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Comme un hiver d’un millier de décembre….

La VIOLENCE c’est travailler 40 ans, pour des salaires misérables, et s’estimer heureux de pouvoir prendre sa retraite,

La VIOLENCE ce sont les obligations d’Etat, les fonds de pension volés, et la fraude des marchés boursiers,

La VIOLENCE c’est d’être forcé d’emprunter pour te loger et de rembourser à prix d’or,

La VIOLENCE c’est le droit de la direction de te licencier quand elle veut,

La VIOLENCE c’est le chômage, le temps partiel, 400 euros de salaire avec ou sans sécurité sociale,

La VIOLENCE ce sont les accidents du travail ; vu que les patrons diminuent les « coûts de sécurité » du travail,

La VIOLENCE c’est de se rendre malade de travailler si dur,

La VIOLENCE c’est consommer des psychotropes et des vitamines afin d’affronter des heures de travail épuisantes,

La VIOLENCE c’est travailler pour de l’argent afin d’acheter les médicaments nécessaires pour maintenir ta capacité de travail,

La VIOLENCE c’est mourir sur des lits prêts à l’emploi dans des hôpitaux horribles, quand tu ne peux pas payer de pot-de-vin.

Prolétaires du local occupé de la Confédération Syndicale Grecque (GSEE), Athènes, décembre 2008[print_link]

En décembre dernier, le vent de l’insurrection a soufflé sur les villes de Grèce. L’atmosphère joyeuse et festive de la fête de Noël a été réduite en cendres avec l’Arbre de Noël de la place Syntagma. L’assassinat du lycéen de 15 ans, Alexis Grigoropoulos par un flic de la police spéciale, le 6 décembre, a été l’étincelle.

D’une manière générale, l’agitation sociale de décembre peut être caractérisée comme une violente rébellion prolétarienne qui a éclaté de façon soudaine, massive et sauvage, elle a évolué graduellement vers des actes moins violents, plus productifs et plus politiques, mais dans lesquels moins de personnes étaient impliquées.

En ce qui concerne la composition de classe de la rébellion s’étendait des lycéens et des étudiants aux jeunes travailleurs et chômeurs. Certains étaient des immigrés de seconde génération (principalement les Albanais, bien qu’il y ait eu également certains immigrés d’autres nationalités) et il y avait également quelques travailleurs plus âgés aux des emplois plus ou moins stables.

En ce qui concerne les chiffres, graduellement, de plus en plus de personnes ont participé aux actions, qui ont pris la forme d’une insurrection. Le premier jour il y avait juste quelques centaines de militants anti-autoritaires autour d’Exarchia – le quartier du meurtre – qui ont été au départ des confrontations violentes avec les flics. Plus tard dans la nuit, une manifestation spontanée a eu lieu à l’initiative des étudiants et des gauchistes. Environ 2 000 personnes y ont participé et ont déclenché des émeutes dans les avenues Patission et Akadimias, tandis qu’une centaine de personnes dévastaient la rue Ermou, la rue la plus commerciale d’Athènes. Les émeutes ont également éclaté dans les rues de Thessalonique où une manifestation spontanée s’est dirigée vers le commissariat central de la ville puis l’a attaqué.

Le deuxième jour plus de 10.000 personnes sont apparues dans les rues (principalement des étudiants, des anti-autoritaires encore et des membres des partis et des organisations de gauche) ; le troisième jour plus de 20.000 personnes à Athènes, 7.000 à Thessalonique et plusieurs milliers partout dans la Grèce ont rejoint les manifestations qui se sont bientôt transformées en émeutes. Nombreux étaient ceux impliqués dans les combats de rue avec la police ; 10.000 personnes semblent être une estimation plutôt modérée. Il y avait beaucoup plus de gens partout dans le pays, particulièrement le lundi, le troisième jour des émeutes. Ce jour là, les banques, les bâtiments publics et des magasins – essentiellement des grands supermarchés – ont été dévastés, pillés ou incendiés. Ceux qui ont pris part aux actes violents de ce jour ne formaient pas une masse homogène : il y avait une multitude de jeunes – lycéens, étudiants, travailleurs salariés, chômeurs, immigrés, supporters de foot hooligans, toxicomanes – dont seulement quelques uns avaient des liens avec le milieu anti-autoritaire. Précisément du fait de la composition hétéroclite de la multitude et de sa violence, beaucoup de militants  (même certains anarchistes organisés) les ont trouvés trop « incontrôlables » et se sont tenus en retrait de ce qui ce passait. À partir du lundi matin et au cours des jours suivants des postes de police ont été attaqués partout dans le pays, principalement par des lycéens. Certaines de ces attaques ont été très violentes, (principalement dans les banlieues ouest d’Athènes et au Pirée), avec l’utilisation de cocktails Molotov et des voitures de police renversées. Mais les manifestations devant les postes de police se sont généralisées dans toute la Grèce, même dans certains quartiers huppés ou dans des petites villes de province, avec des formes atténuées de contestation. C’était effectivement par les contestations violentes spontanées des lycéens que les émeutes se sont étendues et ont pris ainsi une dimension nationale. Par affrontements avec les flics, nous entendons principalement des barricades, des jets de pierres et de cocktails Molotov, mais pas de combats physiques. D’une façon générale, non seulement les émeutiers, mais également les policiers ont préféré ne pas s’engager dans le « combat rapproché », préférant faire excessivement usage de gaz lacrymogènes.

En ce qui concerne les immigrés, les jeunes Albanais de seconde génération qui ont participé aux émeutes sont si bien intégrés dans la société que c’est seulement quand ils commencent à parler albanais entre eux qu’on peut dire qu’ils sont immigrés. La plupart d’entre eux ont grandit ici et c’est la raison pour laquelle ils peuvent participer si largement aux confrontations avec les policiers, aux attaques contre les bâtiments publics et les banques ainsi qu’aux pillages au côté des jeunes prolétaires grecs. Ils se sont sentis plus « à l’aise » pour agir de la sorte que d’autres immigrés, principalement Asiatiques et Africains qui vivent toujours à la marge, isolés dans leurs communautés ethniques. C’est principalement la peur qui a empêché d’autres communautés immigrées de rejoindre les confrontations violentes en dehors de leurs quartiers et non  un « manque de conscience ». Il était plus facile pour eux de participer aux émeutes en pillant ou en fréquentant l’occupation ouverte de l’Ecole Polytechnique dans le centre d’Athènes où vivent de grandes communautés d’immigrés ; quand les émeutes ont fait irruption près de « leurs » quartiers, c’était là leur « contribution ». D’autre part, ils ont été le plus violemment attaqués par la police et la propagande médiatique. Ils ont été présentés comme des « profiteurs » et des « voleurs ». Il y a eu aussi quelques cas d’attaques de style pogrom contre eux par des fascistes et des flics infiltrés en civil.

D’un manière générale, on peut dire que, outre les lycéens et les étudiants, ceux qui ont eu un rôle plus actif dans la révolte étaient généralement de jeunes travailleurs, la plupart d’entre eux ayant un emploi précaire ou « flexible ». Dans la rue, il y avait de jeunes (ou plus si jeunes) travailleurs de différents secteurs comme les écoles, le bâtiment, le tourisme et les loisirs, les transports, et même les médias. En ce qui concerne les ouvriers d’usine, il n’y a pas d’estimation exacte sur leur participation individuelle aux émeutes, puisque nous n’avons pas d’information en provenance de tels lieux de travail. Pendant l’occupation du local syndical de la GSEE, on a avancé l’idée d’aller distribuer des tracts aux portes des usines et d’appeler les ouvriers de certains lieux de travail à participer à l’occupation, néanmoins les divisions parmi les participants (mentionnées brièvement dans notre chronologie des événements) ont entravé toute poursuite de l’action – à part l’intervention dans les centres d’appel voisins – et ainsi plusieurs occasions ont été manquées. Peu après que Constantina Kuneva, travailleuse immigrée du nettoyage, une des travailleurs qui avait rendu visite aux occupants de la GSEE, ait été attaquée à l’acide sulfurique, les « travailleurs insurgés » avec d’autres personnes ont organisé les premières activités de solidarité. En janvier, ils sont même parvenus à entraîner certains syndicats dans les actions de solidarité. De façon générale, les émeutes n’ont pas eu d’effets significatifs sur les lieux de travail, dans le sens qu’il n’y eut aucun appel à la grève pour les soutenir. la seule exception fut la grève des enseignants le jour de l’enterrement du jeune Alexis et la grande participation à la manifestation du jour de grève contre le budget de l’Etat, le 10 décembre. Cela mis à part, la rébellion ne toucha pas les lieux de travail.

A en juger par les slogans et les attaques contre la police, c’est massivement un sentiment anti-flic qui a dominé les jours de la rébellion. Le policier représente le pouvoir et particulièrement la brutalité et l’arrogance du pouvoir. Néanmoins, c’est en tant que symboles d’un certain pouvoir – le pouvoir de l’argent, le pouvoir d’imposer l’exploitation du travail et d’approfondir les clivages de classe divisant la société grecque – que les grands magasins, les banques ainsi que les bâtiments de l’État (hôtels de ville, préfecture, ministères) ont été attaqués, incendiés ou occupés. Ainsi,  nous pourrions parler d’un sentiment dominant et très répandu anti-policier, anti-état et anti-capitaliste. Même les intellectuels de gauche ont reconnu le caractère de classe de la rébellion et certains des principaux journaux ont admis que la « rage des jeunes » n’avait pas seulement pour raison la violence policière. Les flics sont de façon crue et visible le sommet de l’iceberg dont la masse est faite de la corruption scandaleuse du gouvernement, d’un Etat de contrôle sécuritaire – renforcé après les Jeux olympiques de 2004 – qui n’hésite pas à tuer de sang froid, de l’attaque continuelle des salaires, de la perpétuelle augmentation du coût de la vie et du coût pour les ouvriers de leur reproduction par la démolition graduelle de l’ancien système de retraite et de santé, d’une détérioration des conditions de travail et d’une augmentation du travail précaire et du chômage, d’une surcharge de travail insupportable dans les lycées et les universités, d’une destruction effrayante de la nature, d’une apparence clinquante constituée d’inconsistants objets du désir dans les centres commerciaux et les clips télé, accessibles seulement si vous acceptez un lourd surcroît d’exploitation et d’anxiété. Aux premiers jours de la révolte on pouvait presque sentir toutes ces raisons dans l’air, ensuite beaucoup de textes, d’articles, de tracts ont suivi, écrits à la fois par les insurgés ou les sympathisants, et les « commentateurs » devaient reconnaître qu’il y avait quelque chose « de plus profond ». Cette « chose plus profonde » dont tout le monde discutait c’était la nécessité de surmonter l’isolement individuel à partir de la vie réelle et collective [gemeinwesen], un isolement que toutes les raisons historiques indiquées ci-dessus ont créé. La spontanéité et la nature incontrôlable de cette insurrection ont été prouvé par l’absence de propositions politiques, donc par un rejet explicite des pratiques politiques. Ce sont principalement les gauchistes qui ont insisté sur des revendications particulières comme la démission du gouvernement, l’abrogation de la loi anti-terroriste, le désarmement des flics et le démantèlement des forces spéciales de police. Néanmoins, le sentiment qu’il y avait « quelque chose de plus profond » prédominait tellemnt qu’il explique à lui seul l’impuissance de certains partis de l’opposition, des organisations gauchistes, et même de certains anarchistes comme nous l’avons déjà dit. Il n’y avait pas de revendication politique spécifique et cela, combiné avec leur intensité, a rendu l’ensemble de ces émeutes menaçantes également pour les forces habituelles de récupération et de manipulation.

À partir des tous premiers jours de la révolte, trois universités ont été occupées dans le centre d’Athènes : l’Ecole Polytechnique d’Athènes, la faculté de droit et la faculté d’économie. Chacune d’elles a été occupée par une tendance différente du mouvement. l’Ecole Polytechnique, qui est la plus proche de la place Exarchia était le lieu principal d’organisation des affrontements avec la police. Ses occupants étaient représentatifs des rebelles d’Athènes : jeunes travailleurs (immigré ou le grec), étudiants et éléments marginaux – dont beaucoup d’anarchistes. Les occupants de la faculté de droit, principalement des gauchistes et quelques anti-autoritaires, organisaient des manifestations et des discussions. Dans l’une d’entre elle, des syndicalistes gauchistes se sont rassemblés afin d’organiser et « diffuser la rébellion » vers les lieux de travail, sans faire effectivement autre chose que de distribuer quelques tracts. La faculté d’économie a été occupée principalement par les groupes anarchistes et anti-autoritaires qui voulaient utiliser le bâtiment à des fins de contre-information. Ils ont surtout mis l’accent sur l’organisation des activités quotidiennes. Ils se sont emparés du restaurant de l’université et ont mis en place des ateliers afin de faire fonctionner l’occupation et d’organiser des actions en dehors. Les ressources expropriées de l’université ont été également utilisées dans d’autres activités, servant d’infrastructure. Beaucoup de camarades ont participé aux actions organisées à partir de là, même s’ils ne participaient pas à l’occupation elle-même. Toutes les occupations ont servies de bases « rouges » pour le mouvement, à partir desquelles des actions subversives étaient organisées et où les révoltés pouvaient trouver refuge, si besoin. À Thessalonique, il y avait deux occupations du même type dans le centre ville : l’école de théatre a été occupée par des militants anarchistes et des étudiants en théâtre, tandis que les bureaux du Barreau de Thessalonique ont été occupés jusqu’au quatrième jour de la rébellion par les étudiants, principalement gauchistes.

Nous devrions également mentionner ici des dizaines d’occupation d’universités votées par les assemblées générales d’étudiants et les centaines d’occupation de lycées partout dans le pays.

Graduellement, la violence des premiers jours s’est avérée productive dans le sens que c’était le préalable nécessaire pour les actions plus imaginatives et plus organisées qui ont suivi. Après les cinq premiers jours d’émeute, l’hôtel de ville d’ag Dimitrios (une banlieue au sud d’Athènes) a été occupé, à l’initiative des groupes anarchistes locaux et de certains travailleurs municipaux (principalement des cols bleus). Les occupants ont organisé des réunions avec la population locale, appelées « assemblées populaires », essayant d’élargir la révolte en organisant des actions locales, toujours reliées à la révolte. Ils ont même essayé de laisser certains services fonctionner dans le bâtiment sans la médiation des autorités municipales. Le lendemain, un bureau d’informations du ministère de l’intérieur à Halandri, un banlieue du nord d’Athènes, était occupé et des manifestations et des actions toujours liées à la révolte ont été organisées.

À Thesalonique, à Sykies, une banlieue ouvrière de la ville, l’hôtel de ville a été en partie occupé pendant quelques jours, quelques temps après s’ensuivit une occupation de la bibliothèque municipale du quartier d’Ano Poli de la ville de Thessalonique. Elle a servi de lieu où s’organisaient les « assemblées populaires » et les manifestations. Dans toutes ces activités, la nouvelle caractéristique commune était la tentative d’« ouvrir » la rébellion vers les quartiers. Ces assemblées étaient comprises comme des « assemblées de lutte de quartier » ou des « assemblée du peuple », comme elles étaient appelées. Dans la plupart des cas, des tendances distinctes ont fait leur apparition à l’intérieur de cette « ouverture sociale », particulièrement quand la révolte s’est apaisée. Une tendance voulait organiser une communauté de lutte en élargissant les questions de la révolte, une autre a préféré un type d’activité plus orienté vers le traitement des questions locales sur une base stable. Au début, les assemblées ont semblé plutôt innovatrices et animées. Il n’y avait pas une procédure formelle quant au processus de prise de décision, ni de règle de majorité et les initiatives étaient encouragées. Néanmoins, à la fin janvier, les occupations des bâtiments – qu’ils soient publics, syndicaux ou municipaux – se sont arrêtées et il n’est pas clair qu’un nouveau mouvement puisse émerger de cette pratique de courte durée.

Parmi la « population », ou pour le dire mieux « la classe ouvrière dans son ensemble, il y avait de la sympathie envers les émeutiers, non seulement parce que c’étaient leurs enfants qui se battaient et manifestaient là-dehors, mais aussi parce qu’ils ont senti que c’était une lutte justifiée. Particulièrement, les incendies de banques étaient très populaires puisque des milliers de personnes sont profondément endettés. Les pillages n’ont pas été accepté, du moins pas ouvertement, en raison du fort respect pour la propriété privée – ou, dans le cas des gauchistes et de certains anarchistes, pour les raisons morales. D’une façon générale, il y avait beaucoup de sympathie et intérêt pour les insurgés mais très peu de participation active de la « population ».

À partir du tout premier moment après l’assassinat le 6 décembre, l’état et les médias ont réagi pour faire face à l’explosion de la rage prolétarienne. Initialement, ils ont essayé de mettre les réactions probables sous contrôle en exploitant le fait que Pavlopoulos et Chinofotis aient spectaculairement présenté leur démission (respectivement, le ministre de l’intérieur et son ex-adjoint) ; exploitant également la promesse du Premier ministre que chacun des responsables du décès du jeune de 15 ans serait « puni de façon exemplaire », en utilisant aussi la désapprobation de tous les partis de l’opposition et de nombreux journalistes et le fait que les flics restaient à « distance respectueuse » des manifestants. Néanmoins, très rapidement, ils ont lâché la bride à toutes les formes de répression : menaces de déclarer l’Etat d’urgence dans le pays, mobilisation des fascistes et des organisations para-étatiques de « citoyens indignés », des dizaines d’arrestations et le matraquage des manifestants, d’avantage de coups de feu tirés par les flics à Athènes. Tous les partis politiques pro-patronaux dans un chœur unanime (avec le Parti Communiste KKE comme le plus vulgaire d’entre eux) et tous les menteurs de la télé ont essayé de répandre la peur. De même, les deux principales confédérations syndicales, la GSEE et l’ADEDY, ont annulé les manifestations « de routine » contre le budget annuel de l’État quand ils ont pressenti le danger que ces manifestations ne se transforment en émeutes. Néanmoins, contre le baratin des bureaucrates syndicaux sur la faillite du gouvernement à assurer l’ordre et la paix sociale, des manifestations ont bien eu lieu pendant la journée de grève générale et elles ont été en effet sauvages. Ainsi, la réalité était différente : les patrons étaient ceux qui étaient effrayés. Quand le ministre des affaires étrangères français a déclaré dès les premiers jours de l’insurrection «  je voudrai exprimer notre préoccupation, la préoccupation de tous, au sujet de l’évolution des conflits en Grèce », il exprimait la peur des patrons de la possibilité que cette explosion sociale se propage, des manifestations de solidarité aux révoltés de Grèce ayant eu lieu dans de nombreuses de villes partout dans le monde. En France particulièrement, le ministère de l’éducation a retiré sa réforme des lycées, mettant fin au mouvement lycéen émergent qui applaudissait les flammes de l’insurrection dans les villes et les cités grecques.

Du côté de l’état et de la propagande des médias, la stratégie dominante était celle de la séparation des sujets de l’insurrection. Soit ils présentaient l’insurrection comme une aventure d’adolescents, dont la sensibilité inhérente due à leur âge leur donnait le droit de se rebeller contre le monde de leurs parents (comme si les parents prolétariens ne désiraient pas légitimement la destruction de ce monde), soit ils mobilisaient les réflexes racistes utilisant la fausse séparation entre « manifestants grecs » et « pillards immigrés ». Ils essayaient principalement de séparer les manifestants entre les bons pacifiques et les mauvais-émeutiers. Le droit de manifester a été affirmé par les patrons et leurs laquais uniquement pour mettre un terme à l’insurrection. Puisqu’ils ont voulu éviter toute future socialisation des comportements violents dans les rues, ils ont cherché par tous les moyens à les présenter comme des actions d’« anti autoritaires » ou de « hooligans » qui se sont introduits dans les manifestations des citoyens pacifiques. Le bris de vitrine, comme action prolétarienne, rendait évidente, comme moments d’une guerre silencieuse, l’existence quotidienne des commissariats, des banques ou des grandes chaînes de magasins. Ce bris était également manifeste de la rupture avec la gestion démocratique du conflit social, qui tolère les manifestations contre ceci ou cela, à condition qu’elles soient privées de toute action autonome de classe. Invoquant le dernier rempart politique de la domination du capital, c’est-à-dire la démocratie, le Premier Ministre a déclaré que « les luttes sociales ou le décès d’un adolescent ne peuvent pas être confondus avec les actions contre la démocratie ». La démocratie approuve évidemment les villes et les campagnes dévastées, l’atmosphère polluée et la contamination de l’eau, les bombardements, les ventes d’arme, la création de décharges d’êtres humains, nous forçant à cesser d’être des hommes afin de devenir des « objets qui  travaillent » (ou « des objets qui cherchent du travail », puisque de plus en plus de personnes sont ou seront sans emploi en raison de la crise). De façon implicite, le Premier ministre affirmait aussi que certaines personnes peuvent détruire tout ce qu’elles désirent aussi longtemps que cela créé de nouvelles occasions de profit et encourage le développement. Néanmoins, agir de la sorte contre la propriété privée constitue le scandale ultime pour une société qui a établi ce droit essentiel dès son origine. Les incendies et les bris de vitrine blessent la légitimité de cette société. Le terme  « émeutiers cagoulés » est une notion vide, destinée exclusivement à un usage policier. La police a le monopole de déterminer le profil des menaces. Nous voudrions ajouter ici que depuis les tirs contre un policier anti émeute à Exarchia le 4 janvier, la répression policière contre les manifestants s’est accrue. Les riverains qui défendaient un parc dans la ville d’Athènes, les agriculteurs qui voulaient conduire leurs tracteurs au parlement [pour manifester contre l’effondrement des prix agricoles – ndt] et les manifestants contre l’emprisonnement de ceux qui ont été arrêtées jusqu’à présent ont été attaqué non seulement avec des gaz lacrymogène mais également avec des grenades.

Pour l’appareil de production des images, l’extrême opposé de « l’émeutier cagoulé » (c’est-à-dire l’image construite pour séparer les prolétaires) était le « citoyen pacifique dont la propriété a été détruite ». Mais qui était ce « citoyen pacifique » tant célébré, rendu fou de rage par les bris de vitrine ? A cette occasion, les « citoyens pacifiques » étaient en fait de petits hommes d’affaires, des propriétaires de « petits » magasins et la petite bourgeoisie. L’état les a trompés eux aussi, puisque nombre d’entre eux sont également ruinés par la crise capitaliste. En décembre dernier, le chiffre d’affaires était la moitié de celui de décembre 2007, non seulement dans les rues aux les magasins de luxe, mais également pour les marchés de plein air ; bien qu’aucun de ces marchés n’ait été attaqué pendant les émeutes… Les patrons ont affirmé que les destructions de vitrines de magasins ont fait perdre leur emploi à de nombreuses personnes, tandis que dans le même temps cent mille licenciements allaient être annoncés bientôt en Grèce en raison de la crise. Bien que les attaques de « petits » magasins n’aient pas été perpétrées par des agents cagoulés de l’état, elles furent néanmoins commentées de la sorte par des travailleurs de ces magasins dans un tract écrit par « l’initiative Autonome des employés de magasin de Larissa » : « Nous dénonçons quiconque essaye de nous terroriser et de nous convaincre que la défense de certaines propriétés se place au-dessus de la vie et de la dignité humaines, alors que ces propriétés ont été créées par les travailleurs précaires non payés, par du surtravail et du travail au noir ; aucune petite propriété n’a été endommagée pendant les attaques symboliques contre les banques et les bâtiments publics [du moins à Larissa et dans les autres villes provinciales]. S’ils se souciaient vraiment des employés de magasin, ils devraient augmenter les salaires misérables qu’ils leurs donnent, ils devraient apprendre ce qu’est la sécurité sociale et ils devraient créer des horaires et des conditions de travail humaines ».

Les partis de gauche ont été surpris par les émeutes et ont eu des attitudes variées envers elles. SYRIZA (coalition de la gauche radicale), une coalition de Synaspismos [1] et d’autres petites organisations gauchiste, ont gardé une attitude mesurée envers la révolte. Les leaders principaux de l’appareil du parti n’ont pas hésité à prendre leurs distances vis-à-vis de la violence des émeutiers, les dénonçant même, néanmoins, d’une façon modérée comparée à la frénésie du parti communiste KKE. Durant la folle nuit du 8 décembre, les manifestants de Syriza s’en sont pris [verbalement] à des manifestants violents, sans pour autant essayer de les empêcher d’agir. La base ou les électeurs de Syriza étaient très bien disposés dans la plupart des cas envers la révolte bien que la présentant comme une « explosion de la jeunesse » et donc comme quelque chose qui leur était extérieur. Les étudiants de Syriza ont participé aux manifestations contre la police et ils ont eu une attitude plus modérée envers elle, dans la plupart des cas. Le KKE, comprenant parfaitement que c’était son pouvoir politique même, comme partie intégrante du système politique, qui était en jeu, a choisi d’adopter une attitude de type policier, ressemblant davantage à l’extrême droite condamnant les émeutiers dans leur totalité comme des « provocateurs », manipulés par quelque « centres occultes », de l’intérieur ou étrangers. Quant aux partis et aux organisations gauchistes, le KOE en particulier (membre de la coalition SYRIZA), ils étaient favorables à la rébellion vue comme l’explosion qu’ils « espéraient », excepté l’absence de revendications « positives ». C’est pourquoi ils étaient désireux de présenter une liste de revendications demandant au gouvernement de démissionner de sorte qu’ils puissent exploiter politiquement le changement de personnel politique. Parmi les différents groupes trotskystes certains étaient plus actifs que d’autres et ont participé à l’Occupation de la faculté de droit. Le KKE-ml a eu une attitude plutôt positive envers la révolte, s’abstenant évidemment de participer aux affrontements avec la police. En général, les gauchistes, à part quelques groupes, ont eu une relation plutôt superficielle à la révolte prenant principalement part aux manifestations mais pas aux autres activités.

La force des fascistes en Grèce ne peut pas être comparée à celle des fascistes en Italie dans les années 1970. La  principale organisation néonazie (Chrisi Avgi , l’Aube dorée) peut compter sur quelques centaines de militants dans toute la Grèce. Il y a aussi le LAOS, un parti populiste d’extrême droite qui est le cinquième parti du parlement grec avec 3.8 % des voix, mais il est difficile d’estimer leur base militante. Bien que les militants de droite aient participé à la répression de la révolte dans les villes de Patras (principalement) et Larissa (à un moindre degré), il est impossible de faire une comparaison entre la situation en Italie et en Grèce, car les fascistes sont moins organisés en Grèce. Ils ont été un des recours de l’Etat quand la propagande des médias et la répression policière n’étaient plus suffisantes, mais ils n’ont de base organisationnelle qu’à Patras (dans la lignée d’une longue tradition, en effet : Temponeras, un prof d’université a été assassiné dans la fac occupée de Patras en 1991 par celui qui était alors le secrétaire de la branche de jeunesse du parti de droite, et qui est maintenant au gouvernement).

Les émeutes étaient liées à une forme particulière  de sous-culture politique, celle des anarchistes et anti-autoritaires en Grèce, qui a joué un rôle très important dans les deux premiers jours des émeutes et particulièrement le premier. Leur réaction violente immédiate au meurtre a déclenché une explosion sociale qui les a dépassées et qui s’est étendue partout en Grèce. Mais l’insurrection de décembre, marquée par les activités des étudiants et d’autres parties du prolétariat, ne peut se réduire au rituel des combats de rue que cette sous-culture semble affectionner traditionnellement et dans lequel elle est comme emprisonnée.

Bien que la révolte soit terminée, il y en a encore des traces visibles. Certaines occupations perdurent[2], la solidarité avec les prisonniers et l’esprit de la révolte unissent toujours les différents éléments qui ont participé à l’insurrection (bien que certains signes sectaires et idéologiques commencent à apparaitre), de nouvelles luttes émergent avec des caractéristiques plus radicales et la violence contre l’état semble être beaucoup plus légitime.

L’essor de nouvelles formes organisationnelles et de nouveaux contenus de lutte sont discutés par tous les éléments insurgés. Politiquement, ces partis et organisations de gauche qui avaient été pris par surprise et étaient dans un état de crainte mêlé d’admiration vis-à-vis de la révolte, n’ont plus beaucoup à offrir. Ils espèrent juste avoir de nouveaux membres et ne semblent pas avoir été atteints par la révolte. Les syndicats, à la fois comme forme et comme contenu de lutte, petits ou grands, sont restés insensibles à l’insurrection ou lui ont même été hostile. Les principaux partis politiques ne peuvent pas dissimuler leur crainte face à des expressions si puissantes de désobéissance et d’attaque de toutes les institutions. Il y a certains signes d’un retour à la normalité à la fois de la vie quotidienne et de la politique habituelle mais aussi des traces de nouvelles alliances et pratiques qui exigeront du temps pour acquérir une forme et un contenu plus clairs.

TPTG, BLAUMACHEN

4 février 2009


[1] Synaspismos a émergé initialement à la fin des années 1980  comme une coalition électorale des deux partis communistes grecs, le KKE et la Gauche Grecque, les successeurs de l’eurocommuniste Parti Communiste de Grèce (intérieur). Après la désintégration de l’URSS, le KKE a quitté la coalition après avoir purgé tous les non-staliniens de ses membres.- ndt

[2] En janvier, après les émeutes, quand persistaient encore certaines activités  mi-syndicalistes/mi-rebelles, les locaux du Syndicat des Journalistes à Athènes ont été occupés pour quelques jours par les travailleurs précaires des médias (et d’autres travailleurs et étudiants solidaires) pour examiner la création d’un syndicat unifié des travailleurs des médias et pour dénoncer mensonges médiatiques sur les révoltes. Au moment où ce texte a été rédigé, l’Opéra restait occupé  par les danseurs, les artistes de différentes sortes et des travailleurs et des étudiants solidaires – ndt

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