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Quels rôles pourraient jouer les classes moyennes algériennes ?

La constitution de nombreuses sociétés privées a permis l’émergence d’élites managériales privées, parfois à la tête d’entreprises de grande envergure.
Les récentes manifestations populaires, qui se sont récemment produites en Algérie, ont, en grande partie, tourné à l’émeute, parce qu’elles n’ont trouvé ni élite ni organisations suffisamment fortes et représentatives pour les encadrer et traduire de manière claire les causes du mécontentement et les aspirations précises des manifestants. Ces élites et ces organisations susceptibles de capter le mécontentement, lui donner un sens et le traduire sous forme de doléances à adresser aux autorités politiques existent pourtant bien en Algérie, en dépit des prédations multiformes que le pouvoir mène contre elles pour les affaiblir, les récupérer ou carrément pour les torpiller.

Toute l’énergie du pouvoir en place durant cette décennie semble, en effet, avoir été canalisée sur les diverses élites autonomes (politique, syndicale, économique, médiatique, féminine, etc.) nées dans le sillage des ouvertures d’octobre 1988, pour les faire disparaître ou, à défaut, les remettre sous le giron de la coalition (FLN, MSP, RND) qui gouverne sans partage le pays depuis 1999. Il s’agit en quelque sorte de remettre le couvercle sur le chaudron de la révolte d’Octobre 1988, d’où sont sorties toutes ces élites autonomes devenues gênantes pour nos gouvernants nostalgiques du système du parti unique et ramant à contre-courant de l’évolution moderniste du monde.
Les dernières manifestations populaires, porteuses de revendications économiques et sociales indissociables d’une volonté de changement à caractère politique, constituent une occasion inespérée pour ces élites post-Octobre 88 marginalisées, de se remettre en selle et reprendre les places qui leur reviennent de droit dans la société algérienne.

La Constitution de 1989, toujours en vigueur, leur donne effectivement, non seulement le droit d’exister mais également celui d’activer en toute légalité. Et, à travers les informations qui nous parviennent de certains partis politiques et de nombreux syndicats autonomes, cette dynamique de reconquête de ce droit serait largement entamée pour très probablement se traduire par des actions fortes et multiformes sur le terrain. La Constitution de 1989 rédigée sous la pression des révoltes d’Octobre avait, en effet, introduit des changements majeurs dans le pays, parmi lesquels le bouleversement du champ des élites n’est pas des moindres. On se souvient qu’avant la promulgation de cette Constitution qui avait permis des ouvertures politique, économique et sociale considérables, l’Algérie vivait sous le régime du parti unique, des organisations de masse satellisées, des entreprises étatiques et du syndicat des travailleurs, tout aussi unique, l’UGTA en l’occurrence.
L’ouverture de 1989 a, à l’évidence, élargi le champ des élites comme ce fut, par exemple, le cas pour les élites politiques autrefois réduites aux seuls cadre du parti FLN et qu’on retrouve aujourd’hui à la tête d’une profusion de nouveaux partis politiques qui se battent, il est vrai, dans des conditions particulièrement difficiles, pour échapper aux intrigues du pouvoir et avoir la place qui leur revient de droit sur l’échiquier politique national.

La même observation peut être faite à propos des élites syndicales, autrefois réduites aux seuls cadres du syndicat unique UGTA. Aujourd’hui, des élites syndicales de qualité encadrent plus d’une vingtaine de syndicats autonomes, dont les nombreuses actions menées au cours de cette dernière décennie témoignent d’une capacité à mobiliser des travailleurs autour de revendications nettement supérieures à celles de l’UGTA. On peut, à titre d’exemple, citer les appels à la grève générale par les syndicats autonomes des fonctionnaires, des enseignants du secondaire, des professeurs d’université *et des médecins largement suivis en dépit des répressions subies et qui ont, au bout du compte, fini par obtenir les résultats escomptés.
Cependant le pouvoir, qui ne souhaite négocier qu’avec l’UGTA, feint toujours d’ignorer ces organisations sociales dont il n’ignore pourtant pas la profondeur de leur ancrage social.

Toujours dans cette dynamique d’ouverture du champ des élites permise par la Constitution de 1989, on pourrait également évoquer l’émergence de nouvelles élites journalistiques (médiatiques) qui, avant cet événement, se réduisaient, on s’en souvient, à une vingtaine de directeurs de journaux étatiques et partisans qui paraissaient à l’époque et à quelques responsables de chaînes de télévision et radios publiques autorisées à émettre. Il existe aujourd’hui, pas moins d’une centaine de titres de presse privés et publics, encadrée par de nouvelles élites journalistiques, pour certaines devenues de véritables leaders d’opinion. La société civile autrefois réduite aux seuls cadres des organisations de masse satellites des pouvoirs en place (UNFA, UNPA, UNJA, etc.), s’est également, aujourd’hui, enrichie de nombreuses associations non gouvernementales dirigées par des élites nouvelles qui tentent d’échapper à la mainmise des autorités politiques et administratives, qui tentent de les récupérer à l’occasion des grandes échéances électorales. Bon nombre de ces associations sont, malgré tout, restées indépendantes, même si au regard des observateurs, les récupérations ont été fort nombreuses, notamment lors des dernières élections présidentielles. L’autre ouverture, et non des moindres, offerte par la Constitution de 1989 est, à n’en pas douter, celle des élites économique (managériales) autrefois réduites aux seuls directeurs des entreprises nationales et institutions publiques encadrant une économie fortement étatisée. La constitution de nombreuses sociétés privées a permis l’émergence de plusieurs milliers d’élites managériales privées, parfois à la tête d’entreprises de grande envergure.

De crainte que ces élites économiques ne s’investissent dans l’action politique en perspective d’une éventuelle alternance au pouvoir, ces élites sont, depuis ces quelques dernières années, soumises à toutes sortes de harcèlements et d’embrigadements, comme on a pu le constater avec le Forum des chefs d’entreprises lors des dernières élections présidentielles. C’est dire que la classe moyenne algérienne, dont toutes ces nouvelles élites nées de la dynamique d’Octobre 1988 font partie, existe, bien qu’affaiblie et quelque peu déstructurée par tous les coups de boutoir que le pouvoir a assénés à tous ces cadres, notamment, au cours de cette dernière décennie en les discréditant, en les emprisonnant, en les appauvrissant ou en les récupérant. Les derniers événements qu’a connus le pays leur offrent l’occasion de se ressaisir pour reprendre le rôle et la place que leur accorde la Constitution de 1989. Sauront-ils la saisir ?

Nordine Grim
El Watan, 25 janvier 2011

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