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“66 jours – Les États-Unis entre confinement et émeutes”

Joshua Clover parle des manifestations et des émeutes actuelles qui ont éclaté à travers les États-Unis à la suite du meurtre de George Floyd à Minneapolis, et de leur contexte en période de crise économique et sociale.(traduction dndf)

Il a fallu 66 jours pour passer du premier ordre de confinement à la première émeute. Outre l’indignation absolue suscitée par le meurtre de George Floyd, on peut aussi un peu espérer qu’il reste possible, pour les gens, de lutter contre l’organisation du monde qui est pour eux toujours source de violence, de lutter pour la possibilité même de leur épanouissement, de lutter ensemble et dans la rue. Certes, pendant l’intervalle, l’angoisse que ce potentiel disparaisse a rongé tous ceux que je connais. Il n’a pas disparu.

Les événements sont encore en cours et je ne veux pas tirer de conclusions faciles. Il devrait y avoir une réelle humilité dans le fait de savoir que toute théorie vient de la lutte, elle ne la précède pas et prétend encore moins la diriger. Il semble important, pour ceux d’entre nous qui ne peuvent pas être actifs, d’être attentifs à ce qui est intolérablement familier : le meurtre d’un Noir par la police, le mensonge selon lequel la police agissait en légitime défense, la révélation du fait que ce grossier mensonge couvre un lynchage. La banalité de la chose ne diminue en rien sa gravité. L’assassinat extrajudiciaire des Noirs est au cœur de l’organisation de la société américaine, au cœur non seulement de la manière dont le pouvoir se maintient, mais aussi de la manière dont il se connaît. Et la légitimité et la nécessité de la rage noire est en partie une tentative de survivre à cet ordre social, de construire un ordre contre l’ordre du pouvoir. Malgré tous les bêlements désespérés des sources d’information et des politiciens sur le chaos dans les rues, il n’y a de désordre que dans le sens le plus littéral du terme : une tentative de défaire l’ordre fondé sur la violence racialisée

Cette mise en scène du désordre s’inscrit d’ailleurs dans une longue tradition – présente hélas à gauche comme à droite – de décider de ce qui relève du politique. Des groupements manifestement « en place », avec des hiérarchies et des votes clairs, des structures de financement, des organigrammes et un bureau quelque part : oui, certainement, c’est politique. Mais les émeutes ne sont pas tant que cela considérées comme des réponses irréfléchies et spasmodiques à l’immédiateté de la souffrance collective. Cette idée de réponse irréfléchie va de pair avec l’idée pernicieuse de l’agitateur extérieur, avec la pernicieuse affirmation que tous les aspects d’une protestation au-delà de la simple communication sont secrètement organisés par des comploteurs venus d’un mystérieux ailleurs qui profitent du chaos et de la légitime douleur et fureur, sentiments auxquels ils sont prétendument indifférents, pour imposer leurs propres fins politiques. Tous ces fantasmes ont la même fonction : exclure les Noirs du domaine politique, refuser de reconnaître dans l’émeute une des formes les plus fondamentales et les plus anciennes d’action collective. Alors que l’État mène des actions de plus en plus violentes, l’image projetée par les médias et par les gouverneurs, qui, dans leur terreur, disent n’importe quoi, est celle d’un monde inversé : le sentiment est la seule politique légitime, tandis que l’action est autre chose.

Ces tactiques de démobilisation sont démoralisantes et familières. Contre cela, il y a des lueurs du nouveau, construit comme toujours à partir des débris de l’ancien. Même si la réponse au SRAS-CoV-2 a permis la croissance d’un État de surveillance déjà dopé aux stéroïdes, l’effondrement de toute loi anti-masque (du genre de celle que Trump et compagnie ont tenté de durcir lors de la grande crise Antifa de 2017) semble ouvrir au moins une marge de manœuvre plus grande à l’antagonisme public. Certes, le rappel que l’État de surveillance n’a pas encore surmonté toutes les limites, que son désir d’une exposition totale à l’information peut être contesté, a été pour beaucoup une expérience réparatrice. De même que les masques sont intégrés dans une nouvelle normalité aux États-Unis, comme c’est le cas depuis un bon moment ailleurs, l’équilibre des forces sera pendant un certain temps déplacé.

Parmi les caractéristiques les plus bizarres de cet intervalle de 66 jours, on peut citer ce que l’on pourrait appeler les anti-grèves : des demandes collectives et violentes de retour au travail, quels que soient les salaires et les conditions. Il s’agissait à bien des égards d’« astroturf » (technique consistant en la simulation d’un mouvement spontané ou populaire à des fins d’ordre politique ou économique pour fabriquer l’opinion. dndf), non pas du travailleur imaginaire mais du chef d’entreprise qui tente de faire repartir la machine à fric. Si ces pantomimes étaient des mensonges, elles disaient bien la vérité sur l’incapacité du capitalisme à faire face à la situation. Quand le salaire est synonyme de survie, que faire lorsque la fonction du travail qui consiste à maintenir le prolétariat en vie pour qu’il travaille encore un peu est soudain contredite par le fait que le travail peut en fait tuer tant de prolétaires que le capitalisme ne peut plus fonctionner ? Il aurait été satisfaisant de voir les porte-parole officiels et non rémunérés du capital se laisser prendre à ce piège si les circonstances n’avaient pas été aussi horribles et aussi meurtrières pour des personnes que nous connaissons et aimons. Le gouvernement, dont le rôle de serviteur du capital n’a jamais été aussi clair, s’est attelé à la tâche de calculer comment il allait exactement fixer les paramètres de travail et d’achat dans un équilibre adéquat pour faire vivre l’économie au risque d’un certain nombre de vies, un bricolage qui a été adopté comme la tâche unique du vaste appareil d’État jusqu’à ce qu’il soit obligé de tourner les yeux vers le Minnesota et puis, tout à coup, partout ailleurs.

L’ensemble du scénario a eu pour effet supplémentaire de faire paraître la propriété comme « bizarre ». La révélation du 1er avril selon laquelle vous pouviez tout simplement… ne pas payer votre loyer a certainement été une déchirure importante du voile idéologique ; l’effondrement historiquement unique de la participation au travail à un taux d’à peine 50% a déchiré le voile encore plus. Et puis il y a eu l’expérience avec les marchandises elles-mêmes, les choses les plus naturalisées qui soient. Lorsque les gens commencent à laver leurs courses avec des lingettes à l’eau de javel, c’est étrange. Quand on découvre que tout le secteur chargé d’attirer l’argent des gens vers la marchandise est essentiel, qu’il est essentiel au même titre que les travailleurs médicaux, et qu’il est évident que ces travailleurs doivent risquer leur vie pour que cette transformation se produise, c’est étrange. Quand le gouvernement admet ouvertement qu’il va,: contre toutes ses chères habitudes payer les gens pour acheter des trucs pour sauver l’économie, c’est foutrement étrange.

On peut se demander si cela n’a pas un peu modifié la dynamique du pillage. Les réactionnaires habituels diront les choses habituelles, mais la situation particulière dans laquelle nous nous trouvons, alors que la question de savoir comment les biens de base passent des mains des capitalistes aux foyers des prolétaires n’a jamais été aussi fortement posée, alors que l’amassement de biens ailleurs n’a jamais été aussi clairement reconnue comme la thésaurisation de la richesse sociale nécessaire – c’est peut-être quelque chose de nouveau. Le départ du pillage des quartiers appauvris vers les vallées cristallines de Melrose et de SoHo (zones commerciales chics)  a sans doute fait peur aux commentateurs mêmes qui réclament depuis longtemps un tel saut, s’insurgeant contre “la destruction de sa propre communauté” (comme si une communauté pouvait être faite de marchandises). Pris au piège de leur propre mauvaise foi, ils ne peuvent plus que prétendre à une autorité morale qui vaticine contre) la prise de toute chose de valeur, même si le but évident est la revente pour l’argent nécessaire à la vie, car c’est prétendument abandonner toute revendication sur les biens nécessaires (comme s’ils défendaient la saisie du lait et des couches). Rien de tout cela ne devrait être pris au sérieux , car nous sommes tous conscients que ces créatures tourmentées ne soutiendraient jamais le pillage que dans la singulière circonstance où il serait mené par un Bezos grand ou petit (Note : Jeff Bezos, PDG d’Amazon et plus gros richard du monde). Ici, les pilleurs sont évidemment les acteurs de bonne foi, s’engageant dans un plébiscite sur la survie. Ce n’est là qu’une des façons dont les émeutes de 2020 éclipsent les autres événements politiques de l’année. Peut-être que la révélation de 2020 pourrait être, non pas “AÏe, un quasi-socialiste a failli devenir candidat à la présidence”, mais “Aïe, nous ne voterons jamais contre la police”, et aussi ” Aïe, les obstacles à l’accès aux biens de survie sont absurdes et inacceptables”, et enfin ” Aïe, ces deux faits ne font qu’un”.

À Minneapolis, l’image saisissante d’un poste de police américain envahi, abandonné par ses policiers et brûlé est entièrement nouvelle dans la mémoire moderne. Considérez le saccage du troisième commissariat de Minneapolis comme notre tournant internationaliste ; après tout, il y a neuf ans en Égypte, 99 commissariats de police ont été incendiés en une seule nuit. Voilà pour l’exceptionnalisme américain. En voyant les images du quartier, la police a entièrement déserté, rappelant que le blocus et la barricade – si fondamentaux aux émeutes et autres formes de lutte sur la circulation – veulent passer du statut d’interruption de la circulation ou du commerce à celui de défense du territoire. Un écho planant dans la nuit du 28 mai au Minnesota est peut-être l’insistance constante des Sioux Oglala et des Sioux de la rivière Cheyenne pour former et maintenir des points de contrôle afin de protéger les terres traditionnelles, allant même jusqu’à interdire l’entrée au gouverneur du Dakota du Sud. Si la justification des points de contrôle est claire sur le plan médical et convaincante sur le plan juridique, il n’est pas difficile de voir aussi l’image des points de contrôle qui ont protégé le territoire non cédé du peuple Wet’suwet’en contre les incursions de la Gendarmerie Royale du Canada au nom du pétro-État canadien au début de l’année, et derrière ces points de contrôle, une foule de luttes similaires. Nick Estes et Glenn Sean Coulthard m’ont rappelé l’autre soir que le mouvement amérindien a été fondé à Minneapolis et a commencé, tout comme le Black Panther Party for Self Defense, par des patrouilles communautaires. Cette histoire, d’une lutte terrestre pour l’autogestion qui doit commencer par s’opposer à la police, a tourné autour de l’incendie du troisième commissariat. Si l’on a jamais fait d’un quartier une commune autonome, se gérant elle-même sans référence à l’État colonial, c’est bien à ce moment-là. Ou presque. Nous savions tous que d’autres voyous arriveraient armés de fusils et d’écussons officiels, alors que le président fait son rêve impérial de loi martiale. Mais nous devons aussi nous dire que ce saut vers l’affirmation d’un processus collectif qui empêche la violence étatique d’apparaître, pas nouveau mais pour beaucoup rendu visible par les luttes indigènes, est à l’ordre du jour) si la police doit cesser de tuer et: et si une autonomie collective doit se développer).

Il est important que ces conceptions de l’état actuel et de la nature de la propriété existent déjà, plus pour certains que pour d’autres – la classe d’en bas racisée) et tout spécialement les personnes dont les familles ont été propriétaires, doivent supporter, entre autres choses, la lourde conscience que le système de propriété est la mort, et que la police, en tant que gardienne de ce système, est la gardienne de la mort. Aucun autre jugement sur l’institution n’est possible. Le système de la propriété franchit les frontières raciales et autres, c’est certain, et l’on me rappelle que la marée montante de l’incarcération est gonflée par les taux dans les comtés majoritairement blancs, en particulier dans les pays dits « opiacés ». Une façon de rendre compte du rôle de la filière police-prison est dans son rôle de dispersion sociale et de suppression des salaires. Un article récent d’Adam D. Reich et Seth J. Prins, “The Disciplining Effect of Mass Incarceration on Labor Organization”, n’est que le dernier à démontrer comment ce que l’on appelle poliment “l’exposition au système de justice pénale” sert à miner la collectivité et, en fin de compte, les salaires. C’est-à-dire, entre autres, que les flics font du capital. Ce sont des extracteurs de plus-value. Elle est arrachée à tous les pauvres, bien que de manière disparate et en partie par le biais de ces disparités – une raison de plus pour laquelle il serait bizarre d’imaginer qu’un soulèvement national en premier lieu contre la police serait monolithique sur le plan racial. Mais cela ne veut pas dire que toutes toutes les parties concernées se trouvent dans la même position. Au milieu de l’immobilité imposée par la pandémie, et maintenant des couvre-feux sélectivement appliqués dans tout le pays, l’histoire de chasseur d’esclaves qui dit que certains humains peuvent être autorisés à circuler et d’autres non, est  incontournable. Elle est présente dans l’image même du genou de Derek Chauvin sur le cou de George Floyd.

Une dernière nouveauté à mentionner, parmi tant d’autres qui ne seront pas dites. Au cours des dernières décennies, il est arrivé souvent que des émeutes éclatent au niveau local, quand la police tue, et s’étendent au niveau national (et au-delà), quand la police est déclarée non coupable ou n’est pas inculpée du tout. C’est ce qui s’est passé après le tabassage de Rodney King et après le meurtre de Michael Brown, les deux séquences les plus populaires depuis les étés 1967 et 1968. Cette semaine a été très différente, avec des émeutes qui se sont rapidement étendues de Minneapolis à tout le pays dans les jours qui ont suivi le meurtre. Je ne veux pas donner d’explications faciles pour cette évolution. Les événements se déroulent encore et il importe d’abord de regarder et d’apprendre. Il se peut qu’une partie de l’explication réside dans le meurtre d’Ahmaud Arbery commis en Géorgie il y a quelques mois dans toute la particularité et l’horreur de ce meurtre. Nous devrions dire son nom, celui de Breonna Taylor et bien d’autres. Lorsque George Floyd a été assassiné, la question du lynchage contemporain était déjà dans l’air pour certains et pour d’autres pressés contre leur cœur comme un tesson de verre.

Une chose qui ressort du lynchage qui a tué Arbery est qu’il n’a pas été mené par la police. Pas exactement. Les trois hommes blancs étaient proches de la police, Gregory McMichael un ancien policier, Travis son fils, Roddie Bryan le voisin complice enthousiaste. Ils ont collectivement tué Ahmaud Arbery sur une plainte de vol bien plus contrefaite que n’importe quel billet de vingt dollars. Cela fait bien sûr écho à George Zimmerman, qui a réalisé son rêve contrarié de devenir policier en exécutant Trayvon Martin, 17 ans. Plus dévastateur encore est le fait qu’au moins une personne du quartier s’était fait dire auparavant par la police que si elle avait des problèmes, elle devait contacter Gregory McMichael, qui n’est plus qu’un retraité. C’est une série de connexions nauséabondes dans laquelle les diagrammes de Venn de la blancheur et du maintien de l’ordre sont de plus en plus rapprochés par la règle de la propriété, et le nom de leur terrain commun est Permis de Tuer – (Diagrammes de Venn : diagrammes logiques montrant toutes les relations possibles dans une série de plusieurs ensembles.)

Mais peut-être y a-t-il là quelque chose de visible. J’ai lutté, dans mon propre travail, pour enseigner le concept de racisme structurel ; nous sommes tous poussés sans cesse à comprendre que les mauvaises actions sont la conséquence de mauvaises idées soutenues par des gens mauvais. Mais la suppléance occasionnelle de Gregory Mc-Michael, et en fait de tous les Blancs du quartier, est le meilleur professeur. Lorsque le meurtre de George Floyd en neuf minutes a été diffusé, il se peut qu’une partie de son pouvoir ne réside pas dans son caractère exceptionnel – peut-être que tout le monde a compris au contraire que c’est ce qui se passe toujours, plus ou moins soudainement mais toujours ouvertement et brutalement pas de résistance, pas de mouvements brusques, pas de prise de contact avec une supposée arme. Peut-être a-t-il finalement été assez clair que ses meurtriers étaient ces quatre flics mais que les tueurs étaient aussi l’ordre du capitalisme racial en tant que tel, de la propriété en tant que telle, du maintien de l’ordre en tant que tel. Quand on le sait enfin, on désire forcément que le tueur individuel soit jugé, mais on peut difficilement s’imaginer qu’on obtiendra une justice collective par de telles mesures.

la source:

  1. Christian L
    25/06/2020 à 08:25 | #1

    Thèses sur la rébellion de George Floyd
    SHEMON ET ARTURO
    24 juin 2020

    https://illwilleditions.com/theses-on-the-george-floyd-rebellion/

    L’article suivant nous a été envoyé par des amis de New York. Dans une optique large, le texte nous invite à clarifier la spécificité historique et politique de la révolte anti-police en cours. Une version imprimée est ici .
    * * * * *
    «La classe ouvrière dans chaque pays vit sa propre vie, fait ses propres expériences, cherchant toujours à créer des formes et à réaliser des valeurs qui proviennent directement de son opposition organique à la société officielle.»

    —CLR James, Grace Lee Boggs et Cornelius Castoriadis, «Facing Reality»

    1. La rébellion de George Floyd était une rébellion multiraciale dirigée par des Noirs. Cette rébellion ne peut être sociologiquement catégorisée comme une rébellion noire uniquement. Les rebelles de tous les groupes racialisés ont combattu la police, pillé et brûlé des biens. Cela comprenait les peuples autochtones, les peuples Latinx, les Asiatiques et les Blancs.
    2. Ce soulèvement n’a pas été provoqué par des agitateurs extérieurs. Les premières données sur les arrestations montrent que la plupart des gens venaient des zones immédiates des rébellions. S’il y avait des gens qui arrivaient des «banlieues», cela ne révèle que la géographie tentaculaire de la métropole américaine.
    3. Bien que de nombreux militants et organisateurs aient participé, la réalité est que cette rébellion n’a pas été organisée par la petite gauche révolutionnaire, ni par les ONG dites progressistes. La rébellion était informelle et organique, provenant directement de la frustration des Noirs de la classe ouvrière envers la société bourgeoise, en particulier la police.
    4. Non seulement l’État policier a été pris au dépourvu par l’ampleur et l’intensité de la rébellion, mais la société civile a également hésité et hésité face à cette révolte populaire, qui s’est rapidement répandue dans tous les coins du pays et a quitté la police. peur et désarroi.
    5. La police a montré de nombreuses faiblesses pendant la rébellion. Face à quelques centaines de manifestants, les départements ont été facilement débordés et contraints de concentrer leurs forces sur des points chauds particuliers. Une fois la police arrivée dans une zone de conflit, les gens se retiraient et se déplaçaient vers un autre endroit pour faire plus de dégâts. La guerre conventionnelle, qui met l’accent sur des armes et des technologies supérieures, n’a pas réussi à contrer une série de manœuvres flexibles, décentralisées et rapides axées sur la destruction de biens.
    6. La phase militante de la rébellion a eu lieu du 26 mai au 1er juin. Après le 1er juin, la rébellion a été non seulement réprimée par la force militaire, mais également politiquement réprimée. Outre la répression policière, militaire et des justiciers, le soulèvement a été politiquement réprimé par des éléments de la gauche, qui ont réagi aux émeutes en les accusant d’agitateurs extérieurs. Dans certains endroits, de «bons manifestants» sont allés jusqu’à détenir de «mauvais manifestants» et les remettre à la police.
    7. Les ONG noires, dont la Black Lives Matter Foundation, n’avaient aucun lien avec la phase militante de la rébellion. En fait, ces organisations ont eu tendance à jouer un rôle réactionnaire, empêchant souvent les émeutes, les pillages et les attaques contre la police de se propager. Les ONG noires étaient le fer de lance des forces divisant le mouvement en bons et mauvais manifestants. La base sociale des ONG noires n’est pas le prolétariat noir, mais la classe moyenne noire et, surtout, un segment de la classe moyenne blanche qui se radicalise.
    8. Cette rébellion concernait la violence raciste de la police et les inégalités raciales, mais elle concernait également les inégalités de classe, le capitalisme, COVID-19, Trump et plus encore.
    9. Cette rébellion ouvre une nouvelle phase dans l’histoire de Turtle Island. Une nouvelle génération de personnes a connu un mouvement puissant et, face aux inégalités et aux crises persistantes, il est peu probable que les gens restent assis et les acceptent. La rébellion a produit une nouvelle subjectivité politique – le rebelle George Floyd – initiant un ensemble de processus avec de nombreux résultats possibles qui seront déterminés par les luttes de classe dans le présent. Le prolétariat américain a finalement émergé et est entré dans l’histoire.
    10. Cette rébellion est la pointe de la lance dans la lutte contre la pandémie. La rébellion montre au monde que la lutte révolutionnaire peut se produire même pendant une pandémie. La pandémie ne fera qu’aggraver les conditions de vie des populations du monde entier et, par conséquent, nous pouvons nous attendre à davantage de rébellions à travers la planète.
    11. La rébellion de George Floyd est pour l’instant suspendue. De nombreuses ONG et des gens de la classe moyenne feront un profit aux efforts courageux des rebelles qui ont combattu au cours de cette semaine. Mais ces rébellions reviendront. Ils font partie des luttes de classe en cours qui ont eu lieu aux États-Unis et au niveau mondial depuis la dernière récession mondiale (2008-2013). Aujourd’hui, l’économie mondiale est à nouveau en récession.
    12. Les manifestations de jour en cours sont un produit contradictoire de la rébellion, attirant de grandes foules, davantage de classes moyennes et plus blanches. Cette composition contribue certes à créer une atmosphère de type non-violent et «bon protestataire», mais cela est indissociable des dirigeants noirs qui prônent ce type de politique. Dans le même temps, l’extension des manifestations de jour permet une plus grande participation, ce qui est important.
    13. Les émeutes nocturnes ont une limite dans la mesure où elles n’attirent pas de segments plus larges de la société dans leur activité. Les émeutes, les pillages et les attaques contre la police sont une activité des jeunes et des pauvres. Beaucoup de travailleurs y étaient sympathiques, mais restaient chez eux. Cela montre que les émeutes seules ne suffisent pas.
    14. De nombreuses luttes importantes ont fusionné avec ce mouvement, notamment les travailleurs des transports en commun refusant de collaborer avec la police. Pourtant, il est difficile de savoir comment cette rébellion se connecte aux luttes latentes sur le lieu de travail, aux luttes en prison et aux difficultés de logement qui se déroulent dans le contexte de la pandémie. Il semble qu’il y ait des liens historiques et futurs à établir. Dans quelle mesure les personnes impliquées dans les luttes antérieures sur le lieu de travail ont-elles été impliquées dans les émeutes? Dans quelle mesure les émeutiers vont-ils retourner au travail et continuer la lutte au travail?
    15. Les syndicats considèrent souvent la police et les gardiens de prison comme des travailleurs ayant besoin de protection, au lieu de les considérer comme des voyous armés de la bourgeoisie qu’ils sont. Malgré la longue histoire de la police comme briseurs de grève, il reste beaucoup à faire sur le front du travail en ce qui concerne l’abolition de la police et des prisons. Sans les travailleurs du transport en commun, les travailleurs de la logistique, les travailleurs de l’assainissement, les travailleurs médicaux et autres, la lutte abolitionniste est condamnée.
    16. Compte tenu des faibles taux de syndicalisation, de nombreuses luttes sur le lieu de travail seront chaotiques, explosives et sans intermédiaire par les syndicats ou tout autre type d’organisation officielle. Les syndicats entreront et tenteront de les contrôler et de les coopter. Les luttes sur le lieu de travail peuvent-elles se répercuter sur les luttes dans les rues? S’ils le font, nous entrerons dans une nouvelle phase de lutte.
    17. Afin de reconsolider son pouvoir et d’empêcher la révolution, la bourgeoisie se démène pour accorder des réformes et des concessions. Certains policiers sont licenciés et inculpés; les budgets de certains services de police sont réduits; certaines écoles et universités annulent leurs contrats avec la police; certaines statues racistes sont supprimées; Trump signe un décret exécutif fournissant davantage de ressources pour la responsabilité de la police; le conseil municipal de Minneapolis vote pour dissoudre son service de police. Cette séquence suit un modèle commun dans l’histoire capitaliste – la classe dirigeante réagit aux crises révolutionnaires en se réorganisant et en se restructurant de manière à lui permettre de rester au pouvoir.
    18. Ce qui doit être fait grâce à l’auto-activité du prolétariat, d’autres éléments de la société tentent de le faire par le biais de pétitions, de votes, de lois et de changements de politique. Les réformes sont un objectif louable dans un système capitaliste racial qui donne clairement la priorité à la police sur la vie. Cependant, nous devons garder à l’esprit que la société bourgeoise veut garder cette rébellion aussi étroite que possible: ne parler que de George Floyd, réduire les budgets de la police et redistribuer le budget à d’autres secteurs de la société. Mais cette rébellion concerne bien plus encore. Il s’agit de la profonde injustice ressentie par un peuple qu’aucune réforme ne peut éteindre.
    19. L’abolition entraîne la destruction matérielle de l’ensemble des infrastructures de police construites à l’époque du capitalisme racial. L’abolition a eu lieu du 26 mai au 1er juin. À la suite d’émeutes généralisées, il s’est passé plus d’une semaine pour discréditer et limiter le pouvoir de la police que pendant de nombreuses décennies d’activisme. Nous voyons ici le potentiel de l’abolition dans son sens le plus complet, ouvrant un bref moment de solidarité entre les différentes fractions racialisées du prolétariat, provoquant une crise nationale et ouvrant la porte à un nouveau monde pour un bref instant.
    20. Tout ce qui s’est passé pendant le soulèvement n’a pas été habilitant et libérateur. Les mêmes problèmes qui existaient auparavant se sont poursuivis pendant la rébellion – racisme, transphobie, homophobie, concurrence pour les maigres ressources. Tout cela ne disparaît pas soudainement dans une rébellion. Le travail crucial de construction d’un nouveau monde reste à faire.
    21. Nous n’avons pas encore répondu au sens complet de cette rébellion. Le contenu de Black Lives Matter concerne-t-il uniquement ceux qui sont racialisés en tant que Noir ou la lutte des Noirs prend-elle un contenu plus large?
    22. Les comparaisons de cette rébellion avec 1968 sont erronées. Cette rébellion est différente à plusieurs niveaux. Ce sont les maires noirs et les commissaires de police noirs qui gouvernent dans de nombreuses villes. C’est un prolétariat multiracial qui s’est rebellé.
    23. Le prolétariat noir peut-il diriger les autres fractions racialisées du prolétariat dans les années à venir? C’est une question qui remonte à un siècle avec Du Bois, Haywood, James, Jones et Hampton essayant tous de créer diverses coalitions avec d’autres fractions dans ce pays ou à l’étranger dans le but de vaincre le capitalisme racial et l’empire. Ils savaient tous que le prolétariat noir pouvait déclencher une large rébellion, mais ne pouvait pas vaincre ses ennemis tout seul.
    24. L’unification du prolétariat dans une lutte commune pour éliminer le capitalisme est le seul espoir que l’humanité puisse se sauver et sauver la terre. Ce contre-pouvoir est basé sur le rassemblement de tous les peuples pour lutter contre le racisme, le patriarcat et tout ce que le capitalisme apporte.
    25. Le désir de solidarité multiraciale est toujours lourd, comme l’ont montré les histoires de racisme. Le développement de la solidarité sera tendu, difficile et dépendra de circonstances objectives et de choix stratégiques. La plus grande préoccupation est que la solidarité pourrait se faire au détriment de la libération des Noirs. Pour éviter cela, des efforts doivent être faits pour respecter et soutenir l’autonomie de la lutte révolutionnaire noire.
    -Shemon et Arturo
    Juin 2020

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