. La liberté de culte offre un point de chute aux aspirations universalistes de la classe moyenne. Or, ce que l’on nomme islamophobie ne renvoie pas une discrimination religieuse mais une discrimination raciale prenant la forme d’une discrimination religieuse. Le racisme anti-Arabes contemporain est ainsi une racisation des groupes supposés musulmans à partir de critères culturels essentialisés et biologiques. S’il se présente au final comme une discrimination anti-religieuse envers l’islam, ce n’est que le résultat du processus de racisation tel que pris dans sa réalité actuelle, et non son fondement. C’est en prenant l’effet pour la cause que le PIR-PDH peut développer une défense de la religion en elle-même et une apologie de ses pires éléments réactionnaires, en dépeignant ce subtil tour de passe-passe comme le pinacle de la lutte antiraciste. La labilité de la race dans l’islam leur offre une occasion de culturaliser un racisme qui semble ne plus s’attacher qu’à un sujet politique unique, un conglomérat d’individus racisés qui vivraient une situation commune par-delà les clivages de classe ou de genre du fait de leur appartenance religieuse et/ou culturelle. Il ne reste plus qu’à élargir au forceps les contours de l’universalisme républicain pour que “les musulman·es”, sous la houlette de leurs représentant·es idéologiques, s’y taillent une place au soleil et le tour est joué.
Le PIR-PDH naît au lendemain des émeutes de 2005 en essayant vainement de capter cette révolte pour se poser en interlocuteur audible face à l’État et de donner un cadre aux luttes insolemment dissonantes du prolétariat racisé. Contre les lignes de fuites tracées par les émeutiers de l’automne, le PIR-PDH tentait de leur organiser un débouché politique propre au sein du cadre républicain, avec la finalité assumée des élections. Revue à la baisse, cette noble ambition citoyenne se résume désormais à faire voter les “quartiers” pour Mélenchon. De l’autonomie des luttes antiracistes annoncée, il n’est rapidement plus resté qu’un soutien au principal parti de la sociale-démocratie, une subordination en cinquième roue du carrosse insoumis comme condition de survie politique mise en scène comme entrisme et influence idéologique. Dans une convergence des impuissances, les deux parties en quête d’une radicalité de façade peuvent se qualifier mutuellement de prise de guerre dans une bouillie idéologique où “l’antiracisme politique” vient sauver la République de son passé colonial. Il ne s’agit pas ici de faire le procès de la stratégie du PIR-PDH 一 qui a par ailleurs connu un certain succès médiatique 一 mais de souligner que leur discours polarisé sur la question de l’islamophobie est la conséquence nécessaire de la place qu’iels occupent dans les luttes. Nous n’attendons rien d’autre du PIR-PDH, car ce dernier ne pouvait pas être autre chose, et ne peut donc pas dire autre chose. L’antiracisme politique a besoin de la gauche blanche, et du reste de l’arc néopopuliste pour nouer des alliances par-delà l’exiguïté de leurs cœurs de cible respectifs.
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« Mon conseil à la jeunesse : lire Karl Marx »
Emmanuel Macron
Du point de vue de celles et ceux qui cherchent à délimiter une coalition de plusieurs sujets politiques en apparence dissemblables, leur pratique est décrite comme une conquête de l’hégémonie. Il s’agit de la vieille recette de la “démocratie ouvrière”15, dont la reprise est toutefois plus proche de l’appropriation de la Nouvelle Droite16 de Gramsci que de ses thèses originelles. Elle nécessite la construction de sujets stables sur lesquels faire reposer l’édifice stratégique. Certains léninistes tentent encore parfois, pour sauver la face, de s’appuyer sur la classe ouvrière en rappelant que Gramsci martelait que l’hégémonie “naît de l’usine”. Or, d’une part, comme nous l’avons dit, cette lutte pour l’hégémonie devait se construire autour de la figure universelle de l’ouvrier blanc au prix de l’expulsion des segmentations de la classe pour en assurer une composition homogène sur laquelle fonder le mouvement ouvrier. D’autre part, après la restructuration et la fin de la “grande usine” autour de laquelle l’identité ouvrière “trouvait sa confirmation”17, il paraît difficile d’en faire son point de départ. Dès lors, soit l’on s’accroche à ce slogan, qui serait gage d’un caractère révolutionnaire, sans jamais le réaliser en pratique, en se lançant à corps perdu dans la bataille des idées (c’est le sarko-léninisme) ; soit l’on prend acte de son caractère suranné et on élargit la focale (c’est le sarko-populisme). Certain·es partent vaillamment des streams, des cagnottes pour émissions satiriques et des podcasts engagés, pour ouvrir les consciences et accompagner la transcroissance des luttes jusqu’à la révolution ou, plus probablement, jusqu’aux prochaines échéances électorales. Il est on ne peut plus facile de croire et de faire croire que la “prise de conscience” sert la révolution ou la gauche, d’autant plus quand on en a soi-même fait l’expérience. Combien de gauchistes n’entend-on pas vanter les mérites des idées et de la grande bataille culturelle sous prétexte que c’est ainsi qu’elleux-mêmes en sont venus à leur tour à faire la leçon aux autres ? Et peut-être y eut-il un temps où cela servait réellement à faire avancer la “cause communiste”, à travers l’affirmation du prolétariat et le développement d’une “conscience de classe” renforçant (en seconde instance) l’existence d’un mouvement ouvrier organisé déjà rendu existant par les conditions de la lutte de classes de l’époque (la lutte au sein de la grande usine, par un “travailleur collectif”). Mais il est clair qu’aujourd’hui, une telle illusion ne sert qu’à se leurrer doublement18.
D’abord, sur les luttes de classes : les luttes quotidiennes, qui sont notre lot à tou·tes, ne remettent pas en cause les rapports sociaux capitalistes, que ce soit isolément ou comme étapes d’un projet global : luttes à faire converger, progresser, pour construire le socialisme et assimilés… Elles sont à distinguer de l’insurrection, qui produit nécessairement une rupture radicale avec les conditions de la reproduction des classes et du MPC. Le racket politique prospère sur l’illusion de la montée en puissance des luttes que doit réaliser un sujet (interclassiste), conscient (adepte d’une idéologie à partir de laquelle on fait de la politique) et engagé (militant).
Ensuite, parce qu’il n’y a plus d’unité de la classe, si ce n’est dans la séparation de tou·tes avec tou·tes, dans la segmentation du prolétariat réalisée par le capital. Et c’est de ces segmentations que partira la révolution, qui en constitue le dépassement par la remise en cause de tout ce qui nous fonde comme individus sociaux. Dès lors, les tentatives de stabiliser les identités diverses et variées, de les faire rentrer dans le rang qui convient le mieux à la boutique militante de chacun, sont étrangères à la perspective révolutionnaire. Car peu importe comment l’on nomme ces tendances (bataille culturelle, recherche de l’hégémonie, recherche de la prise de conscience), elles sont révélatrices de la place au sein des rapports sociaux capitalistes (d’aucun·es parleraient de “fraction dominée de la classe dominante” : intellectuel·les, professeurs d’universités) de celui qui les érige en stratégie politique et d’une volonté de tenir, depuis cette place, le rôle de manager de la lutte de classes pour dire au prolétariat – et plus souvent à la classe moyenne – Que faire ?. Les avant-gardes de toutes sortes, sans le soutien d’un mouvement ouvrier organisé qui manque à l’appel, récoltent les succès que l’on connaît. Les épisodes de luttes de classe les plus intenses de ces dernières décennies (émeutes de 2005 et 2023, mouvement des Gilets Jaunes) ont montré que le prolétariat n’avait que faire des boutiquiers – virtuels ou non – lorsqu’il s’agit de remettre en cause les rapports sociaux capitalistes.
Gardons-nous bien de prétendre que les discours qu’énoncent ces entrepreneur·ses seraient viciés en raison de l’usage commercial qu’ils en font. Après tout, ils correspondent à leurs intérêts de classe et nous serions bien mal avisé·es de reprocher à des idéologues en concurrence sur le très concurrentiel marché du savoir de voir midi à sa porte. C’est le jeu du capital, et en particulier de son bac à sable qu’est l’arène politique. De chaque couche sociale se dégagent son lot de hérauts dont la fonction est de transformer la merde que nous lègue la société de classes en sujets flambant neufs : citoyen·nes, individus, la glorieuse classe ouvrière d’antan, la jeunesse… Il y en a pour tous les goûts ! La nation (ou, en d’autres cas, le “mouvement ouvrier international” qui n’existe plus que dans leur tête) leur sert d’agréable cocon où tout se range à sa place dans l’attente d’une unité assez forte pour lancer l’assaut au niveau politique.
Mais attention nous disent-iels, il ne faut pas s’y méprendre. Leur conception de la nation porte en elle les germes de l’émancipation. Rien à voir avec le pacte racial que concluent les nationalistes (les autres19) sur le dos des opprimé·es. Le projet politique du “nous” se caractérise par son inclusivité : porte ses couleurs quiconque y adhère. C’est ainsi que la communauté particulière se pare de valeurs générales, escamotant au passage tout ce qui crisse, qui râpe et qui rouille ou, autrement dit, les rapports sociaux dans leur si périlleuse trivialité.
Au risque de décevoir les chantres de “l’autodéfense populaire” et de leur empressement à “faire bloc”, notre perspective est tout autre. Le communisme ne se dessine qu’à travers l’éclatement cacophonique de toutes les contradictions, et c’est pour cela que les identités ne nous intéressent qu’en tant qu’elles se fissurent, tandis que le PIR-PDH et les bâtisseurs de parti de tout poil cherchent à les stabiliser pour pouvoir y modeler une conscience de classe, ou un bloc hégémonique pour les moins ambitieux-ses. Mais nous ne comptons pas pour autant sur l’être intime du prolétariat pour se débarrasser de ses encombrantes fioritures et accomplir le destin qu’elles obstruaient. Bien que nous ne cherchons pas à rassembler des identités, nous ne les craignons pas davantage. Elles ne freinent pas la lutte des classes, elles sont la lutte des classes qui parle nécessairement leur langage. En chacune d’elles s’expriment les contradictions à l’œuvre dans le procès de reproduction du capital et c’est ainsi, volens nolens, que nous sont données les coordonnées du problème.
Qu’est-ce qui est en crise aujourd’hui dans le fait d’être “arabe” (ou “femme”, “ouvrièr·e”, etc) ? Ici les deux termes ont leur importance. L’arabité bien sûr, comme marqueur protéiforme, mais également l’incarnation qu’induit le verbe “être”, la manifestation de son existence sociale en tant que porteur de ce stigmate. Sous quelque angle qu’on le prenne, l’autodétermination renvoie, encore et toujours, à la défense de ce qu’on est. Nous portons le fardeau que nous inflige le capital. La destruction des rapports sociaux commence lorsque les identités ne vont plus de soi, qu’on ne peut plus rester à la place qui nous a été assignée par le capital, que ce dernier n’est plus en mesure de remplir son rôle totalitaire. C’est pour cette raison qu’agir en tant que classe/race/genre est à la fois la limite et la dynamique de ce cycle de luttes et c’est cette tension qu’habite la perspective communiste. La révolution ne se situe pas dans le prolongement des luttes quotidiennes mais constitue un événement extra-ordinaire dont le produit est imprévisible parce que négatif, parce qu’il ne peut plus s’édifier sur aucune identité sociale, parce que les catégories vernaculaires de travail, de genre, de race ou de classe n’opèrent plus. Si la nation est bien le cadre actuel des luttes, il n’est nul besoin de l’investir, comme pour être en phase avec le cours scabreux de l’accumulation du capital. Le communisme est activité de crise, il germe dans le présent pour s’en arracher aussitôt.
Conclusion : La honte est déjà une révolution
« La défroque d’apparat du libéralisme a été dépouillée et le despotisme le plus répugnant s’étale dans toute sa nudité aux yeux du monde entier […]. Vous me regardez en souriant et vous me demandez : à quoi cela nous avance-t-il ? On ne fait pas de révolution avec la honte. Je réponds : la honte est déjà une révolution […]. La honte est une sorte de colère : celle par quoi on s’en prend à soi-même. Et si toute une nation avait vraiment honte, elle serait le lion qui se ramasse pour se préparer à bondir. »
Lettre de Marx à Arnold Ruge, mars 1843
Pourquoi avoir pris comme exemple le PIR-PDH, alors que ce ne sont pas les rackets politiques qui manquent à la gauche du Parti de l’Ordre ? C’est que le PIR est un produit paradigmatique de notre temps(preuve en est que, contrairement à nombre de ses concurrent·es, il sait animer un live Twitch sans le ponctuer de slogans frelatés). Quelque chose de la situation actuelle se laisse exprimer dans les interventions des différents membres de la clique PIR-PDH, et pas seulement la nation comme cadre incontournable des luttes. En tant que racket politique, iels ont besoin d’une identité culturalisée, mais encore faut-il que cette identité soit digne. L’intérêt de la dignité réside dans le fait qu’elle ne naît pas des discours du PIR-PDH mais possède une effectivité tangible dans les luttes réelles. La dignité renvoie à la volonté de voir reconnaître sa propre identité raciale-culturelle face à un affront intolérable qui lui serait fait. Elle ne revendique rien d’autre que soi-même comme porteur·se d’une identité ou représentante d’une communauté particulière contre celles et ceux qui chercheraient à la nier. Par ailleurs, cette dignité doit être décrite par le PIR-PDH comme l’émanation d’une entité culturelle autonome pour s’en faire le dépositaire naturel et légitime aux yeux des autres rackets politiques qui peuplent la gauche. C’est à partir de là qu’actant la prédéfinition de la dignité selon la grammaire de la nation, la dignité devient “l’affect” capable d’unir les “classes populaires” (y compris les “barbares” soucieux de préserver leur “capital guerrier” !) sous un même drapeau. On ne peut pas reprocher aux membres de la coterie PIR-PDH de ne pas tirer toutes les conséquences de leurs positions.

Bien que la dignité incarne le rapport imaginaire que chacun·e entretient avec les rapports de production et surtout la position occupée dans ces rapports, il est difficile de nier l’efficacité de cette tendance idéologique. La dignité est une forme d’auto-interpellation, où les individus sociaux se présentent comme sujets porteurs d’une essence. C’est la manière qu’ont les individus qui ne sont plus intégrés à la communauté matérielle du capital que par leur désintégration et la déshumanisation de se réinventer un semblant de vie décente à l’intérieur de ce qu’ils sont sous le soleil noir de la société de classes20. Ainsi, les identités ne sont pas seulement le produit d’un travail de segmentation mais sont investies par les individus racialisés et retravaillées en permanence jusqu’à devenir le support de revendications. On aimerait pouvoir mieux vivre sans avoir pour cela à changer qui l’on est, voilà en quoi consiste la dignité. Comme revendication de soi-même dans le capital, la dignité en elle-même ne peut tracer d’horizon au-delà du MPC. Elle le pouvait peut-être à l’époque où la classe ouvrière trouvait en elle-même la base de l’organisation d’une société future, mais le soubassement historique qui autorisait cette identité ouvrière s’est définitivement évanoui. Par conséquent, aujourd’hui, la dignité ne fait plus que canoniser les catégories de bases du mode de production capitaliste – ici la nation. En contexte insurrectionnel, elle prendra la forme d’un tragique retour à l’ordre, rôle de réconciliation heureuse (et très digne) avec l’existant que s’efforcera d’assurer le PIR-PDH.
Mais il ne s’agit pas pour nous de dénoncer normativement la dignité, en privilégiant par exemple d’autres conceptions de l’identité plus “fluides”, mais plutôt de considérer ce qui la mine de l’intérieur. Après tout, cette auto-interpellation des individus est une nécessité idéologique pour les rapports sociaux capitalistes, et pour la survie de ces individus dans le capital. Les gens luttent toujours à partir de ce qu’ils sont et aucune diatribe contre l’essentialisme n’y changera rien. C’est précisément dans ce magma en fusion où chacun·e se présente comme le porteur d’une identité en crise, disjointe et déstructurée, sans qu’aucune coalition ne soit possible entre elles, que l’enclenchement d’un processus révolutionnaire est possible. Les luttes s’empêtrent toujours dans des contradictions internes et des impasses politiques, et c’est de ces contradictions qu’une possibilité de rupture avec l’ordre existant peut émerger. Car les prolétaires ne luttent pas sous l’étendard d’une identité sans être en même temps en tension avec elle : ce qui sape de l’intérieur la dignité est que les individus-sujets sont aussi et en même temps insatisfaits d’eux-même. On est toujours un peu déçu de sa propre identité. Aujourd’hui, il y a fort à parier que cette insatisfaction prendra la forme d’une déception envers le nationalisme pratiqué par le seul État possible, celui de la classe dominante – ce qui n’ira pas sans son lot de catastrophes sociales pour les “classes populaires”. bref rien ne dit que le canot de sauvetage va rester à flot.
Le nom de cette tension interne à l’identité est la honte. La honte est une autre tendance idéologique qui n’est pas exclusive aux conjonctures révolutionnaires, et qui se produit à l’intérieur de la dignité et du fait de son échec. Mais elle a ceci d’intéressant qu’elle présente ce qui compose l’individu-sujet dans son intimité comme une contrainte extérieure douloureuse et le rend insupportable à lui-même en ce sens la honte est “le vrai sentiment révolutionnaire”. De ce fait, la classe, le genre et le race ne sont plus revendiqués en eux mêmes par les individus comme les médailles autour du cou d’un lutteur, mais deviennent des chaînes asphyxiant les individus. Dans ce sentiment d’insatisfaction vis-à-vis de soi-même, l’identité autrefois fièrement revendiquée se révèle n’être qu’une position subordonnée entièrement déterminée par les rapports sociaux capitalistes. C’est ainsi que l’identité est produite comme à la fois la dynamique, le contenu et la limite des luttes. Pour le dire autrement, si les prolétaires racisé·es luttent au nom de ce qu’iels sont, ce qu’iels sont est aussi ce qui les empêche de voir leurs revendications aboutir et devient donc au cours de la lutte ce qu’iels doivent remettre en cause.
Déjà pour Stirner toute révolte « ne procède que du mécontentement des hommes ; elle n’est pas une levée de boucliers, mais l’acte d’individus qui s’élèvent, qui se redressent, sans s’inquiéter des institutions qui vont craquer sous leurs efforts ni de celles qui pourront en résulter »21. Le révolté est mécontent de soi-même et essaie de se changer, au contraire du révolutionnaire qui, toujours selon Stirner, ne cherche qu’à remplacer un régime politique par un autre. Marx critique sévèrement la séparation que Stirner opère entre révolte et révolution : la révolution elle aussi s’ancre dans une volonté de ne pas vouloir rester le même mais les révolutionnaires « savent trop bien que c’est seulement lorsque les conditions seront modifiées qu’ils cesseront d’être « ceux qu’ils étaient » et c’est pourquoi ils sont décidés à modifier ces conditions à la première occasion »22. Ce que Marx attaque, c’est la séparation idéaliste entre cet auto-changement de soi-même et la transformation du monde. Tout individu-sujet n’est que le résultat passif de ses conditions d’existence, mais comme l’éducateur doit aussi être éduqué, toutes les conditions d’existence sont le dépôt d’une activité sensible antérieure. C’est pourquoi renverser ses propres conditions d’existence par l’activité révolutionnaire coïncide immédiatement avec l’auto-changement de soi-même. Autrement dit, les sujets humains ne sont jamais que les effets de la structure des rapports sociaux à l’œuvre, mais du fait de la volonté de ne plus être le même, qui est encore un effet de structure, ils peuvent modifier la nature des rapports sociaux. Les prolétaires ne sont pas révolutionnaires par nature mais découvrent dans le rapport honteux vis-à-vis d’eux-même la possibilité d’entrer en guerre avec tout ce qui les définit. Cette possibilité ne trouvera sa réalisation concrète que dans le cours historique de la lutte des classes, et sera réellement produite par une conjoncture. L’activité révolutionnaire sera ce drôle d’effet qui se retourne contre et défait la cause qui l’a produite : la structure globale du MPC. Abolissant ce qui les définit dans leurs luttes, le prolétariat s’autotransforme en masse révolutionnaire en établissant entre les insurgé·es de nouvelles formes de rapports sociaux dans lesquelles ils se redéfinissent comme individus singuliers.
Dans le cours de cette activité révolutionnaire, dont les émeutes pour Nahel ne nous ont offert qu’un avant-goût, il sera nécessaire de se confronter avec la dignité, non par rejet moral des identités, mais car ses apôtres feront tout pour que les prolétaires restent ce qu’iels sont. Car si le PIR-PDH aime d’un amour révolutionnaire, cet amour des beaufs et des barbares tels qu’ils sont découle d’une aversion de ce qu’ils pourraient être. L’activité révolutionnaire ne retrouvera pas dans l’insurrection d’anciennes formes d’identités ou de communautés ancestrales à revivifier, ni aucune “commun” à promouvoir. Le Parti de l’insurrection n’a d’autre unité que celle générée par la propagation de l’agitation révolutionnaire et d’autre “d’affect” communautaire que la haine de la civilisation. Nul doute que les entrepreneur·ses en dignité agiteront alors la matraque pour nous faire retourner dans l’étroite cellule de nos identités.
- Car oui, il nous manque une transcendance. Cette transcendance ne peut plus être le communisme pour les raisons déjà évoquées, elle ne peut plus être le christianisme car Dieu a été chassé des cœurs et des esprits par un sécularisme forcené, cette transcendance ne peut pas être l’islam (et croyez bien que je le regrette) car c’est à la fois une religion persécutée mais surtout une religion minoritaire ici en France. […] Cette transcendance a un nom. Elle s’appelle France. » Houria Bouteldja ↩︎
- L’expression “racket politique” est principalement utilisée à l’ultragauche historique. Il désigne la forme que prend l’organisation politique en période de domination réelle du capital, celle où le capital a étendu sa domination à tous les segments de la société et où tout (même le prolétariat) a été soumis aux exigences du procès de valorisation. Dès lors, les antagonismes entre différentes organisations (entreprises ou organisations politiques, par exemple), et entre les organisations et le capital, ne sont qu’apparences : elles servent toutes le capital. Le “racket” ou “bande” désigne cette modalité d’organisation au sein du capital, “la constitution d’une communauté illusoire”. Avant l’abandon théorique de la lutte des classes par Camatte, ce terme a servi à acter la mort du vieux mouvement ouvrier en affirmant que le parti formel (les organisations) n’était plus composé que de rackets servant le capital et leur conservation, et que la révolution ne pouvait surgir que du parti historique (le prolétariat). Nous en gardons le sens premier ici. Le terme apparaît aussi chez Adorno et Horkheimer avec un sens similaire. ↩︎
- « There was never a revolutionary subject, and the worker appears as a positive representation of humanity only by standing on the corpses of the dehumanized », Decompositions. ↩︎
- Voir Théorie Communiste n°26, « De l’ouvrier au musulman : une histoire à problemes », pp. 18-38, mai 2018. ↩︎
- Le référentiel biologique n’a pas pour autant disparu des chaines d’équivalence racistes : https://zet-ethique.fr/2022/05/20/les-sciences-raciales-ne-sont-pas-quun-vestige-du-passe/. ↩︎
- Comme nous allons le voir, tout racket politique correspond à un état de la lutte des classes en-dehors duquel il est inaudible. ↩︎
- Nous amalgamons à dessein le Parti des Indigènes de la République et le webmedia Paroles d’Honneur, les mêmes personnes circulant entre ces deux espaces aux contours flous et à la structure évanescente. Après la perte de vitesse (et l’exclusion des plateaux) du PIR à partir de la fin des années 2010, plusieurs de leurs membres s’organisent au sein du QG décolonial qui publie la revue trimestrielle “Nous.” sans abandonner pour autant la première structure. Par commodité, nous utiliserons ici le sigle PIR-PDH pour prendre en compte leurs évolutions récentes sans omettre la continuité de fait entre ces organisations. ↩︎
- « La nation est cet espace de communication propre au mode de production capitaliste. C’est un système de régulation, de canalisation et de programmation du désir dont les discours écrits ou parlés, mais aussi plus généralement les pratiques et les représentations au sens courant de ces termes, sont autant de fonctions ( = cet espace de communication génère des discours et des pratiques). Ce système médiatise les relations sociales telles qu’elles s’effectuent et telles qu’elles se réfléchissent, distribuant une batterie de rôles s’inscrivant jusque dans les corps : ce qui se marque dans les modalités des prises de parole, des gestes et des regards, et la structuration de l’espace où regards, gestes, paroles viennent s’inscrire et produire/reproduire l’espace qui leur assigne leurs possibilités stéréotypées. Son processus traverse l’ensemble de la société. On peut le décrire comme une mise en scène complexe qui englobe le plateau et les acteurs (avec ce qui s’y dit et ce qui s’y fait, ce qui circule en silence et aussi bien les bruits), et produit sa propre représentation, spectacle du spectacle. Faute d’une meilleure formulation, je dirais qu’il s’agit simultanément d’une pratique et d’une représentation de la place et de la fonction objectives des individus dans les rapports sociaux de production », La Taupe Bretonne numéro 1, mars 1971, p. 50. ↩︎
- Braudel et Wallerstein démontrent que la nation a lentement émergé comme forme sociale fondamentale de l’État au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Il a lui a fallu progressivement remplacer les autres formes d’État, notamment la forme-ville et la forme-empire. Si elle l’a finalement emporté, c’est du fait des conditions concrètes de la lutte des classes de l’époque et de sa capacité à former une bourgeoisie homogène et de maîtriser les mouvements de contestation. La souveraineté nationale émerge dans l’espace global du capital, il n’est donc pas absolu mais relatif à un système inter-étatique et international. La mondialisation des années 1970-80 pénètre et modifie la souveraineté nationale, par l’intermédiaire d’organisations supranationales comme le FMI. L’espace national est traversé par et devient agent de la mondialisation, il n’est plus un espace exclusif où l’accumulation et la péréquation du taux de profit pouvaient fonctionner de pair. Aujourd’hui, en contexte de crise de la mondialisation et de guerre permanente, la nation tend à se réaffirmer comme la forme sociale fondamentale au-delà de laquelle il n’y a point de salut. ↩︎
- Sur l’abjection, on se référera à notre texte consacré aux émeutes pour Nahel : Dans les flammes de l’été : les émeutes pour Nahel et l’hypothèse communiste. Voir aussi Endnotes, Histoire de la séparation, Sans Soleil, 2024. Et, enfin, sur la question de la déshumanisation, se reporter aux Tragic Theses de Decompositions. ↩︎
- L’objectif affiché de Sadri Khiari était de convertir les émeutiers à la citoyenneté politique dont ils étaient injustement exclus. Mais force est de constater que la mayonnaise n’a pas pris et que ces derniers ont préféré “rester barbares”… ↩︎
- Quand il n’est plus possible de foutre sous le tapis les frasques les plus obscènes de tonton Boussoumah (par exemple lorsqu’il cautionne la répression de militantes féministes par la police politique du régime iranien parce qu’elles obéissent sûrement aux directives de la CIA) on se fend tout de même d’une autocritique en demi-teinte pour rassurer ses auditeur·ices circonspect·es, mais pour bien rappeler que là n’est pas le sujet. ↩︎
- Nous ne pouvons résister à l’envie goguenarde de mentionner la dernière saillie en date de Morgane Merteuil, égérie (blanche) du féminisme décolonial, qui a soutenu sans tressaillir que la tenue d’une pride des banlieues à La Courneuve serait de nature à incommoder les indigènes un peu bornés qui pesteraient de ne pas pouvoir emmener leur gosse au square. ↩︎
- « Hors de l’Eglise, point de salut ». ↩︎
- « Il est nécessaire de donner une forme et une discipline permanente à ces énergies dispersées et chaotiques, de les intégrer, de les modeler et de leur donner des forces ; de faire de la classe prolétaire et semi-prolétaire une société organisée qui puisse s’éduquer, créer sa propre expérience, et acquérir une conscience responsable des devoirs qui incombent aux classes qui accèdent au pouvoir de l’État », Gramsci, “Démocratie ouvrière”, L’Ordine Nuovo, 1919. ↩︎
- Courant d’extrême-droite apparu à partir de 1969 autour du GRECE d’Alain de Benoist. En 1981 se tient le colloque “Pour un gramscisme de droite” en réaction à la victoire de Mitterrand et de la gauche, théorisant qu’il faut conquérir le pouvoir à travers l’idéologie et ses appareils, donc par une bataille culturelle. Cette relecture évacue bien sûr les bases “matérialistes” dont se revendiquait Gramsci. ↩︎
- Théorie Communiste n°20, Théorie de l’écart. ↩︎
- Sur le rôle de la théorie et des théoricien·nes, on ne peut que recommander le texte « Solitude de la théorie communiste » de B. Astarian, ainsi que notre article à paraître sur la question. ↩︎
- Le nationalisme progressiste exalterait la relation d’intériorité du peuple à lui-même, tandis que celui des réactionnaires concernerait la relation d’extériorité du peuple à un Autre. « Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres » philosophait De Gaulle. Comme quoi, il suffit parfois d’un soupçon de bienveillance pour rectifier le tir et purifier la nation du déplorable nationalisme dont des esprits chagrins l’ont affublé. ↩︎
- Norman Ajari, dans La Dignité ou la mort, a sans doute l’approche la plus intéressante de ce concept, qui se distingue sur certains points essentiels avec l’utilisation qu’en fait Bouteldja. La dignité pour Ajari ne peut fournir de projet contre-hégémonique pour unir les beaufs et les barbares (en ce sens il est moins opportuniste que le reste du PIR-PDH). Les révoltes noires sont des “politiques de l’inhabitable” (Noirceur, p. 162), sans aucun ancrage politique, et relèvent par conséquent de la sécession. De même, la dignité pour Ajari fait référence à une essence ontologique Noir fruit d’un héritage des générations antérieures, “un legs historique”. Ainsi le moteur de la puissance d’agir des opprimés et en premier lieu des Noirs réside dans leur propre essence et son rapport avec celui-ci. Ajari en vient alors à considérer que toute perspective anti-essentialiste ne reconnaît pas la réalité objective du racisme comme système de déshumanisation radicale. Il y a l’existence objective d’un système global raciste, sur lequel se fondent les assignations raciales et les identifications, mais cela ne permet en aucun cas d’accorder une substance réelle à ces catégories racialisées, ou de considérer ces catégories comme autre chose que des noms arbitraires. C’est pourtant le glissement qu’opère Ajari, pour qui toute considération anti-essentialiste revient à nier la déshumanisation des personnes racisées et toute tentative de fluidification de cette essence ne fait que répéter la violence coloniale blanche. Les sentiments d’appartenance et de dignité, pourtant bien réels, ne changent rien à l’affaire. ↩︎
- Max Stirner, L’Unique et sa propriété, éd. UQAM, p. 250. ↩︎
- Karl Marx, L’Idéologie Allemande, éd. sociales, 2022, p.207. ↩︎
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