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Fiat: Les luttes des classes version western spaghetti

“Sergio Leone : «Le monde se divise en deux catégories, ceux qui tiennent un pistolet chargé et ceux qui creusent.» Pour l’instant à Mirafiori, on creuse…”

Le récent référendum organisé par Sergio Marchionne à l’usine Fiat de Mirafiori est une nouvelle étape dans la transformation néolibérale du capitalisme italien. En votant oui à une courte majorité, d’ailleurs acquise chez les cols blancs, les salariés de Fiat ont approuvé un accroissement de la «flexibilité» du travail, c’est-à-dire une dégradation des conditions de travail : un raccourcissement des pauses quotidiennes à dix minutes chacune, l’indemnisation de l’arrêt maladie, lorsqu’il suit ou précède un jour férié, seulement si le taux d’absentéisme diminue, la possibilité de réorganiser le travail en équipes sur six jours consécutifs, celle de tripler les heures supplémentaires sans négociations avec les syndicats et des sanctions en cas de grèves contre l’accord.

En cas de vote négatif, la menace de Marchionne était d’investir ailleurs qu’en Italie, en Serbie par exemple, ce qu’il fera de toute façon. Les salariés obtiennent en contrepartie une possible augmentation de la rémunération et surtout une promesse d’investissement à Mirafiori pour produire des Jeep et des Alfa Romeo. Mais rien ne dit qu’à terme il soit intéressant de produire les Jeep en Italie et Alfa Romeo pourrait être vendue, même si Marchionne prétend le contraire pour l’instant.

Le résultat de cet accord est l’affaiblissement significatif de la négociation collective et par conséquent des syndicats (celui qui a refusé de valider l’accord est de fait exclu de l’usine). Les salariés de Mirafiori seront licenciés pour être embauchés par une nouvelle société, qui n’appartiendra pas à l’organisation patronale, la Confindustria, et échappera aux conventions collectives, notamment celle de la métallurgie. Cela pourrait être le signal de départ pour d’autres grandes firmes qui voudraient, elles aussi, quitter le cadre de la négociation collective et conduirait à l’abandon de la définition des droits sociaux et professionnels au niveau national.

L’objectif affiché de Marchionne est d’augmenter la productivité des usines italiennes, qui est de fait mauvaise, notamment parce que les modèles Fiat qui se vendent le mieux sont produits à l’étranger. En vingt ans, le nombre d’automobiles fabriquées par Fiat en Italie a été divisé par trois, les investissements en RD ont été significativement inférieurs à ceux des concurrents et il n’y a pas de nouveaux modèles en prévision.

Cette affaire est porteuse d’enseignements sur plusieurs points pour l’ensemble de l’Europe.

Il n’est pas possible de produire efficacement si on n’investit pas en RD et en capacités productives sur le sol national. Sinon l’alternative est de transformer les firmes industrielles en conglomérats financiers qui pratiquent le dumping fiscal et social en empochant les subventions au passage. C’est la solution de Fiat (la productivité des usines est mauvaise, mais la rentabilité financière du groupe est bonne), mais pas de Volkswagen par exemple. La défense du modèle social européen passe par la reconstruction d’une industrie forte et nécessite une politique industrielle active, pas des primes à la casse.

Il faut aussi se méfier de ceux qui, en matière sociale, prônent l’abandon de la loi au profit de la négociation. En France, c’est l’impossibilité de déroger aux conventions collectives de branche et au code du travail (sauf pour la durée du travail) qui empêche ceux qui voudraient suivre l’exemple de Marchionne de le faire. Enfin, pour l’instant ; parce ce qui a été fait pour affaiblir les 35 heures en permettant que s’appliquent des accords d’entreprise sur le temps de travail signés par des syndicats minoritaires est dans la logique néolibérale de Marchionne.

C’est aussi une leçon politique pour la gauche. Le parti démocrate italien s’est encore une fois illustré en étant incapable de proposer une opposition politique à l’accord, prétendant «laisser parler les ouvriers» avant le référendum et les remerciant ensuite d’avoir, par leur sacrifice, conservé Fiat en Italie. Avaliser un diktat de Fiat qui affaiblit la capacité des salariés à défendre collectivement leurs droits sous la menace de délocalisation et en échange de promesses peu crédibles sur le maintien de la production, cela doit être ce que certains au PS appellent «accepter l’économie de marché». La morale de cette histoire vient de Sergio Leone : «Le monde se divise en deux catégories, ceux qui tiennent un pistolet chargé et ceux qui creusent.» Pour l’instant à Mirafiori, on creuse.”

Par BRUNO AMABLE professeur de sciences économiques, à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, membre de l’Institut universitaire de France.

Source: article de Libération (avant que…)

Article proposé par Patloch en commentaire

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  1. Patlotch
    27/01/2011 à 13:06 | #1

    C’est une suite à

    La régression servile de Mirafiori > http://dndf.org/?p=8780

    Si le problème n’est pas tant “une leçon politique pour la gauche”, cet article résume assez bien le chantage patronal et de toute la classe politique italienne aux ouvriers de Fiat, et le dilemne de ceux-ci face au référundum sur l’accord.

    Un autre intérêt de l’article est de poser la possible extension (déjà engagée) de ce type d’attaque aux conventions collectives par branche. En France, une succession de textes est intervenu depuis les années 90 pour autoriser les entreprises à s’en délier, dans certaines conditions de moins en moins contraignantes. Il va sans dire que le débat relancé sur les 35 heures est un faux-nez d’une partie de la droite (voire au PS, Valls & Cie), puisqu’il est parfaitement possible de vider la loi de “contraintes” devenues de nouveaux obstacles à la réalisation du profit et à la valorisation. Cette solution m’apparaît comme préférée par Sarkozy et le grand patronat : procéder par accords de branche, puis d’entreprises, produirait moins de remous sociaux, ou des remous plus divisés, des luttes plus contrôlables, que la voie législative prenant de plein fouet l’ensemble du monde salarié.

    Au total, on prend acte que l’illégitimité de la revendication salariale est acquise, de part et d’autre, entérinant l’existence ouvrière dans le capital. La restructuration résoud sa crise en marchant, au même pas des ennemis de classe. Marche ou crève, ça ne dure qu’un temps.

    Ce type d’accords est évidemment un pas de plus dans la précarisation du salariat et le caractère despotique, quasi-policier, de la domination inhérente au rapport d’exploitation, au sein même du procès de travail pour la production de survaleur, venant alimenter et compléter la domination et la répression dans la réalisation du profit, du capital additionnel, pour la reproduction d’ensemble des conditions pour que ça continue… jusqu’à la prochaine explosion dans la crise.

  2. BL
    27/01/2011 à 17:22 | #2

    Eh oui la restructuration est accomplie depuis la fin des années 80 mais en même temps elle doit continuer!

    En fait ce qu’on voit c’est que la restructuration en détruisant tous les obstacles à la circulation des capitaux et en liquidant tout rigidité dans l’exploitation de la force de travail à installé, la restructuration en permanence; son programme :” la mondialisation libérale” (comme disaient fort justement les Forums Sociaux Mondiaux de la récente et déjà vieille, époque altermondialiste.) c’est l’attaque illimitée contre la valeur de la force de travail.

    Ce qui se passe en Chine avec une certaine hausse des salaires (dans le cadre d’une inflation croissante) ne s’oppose pas à cette baisse tant l’écart est immense, et d’ailleurs des délocalisations au second degré vers le Viet Nam et le Bengla Desh supplaient à ces hausses, très limitées de toutes façon.

    La déconnection entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail reste la régle générale.

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