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Emeutes en Kabylie et dans le reste de l’Algérie au printemps 2001

A l’occasion de la sortie prochaine aux éditions de l’Asymétrie du livre « Dissidences algériennes », avec l’aimable autorisation de l’auteur, quatre documents spécialement transcrits et regroupés pour l’occasion et qui ne figurent pas dans le recueil.

Le sixième chapitre du livre, intitulé de “Tafsut imazighen au Printemps noir”, propose dix autres textes émanant de groupes communistes ou socialistes d’Algérie sur la question culturelle en général et sur la question amazighe (berbère) en particulier, de la fin des années 1970 au début des années 2000.

Document 1 : La répression et la riposte des étudiants. Interview d’un étudiant à Alger

Source : La Voix des travailleurs algériens, n° 14, juillet-août-septembre 1980, p. 9-10

Tous les mois de mai et juin ont été consacrés par le mouvement à lutter contre la répression et pour la libération des 24 détenus de Berrouaghia.

Quelle forme a pris la répression ? Comment s’est organisée la riposte à cette même répression ? Quel rôle ont joué les Frères musulmans, les Baathistes, l’U.N.J.A. ?

Autant de questions que nous avons posées à un étudiant qui, à Alger, a participé au mouvement.

V.T.A. – Peux-tu parler de la répression à Alger ?

  1. – Quadrillage de l’université pendant deux mois en plus de la prolifération des flics en civil à l’intérieur des campus, en vue d’intimider les individus et de terroriser la communauté universitaire.

C’est ainsi que lors des différentes assemblées générales, les services de sécurité (en civil) ont tenté et réussi à s’y infiltrer. Parfois de force, comme à l’A.G. des travailleurs chercheurs de l’O.N.R.S. [1] où des flics ont tenté d’assister en menaçant le cas échéant les travailleurs chargés du contrôle.

A partir de là, des étudiants furent ouvertement arrêtés à leur sortie de l’université.

De plus, la police a systématiquement quadrillé les abords de l’université tout au long des événements : contrôle des cartes d’étudiants à l’entrée de la faculté d’Alger, fouille corporelle en vue du désarmement des étudiants qui voulaient défendre la démocratie à l’université, alors que les groupes d’extrême droite (F.M.) disposaient de réserves d’armes au sein de l’université à l’intérieur des mosquées. Ce qui démontre ainsi l’utilisation par le pouvoir de ces derniers éléments pour briser – aussi – indirectement la mobilisation autour des libertés démocratiques.

V.T.A. – Comment s’est organisée la lutte contre les arrestations et la répression ?

R – Les comités de grèse ont été élus dans différents instituts, prenant en charge un peu les problèmes de la culture et dés libertés démocratiques, la dénonciation systématique des arrestations (nom des détenus, jour, lieu, circonstances…) dans l’ensemble des instituts d’Alger, essentiellement par voie d’affichage. Les comités avaient pris en charge le regroupement de l’ensemble des étudiants de leurs instituts respectifs, pour dénoncer massivement la répression qui s’était abattue autour des problèmes cités.

C’est ainsi que des tentatives de manifestations dans les rues d’Alger eurent lieu, vite dispersées par les forces de l’ordre ; à ce propos on remarquera la faiblesse du mouvement de masse à s’auto-organiser dans ce cadre-là – faiblesse aussi de coordination de l’ensemble de ces comités d’instituts (mis à part ceux de l’I.S.E. et l’I.L.E. [2]), qui aurait pu accentuer la portée de la lutte.

Au cours d’une A.G. regroupant tous les médecins de la Wilaya [3] d’Alger, une commission d’enquêtes fut mise sur pieds, formée de médecins, étudiants, travailleurs à la suite de l’investissement de l’université et de l’hôpital de Tizi Ouzou. Ils publieront ainsi la liste de tous les blessés, ainsi que les blessures occasionnées (avec noms, lieu, circonstances…), et leur état de santé postérieur.

Ils mèneront aussi une enquête sur l’arrestation des médecins de la Wilaya de Tizi Ouzou, et enverront des motions de protestations à la présidence.

V.T.A. – Peux-tu préciser le rôle exact des « baathistes » et des « frères musulmans » ?

  1. – Les événements du printemps 80 se sont déroulés dans une conjoncture particulière. Ansés la mort de Boumédienne, une série de luttes dans l’appareil d’état se déroulaient pour le contrôle de celui-ci (préparation du congrès…).

Profitant des événements autour de la culture et des libertés démocratiques, les partisans du panarabisme (bath, exprimant l’idéologie de la bourgeoisie d’Etat d’expression arabe) portèrent ces luttes d’appareil au sein des masses étudiantes (pratique courante du pouvoir algérien).

Les baathistes, accusant le mouvement étudiant autour de la question berbère d’être manipulé par l’impérialisme ayant pour objectif le détachement de l’Algérie du reste du monde arabe, mobilisera autour de ce grief, les étudiants arabophones, et s’attachera à le contrer systématiquement.

Autour de l’U.N.J.A., le bath et les F.M. (ces derniers accuseront la structure d’être un fief de communistes alors que le premier voulait se l’approprier) s’étaient découvert un ennemi commun. Une alliance tactique s’est opérée alors et on vit la résurgence de pratiques fascistes de leur part, en vue d’éliminer toute mobilisation d’étudiants  à l’université, briser les luttes pour les libertés démocratiques.

V.T.A. – Et celui de l’U.N.J.A. ?

  1. – Dès le début du mouvement, l’U.N.J.A. a essayé de le présenter comme étant manipulé par l’impérialisme (l’éternelle rengaine !). Mais très vite, après la dénonciation dont elle a été l’objet à travers toutes les universités d’Alger et de Tizi-Ouzou et voyant que le mouvement étudiant opérait une véritable rupture qui la débordait, elle changera de tactique ; elle « soutiendra » le mouvement mais tout en gardant l’espoir de la récupérer, car elle n’a pas cessé ses manœuvres de division entre les étudiants, en mettant les « gauchistes » (c’est-à-dire les étudiants inorganisés qui revendiquent une organisation des étudiants indépendante) et les baathistes dans le même sac !

Au cours de ce mouvement et pour la première fois, l’U.N.J.A. fut secouée par des remous internes, beaucoup de militants déchirèrent leur carte après que le secrétariat général de cette organisation envoya une motion de soutien au pouvoir et présenta les événements de Tizi-Ouzou comme un « complot de l’impérialisme ».

V.T.A. – Comment interprètes-tu la libération des 24 ?

  1. – En étant optimiste, on dira que c’est un recul du pouvoir face à la mobilisation des étudiants d’Alger et de Tizi-Ouzou et des masses de cette ville. Mais il ne faut pas chanter victoire trop tôt ; il se pourrait que ce geste soit juste une manœuvre pour calmer les esprits et que dès la rentrée universitaire prochaine, le pouvoir se lance dans une chasse à l’étudiant. C’est pourquoi il est impératif de maintenir la mobilisation par un travail politique intense envers les étudiants et ça sera l’affaire des comités d’instituts.

V.T.A. – Penses-tu que la lutte contre la répression menée au niveau international a joué un rôle ?

  1. – Absolument ; il faut le dire la solidarité internationale que les gens épris de liberté et de démocratie ont manifesté envers les masses algériennes durant ce mouvement a exercé une pression non négligeable sur le pouvoir pour qu’il libère les 24 détenus, pour « sauver » ce qu’il lui reste de son image de « marque ».

 

Alger, juillet 1980

 

  1. O.N.R.S. : Office national de la recherche scientifique.
  2. I.S.E. : Institut de sciences économiques.

I.L.E. : Institut des langues étrangères.

Ces deux instituts sont situés à la Faculté centrale.

  1. Wilaya : préfecture.

 

 

Document 2 : Les leçons du mouvement culturel et démocratique du Printemps 80

Source : Et-Thaoura, n° 1, janvier 1981, p. 5-6

NOUS PUBLIONS ICI LA PREMIERE PARTIE DE NOTRE ANALYSE DU MOUVEMENT CULTUREL ET DEMOCRATIQUE DU PRINTEMPS 1980. ELLE EXPOSE LES FAITS ET EBAUCHE UNE PREMIERE INTERPRETATION. LA SECONDE PARTIE QUE NOUS PUBLIERONS DANS LE PROCHAIN NUMERO ABORDERA LA QUESTION DES PROBLEMES SOULEVES PAR CE MOUVEMENT. NATURELLEMENT, LA PUBLICATION DE CES ARTICLES EST UNE INVITATION A UN DÉBAT NECESSAIRE POUR LA GAUCHE REVOLUTIONNAIRE.

Nous n’allons pas raconter dans le détail ce qui s’est passé à Tizi Ouzou durant ce printemps de l’année 1980. Mais nous exposerons certaines des leçons que les militants révolutionnaires marxistes se doivent de tirer pour éviter une démarche erronée dans l’analyse et la pratique de la lutte des classes en Algérie.

LES ETAPES DU MOUVEMENT DU PRINTEMPS

Le mouvement du printemps a une double origine politique :

– l’histoire du mouvement culturel berbère ;

– l’histoire du mouvement étudiant et la radicalisation d’une de ses factions.

C’est la jonction de ces deux mouvements dans un contexte de crise de la société algérienne qui a produit le printemps 1980. Il constitue une étape importante et nouvelle dans la lutte pour les libertés démocratiques dans notre pays.

Jusqu’à la libération des 24 détenus de Berrouaghia, quatre étapes essentielles caractérisent le mouvement.

PREMIERE ETAPE : LES MANIFESTATIONS

C’est spontanément que les étudiants Tizi Ouzou ont organisé la première manifestation, le 11 mars suite à l’interdiction de la conférence de M. Mammeri et aux leçons tirées de la longue grève du 1er semestre. Elle ne fut pas réprimée. L’écho de cette manifestation va se répandre partout dans la Wilaya et à Alger. Spontanément, des lycéens, des  collégiens, jeunes, dans beaucoup régions de la wilaya, organisent des manifestations sauvages, s’attaquant aux locaux du F.L.N., détruisant des enseignes en arabe.

A Alger et Tizi, les étudiants s’organisent dans le cadre de comités semi-clandestins autour du mot d’ordre de défense de la culture berbère Le 16 mars, une deuxième manifestation est organisée par les étudiants à Tizi et n’est pas réprimée. Le 26 mars, il y a une troisième manifestation à la fois à Tizi et Alger. Dans cette dernière ville le cortège part de la place des Martyrs et est violemment réprimé au niveau de la place de l’Emir Abdelkader où 50 personnes environ sont arrêtées.

La 4ème manifestation, celle du 7 avril, part de la place du 1er mai. Elle sera également réprimée et une centaine de personnes seront arrêtées. Elle va élever le mouvement à une étape nouvelle puisqu’elle est la cause directe de l’occupation de l’université de Tizi à partir du 7 avril, par la communauté universitaire (étudiants, travailleurs, enseignants) et d’un développement du mouvement à Alger.

Cette première étape se caractérise par :

– le caractère défensif du mouvement : références à la Charte Nationale dans les slogans, démarches auprès du pouvoir et « sympathies » de hauts fonctionnaires avec le mouvement ;

– la faible jonction avec la population. Contrairement aux manifestations étudiantes « pacifiques », celles des jeunes sont violentes, faible participation des non étudiants aux manifestations d’Alger et Tizi ;

– l’apparition des premiers signes de la crise politique du régime : hésitation quant à l’attitude à adopter vit à vis des manifestations, marques de « sympathie » de hauts fonctionnaires…

DEUXIEME ETAPE : L’AFFRONTEMENT POLITIQUE

La revendication initiale lors de l’occupation de l’université de Tizi est la libération des détenus arrêtés le 7. Ils le seront rapidement mais le mouvement a atteint une nouvelle étape, l’occupation continue. C’est durant cette étape, la plus riche, que s’est joué le sort du mouvement :

– POLITISATION du mouvement ; réalisation de la jonction avec la population kabyle ;

– « régionalisation » du mouvement.

A Alger, la mobilisation débouche sur la constitution d’un bureau de coordination des étudiants élus en A.G. (…)

A Tizi, une véritable « rébellion pacifique », s’organise. L’université va jouer un rôle central comme foyer d’agitation et non comme direction du mouvement. (…)

La grève générale du 16 avril va montrer que la propagande intensive aura totalement échoué dans sa tentative d’isoler l’université de la population de Kabylie. La venue du M.E.S.R.S. le 14 avril à Tizi, la grève du 16, la constitution du Comité populaire de coordination, les risques d’élargissement du mouvement en dehors de la Kabylie… vont convaincre le pouvoir de la nécessité de réprimer.

TROISIEME ETAPE : LA REPRESSION ET LA REVOLTE

La répression qui s’abat à partir du 20 avril à l’aube sera sauvage et aveugle. Les C.N.S. ont réalisé un véritable massacre collectif à l’université de Tizi Ouzou. Tous ceux qui y résident, étudiants, travailleurs, étrangers, seront tabassés selon la devise : « que le sang coule ». Les arrestations massives se font en même temps que le massacre.

Et puis c’est l’émeute. Un soulèvement général de toute la Kabylie. Du plus petit des villages à la plus grande ville : Tizi. Cette étape révèle :

– en même temps que le caractère répressif du pouvoir, ses faiblesses chroniques :

– absence de base de masse. Le F.L.N. n’a joué que son rôle d’indicateur à la police et à la gendarmerie ;

– crise importante au sein du régime.

– Les capacités de sacrifice et de lutte des masses populaires qui ont redonné « espoir » aux militants les plus désabusés.

– Le caractère irrémédiablement régionalisé du mouvement du printemps, à la Kabylie et plus largement aux kabyles.

– L’absence d’organisation des masses populaires qui donnera au soulèvement l’allure d’une émeute ; et, plus précisément, l’absence d’une direction politique du mouvement.

– Les limites du mouvement étudiant : les universitaires, éparpillés n’auront qu’un rôle mineur dans le soulèvement.

QUATRIEME ETAPE : LA LUTTE POUR LA LIBERATION DES DETENUS

Cette étape se caractérise par :

– le développement d’un large mouvement d’opinion en faveur des détenus et du mouvement ;

– les négociations entre le régime et la communauté universitaire.

Après les émeutes, le pouvoir va libérer la majorité des détenus, isolant 24 d’entre eux tenus pour responsables des événements. La peur et la démobilisation règnent à l’université de Tizi Ouzou qui devient un « tigre en papier ». La force du mouvement est dans les masses populaires. Le régime a peur de l’université en ce sens qu’elle peut mettre le feu aux poudres. Mais surtout son symbole fait d’elle la clef de la normalisation en Kabylie. Une tension terrible règne alors en Kabylie.

C’est dans cette ambiance qu’ont commencé les négociations basées sur la reprise des cours contre la promesse de libération des détenus. Les promesses d’un régime qui a organisé le massacre du 20 avril sont peu de choses. C’est ce qui explique les hésitations de l’université de Tizi et surtout du Comité de coordination d’Alger à redéployer le mouvement à travers :

– l’arrêt de la grève ;

– le développement d’un mouvement d’opinion ;

– les négociations.

Mais à Alger, les fascistes arabo-islamistes, comme des charognards, commencent la chasse aux « rouges » et aux Kabyles. Un large mouvement d’opinion s’organise, notamment autour d’une quête (qui a rapidement donnée plus de 6 millions de centimes) et d’une pétition demandant la libération des 24 détenus. Les avocats décident dans leur écrasante majorité de défendre bénévolement les détenus ; la pétition quant à elle d’abord soumise à des « personnalités » rencontre des hésitations (sauf pour quelques démocrates non pourris) est orientée vers les usines et les villages qui signent massivement et se déclarent prêts à n’importe quelle action.

A l’étranger, la solidarité est très importante. D’abord notre émigration avec les militants et personnalités de l’opposition démocratique et révolutionnaire qui abattent un travail important. Il y a aussi les démocrates à l’échelle internationale (notamment fiançais) qui affirment leur soutien au mouvement et à la lutte pour la libération des détenus et contre la répression.

Deux raisons expliquent donc la libération des 24 détenus :

– le mouvement d’opinion nationale et internationale dont la pression est incontestable ;

– la perspective de relance du mouvement autour de la libération des détenus. (…)

 

 

Document 3 : Déclaration du Parti socialiste des travailleurs

 

Source : Inprecor, n° 459-460, juin-juillet 2001, p. 55

 

L’expression tragique du désespoir de centaines de milliers de jeunes face à une répression d’une brutalité inacceptable vient opportunément rappeler aux gouvernants qu’ils ne peuvent décider seuls du devenir de notre peuple. Les machinations savantes invoquées ici et là ne sont d’aucune utilité pour comprendre. On a raison de se révolter quand la situation est révoltante. Les responsabilités aussi, sont clairement établies. Car qui donc est responsable du désespoir de cette jeunesse privée d’avenir, sans travail, sans logement, sans vie sociale, sinon cette politique qui a décidé cyniquement de mettre en œuvre le suicide économique et la régression sociale décidés par le FMI des grandes puissances ? Qui a osé refuser “à jamais” l’officialisation du Tamazight, refusant l’appartenance nationale à toute une communauté de notre peuple ? Qui est responsable de l’étroitesse humiliante des moyens légaux et pacifiques d’exprimer sa colère, sinon ce pouvoir qui conteste la liberté de manifester même aux milliers d’ouvriers en grève, ce pouvoir qui régente le droit de s’associer et conteste celui de créer un parti même à ses anciens ministres, ce pouvoir qui monopolise les médias publics et menace la presse. Qui est responsable de l’absence de représentation crédible des préoccupations populaires sinon ce régime qui s’est attelé à défaire tous les acquis d’octobre 1988 et à démanteler les embryons d’organisation populaire au profit de représentations falotes qu’il humilie à loisir au sein de ses institutions discréditées, ce régime qui ose contester aux Algériens le droit à la diversité d’opinions sur la langue, sur la place de la religion et qui dénonce la lutte légitime pour la défense des intérêts sociaux de la majorité populaire.

Les partis bénéficiaires du vote de la région payent aujourd’hui le prix de leur complaisance à l’égard des mesures vexatoires imposées par le régime. Mais ces jeunes qui protestent contre leur exclusion sociale leur font surtout payer leur complicité avec le libéralisme qui appauvrit, leur participation au concert de louanges unanime pour des réformes libérales odieuses, leur participation aux nouvelles élites sociales qui les écrasent avec arrogance. Et la ressemblance de leurs députés et de leurs élus locaux avec le reste du personnel politique soucieux de ses privilèges et de ses petites affaires a discrédité la pratique politique des notabilités bourgeoises.

La répression qui multiplie les morts et les blessés par balles prouve le mépris des gouvernants et aggrave la colère légitime des jeunes. Malgré son opposition à l’islamisme la jeunesse kabyle en désarroi se réfère aux groupes armés intégristes pour exprimer l’aspiration à un changement radical. Qu’on ne s’y trompe pas, si la tradition politique de la Kabylie est spécifique, le désespoir des jeunes est le même partout. Il s’exprime dans la violence des slogans politiques des stades, il couve dans la marginalité.

L’inquiétude des travailleurs, la détresse des retraités et des « compressés » se sont exprimées dans l’unanimité populaire autour des journées d’action des 20 et 28 mars. Elles se sont confirmées lors de ces journées tragiques par le refus populaire de se démarquer des jeunes malgré les conditions pénibles causées par les affrontements. Plus que jamais s’impose la nécessité d’un vaste mouvement représentant les aspirations populaires pour imposer le changement.

Après son plaidoyer pour la mondialisation libérale qui contredit mot pour mot ses promesses populistes du début, les promesses tardives et vagues de Bouteflika ne peuvent nous satisfaire. Puisque le pouvoir prétend reconnaître la légitimité de la révolte des jeunes, il doit satisfaire leurs revendications qui rejoignent celles des travailleurs en lutte et celles des masses populaires victimes de la hogra et de la misère. En annonçant l’arrêt immédiat du démantèlement du secteur public et de l’économie nationale et l’engagement d’un plan de relance sérieux avec une création d’emplois urgente et massive et la prise en charge des besoins sociaux impérieux. En s’engageant pour l’officialisation du tamazight par des mesures immédiates. En levant immédiatement toutes les entraves aux libertés d’expression, d’organisation, de réunion, de manifestation et de grève. En infligeant une punition exemplaire aux responsables de la répression identifiés par une enquête rigoureuse et transparente.

Alger, le 1er mai 2001

Document 4 : Comité populaire de la wilaya N’Bgayet. Déclaration – Appel

Source : archives privées

Près de cinq (05) mois de mobilisation sans relâche et notamment en Kabylie et au centre du pays n’ont toujours pas eu raison de ce pouvoir autocratique et négateur des droits des Algériens. L’espoir qu’ont suscité nos valeureux jeunes et leur courage est sans précédent. Plus que jamais, le peuple algérien, certes inégalement selon les régions et leurs spécificités, est convaincu que le régime ne travaille pas pour ses intérêts.

Le printemps noir 2001 a ouvert un nouveau cycle de lutte et d’espoir. La revendication du départ de la gendarmerie est significative de la remise en cause de l’Etat oppresseur et la reconnaissance sans conditions des droits culturels et sociaux des Algériens constituent les lignes directrices de cette contestation.

Les marches nationales organisées, pour certaines avortées car empêchées manu militari par le pouvoir, sont en soi des victoires mais insuffisantes pour faire aboutir nos revendications ; donc un changement de stratégie s’impose.

Effectivement la pression populaire a imposé le changement des effectifs de la gendarmerie, elle a contraint le pouvoir central à mettre une partie de la manne pétrolière au service du « développement » malgré l’opposition du FMI. L’injection de 700 milliards de centimes dans les caisses de la Wilaya de Béjaia, et autant ou plus dans d’autres Wilayas, sont aussi des acquis du mouvement. A nous de contrôler leur destination. Ces petits gestes sont le fruit de notre pression, mais cela ne signifie pas que le pouvoir a changé de cap. Bien au contraire la politique de paupérisation continue son chemin et la destruction du tissu industriel est plus que jamais à l’ordre du jour de nos détracteurs (Complexe Jute), et chaque jour qui passe a son lot de fermeture d’usines et de licenciements, quant au chômage c’est la descente aux enfers.

Pour garantir plus de victoire, notre mouvement ne doit en aucun cas se circonscrire à la Kabylie ; au contraire il doit s’ouvrir sur tout le territoire national, en soutenant toute initiative allant dans le sens de la consolidation de la contestation populaire.

Tous les Algériens veulent leur autonomie vis à vis de ce pouvoir injuste et oppresseur ; il suffit de leur montrer comment y aboutir. Ils veulent l’autonomie qui leur garantit leurs droits sociaux et culturels, un travail, un toit, la garantie des libertés individuelles et collectives et bien sûr qui consacre le droit de la moitié de la population, que sont les femmes, à la citoyenneté à part entière.

Le combat continue

Le comité populaire pense que la jeunesse scolarisée joue et jouera un rôle important dans les mobilisations populaires, mais en aucun cas elle ne doit être un refuge pour le mouvement. Le report de la date de la rentrée n’est que l’expression d’une panne de perspectives. De même, celle relative au non paiement de la facture d’électricité est loin de constituer un acte de désobéissance civile ; au contraire, elle dévoie cet ultime recours. Soucieux de la pérennité du mouvement et jaloux de ses acquis, le Comité Populaire de la Wilaya de Béjaia appelle la population à redoubler de vigilance, en se réorganisant dans les communes, les quartiers, les usines et les écoles, en élisant leurs délégués et en réactivant leurs comités de vigilance pour parer à toute répression éventuelle.

Aussi, tous ceux qui luttent pour leurs droits identitaire, démocratique et socio-économique doivent prendre conscience de la nécessité impérieuse d’imposer un contrôle rigoureux quant à l’affectation dudit budget. Les 700 milliards alloués à notre Wilaya sont les acquis de nos martyrs et ne doivent en aucun cas servir les nantis et le renforcement des moyens de la répression. Au contraire, nous devons exiger que cet argent soit exclusivement consacré à la satisfaction des besoins sociaux des citoyens à savoir : l’alimentation en eau potable et en électricité, revêtement des routes, la dotation en budget conséquent de nos hôpitaux et de nos écoles, la relance des entreprises économiques (Jute, etc.), la promotion du logement social et la création d’emplois.

Pour cela nous appelons toutes les communes et quartiers à établir leur plateforme locale et les remettre au Wali le jour de la marche.

Mobilisons-nous et soyons nombreux à la marche du Mardi 25/09/2001 qui débutera de l’université à 11 heures vers le siège de la Wilaya où un meeting se tiendra.

Mobilisons nous pour : 

  • la satisfaction totale de la plate forme d’El Kseur
  • rendre plus effective la mise en quarantaine de la gendarmerie
  • la prise en charge effective des victimes de la répression
  • l’alimentation en électricité et en eau potable de toutes les régions de la Wilaya de Béjaia
  • l’ouverture de nouvelles routes et la réfection des anciennes
  • la dotation de nos hôpitaux et de nos écoles en budget conséquent
  • la réouverture de toutes nos entreprises économiques fermées
  • une politique conséquente de construction de logements sociaux
  • l’institution dans l’immédiat de l’allocation chômage
  • pour un jugement exemplaire de l’assassin du Martyr HAFNAOUI.

 

Béjaia, le 13/09/01

Ulac Smah Ulac

Le combat continue

 

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