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Crise au Portugal : une jeunesse sacrifiée

Pour Diogo, Antoine, José et Pierre, la « génération 500 euros » doit se battre, « entre nostalgie et défiance ».
Le Portugal connaît la pire crise de son Histoire depuis trente ans. Suite au rejet par le Parlement d’un nouveau plan d’austérité, prévu pour « garantir » la réduction des déficits publics et éviter un recours à l’aide extérieure, le Premier ministre, José Socrates, a démissionné.
Nous avons demandé à nos riverains du Portugal de nous raconter cette crise politique. Voici leurs témoignages.
Diogo : « Nous sommes la génération 500 euros »

« Je parle en tant que “jeune” de 30 ans. Je suis doctorant en sciences sociales.

Nous, les jeunes, avons le sentiment que depuis plus de trente ans, la classe politique ne représente plus la population et ses préoccupations.

Notre génération qu’on appelle “génération 500 euros” est en train de payer des retraites pour milliardaires, ceux qui sont passés par l’administration à la grande époque “vache à lait” : depuis les années 90, le pays a vécu au-dessus de ses moyens avec les subventions européennes et la création qui s’en est suivie d’institutions fantômes. Ces jeunes réclament le changement.

A Lisbonne plus de 200 000 personnes sont descendues au centre-ville pour exprimer leur mécontentement. Le Portugal perd sa souveraineté et la classe politique ne fait que nous dire que c’est la faute à la crise économique.
Le système repose sur la hiérarchie, le clientélisme et le piston

L’argent venu de l’Union européenne est mal utilisé depuis longtemps par une fonction publique extrêmement bureaucratique. L’argent perdu pour les autoroutes, barrages et autres gros projets contraste avec les difficultés que les jeunes rencontrent pour recevoir le moindre soutien de l’Etat.

Le système repose sur la hiérarchie, le clientélisme et le piston. Les relations incestueuses entre la classe politique et la classe financière sont de plus en plus évidentes depuis la “crise mondiale” de 2008. Il devenait de toute façon impossible de les cacher.

D’un coté, il y a cette classe politique sans autre projet social que la séduction de ses partenaires européens et de l’autre, on assiste à une grave dépolitisation des moins de 40 ans.

Cette génération post-25-Avril de la Révolution des œillets est aveugle et oublieuse de l’Histoire.

On est loin des projets sociaux et on se débat pour maintenir le statu quo. Le Parti socialiste au pouvoir, comme le Parti social-démocrate [PSD] – le seul, selon les gens, qui peut constituer un gouvernement –, représentent les mêmes intérêts, la même façon de faire. »

Diogo a souhaité témoigner sous pseudo.
Antoine : « Une plus grande fracture sociale »

« Mes collègues portugais sont très inquiets ; avoir à gérer et vivre avec une crise économique majeure est déjà difficile, devoir faire face en même temps à une crise politique est une catastrophe pour eux !

Les Portugais ne sont pas ravis des mesures drastiques d’économie, bien sûr, mais ils sont bien conscients que leur avenir est en jeu, même si les syndicats, jouant leur rôle, essayent d’atténuer les propositions politiques pour conserver le pouvoir d’achat de la population.
Des sacrifices difficilement acceptés

La situation économique est compliquée, la fracture sociale étant bien plus grande qu’en France : les salaires vont de 500 à plusieurs milliers [d’euros]. Un fossé.

Les fonctionnaires sont une classe moyenne, avec des salaires “corrects”. Un policier en début de carrière gagne dans les 1 100 euros mensuels ce qui, comparé à un smic inférieur à 500 euros et un salaire moyen de 750 euros pour le pays, n’est pas si mal. Mais ils acceptent difficilement les sacrifices qui leur sont imposés. »
José : « La dernière année a été un cauchemar »

« Aujourd’hui, le Portugal vit un mélange de soulagement et de crainte.

Soulagement parce que la dernière année et demie a été un cauchemar. Le peuple a le sentiment que le gouvernement n’a fait que mentir dès le début, surtout en ce qui concerne la situation économique et financière du pays.

Nous avons aussi le sentiment que l’obstination du Premier ministre sortant, M. Socrates, a contribué à l’état actuel du pays ; [notamment] son insistance pour des travaux pharaoniques tels que la construction de lignes de TGV et d’un nouvel aéroport à Lisbonne [alors que] la plupart des spécialistes disaient que ce n’était pas le moment de lancer ces travaux de luxe.
Le Premier ministre a menti sur la situation économique du pays

Pendant la campagne électorale de 2009, le Premier ministre a menti sur la situation économique du pays, notamment sur le déficit budgétaire. Il a dit à maintes reprises qu’il était de 5,9% et a dû reconnaître deux mois plus tard qu’il était en réalité d’environ 9% du PIB.

Qu’on appelle cela mensonge délibéré ou de l’optimisme irresponsable, le fait est que le Premier ministre sortant ne donnait plus la garantie d’être capable de résoudre le problème portugais dont ses deux gouvernements (six ans en tout) sont responsables.

Le Portugal vit aussi dans la crainte. Crainte parce que nous ne voyons pas très clairement l’issue de la crise : le plus grand parti d’opposition a un leader sans aucune expérience de gouvernement, et ses idées pour résoudre la situation du pays ne sont pas connues. »
Pierre : « Je suis rentré en France »

« Plus qu’une crise politique, il me semble que les Portugais vivent surtout une crise économique récurrente depuis plusieurs années. Ça m’a conduit il y a un an et demi, après trois années passées à Lisbonne pour mes études, à rentrer en France pour y trouver du travail dans des conditions (un peu) moins précaires.

La jeunesse portugaise traverse une période de grand désarroi, entre nostalgie (au Portugal, on dit plus volontiers “saudade”) d’un temps pas si éloigné où le pays sortait du salazarisme [de Salazar, ndlr], entrait dans l’Union européenne ; et défiance, voire incompréhension et fatalisme, face à la classe politique et à son incapacité à gérer les problèmes qui se posent aujourd’hui dans le pays :

* corruption des élites ;
* incompétence et lourdeur de la bureaucratie ;
* inégalités sociales ;
* désengagement de l’Etat dans les domaines de l’éducation ou encore de la santé, etc.

Toutefois, j’ai l’impression que les choses bougent un peu. Il suffit de voir les manifestations qui ont eu lieu ces derniers mois. Une manifestation au Portugal est en soi un signe très fort envoyé au gouvernement. »

rue89

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