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A paraître : « Intérêts matériels -Il Lato Cattivo -Interventions 2017-2022 »

La postface du livre publié aux éditions Entremonde le 10 mars prochain.

Entre histoire et post-histoire

Postface

 A  Bernard  Lyon (1946-2022)

Cette postface nous donne l’occasion de revenir sur le contenu des textes ici présentés, à la fois pour en prolonger certaines réflexions et pour en expliciter les implications à un niveau plus général.

Le fil rouge qui relie ces textes, tout à fait involontaire quant aux intentions mais non moins prégnant a posteriori, est celui de l’histoire et de la mémoire. Suivons-le donc. Cela nous permettra de parler de la période actuelle tout en parlant de notre milieu : d’illusions, de tabous et d’impasses qui ont été aussi les nôtres, et dont nous sommes probablement encore tributaires dans une certaine mesure. Nous souhaitons ainsi souligner quelques divergences qui nous séparent des autres pôles théoriques qui se rattachent au concept de communisation, et la spécificité de notre positionnement au sein de ce courant (à supposer qu’il existe). Cependant, il s’agit moins de critiquer d’autres théoriciens, qu’ils soient des individu ou des groupes, que de critiquer nos insuffisances et nos ambiguïtés. Il s’agit en somme de clarifier où nous en sommes théoriquement aujourd’hui. Nous le ferons en illustrant trois thèses qui constituent l’aboutissement provisoire de notre cheminement, dans l’espoir que cela donne au moins à réfléchir. Autocritique: un principe auquel quelques géants du passé (Luxemburg, Lukács, etc.) tenaient beaucoup… mais qui n’est visiblement pas très en vogue chez nos contemporains : signe du peu d’importance qui est accordé au poids des mots. Voilà ce qui est difficile dans le « métier » du théoricien : s’exprimer peu et avec justesse.

Il faudra ici revenir au principe , au sens du commencement. Dans le mouvement en spirale de l’accumulation capitaliste, le cycle historique dans lequel nous sommes encore plongés avance vers son terme – dépassement ou restructuration ultérieure du MPC – et ce faisant il retrouve ses origines ; c’est-à-dire qu’il revient sur les solutions (productives, sociales, politiques et géostratégiques) bricolées pour répondre aux limites du cycle précédent (1945-1990). Et parfois même davantage : il retrouve des questions ayant trait aux origines mêmes du mode de production capitaliste.

Le vrai nouveau, c’est la persistance de l’ancien

Au commencement, ou presque, il y eut « la Restructuration ». Pour une partie des théoriciens de la communisation, la restructuration des années 1970-1980 représente la coupure la plus radicale dans l’histoire du mode de production capitaliste (MPC), ou du moins une coupure plus radicale que d’autres. Cette appréciation, on le comprend, peut difficilement être séparée d’une expérience incarnée : des événements historiques majeurs furent vécus aussi bien dans les têtes que dans les tripes. La contestation du mouvement ouvrier traditionnel dans la période 68, puis sa pulvérisation dans la période suivante, en représentent assurément les principaux éléments. Trop peu d’attention a été accordée, cependant, à leur pendant en termes de politique internationale : la fin du Bloc de l’Est. Souvent négligée, citée comme un élément parmi d’autres, voire comme un élément mineur, ce fut néanmoins une dévalorisation de capital absolument considérable – aussi bien en Allemagne de l’Est et en Russie que dans les autres pays du Pacte de Varsovie et du Comecon – et un moment  décisif dans la relance de l’accumulation à l’échelle mondiale. L’histoire générale de cette grande dévalorisation reste à écrire. Personne dans notre courant ou dans l’ultragauche au sens large ne s’y est attaqué, même pas en ébauche (du moins à notre connaissance) : signe, peut-être, qu’un malaise se loge dans ce silence. Contre-révolution capitaliste ou contre-révolution prolétarienne : la question russe demeure un casse-tête, même 30 ans après sa disparition. Toujours est-il qu’en quelques années à cheval entre la fin des années 1980 et le début 1990 la face du monde changea et sa cartographie fut frappée d’obsolescence. Il n’y a pas de meilleur indice pour saisir les grands tournants de l’histoire et en mesurer la portée, que de suivre les changements des cartes géographiques.

Le Bloc de l’Est avait bien pu être qualifié à l’envi, par quelques réfractaires marxistes et anarchistes, de produit de la contre-révolution (celle du cycle précédent) : sa fin ne fut pas moins le couronnement d’une nouvelle défaite du prolétariat. De celui des pays concernés, tout au moins : sans vouloir peindre en rose la condition ouvrière en URSS ou en RDA, l’évolution du chômage des Ossies ou de l’espérance de vie des russes au cours des années 1990 parlent d’elles-mêmes. Mais  ailleurs également : dans le reflux de la période 68, après la répression ou le retour dans les rangs des fractions prolétariennes les plus radicales, les institutions du mouvement ouvrier liées à Moscou restaient un frein par rapport à la marche de la restructuration. En Italie par exemple, le Parti Communiste n’avait eu de cesse de traiter les OS révoltés de « provocateurs » et avait activement participé à la répression des groupes armés dans les années 1970, mais il avait aussi mobilisé amplement sa base contre la désindexation des salaires dans les années 1980 (notamment lors du référendum de 1985) et, bien que très pro-européen sur le plan politique, il était mitigé à l’égard du système monétaire européen (SME).

Rappelons l’atmosphère dominante au lendemain de 1989-1991, notamment dans un continent coupé en deux jusque-là, et dont le processus d’intégration économique et monétaire allait sous peu s’accélérer : soulagement pour les uns, égarement ou calamité pour les autres, l’entrée dans une ère radicalement nouvelle paraissait acquise. C’était l’entrée dans la post-histoire. Bien que l’idylle se soit évanouie assez vite, sous l’effet des guerres aux portes de l’Europe occidentale notamment (Balkans), cette atmosphère de tabula rasa allait néanmoins durer. L’internationalisation des cadres de la concurrence inter-capitaliste entérinée par les traités de libre-échange, la désintégration horizontale des entreprises avec le développement de la sous-traitance proche et lointaine, la suppression des barrières à la mobilité des capitaux etc., étaient en train de bouleverser aussi bien la sphère de la production que la sphère de la circulation de la plus-value. Avec la fin du monde bipolaire, la suprématie de l’État américain donnait, elle aussi, l’impression de perdre son caractère national, en se diluant dans les institutions internationales (FMI, Banque Mondiale, Gatt-OMC, OTAN, etc.) et les sommets multilatéraux (du G5 au G20) qu’il avait créés ou impulsés. Nation, souveraineté, Realpolitik, équilibre des puissances, sphères d’influence : tout le vocabulaire politique de l’État westphalien fut déclaré caduc, tandis que la guerre semblait ne plus pouvoir être autre chose qu’une « opération de police internationale » menée par un pouvoir ubiquitaire et définitivement post-national. Impossible de prétendre que tout cela ne nous ait pas affectés, vieilles et nouvelles générations confondues, alors que l’ensemble de la production discursive de la société l’a été.

Nous sommes aujourd’hui face à cette réalité : la société dans laquelle nous vivons est un horizon indépassable. Nous agissons désormais dans l’immanence historique.[1]

Voilà l’idée qui, sans être nécessairement clairement formulée, était dans toutes les têtes et traversait tous les domaines. Essayons d’en mesurer la signification : être dans la pure immanence, cela signifie être au-delà du devoir-être sous toutes ses formes, que ce soit la transmission assumée ou contrainte d’un héritage, la référence à une norme ou le décèlement d’un sens dans le déroulé du processus historique : victoire de la « joie » (Clément Rosset) sur la conscience malheureuse.

Alors que le déclin accéléré des partis pro-soviétiques et trotskistes et la reconversion libérale des partis sociaux-démocrates, partout en Occident, ainsi que l’affaiblissement et la fragmentation du paysage syndical, étaient interprétés par la plupart des commentateurs comme la disparition de la classe ouvrière tout court, soit comme réalité sociologique, soit comme vecteur de transformation sociale (réformiste ou révolutionnaire), les théoriciens de la communisation y voyaient plutôt – à quelques différences près – la confirmation de leur diagnostic post-soixante-huitard : celui d’une divergence historique entre la classe prolétarienne et sa représentation politique et syndicale, ouvrant la perspective d’une lutte des classes aux contours inédits, débarrassée de sa panoplie institutionnelle et des options qui en découlaient du point de vue de la transition post-capitaliste (dictature du parti ou des conseils, autogestion, etc.). À quelques exceptions près, ces théoriciens ont tous essayé de repérer dans les luttes du prolétariat des dernières décennies, en Europe occidentale ou ailleurs, des moments ou des formes de lutte impliquant quelque chose de plus que la simple affirmation de ses intérêts immédiats de classe contre le capital, c’est-à-dire quelque chose qui laisserait présager la négation de la condition prolétarienne par les prolétaires eux-mêmes. Des luttes atypiques extrêmement minoritaires ont été montées en épingle, donnant lieu à beaucoup de surinterprétation, et des crises sociales périphériques ont été traitées comme si elles se déroulaient au cœur même de l’accumulation mondiale. Tant a été dit et écrit, que trop peu s’est déroulé conformément aux attentes. Tout cela, c’est déjà du passé. Peut-être  dans un demi-siècle ou dans un siècle des têtes chercheuses sortiront ces élucubrations des archives et y verront un grand intérêt, mais en attendant on ne voit rien qui conforte l’hypothèse d’une remise en cause des classes déjà inscrite dans le cours quotidien de leurs luttes, et la théorie de la communisation, dans ses différentes variantes, risque aujourd’hui de connaître le même destin que mille autres propositions « subversives » agrémentées de nouveaux sujets et de nouvelles luttes, qui se voulaient « plus en phase » avec notre époque, et qui ont vieilli plus vite que celles qu’elles prétendaient remplacer. Certaines d’entre elles, en contribuant à la destruction du sérieux marxiste, ont réussi à se faire une place dans l’académie, et pourront bien y vivoter encore un peu : le temps leur est néanmoins compté.

Car, au fil des décennies, quelque chose d’inattendu s’est produit : le monde d’après la chute du Mur s’est mis à ressembler de façon perturbante au monde d’avant. Cela n’a pas été visible d’emblée, mais l’est devenu de plus en plus à partir de 2015-2016. Dans la vague longue de la crise de 2008, le double consensus constitutif de la mondialisation ascendante – le consensus de Washington sur le plan international, et le consensus dit « néolibéral » (variablement décliné) au sein des différents périmètres nationaux – s’est progressivement effrité. Voilà l’une des idées-forces que nous voudrions mettre en avant ici : la connexion intime de ces deux aspects, du « front intérieur » et du « front extérieur ». On y reviendra par la suite. Pour l’instant, limitons-nous à ceci : si on en arrive aujourd’hui, en politique internationale, à voir la Guerre Froide et le Rideau de fer se remettre en place, et si partout en Occident la repolarisation du champ politique est une réalité avec laquelle l’establishment doit bon gré mal gré composer, au risque de perdre le contrôle du volant, force est de constater que quelque chose, dans la narration de « la Restructuration » et du « rien ne sera plus comme avant » était erroné dès le départ. Certes, on peut convenir qu’on n’a pas vu se reformer le mouvement ouvrier d’antan, ni là où il avait existé ni là où certains attendaient sa revanche (dans les pays dits émergents, par exemple). On enfonce alors une porte ouverte : ce mouvement ouvrier-là, on ne le verra jamais réapparaître tel quel. Cependant, en dépit des simplifications abusives, sa trajectoire n’a pas été si linéaire qu’on l’a prétendu. Aux États-Unis, c’est-à-dire au cœur du capitalisme du XX° siècle, le mouvement ouvrier comme mouvement politique disparut au plus tard avec le maccarthysme, après une existence fort précaire. Mais là où des grandes centrales syndicales existaient déjà – ce qui vaut aussi pour certains pays émergents (Brésil, Inde) – celles-ci n’ont pas disparu, et l’analyse de leur évolution dans les pays du capitalisme mature doit prendre en compte l’importance qu’ont pris en leur sein, dans bien des cas, les retraités au détriment des intérêts des actifs s’il le faut). Il n’en reste pas moins que lorsque des luttes d’envergure apparaissent sur les lieux de travail, la question de la représentation ne manque pas de se poser de façon plus ou moins aigüe, débouchant soit sur la revitalisation d’anciennes structures syndicales soit sur la création de nouvelles. Le fait que celles-ci n’arrivent à se reproduire que comme porte-paroles de luttes sectorielles et de segments spécifiques de la main-d’oeuvre ne change rien à l’affaire[2]. Quant au politique, il faut remarquer que le rejet hors de l’éventail parlementaire des propositions politiques hostiles au double consensus mentionné plus haut – ce qui avait donné, entre autres, la mouvance altermondialiste – n’a fonctionné que pour un temps. Une rude concurrence existe désormais, en Italie, en France et ailleurs, pour occuper le créneau électoral qui fut jadis celui des partis communistes et/ou social-démocrates. C’est l’un des effets les plus évidents de ce qui a été convenu d’appeler le « moment populiste » : effet dépourvu de résultats stables pour l’instant, mais dont on peut parier qu’il va survivre aux mouvements qui le portent, et ce pour au moins deux raisons fondamentales. Tout d’abord, la croyance que dans les démocraties dites libérales, un bassin de votes aussi important n’aurait plus trouvé d’offre politique correspondant à sa sociologie de classe était naïve : la nature a horreur du vide. Ensuite, un système représentatif où les partis politiques ne s’adressent, en gros, qu’aux cadres et professions intermédiaires peut convenir aux périodes où le pilotage automatique suffit ; mais lorsque on entre dans une zone de turbulence, et que le corps électoral «CSP+» a tendance à se fragmenter, l’importance de capter une partie au moins du vote des ouvriers et des employés d’exécution ne peut plus être négligée. Se contenter d’objecter que l’offre politique qui leur est adressée ne se construit plus en fonction d’une identité ouvrière, mais plutôt d’une identité nationale (variablement déclinée, là aussi), c’est se leurrer par un triple oubli. Premièrement, c’est oublier que l’apparition des classes dans le système représentatif est toujours biaisée, car la prise en charge de leurs intérêts par le politique (à supposer qu’elle ait lieu) implique tout un travail de sélection et de retranscription qui transforme les revendications et les aspirations les plus confuses et disparates en demandes auxquelles le politique peut répondre dans la situation donnée. Deuxièmement, et cela revient au même,

c’est oublier la nécessaire distinction entre le réformisme « obligé » des prolétaires […] et le réformisme institutionnel assumé comme programme politique : le premier est évidemment la condition du second, mais ne se réduit pas au second.[3]

Troisièmement, c’est oublier que la représentation politique de la classe ouvrière, même la plus généraliste du point de vue du discours et des buts affichés, a toujours été à la fois partielle, c’est-à-dire adressée d’abord à ces mêmes fractions de classe dont elle était l’expression, et interclassiste, ne serait-ce que dans son fonctionnement interne. Dès la formation de la social-démocratie allemande, il a fallu avoir des journalistes pour la presse politique, des juristes pour les permanences, des saltimbanques pour les occasions conviviales. Cependant, la classe ouvrière est restée pendant un siècle le centre de gravité, le pôle dominant de cet interclassisme in vitro. Pendant la période 68, les nouvelles générations de la classe moyenne salariée se prirent pour l’avant-garde de la glorieuse classe ouvrière, pour s’en détourner aussitôt que le rapport de force changea. Ce retournement a investi aussi bien les organisations politiques et syndicales que la société dans son ensemble. Par la suite, la distance entre les deux classes s’est encore creusée, idéologiquement et matériellement[4]. En bref, pendant quelques décennies, la classe moyenne salariée a pu se croire autosuffisante. La crise-Covid et d’autres crises à venir lui apprendront qu’elle ne l’est pas.

Quant à la disparition de tout horizon post-capitaliste – c’est-à-dire de ce que l’on appelait autrefois « le programme maximum », par opposition au « programme minimum » de réforme du capitalisme – on devrait déjà se demander si la référence à la patrie du socialisme en était réellement un. Cette référence a-t-elle complètement disparu, d’ailleurs ? De nos jours, un monsieur répondant au nom de Joseph Staline est la figure historique du XX° siècle la plus appréciée auprès de la population russe (146 millions d’habitants, tout de même), et le Parti Communiste de Guennadi Ziouganov (toujours lui) a récolté presque 19% des voix aux dernières législatives de 2021 (+5,6% par rapport à 2016). Il est vrai, toutefois, que presque partout dans le monde le socialisme a disparu de l’imaginaire des prolétaires au profit de la patrie. Nous verrons plus loin qu’il y a quelques bonnes raisons à cela.

Pour paraphraser Debord à propos de l’anarchisme[5], l’affirmation selon laquelle il n’y aura pas de nouvelles institutions du salariat quitte le terrain historique en supposant que les formes adéquates à l’auto-affirmation du prolétariat au sein du MPC ont déjà été trouvées (et épuisées) et ne se renouvelleront plus. Nous n’en sommes pas encore là, mais si une nouvelle restructuration du MPC se concrétise, il est fort à parier que l’éclipse de la dimension institutionnelle de la lutte des classes nous apparaîtra comme une parenthèse historique.

De façon plus générale, et sans nous prononcer sur ce que serait le communisme, dans l’histoire d’un mode de production donné il est rare que quelque chose soit dépassé une fois pour toutes. Non seulement les survivances et les phénomènes d’inertie[6] y sont légion, mais la réactivation d’un passé qui, jusqu’à la veille, semblait effacé n’est jamais exclue. Ce qui a existé une fois survit de façon souterraine, et à intervalles réguliers, l’histoire doit descendre jusqu’à la cave pour se réinventer. Dans de nombreux écrits, Marx et Engels ont saisi la façon dont les hommes, pendant qu’il sont en train de produire le nouveau, « évoquent craintivement les esprits du passé »[7]. Nous-mêmes – sans doute avec d’autres – avons quelque peu glosé la-dessus. Ce qui restait à l’arrière-plan dans ces analyses, en quelque sorte dans un cône d’ombre, c’est la réalité paradoxale de ce qui, parfois de façon insoupçonnable, persiste malgré tout : pour que le présent puisse y puiser ses matériaux, ses inspirations idéologiques, il faut bien que le passé soit disponible, c’est-à-dire soit présent, ne serait-ce que sous la forme de ruines, de traces ou de réminiscences.

La mondialisation : une marée qui se retire

La mondialisation bute sur la persistance de l’ancien, c’est-à-dire sur tout ce que l’entrée dans la post-histoire était censé avoir banni – sur tout ce que la bien-pensance contemporaine dénonce comme régressif et démodé : « repli sur soi », « égoïsmes nationaux », « démocraties illibérales », « régimes autoritaires », voire le « totalitarisme ». Le retour du négatif n’est pas forcément beau à voir. Misérable, violente, cruelle : c’est l’histoire – toujours elle et rien d’autre. Nous pouvons toujours l’exorciser par l’anathème et le moralisme… tant qu’elle ne vient pas frapper à notre porte.

Il est insuffisant de dire que la mondialisation est dans une mauvaise passe, qu’elle rencontre des difficultés, comme si cela n’était que contingence. C’est que l’unification mondiale du capital tant célébrée ou décriée n’était au fond que superficielle. Dès que l’amicale des capitalistes gagnants ou simplement survivants à l’issue de la dernière phase de dévalorisation massive s’est transformée à nouveau, aux alentours de 2008, en une lutte entre frères ennemis pour le partage des pertes, la marée mondialisatrice a commencé à se retirer, laissant doucement réémerger tout ce qu’elle n’avait pas emporté, toutes les aspérités qu’elle avait recouvertes. C’est à partir de là qu’on a vu toute la différence qualitative [qu’il peut y avoir] entre des institutions (les États-nation) façonnées par des siècles d’histoire,  forgées par des guerres civiles, des guerres entre pays et des luttes de classes modernes (Guizot : les institutions de la nation comme cristallisations des conflits entre groupes sociaux), et des institutions construites par quelques individus réunis autour d’une table afin de contourner ou d’échapper à tout cela. Le fait que ces mêmes États restent tiraillés, intimement traversés ou déstabilisés par l’emprise du supra-national n’empêche pas que c’est à eux que toutes les classes s’adressent désormais pour régler leurs problèmes : le prolétariat et les classes moyennes (anciennes et nouvelles), certes, mais pas seulement. La grande masse des capitalistes aussi, telle une armée de fils prodigues, est revenue frapper à la porte de leurs États respectifs pour obtenir des gages leur permettant, d’une manière ou d’une autre, de sortir la tête de l’eau. Et pour ce qui est des quelques monopoles (GAFAM et autres) qui pensaient pouvoir s’émanciper de toute autorité étatique, voire s’en attribuer les fonctions, les États qui le peuvent commencent à tracer leurs lignes rouges par des moyens légaux (anti-trust) ou illégaux (cyber-attaques). Les institutions internationales restent en place, bien sûr, mais si la plupart d’entres elles [ a → ont ] encore un avenir, c’est comme cadre de confrontation d’intérêts ou d’agendas nationaux préalablement définis, pas comme organes de gouvernance à l’usage d’une quelconque « internationale capitaliste ». En bref, la dernière décennie n’a  que trop montré que l’approfondissement de la mondialisation n’était plus d’actualité.

Dans le même temps, la crise de la mondialisation et du multilatéralisme dévoile la dure réalité de la guerre économique et son devenir tous azimuts. Ce que nous appelons guerre économique n’est pas la simple concurrence entre capitaux, mais le recours croissant à des moyens extra-économiques (juridiques, politiques, voire militaires) de règlement de différends concurrentiels. On peut en donner toutes sortes d’exemples. L’application extra-territoriale des lois anti-corruption américaines en fait bien sûr partie. Mais on peut citer également la montée des mesures protectionnistes non-tarifaires, notamment en Asie (Japon, Inde). On peut d’ailleurs parier que, sous peu, les préoccupations écologiques justifieront encore davantage certaines de ces mesures. Le rôle de l’État, pour des raisons évidentes, est essentiel dans ce processus, et bien que tous les États ne se valent pas, tous sont appelés à se lancer dans la bagarre avec les moyens du bord. Là aussi, ce qu’on voit se déployer sous nos yeux serait impossible si une partie au moins des instruments juridiques, des cadres normatifs et parfois des usages n’existaient pas déjà, bien qu’à l’état latent. On a là encore une preuve du poids des sédimentations historiques, une preuve du fait que l’histoire n’est pas sans cesse en train de repartir de zéro.

Une compréhension unilatérale de la mondialisation a conduit notre milieu à se méprendre aussi bien sur les États-Unis que sur la Chine. Le marché mondial, même dans les phases d’unification maximale, n’est jamais dépourvu d’une mise en forme (géo-)politique. Voilà la surdétermination fondamentale. Or une telle mise en forme est d’autant plus efficace qu’elle s’affiche pour ce qu’elle n’est pas, et que son promoteur s’avance masqué. La diplomatie de la canonnière continue à agir dans l’ombre, la logique de la dissuasion également : le moment unipolaire américain ne les a pas abolies. Le multilatéralisme a été la meilleure ruse de l’hégémon mondial pour jouer le jeu de la mondialisation, mais surtout le faire jouer aux autres (à son profit, bien entendu) : sans les excédents commerciaux d’autres pays, pas d’épargne à réinvestir sur les marchés financiers américains, ni financement à moindre frais des dépenses militaires américaines. Tout se tient. L’hégémon mondial ne soupçonnait pas qu’il était tombé sur aussi rusé que lui. Lorsque la marée mondialisatrice se retire, les gros poissons deviennent plus visibles. Désormais, l’affrontement inter-capitaliste prédominant à l’échelle mondiale met aux prises les deux grandes puissances qui ont le mieux instrumentalisé la mondialisation pour servir leurs buts propres.

Maintenir un profil bas, cacher l’éclat, ne pas chercher à prendre le leadership, mais faire certaines choses : cette formule qu’on attribue (à tort ou à raison, peu importe) à Deng Xiaoping exprime au mieux le sens de l’inclusion de la Chine dans le marché mondial. Le cas du capitalisme chinois montre, s’il en faut, que la mondialisation s’est déclinée d’emblée dans les différents pays selon leurs capacités d’insertion propres, c’est-à-dire spécifiquement nationales, au sein du cadre mondialisé. Croire à l’ascension des pays émergents ou l’exclure a priori, c’est dans les deux cas nier ces spécificités, et prendre la Chine pour un pays émergent parmi d’autres – ce qu’elle n’est pas. Comment expliquer l’ascension du capitalisme chinois, sans voir sa capacité à exploiter à son avantage les institutions et les cadres réglementaires du commerce international, à faire mine de s’accommoder des « avantages comparatifs » de l’hyper-spécialisation tout en faisant exactement le contraire, autrement dit à jouer le jeu de la mondialisation sans y croire ? Et comment ne pas voir que le défi que ce capitalisme représente pour l’ordre (ou le désordre) actuel du monde n’existerait pas sans la capacité de l’État chinois à profiter, jusqu’à très récemment, du soutien américain, pour faire décoller son économie, tout en préservant l’essentiel des conditions de sa souveraineté politique ? Il fallait un philosophe pour nous expliquer qu’à Tian’anmen (1989) la violence de la réaction étatique avait été « inexplicable »[8] . La banale réalité c’est que l’avenir de la Chine comme entité unitaire s’y jouait, pour le bien et pour le mal. On oublie souvent, de nos jours, que l’économie montante, dans les années 1970-1980, était celle du Japon, suivie par l’Allemagne. N’est-ce pas précisément l’absence d’une pleine souveraineté politique qui a été fatale aux anciennes puissances de l’Axe dans la suite de la course ? Rappelons un épisode. Septembre 1985 : avec les accords du Plaza, les États-Unis obtenaient du Japon, sans la moindre contrepartie, une appréciation du yen qui allait réduire les excédents commerciaux de ce dernier et rééquilibrer la balance courante américaine. Le rapatriement de l’épargne extérieure japonaise (libellée en dollars et donc exposée à la dépréciation) allait par la suite générer une bulle sur le marché domestique (actions et immobilier) et plonger le Japon dans la « décennie perdue ». Il est difficile de négocier quoi que ce soit quand l’autre partie tient un pistolet sous la table.

Sans aller très loin dans le détail de l’histoire de la Chine, un trait caractéristique de sa Longue Marche vers le capitalisme (1911-1978) nous paraît négligé, à savoir les rapprochements et éloignements successifs de ses deux principales composantes socio-politiques : le populisme (la paysannerie) et le jacobinisme (la petite et moyenne bourgeoisie urbaine). Bien avant le maoïsme, dans un article avant-coureur de 1912, Lénine avait saisi le contenu du socialisme chinois ainsi que les tenants et les aboutissants du développement capitaliste en Chine :

[…] l’idée que le capitalisme peut être « empêché » en Chine et qu’une « révolution sociale » y sera facilitée par l’arriération du pays, etc. est tout à fait réactionnaire. […] Mais la question se pose : Sun Yat-sen soutient-il, sur la base de sa théorie économique réactionnaire, un programme agraire réellement réactionnaire ? C’est le point crucial de la question, son aspect le plus intéressant […]. Le fait est que ce n’est pas le cas. La dialectique des rapports sociaux en Chine se révèle précisément dans le fait que, tout en sympathisant sincèrement avec le socialisme en Europe, les démocrates chinois l’ont transformé en une théorie réactionnaire, et que, sur la base de cette théorie réactionnaire de l’« évitement » du capitalisme, ils se font les champions d’un programme agraire purement capitaliste, capitaliste au plus haut degré ! […] Une telle réforme est-elle possible dans le cadre du capitalisme ? Non seulement elle est possible, mais elle représente le capitalisme le plus pur, le plus cohérent et le plus perfectionné. Marx l’a souligné dans  Misère de la philosophie, il l’a démontré en détail dans le livre III du Capital, et l’a encore développé avec une clarté remarquable dans sa controverse avec Rodbertus, dans les Théories sur la plus-value. La nationalisation des terres permet d’abolir la rente absolue pour ne laisser que la rente différentielle […].[9]

En ce sens, les matériaux marxiens sur les formes qui précèdent la production capitaliste et le débat entre Marx et les populistes russes autour de la possibilité du passage direct de la commune rurale  au socialisme, redevenus à la mode pour des mauvaises raisons et par le biais de mauvais passeurs, peuvent être mobilisés de façon fructueuse, mais à deux conditions : 1) ne pas les séparer de la théorie marxienne du MPC (la théorie de la rente foncière notamment); 2) reconnaître qu’il nous parlent de formes révolues qui continuent cependant à imprégner les formes actuelles, participant ainsi à la singularisation des capitalismes partout à travers la planète, et pas uniquement dans des régions plus ou moins exotiques (cf. par exemple la commune germanique)[10]. La dualité populisme-jacobinisme rejoue la tension millénaire, typique de l’histoire chinoise, entre le pouvoir central et les localismes au sein du mode de production asiatique : source de toutes les craintes de dislocation du pays, elle hante toujours, et pour cause, le sommeil des gouvernants chinois.

L’affrontement inter-capitaliste entre États-Unis et Chine porte, aujourd’hui, essentiellement sur le devenir de leurs marchés intérieurs respectifs et, d’une certaine façon, sur la question du marché intérieur tout court, que la doxa mondialiste considérait dépassée. Du côté des États-Unis, la relance du marché intérieur a oscillé jusqu’à présent entre deux orientations opposées : d’un côté, des tentatives d’impulser la réindustrialisation du pays, dans le but de mettre un frein à la tertiarisation de l’emploi (à l’expansion des services à la personne, au sous-emploi et aux bas salaires qui vont avec) – tentatives d’autant plus timides et inefficaces qu’il est difficile de stimuler politiquement, hors cas de guerre, le rapatriement des capacités productives délocalisées ; d’un autre côté, une politique monétaire et budgétaire proche de la monnaie-hélicoptère, qui relance la consommation aux États-Unis au risque de relancer la production en Chine. La crise-Covid a tranché provisoirement en faveur de cette dernière, et aboutit désormais à accroître simultanément les déficits de la balance commerciale et de la balance courante. Voilà ce qu’est devenu l’exorbitant privilège du dollar : consommer ce que d’autres produisent en les (sous-)payant avec de la monnaie de singe. Les deux orientations ici résumées, se donnent également  à voir, par ailleurs, en politique étrangère  : la première, réaliste et russophile, vise à séparer la Russie du vrai challenger, dans une répétition actualisée du coup de Nixon s’engouffrant dans la brèche de la rupture sino-soviétique ; la seconde, droit-de-l’hommiste et russophobe, s’agite contre Poutine-le-nouveau-Hitler et pousse la Russie dans les bras de la Chine, tout en préparant à petits pas l’épreuve de force avec cette dernière en Mer de Chine méridionale.

Le défi lancé par la Chine au cadre mondialisé et à la puissance états-unienne qui l’a façonné consiste, quant à lui, en un recentrage de son économie pour partie sur son marché intérieur, pour partie sur les marchés extérieurs (théorie de la « double circulation »), du continent eurasiatique notamment. La rupture du deal avec Washington – le financement de la dette américaine avec ses excédents commerciaux – et la Belt and Road Initiative (« les nouvelles routes de la soie ») ne sont que les deux faces d’une même pièce. Ce défi est systémique parce qu’il implique la remontée des filières (l’autosuffisance technologique) et la récupération de la part de plus-value qui est produite en Chine mais réalisée et appropriée à l’étranger, aux États-Unis notamment. La « prospérité commune » (Xi Jinping) suppose la capacité de redistribuer des gains de productivité – une redistribution qui suppose à son tour un meilleur contrôle sur la masse de la plus-value produite sur place. Les gens qui parlent de l’évolution du taux de profit en Chine sans se référer explicitement au pompage états-unien de la plus-value ont un cadavre dans la bouche.

 Aux États-Unis, « ceux d’en bas », de l’émeutier noir au petit entrepreneur « trumpiste » en passant par l’ouvrier du Midwest, luttent tous pour sauver leur peu, c’est-à-dire pour ne pas être exclus de l’american way of life, et la seule manière pour l’État américain de faire en sorte que celle-ci n’implose pas consiste à exacerber le pompage de la plus-value chinoise ou, le cas échéant, à envoyer la Chine au bûcher manu militari. En Chine, « ceux d’en bas » luttent pour améliorer leur train de vie, pour travailler moins et gagner plus, et accéder à un meilleur système de protection sociale, et la seule manière pour l’État chinois de créer les conditions pour cela est… de s’attirer des ennuis – et de se préparer à y faire face, sur le plan militaire comme sur le plan monétaire et financier (promotion d’une alternative au dollar et au système SWIFT). Des deux côtés du Pacifique comme partout ailleurs dans le monde, l’exacerbation des affrontements inter-étatiques est mue, de manière plus ou moins souterraine, par la lutte des classes. L’étouffement des politiques de puissance sous le couvercle de l’ultra-impérialisme américain avait été rendu possible par l’étouffement de la question sociale. Or nous arrivons aujourd’hui à

la fin d’un cycle d’une quarantaine d’année au cours desquelles la question sociale, qui avait dominé la scène politique depuis la la seconde partie du XIX° siècle, a été progressivement invitée à s’effacer, n’ayant plus droit de cité que comme “ruissellement” de l’économie.[11]

Il est normal, en définitive, que cette fin de cycle se manifeste comme exacerbation simultanée d’antagonismes sociaux et d’antagonismes nationaux intimement liés.

La nation : un contenu social fondamental

La désorientation que la persistance de l’ancien suscite à gauche, à l’extrême gauche, et jusque dans notre milieu est particulièrement évidente au sujet de la question de la nation. Une fois de plus on ne peut que mettre en garde, avec Bordiga, contre « l’énorme erreur historique de déclarer ce phénomène liquidé dans ses rapports avec la lutte de classe prolétarienne dans la structure politique internationale contemporaine »[12]. Et ce non seulement parce que c’est la multiplicité[13] des révolutions nationales bourgeoise sur une partie de la planète qui a créé les conditions de la révolution communiste, mais également parce que le processus de systématisation des unités nationales dans les aires extra-occidentales est loin d’être conclu, comme le montrent par exemple les processus actuellement en cours dans une partie du Moyen-Orient (« chiisation » de la Syrie, etc.). Historiquement, les guerres capitalistes ont été des formidables vecteurs par lesquels des combattants déjà constitués en nation ont stimulé ou accéléré la construction de la nation auprès de la partie adverse – à condition que cette dernière se montre capable de prévaloir un jour. Ce processus de diffusion, allant à chaque fois du centre à la périphérie, a intéressé d’abord les pays occidentaux : de proche en proche, et de guerre en guerre, les Provinces-Unies génèrent l’Angleterre, qui à son tour génère la première Fédération américaine  puis la France, qui à son tour génère]  l’Allemagne et l’Espagne, etc. La « contamination » se transmet ensuite aux colonies, où de puissantes récurrences ont été constatées dans les mécanismes et les temporalités d’émergence des élites nationalistes[14]. Si, après la décolonisation et ses suites, ce processus a pu paraître achevé, au profit d’une résurgence des allégeances tribales, c’est qu’on ne voyait qu’une partie du tableau : les yeux rivés sur le Moyen-Orient et l’Afrique subsaharienne, on négligeait l’Europe de l’Est en plein Risorgimento. La politique extérieure des États-Unis s’y appuie largement, et pas depuis hier : premier élargissement de l’OTAN en 1997 (Hongrie, Pologne, Tchéquie), deuxième élargissement en 1999 (Pays baltes), adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie en 2004, sommet de Bucarest en 2008 (annonce de l’inclusion possible de la Géorgie et de  l’Ukraine), etc.

Obsolescence de la nation ? Pas à l’ordre du jour. Ce n’est d’ailleurs que sur la très longue durée qu’on peut émettre de pareils diagnostics. Entre les XIII° et le XVII° siècles, jusqu’à la Première Révolution anglaise (1642-1651), l’intensité et le succès des revendications bourgeoises d’égalité juridique et de liberté politique qui étaient apparues d’emblée avec les toutes premières enclaves du MPC ont connu des hauts et des bas, et à certains moments celles-ci ont pu « passer pour des illusions balayées par l’histoire, alors que leur force ne faisait que croître en attendant de s’affirmer historiquement de manière imposante à l’échelle européenne, chose qui aujourd’hui nous paraît aller de soi »[15]. Si l’époque n’est plus aux programmes de développement autocentré, cela ne veut pas dire que les aires périphériques soient ipso facto condamnées à n’être rien d’autre que les terrains de chasse où les capitaux des aires centrales divisent pour mieux régner : le Viet-Nam (102 millions d’habitants tout de même) a certainement beaucoup bénéficié de l’arrivée de capitaux étrangers, américains et autres, mais on y observe un développement endogène, impulsé par l’État ou non, lequel n’aurait sans doute pas été possible sans la défaite américaine et la réunification du pays en 1975. De ce point de vue, il sera intéressant de voir ce que les Talibans seront capables de faire en Afghanistan après le départ américain : seront-ils à même de conférer une réalité à la nation afghane et d’assurer un minimum de développement économique au pays ?

Quoi qu’il en soit, les aires centrales actuelles ne semblent pas être concernées par la question nationale. En est-on sûr ? La révolution nationale, nous dit Bordiga,

n’est pas notre révolution, la revendication nationale n’est pas notre revendication, et elles ne représentent pas pour l’homme la conquête d’un avantage irréversible et éternel. Mais le marxisme les considère avec intérêt, voire avec admiration et passion, et lorsque le cours de l’histoire les remet en cause il est prêt, en temps et lieu décisifs, à se lancer dans la lutte pour elles.[16]

 

Se lancer dans la lutte pour la révolution et le revendication nationales lorsque le cours de l’histoire les remet en cause ? Voyons ! Ce passage en choquera plus d’un ; il sous-entend néanmoins quelque chose qui, de nous jours, va de soi aux yeux du prolétariat et de certaines fractions des classes moyennes – que cela nous plaise ou non. À savoir que le cadre national est protecteur, notamment à partir du moment où le niveau supra-national s’est greffé sur lui. Par contrecoup, les mouvements sociaux se focalisent d’autant plus sur les institutions, sur la redéfinition des prérogatives étatiques. De nombreuses luttes récentes, des Gilets Jaunes au Chili, l’illustrent à leur façon (RIC, nouvelle constitution, etc.). Cela se comprend dans la mesure où la multinationalité du capital a dû se doter de ses propres institutions et les articuler avec les institutions préexistantes, que ce soit pour les désamorcer ou les reformater.

L’auto-désignation comme peuple souverain (avec toutes les questions de délimitation qui vont avec) correspond d’ailleurs au seul niveau de généralité qui soit adéquat à la nature de la remise en cause dont l’État-nation a fait l’objet au cours de la mondialisation ascendante. Rappelons d’abord que c’est dans la lutte contre la féodalité et le caractère a-national de sa domination que la bourgeoisie historique a renoué, en France notamment, avec le plus haut niveau de développement de la nation historiquement atteint jusque-là en Europe : la Rome antique. Ce n’est donc pas pour une lubie quelconque que « la révolution de 1789 à 1814 se drapa successivement dans le costume de la République romaine, puis dans celui de l’Empire romain »[17]. Les luttes de classes contemporaines, dès qu’elles deviennent des luttes politiques de masse, rejouent cette pièce dans des rôles inversés. L’État-nation, subsumé par les organes du supra-national, a été chargé de saper le mouvement ouvrier et tous les corps intermédiaires, afin de mener plus facilement la lutte de classe par le haut. Mais le rapport direct entre les individus et l’État qui est ainsi recherché montre rapidement son impossibilité. Les individus forcés de réagir, à la recherche de formes de protection et de riposte, les trouvent dans ce qui existe. Sans nécessairement délaisser ce qui reste des contre-pouvoirs d’antan, ils redécouvrent les vertus de la nation. Dès lors, tous les mouvements de masse, interclassistes ou non, peuvent prendre des allures de lutte de libération nationale. Du citoyennisme au retour des nations : dans le parcours qui, crise après crise, conduit de l’un à l’autre, les individus « libérés » sont ré-enchâssés dans leurs appartenances secondaires et contraintes.

Au-delà de toute vision purement constructiviste de l’économie et de la succession des modes de production, il faut se rendre compte qu’au fond de l’affaire, il y a bien le rapport de l’espèce homo sapiens à la nature, à la sienne propre ainsi qu’à celle qui lui est extérieure, et le devenir social de ce rapport dans ces deux versants. C’est ainsi qu’on peut interpréter ce célèbre passage d’Engels :

Selon la conception matérialiste, le facteur déterminant, en dernier ressort, dans l’histoire, c’est la production et la reproduction de la vie immédiate. Mais, à son tour, cette production a une double nature. D’une part, la production de moyens d’existence, d’objets servant à la nourriture, à l’habillement, au logement, et des outils qu’ils nécessitent ; d’autre part, la production des hommes mêmes, la propagation de l’espèce. Les institutions sociales sous lesquelles vivent les hommes d’une certaine époque historique et d’un certain pays sont déterminées par ces deux sortes de production : par le stade de développement où se trouvent d’une part le travail, et d’autre part la famille.[18]

Or envisager l’analyse de ce que Engels appelle « la production des hommes » sous l’angle des rapports hommes-femmes (h/f) pour l’ériger en conflit, antagonisme ou contradiction spécifique, ainsi que cela a été fait le plus souvent jusqu’ici, amène à séparer les rapports h/f de l’ensemble du rapport de l’espèce à la nature intérieure ou, au mieux, à les traiter comme leur moment culminant. Mais qui dit famille, dit également tribu et nation : un triptyque qui doit être abordé aussi bien en termes de succession diachronique que d’articulation synchronique, et dont chaque élément exprime à sa façon et à différents degrés le devenir social du lien de sang (la filiation dans sa détermination naturelle). Au sein du MPC, cela culmine dans la nation (« les enfants de la Patrie ») : un ou plusieurs ethnos qui se font demos[19], par le déchainement du pouvoir constituant (révolution nationale, guerre d’indépendance ou guerre de libération).

Si nous n’accordons pas aux rapports h/f un statut antagonique ou contradictoire, ce n’est pas parce que nous sous-estimons la contrainte qui s’exerce sur les femmes, le contrôle de leur capacité reproductive, ou encore la division sexuelle des activités – dans le travail comme dans le non-travail. C’est que la coopération entre les sexes y prévaut sans cesse, quel que soit le système de parenté par ailleurs, et que les femmes elles-mêmes y sont de plus en plus partie prenante au fur et à mesure que le triptyque famille-tribu-nation se développe, en englobant les unités les plus simples dans l’unité la plus vaste et complexe. C’est l’exploitation de classe qui rend contradictoire cette coopération sociale et pousse son développement. En définitive, ce n’est que par ce triptyque, où la nation domine, que s’actualisent les lois de la population spécifiques au MPC. Ces lois supposent des régimes de fécondité et de mortalité[20] ; elles supposent également des régimes d’immigration-émigration, c’est-à-dire des modalités par lesquelles les immigrés éventuels sont intégrés ou non à la nation, en fonction non tellement du besoin de travailleurs immigrés – qui ne suffit pas à déterminer une orientation particulière vis-à-vis de leur installation permanente et du statut qu’auront leurs enfants – mais de la situation inter-nationale au sein du système des États (conscription, etc.). Il en résulte, au final, un certain rythme de renouvellement ou de non-renouvellement du matériel humain.

L’objet propre de tous ces régimes – car il y en a beaucoup d’autres – n’est pas la production de valeur ou de surtravail, mais l’ensemble des coutumes, des usages, des prescriptions et des interdits associés à la survie (habitat, alimentation, communication, déplacements, soins, sexualité, reproduction biologique, éducation des enfants, etc.), c’est-à-dire l’ensemble des pratiques du rapport à la nature intérieure dans leur banalité quotidienne. Michel Foucault aurait parlé de « technologies du corps » : il en va de la distinction entre la société et la non-société (la déviance) dans ses déterminations concrètes. La contrainte ce n’est pas gentil, mais sans contrainte il n’y a pas de société : quand tout est possible, rien ne l’est.

La production de la population n’est donc pas réductible à la simple reproduction de la force de travail, bien que les deux s’impliquent mutuellement, et que l’aspect dit « historique et moral » de la valeur de la force de travail en soit évidemment affecté. La force de travail n’est rien d’autre que la capacité de travail, la Arbeitsvermögen au sens marxien, laquelle ne sort pas toute faite du ventre des femmes. On ne naît pas travailleur (ou travailleuse), on le devient. Les individus sont, tout au plus, les supports matériels de la force de travail, et sa marchandisation ne signifie pas la marchandisation des individus : le porteur de la force de travail devenue marchandise c’est le travailleur libre. La force de travail devenue marchandise est une unité de valeur d’échange et de valeur d’usage, mais comme valeur d’usage elle n’est pas séparable de son porteur. Il en découle [de cela] que sa reproduction ne peut jamais s’autonomiser de la production de la population et du rapport à la nature intérieure dans son ensemble. Sous le mode de production capitaliste, les bouleversements de la production de plus-value et de sa base technique (i.e. les bouleversements du rapport à la nature extérieure) déterminent les modifications de la production de la population et de toutes les pratiques du rapport à la nature intérieure qui, du fait de leur caractère itératif, tendent à l’auto-conservation. Le capital se heurte sans cesse à leur force d’inertie. L’installation du supra-national correspond à une organisation du rapport à la nature extérieure qui met sous une tension extrême l’organisation du rapport à la nature intérieure. En poussant trop loin la déstabilisation des États et des nations, le capital s’expose au risque de convertir la mondialisation en une fragmentation extrême qui lui serait dommageable, sans autre horizon que la lutte de tous contre tous (des guerres civiles partout).

Face à ce risque, les luttes de masse (généralement interclassistes) de la dernière décennie ont exprimé de façon croissante ce que Karl Polanyi appelait « l’autoprotection de la société ». Une telle autoprotection n’a rien d’idyllique et peut prendre les formes les plus aberrantes, comme Polanyi lui-même l’illustrait abondamment dans son étude de la désintégration de l’étalon-or. Au-delà de ses présupposés théoriques contestables, ce qui est crucial dans sa façon de présenter cette période historique, c’est d’avoir montré comment la crise d’un système monétaire à vocation universelle a préparé le terrain à des réponses nationales très diversifiées, qui se sont affirmées aussitôt que la croissance économique n’a plus été au rendez-vous (1929)[21]. Sans pousser à l’excès l’analogie avec la période actuelle, cela suggère la possibilité, voire la nécessité, d’un réajustement des articulations de l’accumulation mondiale accordant une place nettement plus importante aux réalités socio-économiques nationales, à leur spécificités et aux « compromis sociaux » qui  pourront y émerger ou s’y réactiver.

Conclusion : après la post-histoire

 

« Conclure, ce n’est jamais, malgré les apparences, que revenir aux origines de la question posée »[22]. Nous voulions parler de la période actuelle tout en parlant de notre milieu et en définitive de nous-mêmes. Pourquoi cela ? De temps à autre, il est bon de faire le point.

Le tableau, à grands traits, nous paraît être le suivant : non seulement la grande refondation théorique que le courant de la communisation avait promise n’a pas abouti, mais on peut encore ajouter qu’il lui arrive ce qui est déjà arrivé à toute théorie révolutionnaire depuis au moins un siècle : contrainte de se développer dans la contre-révolution triomphante, projetée dans un nouveau cycle historique par une défaite du prolétariat, elle ne cesse jamais en réalité de régler ses comptes avec le cycle précédent et, ce faisant, elle arrive déphasée au rendez-vous avec la reprise de la lutte des classes. Il en fut ainsi pour les sociaux-démocrates de gauche qu’étaient Luxemburg, Pannekoek et Gorter à l’issue de 1914-1918, et c’est ainsi qu’en 1968-69 les situationnistes et les opéraïstes ont cru voir à l’oeuvre, respectivement, la revanche des conseils ouvriers et le débarquement de Lénine à Detroit. Il n’y a pas de solution-miracle pour éviter ce genre de décalage. Car on n’est jamais tout à fait contemporain de son présent, et on l’est d’autant moins quand on manipule un corpus théorique qui transcende les générations. Autant se le dire, enfin. Bruno Astarian a mis à sa façon le doigt sur ce problème en écrivant que les

anticipations [théoriques formulées, NDA] se sont régulièrement révélées inadaptées dans la mesure où la théorie communiste de chaque époque repose fondamentalement sur des problématiques devenues caduques – celles de l’insurrection précédente.[23]

Se croire à l’abri de ce mécanisme est une illusion : c’est aussi cela, la condition historique. Se soucier d’être « à la page » n’est pas forcément la meilleure façon de s’assurer que l’activité théorique qu’on mène ne se réduit pas à un plaquage du passé sur le présent. Par ailleurs, l’importance des discontinuités historiques dépend de l’échelle à laquelle on se situe : quelques décennies, un siècle, cinq siècles, etc. Même si la thèse de l’invariance du programme communiste ne résiste pas à la critique, Bordiga – en se plaçant sur un arc historique très étendu – pouvait légitimement concevoir les métamorphoses du MPC et de la lutte des classes comme des oscillations relativement négligeables sur la trajectoire d’une longue courbe ; tandis que quelqu’un qui évalue ce qui se passe à partir d’un éternel présent ou, au mieux, à l’aune de sa seule expérience personnelle, y verrait probablement une incessante nouveauté.

 Pour nous, à qui la théorie de la communisation a apporté tellement, il ne peut pas être question d’un revirement théorique qui s’apparenterait à une rupture. Mais il faut prendre acte de ce qui ne peut pas durer et en tirer les conséquences. À commencer par une représentation de l’histoire qui n’est plus tenable. D’où nous vient-elle ? Osons la réponse : de l’aspiration à « en finir avec le vieux monde », passée du côté de l’idéologie capitaliste dans le (trop sous-estimé) retournement contre-révolutionnaire de l’après-68. Dans ce texte il a beaucoup été question de la dimension institutionnelle de la lutte des classes et de la politique internationale, mais on aurait pu parler de keynésianisme et de capitalisme d’État. Notre  propos aurait au fond été le même : dans cette vallée de larmes qu’est le monde tel qu’il est rien n’est jamais réglé une fois pour toutes.

Il en va de même pour des débats ou des questions (théorie de la valeur, théorie des crises, etc.) qui se sont imposés au fil des années, et qui ont été traités ou écartés avec la brusquerie typique d’une démarche anti-programme devenue idéologique. Dans l’empressement à « sortir du programmatisme », on finit par sortir de l’histoire. Dire cela revient-il à remettre en cause la perspective générale d’une révolution abolissant simultanément les deux classes fondamentales du MPC ? Non : la question de savoir comment le prolétariat, agissant strictement en tant que classe, peut abolir le capital, donc les classes, donc lui-même, reste cruciale. Encore faut-il mettre l’accent sur « agissant strictement en tant que classe », ce qui pour nous veut dire : s’affirmant en tant que tel. Et pas autre chose. À bon entendeur…

Qui plus est, cette perspective doit être réinscrite dans un enchaînement historique où, dans l’immédiat et peut-être pour des décennies encore, il pourrait n’être question que d’une relance des luttes salariales et d’un renouvellement des institutions du salariat (cf. le retour actuel de l’inflation). Nous ne voulons pas nous exprimer de façon trop définitive, mais il est fort à craindre qu’une classe qui n’est plus « confirmée » au sein de la reproduction du rapport social capitaliste ne parvienne d’abord qu’à retrouver cette « confirmation » dans le cadre d’une nouvelle restructuration du MPC. Comme par le passé (1871, 1917-1921, etc.), les luttes actuelles ne pourront connaître de développements révolutionnaires que si des circonstances extrêmes se développent dans les aires centrales de l’accumulation. Prolétariat : classe pragmatique par la force des choses, qui ne bouge pas en masse pour se lancer dans des aventures politiques.

Faut-il pour autant renoncer à l’utopie ? Non, mais l’utopie n’est qu’un caprice d’enfant si elle ne s’accompagne pas d’une appréciation réaliste des dynamiques historiques et de l’état des forces sociales en présence. More, Campanella, Bacon : l’utopie moderne a été inventée par des faiseurs d’intrigues rompus à l’intelligence du rapport de force. Il y a d’ailleurs différents usages de l’utopie : il y a celui qui élargit le champ des possibles, mais aussi celui qui l’endommage. La mondialisation ascendante n’a pas été en reste de projets irréalisables dans lesquels des décideurs haut de gamme se sont embourbés sans savoir, ensuite, comment s’en sortir. Splendeurs et misères de l’imagination au pouvoir.

Contre les divagations philosophico-spéculatives, la marxologie de salon et la soumission théorique aux modes de l’académie, nous proposons, et d’abord à nous-mêmes, de revenir aux fondamentaux de ce bas monde : économie politique (dont la critique présuppose une certaine maîtrise), relations internationales, histoire et géographie, démographie. À aborder, bien sûr, par le biais du corpus théorique marxien. De gros dossiers, toutefois incontournables pour comprendre ce qui se passe sous nos yeux, et pour redonner à la théorie communiste ce qu’on appelle la profondeur historique.

                                                                                                        Il Lato Cattivo, mars 2022

[1]     « La société dans laquelle nous vivons est un horizon indépassable ». Un entretien avec M. Jorge Semprun, « Le Monde », 15 octobre 1991.

[2]     Dans l’ensemble, on peut toujours souscrire à cette analyse de Théorie Communiste : « On assiste actuellement à une évolution de la défense de la condition prolétarienne, au niveau de l’auto-présupposition du capital, dans une double direction. D’une part cette défense ne peut que devenir un mouvement négocié, paritaire, cogestionnaire, sans perspectives propres. D’autre part apparaissent des formes syndicales très proches du terrain, à allure radicale mais sans perspectives pouvant dépasser leur existence immédiate, ou des organisations destinées à prendre en charge un segment particulier de la force de travail ou du parcours social du procès de valorisation. » («Théorie Communiste», n. 7, juillet 1986, p. 32-33). Mais le simple fait que ces lignes aient été écrites il y a 36 ans montre bien à quel point le tableau a peu bougé depuis lors dans ses traits essentiels.

[3]     K. Nesic, Deux ou trois raisons de ne pas désespérer, in « Troploin », Et maintenant ?, mars 2013. Disponible sur internet : https://dndf.org/?p=12228.

[4]     Aujourd’hui, dans un pays comme la France, un membre des professions intermédiaires (enseignants, infirmiers, techniciens, etc.) dispose, en moyenne, d’un patrimoine net 3,6 fois supérieur à celui d’un employé et 7 fois supérieur à celui d’un ouvrier non qualifié.

[5]     G. Debord, La Société du Spectacle, Champ Libre, Paris, 1971, pp. 59-60.

[6]     Ce problème renvoie à une vieille marotte marxiste : le retard des superstructures. Nous y reviendrons peut-être un jour.

[7]     K. Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, op. cit., p. 176 .

[8]     G. Agamben, La communauté qui vient, Seuil, Paris, 1990, p. 87.

[9]     V.I. Lénine, La démocratie et le populisme en Chine, trad. partielle in Le Marxisme et l’Asie 1853-1964, textes traduits et présentés par Hélène Carrère D’Encausse et Stuart Schramm, Armand Colin, Paris, 1965, p. 175-177.

[10]   Au tout début de sa préface au recueil de textes de Marx et Engels sur la Chine, Roger Dangeville fait la remarque intéressante que « Marx et Engels ont souvent comparé l’Allemagne, divisée après l’échec des tentatives révolutionnaires de 1525 et de 1848-1849, à la Chine, dissoute et démembrée par les impérialismes ». (K. Marx, F. Engels, La Chine, UGE 10/18, Paris, 1973, p. 7-8). Dommage que le propos ne soit pas plus étayé.

[11]   P. Artus, M.-P. Virard, La dernière chance du capitalisme, Odile Jacob, Paris, 2021, p. 38-39.

[12]   A. Bordiga, Facteurs de race et de nation dans la théorie marxiste, Prométhée, Paris, 1979, p. 70.

[13]   « La bourgeoisie n’a pas fait une révolution mondiale, mais toute une gamme, tout un éventail de révolutions nationales, et il n’est pas dit que nous les ayons encore vues toutes. » (A. Bordiga, op. cit., p. 108-109).

[14]   G. Chaliand, Pourquoi perd-on la guerre ? Un nouvel art occidental, Odile Jacob, Paris, 2016, p. 78-79.

[15]   A. Bordiga, op. cit., p. 102.

[16]   Op. cit., p. 92.

[17]   K. Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, op. cit., p. 176.

[18]   F. Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, Éditions Sociales, Paris, 1971, p. 15-16. À confronter avec d’autres passages du corpus marx-engelsien, par exemple : « Cette famille, qui est au début le seul rapport social, devient par la suite un rapport subalterne […] Produire la vie, aussi bien la sienne propre par le travail que la vie d’autrui en procréant, nous apparaît donc dès maintenant comme un rapport double […] ». (Karl Marx & Friedrich Engels, L’Idéologie allemande, Éditions Sociales, Paris, 1976, p. 27-28).

[19]   Pascal Ory, Qu’est-ce qu’une nation ? Une histoire mondiale, Gallimard, Paris, 2020, p. 58.

[20]   Nous empruntons ces notions à Wally Seccombe, Marxism and Demography, « New Left Review », I/127, janvier-février 1983, p. 22-47.

[21]   « L’humanité était sous l’emprise, non pas de mobiles nouveaux, mais de mécanismes nouveaux. Bref, la tension a surgi de la zone du marché ; de là, elle s’est étendue à la sphère politique, couvrant ainsi l’ensemble de la société. Mais à l’intérieur des nations prises à une à une, la tension est demeurée latente aussi longtemps que l’économie mondiale continuait à fonctionner. Ce n’est que lorsque disparut la dernière à survivre de ses institutions, l’étalon-or, que s’est en fin de compte relâchée la tension interne aux nations. Elles ont pu faire face à la nouvelle situation de manières très différentes, qui représentaient pourtant, pour l’essentiel, des adaptations à la disparition de l’économie mondiale traditionnelle ; quand celle-ci se désintégra, la civilisation du marché fut elle-même engloutie. » (Karl Polanyi, La Grande Transformation, Gallimard, Paris, 2021, p. 302).

[22]   Pascal Ory, op. cit., p. 424.

[23]   Bruno Astarian, Solitude de la théorie communiste, août 2016. Disponible sur internet : http://www.hicsalta-communisation.com/textes/solitude-de-la-theorie-communiste.

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