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Lettre d’Iran

Des camarades nous ont fait parvenir ce texte en provenance de là-bas…

“Quelques points pour entamer la discussion :

1. Le gouvernement américain a annoncé que l’attaque contre les installations nucléaires de Fordow, Natanz et Ispahan a été menée avec « succès ». De nombreux experts ont mis en doute cette affirmation, estimant que l’opération n’a pas atteint ses objectifs. Toutefois, en agissant ainsi, les États-Unis ont de facto rejoint Israël dans une campagne militaire contre l’Iran.
2. Indépendamment de la réalité concernant la destruction de Fordow, la première question est : si les installations de Fordow, Natanz et Ispahan, où l’enrichissement avait lieu, sont « détruites », pourquoi les frappes se poursuivent-elles, surtout avec l’insistance d’Israël sur le fait que « les opérations militaires israéliennes contre des cibles militaires continuent » ?

3. L’objectif des États-Unis et d’Israël en bombardant les centres économiques et militaires est-il de renverser le régime de la République islamique ? L’expérience des deux dernières décennies au Moyen-Orient montre que renverser un régime par des bombardements et des actions destructrices est impossible sans déploiement de troupes au sol. Plus les bombardements s’intensifient, plus l’appareil répressif se renforce, tandis que les protestations civiles diminuent et que les divisions au sein de la classe dirigeante s’estompent. Le facteur matériel du renversement ne réside pas dans les missiles, mais dans des soldats qui exercent concrètement leur pouvoir. Voyez le destin de l’Irak, de la Libye et de la Syrie.
4. L’objectif actuel d’Israël est-il de provoquer un soulèvement des « masses mécontentes » pour achever le régime parallèlement à ces attaques ? Mais dans un contexte où ces frappes ont semé la peur et provoqué la fuite des habitants des villes, où le sentiment d’« être des sujets actifs» est souvent annihilé en temps de guerre, et où les populations dépendent du gouvernement central pour leur nourriture, leur eau et leur sécurité, une telle prédiction n’est qu’une illusion. Même dans les pays où la classe ouvrière était puissante, avec des partis, des syndicats et des conseils, toute guerre plonge d’abord les populations dans la peur pour leur « sécurité », les poussant à se rallier au régime. Ce n’est qu’ensuite, lorsque les problèmes économiques, l’insécurité et l’absurdité des morts apparaissent, que les protestations émergent : la guerre en Russie a commencé en 1914, mais les manifestations n’ont éclaté qu’en 1917 ; en Allemagne, en 1918 ; et dans la plupart des pays entre 1917 et 1919. Et encore, cela concernait des États impérialistes puissants, et non une guerre asymétrique.
5. Nous faisons face à la réalité suivante : les États impérialistes américains et l’État sioniste israélien ne cherchent pas seulement à renverser la République islamique. Leur objectif est de détruire la puissance régionale d’un espace géographique appelé Iran et l’agentivité des peuples qui l’habitent : anéantir leur force militaire, sociale, politique et économique pour les réduire à l’état de sous-État, comme l’Irak ou l’Afghanistan, et les exclure des équations politiques régionales. Il ne s’agit pas seulement de détruire l’hégémonie islamique de la République islamique, mais aussi son hégémonie régionale et son potentiel émancipateur, capable de s’opposer à ce régime.
6. Une chose est claire : le renversement de la République islamique ne débouchera pas sur une alternative démocratique et progressiste. Les alternatives existantes, comme Reza Pahlavi et son cercle fasciste, n’ont ni le courage ni la capacité d’agir. Les réformistes, malgré leur puissance organisationnelle dans une ère post-République islamique, manquent de légitimité pour gérer un pays aussi vaste que l’Iran. Ils font partie de l’appareil dirigeant. Les forces de gauche et les courants syndicaux et politiques militants sont aujourd’hui trop dispersés et trop faibles pour avoir un impact. Si les événements mènent au renversement de la République islamique et de ses institutions, nous ferons face à un chaos extrême, avec une société éclatée, des pouvoirs féodaux, des guerres régionales et une longue période de désordre.
7. En tant que gens de gauche dispersée et fragmentée, que pouvons-nous faire dans cette situation ? Malheureusement, des décennies de sectarisme, d’illusions, d’incompréhension des nouvelles réalités et de fantasmes d’auto-émancipation ont marginalisé la gauche dans les luttes sociales. Nous n’avons même pas pu former un front anti-guerre rassemblant des forces progressistes autour de revendications claires. Mais aujourd’hui, nous affrontons la crise la plus grave possible : si nous ne parvenons pas à construire, avec la gauche régionale, un front commun, si nous nous berçons d’illusions et ne tissons pas de liens entre nos maigres forces et celles de la région, alors dans l’ère imprévisible qui vient, non seulement il ne restera rien de la gauche, mais peut-être plus rien que l’on puisse qualifier d’humain. Les germes d’émancipation que nous voyons partout seront anéantis. Nous sommes insignifiants. Reconnaître cette insignifiance ne signifie pas qu’elle serait éternelle. Mais sans action concrète pour rassembler nos forces, cette faiblesse nous mènera à la ruine. L’histoire n’attend pas. Notre vide sera vite comblé, et il ne nous restera qu’à pleurer l’humanité et la libération perdues. “
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  1. Un passant
    24/06/2025 à 16:16 | #1

    Comme j’ai pris l’habitude de commenter ce qui est publié, façon de formuler des critiques, des questions et surtout de soutenir un lieu de discussions communistes authentiques possibles et nécessaires, je ne vais pas me dérober et c’est une invitation explicite.

    Cela posé, cette lettre provient de militants de gauche, sans plus de précision, qui vivent, survivent et se battent dans un pays sous dictature depuis des décennies, et soumis à des bombardements de pays ennemis. Hors de question par conséquent de critiquer leur position qui s’inscrit, si j’ai bien compris, dans une perspective de démocratie politique en Iran, cad un objectif qui n’est pas celui de communistes visant la révolution, critique dont nous ne nous privons pas chez nous.

    Ils nous disent que cet objectif est pour l’heure hors d’atteinte et même de possible tentative, et l’on ne peut que les entendre, ainsi que leurs arguments, dans cette situation doublement bloquée par la répressiion et l’agression.

    Il est apparu clairement, au fur et à mesure des frappes israéliennes et de l’élargissement de leurs cibles, qu’anéantir le nucléaire et la menace militaire réelle et revendiquée par le pouvoir iranien, était dépassée, pour ne pas dire qu’elle fut aussi un prétexte, puisque l’objectif d’empêcher l’Iran de se doter de la bombe nucléaire n’est vraisemblablement pas atteint, voire l’inverse encouragé par les frappes américaines, l’Iran menaçant déjà de se retirer du traité de non prolifération.

    Les auteurs sont donc fondés à situer ailleurs les objectifs d’Israël et des USA, pour autant qu’ils en aient une vision au-delà de l’immédiateté de leurs destructions, et de la jouissance sadique qui va avec. Des bâtiments gouvernementaux et des sites énergétiques ont été bombardés qui ne présentaient pas de danger militaire direct pour Israël, avec donc la volonté de participer à la chute du régime des mollahs, qui a été explicitement évoquée par des responsables israéliens et Trump lui-même.

    Pour faire quoi ? Il est possible que la lettre de gauche s’avance un peu, et quoi qu’il en soit, un Iran qui se libérerait de son joug actuel ne serait pas abandonné à son sort ni régionalemement ni mondialement, ne serait-ce qu’en raison du pétrole. L’Iran n’est pas Gaza, 90 millions d’habitants ce n’est pas 2,5 millions de Palestiniens jugés inutiles par le monde entier, ni 10 millions d’Israéliens qui n’auront pas durablement la possibilité d’imposer leur fait accompli expansionniste. Netanyahu n’est pas éternel.

    Je regrette surtout que cette lettre ne présente pas d’éléments en termes de classes, mais seulement d’affrontements politiques, ce qui ne permet guère d’envisager d’autres possibles.

    Voilà, on mesure une fois de plus, face à cette réalité comme à d’autres ailleurs y compris chez nous, le décalage complet entre ce qui serait d’une part notre rêve communiste d’une révolution d’abolitition du capital, et d’autre part les objectifs que peuvent se donner des militants de gauche quel que soit leur pays. On peut et sans doute doit-on se sentir humainement solidaire, mais on voit difficilement quel chemin faire ensemble.

    Pour terminer sur une note plus optimiste a priori ( encore que…), il est probable qu’en tant qu’événement mondial, la crise iranienne se résolvera mondialement plus que localement ou régionalement.

    Bon courage !

  2. CLN
    25/06/2025 à 09:56 | #2

    « La plupart des Iraniens interrogés par le Guardian étaient pessimistes, craignant que le régime n’utilise la guerre comme prétexte pour revenir sur certaines des libertés obtenues par la résistance menée par les femmes ces dernières années…

    La plupart des Téhéranais ont également prédit que le régime tenterait de galvaniser le soutien à travers l’importance particulière accordée au mois sacré de Muharram, qui commence dimanche et culmine le dixième jour, l’Achoura, qui dans l’islam chiite est un jour de commémoration et de célébration du martyre…

    Contrairement à la plupart des personnes interrogées par le Guardian, il a au moins vu un avantage potentiel pour les citoyens ordinaires. « Le cessez-le-feu nous a donné un peu d’espoir, mais aussi matière à réflexion », a-t-il déclaré. « La propagande superficielle de la République islamique sur la “sécurité” s’est effondrée. L’idée qu’ils ont toujours utilisée comme prétexte pour nous réprimer est désormais brisée. »…

    « Peut-être pouvons-nous créer des mouvements qui se soucient réellement de nous et de l’Iran dans son ensemble, sans avoir à choisir entre le fascisme et l’islamofascisme. Mais l’histoire m’a appris que ce sera difficile. »  

    https://www.theguardian.com/world/2025/jun/24/a-pause-before-something-worse-iranians-wary-of-what-future-holds

  3. CLN
    26/06/2025 à 09:07 | #3

    « un court texte d’un camarade iranien en exil

    Aujourd’hui, au milieu des nouvelles sur la poursuite du cessez-le-feu et les conférences de presse des criminels internationaux, la nouvelle du verdict de la cour pour les propriétaires de la mine de Tabas, où 53 travailleurs ont été tués en septembre 2024, a également été publiée. Le propriétaire de la mine de Tabas, Mohammad Mojtahedzadeh, a été condamné à cinq ans de prison et les autres dirigeants à deux ans de prison. Cinq ans de prison pour le massacre de 53 travailleurs. Cinq ans dont il est peu probable que même cinq mois soient exécutés. Juste après le bombardement massif des villes, le gouvernement n’a pas oublié son devoir historico-classiste et a saisi l’occasion de poursuivre, sous l’anxiété publique, la violence structurelle et catastrophique contre la classe ouvrière. Mettez une telle nouvelle à côté des nouvelles d’arrestations massives et d’exécutions politiques pour mieux voir une partie du visage terrifiant du régime à l’ère du cessez-le-feu [et de la paix] derrière le masque de «l’unité nationale». Aucun cessez-le-feu ni aucune paix – tout comme l’intervention impérialiste – n’arrêtera la guerre permanente de la République islamique contre la classe ouvrière. Non seulement ce conflit incessant ne diminue pas en temps de guerre, mais il se poursuit de manière plus impitoyable et plus brutale que jamais dans le tumulte du «choc» et de l’anxiété causés par la guerre.

    C’est dans de tels moments que la complicité du pouvoir et de la guerre (et de ses partisans) contre la classe ouvrière prend une forme plus profonde et plus complexe, mais elle est moins visible sous l’ombre des émotions patriotiques. C’est à ce moment-là qu’il est démontré que la «patrie», en tant que construction idéologique et de classe, n’est rien d’autre que la «patrie du capital», même si son nom commun est «Iran».

    Si la guerre est pour le régime politique une opportunité inégalée de répression et de faire taire les opposants, elle est une «bénédiction» pour le capital et montre comment le régime politique agit, précisément au moment de faire taire les opposants, en tant que manifestation historique et institutionnelle la plus élevée du capital. »

  4. Un passant
    26/06/2025 à 14:12 | #4

    On relaie ici et on lit ailleurs des réactions tout à fait contradictoires d’opposants au régime ou de personnes interrogées dans la rue. Certaines se sont réjouies de l’intervention israélienne et ont déploré le cessez-le-feu comme “un coup de poignard dans le dos”, parce qu’ils percevaient la guerre comme le moyen d’abattre le régime.

    Les avis sont donc partagés voire cacophoniques, sans recouper nécessairement les lignes de fractures politiques des oppositions connues*. Des désaccords d’analyse existent à gauche, y compris entre ceux qu’on nomme ici sans trop de précautions des “camarades”, puisqu’on lit des positions clairement programmatistes ou des formulations dignes de la langue de bois “stalinienne”. En fait on ne sait pas à qui l’on a affaire.

    La répression tombe sur tout un éventail d’opposants au régime réels ou supposés que l’agression israélienne autorise à qualifier d'”espions”. C’est un moment pratique pour régler des comptes et se débarrasser des plus gênants à divers titres.

    Les ennemis de nos ennemis n’étant pas nécessairement nos amis, il convient d’être prudent pour interpréter les diverses positions dans la confusion et l’instabilité actuelles, appelée à durer, et en l’absence ou l’ignorance encore de réactions significatives de changements possibles ou d’affrontements de classes lisibles.

    Quant aux positions des puissances étrangères, il me semble comprendre que beaucoup préféreraient le maintien du régime actuel, en prétextant vouloir “éviter le chaos” (Trump, Macron…), parce qu’il garantit un certain statut quo qui potentiellement les arrange (commercialement et stratégiquement), le diable mais tenu en laisse y compris par les “négociations” plutôt qu’un Iran crédible troublant le jeu hégémonique de “nos amis israéliens”, et que Bibi fricote hein !

    * cf l’article ci-dessous

    https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-teheran-la-fragmentation-de-l-opposition-iranienne-l-empeche-d-etre-une-alternative-credible-aux-mollahs_232305

  5. CLN
    01/07/2025 à 07:23 | #5

    « Une nouvelle vague de répression » : craintes pour les prisonniers politiques iraniens après la guerre contre Israël

    « Les familles de prisonniers politiques en Iran affirment que les conditions de détention se sont aggravées depuis la fin de la guerre de 12 jours et qu’elles craignent que les détenus vulnérables ne soient les plus touchés par ce que les militants qualifient de répression plus large de la part des autorités iraniennes, dont la légitimité a été ébranlée par la campagne israélienne…

    Alors que les conditions de détention se dégradent, militants et habitants de Téhéran ont également décrit une vague de répression alors que le pays se remet de la guerre. Les forces de sécurité ont installé des points de contrôle dans tout le pays, interpellant les piétons et contrôlant leurs téléphones portables, arrêtant parfois des personnes en raison de leur activité en ligne…»

    https://www.theguardian.com/world/2025/jul/01/iran-political-prisoners-jail-conditions-israel-war

  6. CLN
    01/07/2025 à 18:48 | #6

    Transmis le 1er juillet par un camarade , un court texte reçu d’Iran :

    « Luttons contre l’afghanophobie J’ai demandé à Najib Kargar, un travailleur afghan de notre entreprise, né en Iran il y a 35 ans, où étaient les autres garçons. Pourquoi leur dortoir était-il vide ? Il m’a répondu que tous les garçons étaient rentrés en Afghanistan. Leurs visas sont de trois mois, et s’ils tentent de les renouveler, ils ne seront pas prolongés. S’ils restent sans visa et sont arrêtés, ils n’auront plus le droit d’entrer dans le pays pendant cinq ans. Ils ont préféré partir plutôt que d’être arrêtés. En fait, le bureau de l’immigration ne prolonge pas les passeports de la plupart des personnes qui vivent et travaillent légalement en Iran, et ce, jusqu’à nouvel ordre. Najib, son frère et son oncle sont tous nés en Iran. Mais simplement parce que leur père était Afghan, ils n’ont pas de passeport iranien. La guerre entre Israël et l’Iran a été une aubaine pour les afghanophobes et l’esprit raciste anti-Afghan en Iran. L’accusation d’être des infiltrés a été facilement portée contre les migrants afghans, et cette justification a été exploitée au maximum. Outre ceux qui retournent désespérément en Afghanistan, et ceux qui, après des années de travail acharné en Iran et avant la guerre, sont allés rendre visite à leur famille et dont les visas n’ont pas été renouvelés, 700 000 autres personnes ont été expulsées de force d’Iran. Elles avaient une vie et un travail dans ce pays, et soudain, le fruit de leur vie a été réduit à néant en un instant. Un cher ami afghan m’a écrit : « Avant, on nous traitait de “chiens afghans”, et maintenant, on nous traite d'”agents du Mossad”. Nous ne sommes ni de gauche ni de droite. Nous ne sommes qu’une nation déracinée qui se déplace d’un pays à l’autre. »

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