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Les quatre tares du ballon rond

27/07/2010

(C’est pas de la grande théorie mais ça nous fait plaisir, alors…..dndf)

Le foot est sexiste. Dans les familles, le foot sert à bâtir des coalitions d’hommes. La mère voit père et fils partir pour leur stade, ou le café, ou bien sert aux hommes réunis bière et petits gâteaux devant l’écran magnétique. La petite amie du fils se blottit au creux de son bras viril qui s’élève de temps en temps pour ponctuer les cris de victoire. La femme est l’accompagnatrice de l’admiration des hommes pour eux-mêmes. Les hommes, eux, s’hypervirilisent, singent les joueurs, se lèvent en parcourant leur salon, tels des entraîneurs mettent les mains derrière la tête avec désespoir. Pendant des heures, ils cherchent à épuiser les défenses de l’adversaire, pour la magie de la pénétration… Ils sont à leur affaire, au régiment du ballon rond.[print_link]Le foot est nationaliste. Bien sûr, on plaidera : cela vaut mieux que la guerre. Mais le foot a-t-il jamais empêché la moindre guerre ? La grande fête de la Coupe du monde peut-elle faire oublier la violence alcoolisée des supporteurs ? Au moins leur attachement au club a-t-il le mérite de révéler l’absolue vacuité de nos nationalismes. Par contre, le football oblige à se déclarer pour ou contre une nation. D’abord, pour «soi», pour sa propre nation, si elle participe. Ou par défaut, une autre. Israël était pour l’Uruguay contre l’Allemagne (et dans un bar des territoires occupés, on était pour l’Allemagne parce que les Israéliens étaient contre). Tel militant de gauche était pour l’Afrique, n’importe quel pays d’Afrique : car avec le foot l’élite peut se croire populaire. N’oubliez pas, pourtant, que dans les fantaisies de l’horreur militaire, le ballon est d’abord la tête de l’adversaire. Frappons, enfants de la patrie !

Le foot est hypercapitaliste et individualiste. Il exalte la réussite individuelle fondée sur la force. Le «role model» de la réussite footballistique est un homme prêt à tout sacrifier à l’entraînement pour gagner le droit de se payer des contrats juteux avec des grandes marques, des call-girls de luxe (le scandale ici révèle peut-être une norme non écrite), et même un coup de boule glorieux en plein match, sans grand remords. Ce modèle est dangereux pour tous, mais plus encore pour les gamins du tiers-monde, exportés dans des camps d’entraînement très loin de chez eux. Car le football est aussi un art impérialiste, qu’il vaudrait la peine de rattacher aux théories de la dépendance.

Enfin, le football donne l’illusion de l’égalité, nationale et mondiale. Les équipes plurielles de la France de 1998 ou de l’Allemagne de 2010 ne sont en rien, hélas, un signe d’une intégration réussie. Le foot offre une fausse session de rattrapage pour des sociétés qui sont fondées, de façon croissante, sur l’inégalité des chances. Le foot, ou la télé-réalité, faites votre choix. Leaders, choisissez aussi votre moderne propagande, produisez un rêve de réussite qui sert surtout les intérêts de la télépublicité.

Bref, lorsque le genre humain (la gente masculine) est collé aux écrans dans les cafés, de la Patagonie jusqu’à Pékin, il n’exalte pas un plaisir innocent, mais il est une pièce d’un système d’exploitations complexes et plurielles, des femmes, des classes populaires, et des pays périphériques.
Par JÉRÔME BOURDON Professeur de communication à l’université de Tel-Aviv
Paru dans Libération du 26 juillet

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