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Réponse de Temps Libre à Astarian et Ferro – Deuxième partie

Deuxième partie – Sur la classe moyenne

Classe moyenne salariée et classe moyenne

La source sur leur site

Astarian et Ferro sont insatisfaits de notre définition « négative » de la classe moyenne, ils aimeraient que nous fassions comme eux, c’est-à-dire que nous ne parlions ni de la production indépendante, ni du petit commerce, ni des professions libérales, ni de la police, ni de l’armée, ni du reste de la fonction publique qui n’est pas sursalariée pour qu’on puisse, tous et toutes ensemble, s’entendre sur un critère simple et facile, « positif », pour définir la « troisième classe » de leur ménage à trois, à savoir le fait de recevoir un sursalaire. Prolétaires, capitalistes et sursalarié·e·s – voilà les seuls agents qui, à les lire, peuplent ce bas monde.

            Nos critiques jugent naturellement que la tentative de rendre compte de tous les agents du mode de production capitaliste en termes de classe est une « sophistication » difficilement compréhensible. On imagine que pour eux, ce n’est pas très élégant de vouloir classer tous ces agents en trois classes exhaustives, puisque cela implique que l’on devra cesser de considérer la classe moyenne de manière univoque (dans l’hypothèse où le prolétariat et la classe capitaliste reçoivent chacun·e une définition positive stricte). Astarian et Ferro n’apprécient pas davantage que nous disions que la classe moyenne « est une classe qui a son essence à l’extérieur d’elle-même », parce que cela leur rappelle que ce qui la définit d’abord, ce ne peut pas être quelque chose qui lui est propre ou un trait qui serait en elle, mais bien plutôt son extériorité au rapport de production fondamental du mode de production capitaliste. Mais la question qu’il faut se poser est la suivante : si l’on accepte de définir les classes par leur rôle relatif au rapport de production dominant d’un mode de production, peut-on commencer autrement qu’en offrant une définition négative de la classe moyenne? Définitivement pas, puisque le concept de classe moyenne est d’abord et avant tout le concept de la classe exclue du rapport de production dominant, c’est-à-dire de cette classe qui n’est ni le sujet, ni le bénéficiaire direct du travail productif – travail sur lequel s’appuie toute la structure sociale. Loin d’être un « manque de rigueur », cette manière de faire constitue le seul procédé réellement exhaustif, à même de ne laisser aucun agent d’un mode de production sans détermination de classe sous prétexte qu’il appartient à une fraction en déclin démographique[1]. Bien sûr, il reste toujours à spécifier ce qui fait de la classe moyenne actuelle une classe du mode de production capitaliste, par opposition aux classes moyennes appartenant à d’autres modes de production. Là-dessus, nous enjoignons les lectrices et lecteurs à se référer à la quatrième section du dernier numéro[2], où nous nous efforçons de déterminer précisément la nature des fonctions qui sont celles de la classe moyenne capitaliste et qui la caractérisent comme telle. Pour faire bref, il s’agit des fonctions : 1) de répression externe au procès de travail, 2) de contrôle et surveillance interne au procès de travail, 3) de production et de reproduction idéologique de la société capitaliste, 4) de diminution du temps de rotation du capital et enfin, 5) de reproduction directe de la force de travail.

Résumons. Pour nous, la classe moyenne, parce qu’elle est en premier lieu définie par son exclusion du rapport de production sur lequel repose toute la structure sociale, excède nécessairement la seule couche des sursalarié·e·s, ce qui veut dire qu’elle inclut aussi : militaires, forces de police, salarié·e·s de la fonction publique (lorsqu’il ne s’agit pas d’une branche de la production capitaliste simplement nationalisée, par exemple : Hydro Québec), production marchande indépendante et professions libérales (dans la mesure où celles-ci sont pratiquées à titre indépendant). Pour Astarian et Ferro, toutes ces personnes n’existent pas. C’est pourquoi ils « réussissent » à définir positivement la troisième classe du mode de production capitaliste… comme la classe du sursalaire.

En outre, ceux-ci ne voient dans notre façon de définir la classe moyenne rien de moins qu’une « opération de sauvetage de la CMS » qui, selon eux, repose sur une sorte de libéralisme à la mode servant à réhabiliter politiquement ses membres. Rien n’est pourtant plus éloigné de notre démarche que des considérations de cet ordre. Présentez votre définition des classes qui composent le mode de production capitaliste et voyons si, à partir de la place qu’elles occupent au sein de la totalité sociale, ses membres possèdent la capacité réelle d’abolir le capital. Pour ce qui est de leur théorie des classes, il est évident que, une fois la classe moyenne définie par son sursalaire – c’est-à-dire par son intérêt objectif au maintien de l’exploitation du prolétariat –, celle-ci ne peut jouer qu’un rôle réactionnaire au sein d’un processus révolutionnaire. Mais comme cette définition de la classe moyenne est elle-même intenable, cette conclusion l’est aussi, ne serait-ce que parce qu’il n’existe rien de tel, pour la classe moyenne, que « des intérêts de classe » : il n’y a pour elle que des intérêts de fractions. C’est pourquoi la thèse du « sauvetage de la CMS » que nous imputent Astarian et Ferro est tout bonnement inopportune. Nous n’avons octroyé aucune nature « révolutionnaire » ou « réactionnaire » à la classe moyenne. La manière même de concevoir la classe moyenne comme un groupe unifié est pour nous un simple contresens. Il s’agit au contraire de prendre acte du fractionnement de la classe moyenne afin d’en rendre compte sur le plan des rôles qui seront joués au sein d’un processus révolutionnaire. Mais cela ne nous a jamais mené à affirmer que des fractions de la classe moyenne peuvent être révolutionnaires de la même manière que l’est le prolétariat, mais bien à montrer que certaines d’entres elles n’auront aucune raison de lutter contre le prolétariat insurgé et par conséquent, qu’elles ont le potentiel d’offrir un support stratégique significatif.

Enfin et pour s’amuser un peu avant d’enchaîner sur un autre sujet, notons qu’ils affirment dans leur réponse qu’il est « inexact de [leur] attribuer l’idée selon laquelle “la classe moyenne est toujours, au moins en puissance, fossoyeuse de la révolution communiste’’[3]». Contentons-nous ici de présenter ce qu’ils disent sur le sujet dans Le ménage à trois de la lutte des classes :

il nous suffit de déduire de la place de la CMS dans le rapport d’exploitation qu’une rupture de celui-ci lui est forcément dommageable, puisque la production de plus-value est à l’arrêt dans toutes les zones où le prolétariat est insurgé. Dans toutes ces zones, aucune alliance n’est possible entre la CMS et le prolétariat révolutionnaire. Dans l’affrontement du prolétariat insurgé contre le capital, la CMS prendra le parti du capital en participant (activement ou passivement) à la répression.[4]

Lisons aussi :

Dans une phase de crise profonde et d’éclatement de la présupposition réciproque des classes, aucune alliance n’est donc envisageable entre la CMS et le prolétariat révolutionnaire.[5]

ou encore :

seul le stade insurrectionnel de la lutte des classes crée la possibilité du passage au communisme. Il s’agit d’une situation sociale qui est une exception historique, où d’une part la présupposition réciproque des classes est suspendue entre prolétariat et capital, et où d’autre part le prolétariat et la CMS (même inférieure) sont séparés et antagoniques.[6] (Tous les italiques sont de nous)

Cela se passe évidemment de commentaires. Si nos auteurs avaient voulu défendre une opinion contraire ou simplement plus nuancée sur le caractère contre-révolutionnaire de la classe moyenne salariée dans l’insurrection, il aurait sans doute été plus sage de ne pas multiplier ce genre d’assertions.

Encadrement et travail de subordination

Un aspect important de notre critique de la théorie de la classe moyenne salariée d’Astarian et de Ferro concerne la notion d’encadrement. Dans le Ménage à trois, c’est l’encadrement et lui seul qui justifie le sursalaire de la classe moyenne salariée. Or, puisque l’encadrement est chez eux synonyme de travail de direction et de surveillance, ils ne sont pas parvenus à rendre compte de la manière spécifique dont se réalisent, au sein de la production, une grande partie des rapports de domination, à savoir : grâce au monopole du savoir dont bénéficient les travailleurs et travailleuses intellectuel·le·s. En effet, selon eux, l’ingénieur·e reçoit un sursalaire parce qu’il ou elle « encadre », c’est-à-dire agit en despote sur les lieux de production. Mais comme nous l’avons montré, l’autorité qu’ont le technicien et l’ingénieur sur le manœuvre ne provient pas des punitions qu’ils peuvent lui infliger ou des réprimandes qu’ils peuvent lui faire. Bien plutôt, leur autorité est directement fonction du monopole des savoirs dont ils disposent – monopole octroyé par la classe capitaliste pour qu’elle n’ait pas à s’occuper elle-même de ce travail compliqué, bien que nécessaire à la marche quotidienne de la production et à l’augmentation constante de la productivité du travail. Si l’on se fie à la réponse qu’Astarian et Ferro nous ont adressée, il semblerait qu’ils acceptent cette critique de bonne foi. On croit comprendre qu’ils reconnaissent que les rapports de domination politique ne sont pas les seuls à être effectifs et donc, qu’il faille prendre en compte le rôle que jouent les rapports de domination idéologique au sein du travail de subordination : « On doit reconnaître à TL le mérite d’avoir approfondi l’analyse des différentes activités qu’exerce la classe moyenne salariés pour justifier son sursalaire. La notion qu’ils proposent de travail de subordination est une façon d’élargir la notion d’encadrement.[7] » Si nous lisons bien, cela signifie que nous aurions, en remplaçant la notion d’encadrement par celle de travail de subordination, montré que non seulement le sursalaire se justifie par des travaux de direction et de surveillance, mais aussi par l’exécution d’un travail intellectuel. Cela, dans la mesure où ce dernier reconduit des rapports de domination idéologique au sein du procès de travail. Par conséquent, nous aurions élargi la gamme de raisons justifiant un sursalaire. Pourtant, Astarian et Ferro font suivre ces deux phrases de cette critique éloquente : « Mais il faudrait de plus préciser en quoi le travail de subordination justifie le sursalaire[8] ». Ainsi, après nous avoir félicités d’identifier de manière plus précise ce qui justifie un sursalaire, ils nous reprochent d’avoir oublié d’identifier ce qui justifie un sursalaire. Il ne faudrait surtout pas reconnaître quelque chose à Temps Libre.

La crise et le patrimoine de la classe moyenne

En revenant sur le rôle de la classe moyenne salariée dans la crise, Astarian et Ferro réitèrent l’idée selon laquelle ce qui la distingue fondamentalement du prolétariat, c’est la possession de réserves. Quand « le capital cesse massivement d’acheter la force de travail », la classe moyenne salariée n’est pas contrainte de « prendre possession d’éléments du capital[9] » puisqu’elle peut se reproduire en épuisant progressivement ses réserves; au contraire des sans-réserves, elle n’est pas un « pur sujet », elle n’est pas « entièrement séparée des conditions objectives de son existence[10] ». Ils ont raison d’indiquer que la classe moyenne salariée possède en moyenne un patrimoine supérieur à celui du prolétariat et que la défense de celui-ci est un élément à considérer dans l’analyse de son rôle dans la lutte des classes. Toutefois, pointer la présence d’un patrimoine net n’est pas suffisant pour conclure, comme ils le font, que l’endettement de la classe moyenne ne pose pas problème pour sa reproductibilité en situation de crise[11]. On ne peut pas mettre de côté la question de l’endettement uniquement en insinuant que la classe moyenne pourrait, en situation de crise, rembourser ses dettes et continuer à se reproduire sous prétexte que ses actifs dépassent généralement ses passifs. Effectivement, lorsqu’on s’intéresse à la composition du patrimoine des ménages français des déciles 4 à 9, on remarque que le patrimoine immobilier occupe une part plus importante que pour les déciles inférieurs et supérieur en s’élevant au-delà de 70 % du patrimoine brut[12].

L’importance de l’immobilier dans le patrimoine de la classe moyenne (selon la définition d’Astarian et Ferro) doit nuancer l’idée voulant que celle-ci puisse passer la crise en vivant de ses réserves justement parce que dans cette situation, son patrimoine ne sera pas immédiatement convertible en liquidités. Non seulement la classe moyenne voudra conserver un toit au-dessus de sa tête même en situation de crise, mais au moment où le capital cesse d’acheter la force de travail parce qu’il y a « un point de blocage dans le rapport d’exploitation du travail par le capital »[13], le marché immobilier, noyé par l’offre, sera nécessairement en chute, voire complètement bloqué si l’on accepte l’hypothèse voulant que les membres de la classe moyenne liquideront leur patrimoine pour se reproduire. Nous ne contestons pas le fait que le sursalaire permette d’amasser un patrimoine et que celui-ci ait des effets pertinents sur la lutte des classes, nous refusons simplement la réduction du rôle révolutionnaire ou contre-révolutionnaire des différentes classes à la question de la possession de réserves.

Plus généralement, la méthode avec laquelle Astarian et Ferro traitent ce problème montre encore une fois l’ambiguïté qui traverse leur théorie des classes. Lorsqu’ils commentent des statistiques présentant le patrimoine net des ménages étatsuniens, on voit que la classe moyenne salariée – définie jusqu’ici par son sursalaire – devient maintenant la classe regroupant tous les agents possédant un minimum de réserves. Le prolétariat est assimilé au quintile de revenu le plus bas, ce qui correspond, lorsqu’on isole cet élément, à une partie de la population possédant un patrimoine presque inexistant[14]. Cela concorde avec la définition qu’ils offrent du prolétariat (les sans-réserves) et semble indiquer, d’une part, qu’il est impossible d’appartenir au prolétariat et de posséder un patrimoine et, d’autre part, que tous les agents de la classe moyenne possèdent un patrimoine leur permettant de résister aux crises profondes.

Ce qui cloche dans ce traitement des statistiques, c’est notamment l’absence de considération pour l’âge des personnes de référence des ménages. En s’intéressant au patrimoine net des ménages étatsuniens, mais cette fois-ci en faisant intervenir l’âge, on remarque que le patrimoine net médian des ménages dont la personne de référence a moins de 35 ans est de seulement 13 900$ pour grimper progressivement à 266 400$ pour ceux dont la personne de référence a de 65-74 ans[15]. On pourrait nous rétorquer que le patrimoine médian augmente effectivement suivant l’âge des personnes de référence, mais que cette augmentation ne concerne pas le prolétariat qui, en tant que sans-réserves, ne peut jamais posséder un patrimoine minimalement substantiel. Or lorsqu’on croise ces deux facteurs – à savoir le niveau de revenu et l’âge – on remarque qu’au Canada, non seulement le quintile de revenu inférieur des personnes âgées de 55-64 ans possède en moyenne des réserves sous forme de patrimoine, mais également que ce patrimoine dépasse largement celui du quatrième quintile de revenu des personnes de référence ayant 35 ans et moins. Dit autrement, les 20 % des personnes âgées de 55-64 ayant le plus bas revenu de leur catégorie d’âge ont un patrimoine moyen qui excède celui du quatrième quintile de revenu des personnes de 35 ans et moins[16].

Caractéristiques Tous les ménages Quintile de revenu inférieur, 55 à 64 ans Deuxième quintile de revenu, 55 à 64 ans Troisième quintile de revenu, 55 à 64 ans Quatrième quintile de revenu, moins de 35 ans Quintile de revenu supérieur, moins de 35 ans
Patrimoine 2019 2019 2019 2019 2019 2019
Dollars
Valeur nette (patrimoine) 750 173 453 653 583 479 879 220 290 451 521 678

Est-ce qu’on doit en conclure qu’au Canada, il n’y a pas de prolétaires de plus de 55 ans et que les personnes de 35 ans et moins ayant un haut salaire, mais un faible patrimoine sont des prolétaires parce que leur absence de réserves les forcera à s’approprier des éléments du capital dans un scénario de crise profonde? Évidemment, ce n’est pas le cas. Le médecin et la cadre supérieure qui viennent tout juste d’intégrer le marché du travail n’ont pas encore de patrimoine et possèdent généralement, en Amérique du Nord, des dettes étudiantes considérables. Néanmoins, l’autorité que leur confère leur place actuelle au sein du mode de production et l’assurance de voir leurs conditions matérielles s’améliorer sans cesse sont des éléments qui nous conduisent à affirmer qu’en cas de crise profonde, ces agents seront généralement portés à lutter pour la reprise de l’exploitation capitaliste plutôt que pour la réalisation de mesures communistes, et ce, malgré leur absence de réserves.

Répétons-le, la défense du patrimoine est un élément dont il faut tenir compte pour analyser la dynamique des luttes interclassistes au sein des crises profondes, mais il serait faux de penser la classe révolutionnaire uniquement comme celle qui épuise ses réserves en premier, précisément parce qu’il n’y a pas d’identité stricte entre le fait d’être sans-réserves et d’appartenir au prolétariat. Le traitement des statistiques offert par Astarian et Ferro pose en ce sens un autre problème pour leur définition du prolétariat qui, comme nous l’avons vu dans la première partie, n’avait déjà pas besoin d’une difficulté supplémentaire pour justifier son abandon. Leur analyse indique que le prolétariat correspond ou bien au quintile de revenu inférieur, ou bien aux deux quintiles de revenu les plus bas[17]. Dit autrement, ils assimilent le prolétariat aux personnes ayant les plus bas revenus en laissant au lectorat le choix de décider s’il s’agit des 20 % ou des 40 % les plus pauvres. Si on fait fi de ce manque de précision flagrant, le raisonnement semble tenir : comme le prolétariat est payé au prix de la reproduction de sa force de travail, il correspond aux personnes ayant les plus bas salaires et, corollairement, il ne peut accumuler aucun patrimoine. Toutefois, « salaire » et « revenu » ne sont pas des termes équivalents et si on prend le quintile de revenu inférieur, il faut admettre qu’une part importante de celui-ci est composé, d’un côté, de personnes vivant des divers programmes de l’aide sociale et, de l’autre, des personnes travaillant de manière intermittente ou à temps partiel.

Comme Astarian et Ferro ne s’embarrassent jamais des rapports de production pour définir le prolétariat, nul besoin d’interroger le rapport de ces agents à la production de plus-value, mais la question suivante se pose tout de même pour leur propre théorie : est-il possible qu’un agent du mode de production capitaliste soit employé par du capital, qu’il produise de la plus-value, qu’il n’effectue aucune fonction de subordination et qu’il possède néanmoins des réserves? Si oui, appartient-il au prolétariat malgré ses réserves ou en est-il exclu en vertu de celles-ci? Au Québec par exemple, on peut voir que plusieurs ouvriers et ouvrières professionnel·le·s (plâtrier·e·s, briqueteur·euse·s, machinistes, mécanicien·ne·s, etc.) reçoivent des salaires qui correspondent, voire qui dépassent le salaire médian des particuliers[18] et qui permettent une certaine accumulation de réserves – que celles-ci prennent la forme d’un fonds de pension ou d’une modeste propriété immobilière. Dans des conditions historiques données, le prix de la reproduction de la force de travail peut permettre l’accumulation de certaines réserves sans que cela interdise la possibilité de l’exploitation capitaliste, puisque pour être exploité, il n’est pas nécessaire d’être absolument démuni de toute possession matérielle, mais seulement d’être payé en deçà de la valeur produite[19]. Selon Astarian et Ferro, il semble que les agents effectuant les métiers énumérés ci-dessus ne font pas partie du prolétariat puisque toute leur théorie de la classe révolutionnaire repose sur le fait que celle-ci, contrairement aux autres classes du mode production capitaliste, est absolument dépourvue de réserves. Au final, on voit encore une fois que la théorie des classes d’Astarian et Ferro conduit à des aberrations dès qu’on tente de la faire correspondre aux rapports de production spécifiquement capitalistes. Pour eux, appartenir au prolétariat n’a plus rien à voir avec le fait d’être exploité et de produire de la plus-value, ni même avec celui de travailler ou d’être salarié. Être pauvre, voilà le seul et unique critère qu’utilisent Astarian et Ferro pour classer un agent dans le prolétariat.

 

Exploitation et classe moyenne

La manière dont Astarian et Ferro traitent de la question de l’exploitation illustre bien la légèreté avec laquelle ils répondent à des critiques sérieuses. D’un côté, ils nous accusent de laisser en suspens des questions auxquelles nous avons bel et bien répondues. De l’autre, ils nous renvoient, en guise d’argument, à la « théorie de l’exploitation » d’Astarian qui n’est rien d’autre qu’une série d’affirmations gratuites.

Que nous reprochent-ils au juste? Ils affirment que nous n’expliquons pas comment l’exploitation du travail improductif est possible tout en contestant, du même coup, cette possibilité. En effet, pour eux, seul peut être exploité un travail productif. Cependant, Astarian ne se gêne pas de parler de « l’exploitation du prolétariat[20] » alors que le prolétariat se compose, précisément selon lui, pour une bonne part de prolétaires improductif·ve·s. Si c’est tout le prolétariat qui est effectivement exploité, cela ne signifie-t-il donc pas qu’il est possible d’exploiter un travail improductif[21]? Astarian l’affirme qu’il le veuille ou non. Nous avons aussi droit à des perles du genre :

  1. « L’exploitation du travail, quant à elle, n’a pas besoin d’être expliquée ici. Considérons-la comme la variable explicative fondamentale, celle qui sert d’axiome. Il n’y a pas de travail non exploité.[22] »;
  2. « L’exploitation du travail, enfin, ne requiert pas d’explication, elle est la forme normale et nécessaire du travail.[23] »;
  3. « Toute l’histoire du travail a une telle dynamique, parce que le travail est exploité et que l’exploitation du travail est une contradiction.[24] » (Nous soulignons)

On se souvient qu’ils nous reprochent d’affirmer que le travail improductif peut lui aussi être exploité… Mais revenons à la question qui nous intéresse. Pourquoi seul le travail productif peut-il être exploité? Pour répondre, acceptons l’invitation d’Astarian et Ferro et plongeons dans le texte qu’ils appellent à l’appui de leur propre position. Nous y lisons :

De façon générale, l’exploitation du travail consiste en l’extraction d’un surproduit par la classe de la propriété. Dans le cas du mode de production capitaliste, elle consiste en l’extraction de plus-value. Celle-ci vient forcément du travail productif, qui est donc (!) le seul à être exploité au sens propre.[25]

Voilà le couronnement de toute une riche tradition de recherche marxiste autour du problème de l’exploitation. Les curieux et curieuses sont invité·e·s à constater de leurs propres yeux que c’est là l’unique passage où Astarian aborde la question de l’exploitation pour elle-même. Tout tient en cette magnifique phrase : « De façon générale (il arrive que ça ne soit pas le cas?), l’exploitation du travail consiste en l’extraction d’un surproduit par la classe de la propriété. » Tout d’abord, pour nier comme ils le font la possibilité de toute forme d’exploitation du travail improductif, il faudrait d’abord dire « dans tous les cas » ou « par définition ». Autrement, on dit seulement que c’est généralement le travail productif qui est exploité – ce qui, par voie de conséquence, signifie qu’il peut arriver que d’autres types de travail soient exploités. Ensuite, pourquoi seule « la classe de la propriété » dispose-t-elle du pouvoir d’exploiter un travail? On ne sait pas, c’est comme ça et c’est tout[26]. Ainsi, pour toute démonstration du fait que seul peut être exploité un travail productif, Astarian et Ferro nous renvoient à cette affirmation gratuite et mal construite qui plus est. « Un peu de rigueur est ici de mise », MM. Astarian et Ferro.

Voilà pour leur « argument ». Maintenant, est-il vrai que nous ayons omis d’expliquer comment un travail improductif peut être exploité? Voici comment s’ouvre la p. 80 de notre dernier numéro, où nous reprenons à notre compte l’explication de Marx :

S’illes ne sont pas exploité·e·s au sens spécifiquement capitaliste – à savoir par extorsion de plus-value – il est possible d’expliquer comment leur travail permet au capital commercial de toucher une part de la plus-value : « (…) La masse de son profit dépend, pour le commerçant individuel, de la masse de capital qu’il lui est possible d’utiliser dans ce procès; il pourra en employer d’autant plus dans l’achat et la vente que le travail non payé de ses commis sera important. Le capitaliste commercial fait accomplir en grande partie par ses employés la fonction même grâce à laquelle son argent est du capital. Bien que le travail non payé de ses commis ne crée pas de plus-value, il lui procure cependant l’appropriation de plus-value, ce qui, pour ce capital, aboutit au même résultat; ce travail non payé est source de profit. Sinon, l’entreprise commerciale ne pourrait jamais être pratiquée à grande échelle, ni de façon capitaliste (…) » En ce sens, ces employé·e·s improductif·ve·s effectuent également un travail non payé.[27]

Nous estimons que ce passage constitue une explication claire du fait qu’un travail improductif peut très bien être exploité. Si Astarian et Ferro avaient lu plus attentivement celui-ci, il est certain qu’ils auraient pu comprendre cette explication par eux-mêmes. Et ce n’est pas très compliqué : si le travail improductif peut être exploité, c’est parce qu’il peut se diviser lui aussi en travail payé et travail non payé, c’est-à-dire en travail nécessaire et surtravail. Mais approfondissons un peu plus. Comment un agent qui, du fait de son travail non valorisant, ne reproduit pas la valeur des frais de reproduction de sa force de travail peut-il voir sa journée de travail se décomposer en travail nécessaire et en surtravail[28]? La réponse à cette question a déjà été donnée par Marx dans le chapitre XVII « Le profit commercial » du troisième livre du Capital. Dans ce chapitre, Marx montre que le profit commercial est directement proportionnel à la masse du capital-marchandise qu’il permet de réaliser : plus cette masse est grande, plus sa vente lui rapporte gros. On se souvient de même que le capital productif vend son capital-marchandise au capital commercial en dessous de sa valeur pour que ce dernier l’écoule et pour qu’il diminue ainsi le temps de rotation global de son capital. La différence entre ce que lui a rapporté la vente d’une masse de marchandises et ce qu’elle lui a d’abord coûté, le capital commercial l’empoche. Et cette différence ne représente ni plus ni moins que la rémunération des services qu’il rend au capital productif. Souhaitant s’enrichir davantage, celui-ci doit donc accroître la masse de marchandises qu’il achète et vend. Or, plus la masse de marchandises achetée est grande, plus la revendre prend du temps, c’est pourquoi le capitaliste commercial est, dans un cas pareil, amené à employer des salarié·e·s. Si celui-ci multiplie par 10 la masse de marchandises qu’il écoule et qu’il engage, pour l’épauler, 9 autres personnes, rien ne l’oblige à rémunérer ces dernières proportionnellement au service qu’elles lui rendent à lui. Au contraire, si ce qu’il souhaite faire, c’est s’enrichir, il a tout intérêt à abaisser leur salaire au strict minimum, c’est-à-dire à le fixer de la même manière que celui des travailleur·euse·s du secteur productif, à savoir au prix de la reproduction de leur force de travail. Par conséquent, là où ces individus auraient été en droit de recevoir le 1/10 de la rémunération du service qu’ils ont contribué à rendre au capital productif – parce que le capital social doit, dans tous les cas, réserver une part de la plus-value globale à la rémunération des agents dédiés à la circulation – ils reçoivent un salaire qui ne correspond qu’au prix de la reproduction de leur force de travail. Comme l’indique Marx,

l’exercice [de la force de travail d’un travailleur commercial] comme effort, dépense d’énergie et usure, tout comme pour n’importe quel autre salarié, n’est nullement limité par la valeur de sa force de travail. Son salaire n’est donc pas nécessairement en rapport avec la masse de profit qu’il aide le capitaliste à réaliser. Ce qu’il coûte et ce qu’il rapporte au capitaliste sont des grandeurs différentes. Il lui rapporte non pas parce qu’il crée directement de la plus-value, mais parce qu’il contribue à diminuer les frais de réalisation de la plus-value, en accomplissant du travail en partie non payé.[29]

On ne saurait être plus explicite. Corollairement, on peine à voir comment Astarian et Ferro pourraient continuer de restreindre le concept d’exploitation au travail productif. Surtout que, comme nous l’avons vu, ils ne se sont jamais embarrassés d’une telle restriction lorsqu’il est question de « l’exploitation du prolétariat » ou de « l’exploitation du travail ».

Néanmoins, pour eux, cette restriction n’a aucun effet sur la définition du prolétariat, puisqu’ils ne considèrent pas l’exploitation comme une condition nécessaire pour appartenir à cette classe. Ce n’est que dans leur réponse à notre critique qu’on peut entrevoir comment une telle restriction leur est utile. Et on a beau essayer, on ne peut s’empêcher de voir dans cette restriction autre chose qu’un relent de chauvinisme mâle pour lequel il n’y a pas d’exploitation spécifiquement féminine. Pour Astarian et Ferro, si une femme peut être exploitée dans la société capitaliste, ça ne peut être qu’en tant que prolétaire (et il faut ajouter : employée par le secteur productif). On sait quelles ont été les conséquences politiques d’une telle conception du « problème des femmes ». Bien qu’il nous apparaisse ridicule de devoir expliquer ce qui a été expliqué mille fois avant nous, nous sommes contraint·e·s d’aller de l’avant et de montrer comment le travail domestique peut être exploité. Ainsi, à son niveau le plus abstrait, l’exploitation consiste en un rapport au sein duquel s’échangent, de manière continue et répétée, des prestations de travail non équivalentes (en temps, mais aussi en qualité)[30]. Comme la valeur est du temps de travail matérialisé, l’échange de service contre rémunération revient à échanger du temps de travail contre du temps de travail. Ce qui signifie que lorsque le ou la capitaliste paie ses prolétaires non pas à la hauteur de la valeur effectivement ajoutée à son capital initial, mais uniquement à la hauteur des frais nécessaires à la reproduction de leur force de travail, il s’agit ici aussi d’un échange de prestations de travail non équivalentes; du temps de travail a été échangé contre moins de temps de travail. Or la même chose peut se dérouler à la maison. Delphy a déjà très clairement expliqué comment l’économie domestique peut représenter une forme d’exploitation du travail des femmes par les hommes du ménage[31]. De même, et contre l’idée selon laquelle, dans le couple, le temps de travail total des femmes équivaut à celui des hommes (parce que le travail non rémunéré des femmes serait entièrement compensé par celui, rémunéré, des hommes), on peut observer que le temps « contraint » total des femmes est en moyenne beaucoup plus important que celui des hommes : 66 heures/semaines pour les femmes actives contre 57 pour les hommes actifs et 43 heures/semaines pour les inactives contre 18 pour les inactifs[32]. Les recherches des anthropologues (féministes ou non) parviennent à des résultats remarquablement similaires en étudiant les sociétés dites « primitives »[33]. Il n’est donc pas question de soutenir que les femmes qui effectuent davantage de travail domestique sont nécessairement exploitées par leur conjoint, mais bel et bien que cette éventualité existe et qu’elle correspond, par ailleurs, à la réalité d’innombrables ménages.

Groupe « femme » et appartenance de classe

Dans leur critique, Astarian et Ferro ne s’embarrassent pas toujours de ce que nous disons réellement, ce qui leur facilite naturellement la tâche. C’est effectivement un procédé commode que de déformer une thèse pour la réduire ensuite facilement en pièces. Mais tout ce qu’a de risqué une telle « tactique » doit apparaître dès lors que ceux et celles dont les propos sont déformés ont l’opportunité de répondre. C’est ici particulièrement le cas en ce qui a trait à la question de l’appartenance de classe du groupe « femme ».

Ainsi, Temps Libre rangerait « toute la main-d’œuvre féminine considérée sous-payée dans la même classe sociale, d’une part, par la présomption qu’elle serait forcément improductive (donc ipso facto membre de la classe moyenne), d’autre part par la mobilisation d’une conceptualisation ad hoc (les ”travaux participant à la reproduction directe de la force de travail” …)[34]» Quand « TL » féminise des notions telles que travailleuse productive et accorde au féminin des adjectifs qui accompagnent la notion de prolétaire, il ne faut pas y voir des pratiques imposées par l’empire du politiquement correct, mais bien plutôt la prise au sérieux du fait que les prolétaires ne sont pas seulement des hommes et corollairement, que le travail productif n’est pas uniquement effectué par des hommes. Ce fait, il est assez difficile d’en avoir conscience lorsqu’on lit par exemple un texte d’Astarian qui, semble-t-il, juge non théoriquement pertinent de rappeler grammaticalement que les hommes ne sont pas les seuls représentants de l’espèce humaine, ni les seuls membres du prolétariat. Si nos critiques avaient réfléchi au sens d’une telle pratique d’écriture, peut-être cela leur aurait-il évité une méprise inutile. Pour rappeler ce qui est déjà clair dans notre dernier numéro, bien que les femmes soient surreprésentées dans le travail improductif subordonné, toutes les femmes ne sont pas sous-payées et toutes les femmes sous-payées ne sont pas membres de la classe moyenne.

Pour Astarian et Ferro, il serait faux de dire que les femmes sous-payées (qui ne reçoivent pas du sursalaire) de la classe moyenne sont pour cela « exclues du sursalaire » ou dit autrement, il serait faux de dire qu’elles ne sont pas sursalariées[35]. En effet, notre point de vue serait biaisé parce que, pour déterminer l’appartenance d’un agent, nous prenons pour point de départ le « porteur individuel de la force de travail », alors que, selon eux, « la cellule de base de la reproduction des différentes forces de travail », c’est le ménage[36]. Par conséquent, il faudrait partir du revenu du ménage pour déterminer si ceux et celles qui en font partie sont, oui ou non, sursalarié·e·s. C’est curieux, mais jamais le revenu du conjoint ou de la conjointe, ni même du ménage, n’était auparavant intervenu chez eux pour déterminer l’appartenance de classe de qui que ce soit. Pour Astarian et Ferro, l’ouvrier qui est payé au prix de la reproduction de sa force de travail est exploité et appartient au prolétariat en tant que sans-réserves, et ce, que son épouse soit cadre ou non. Par contre, pour ce qui est de la caissière, de la préposée aux bénéficiaires, de la vendeuse de parfum, elles… il faut voir, parce que même si elles ne sont pas payées davantage, leur mari gagne « généralement » plus qu’elles, elles restent donc « objectivement associées » au sursalaire. Ce qui, pour eux, implique qu’elles ne sont pas exploitées et ne peuvent pas l’être. Or, à ce qu’on sache, jusqu’ici, « recevoir un sursalaire » signifiait « recevoir un salaire qui excède le prix de la reproduction de la force de travail ». Mais maintenant, « recevoir un sursalaire » signifie (lorsqu’il s’agit d’une femme) « faire partie d’un ménage au sein duquel un de ses membres reçoit un sursalaire ». En parlant d’explication ad hoc

Prenons un pas de recul. Astarian et Ferro, de même que les auteurs de La petite-bourgeoisie en France, ont-ils raison d’accorder de l’importance au patrimoine global dont dispose un ménage, à sa mixité sociale? Bien sûr que oui. Et cela, parce que la prise en compte de ces facteurs nous permet d’aiguiser nos analyses et de comprendre pourquoi tel ou tel agent agit ou n’agit pas conformément à son appartenance de classe. Mais du moment qu’on s’intéresse aux pratiques des agents pour déterminer leur appartenance de classe (travail productif, travail de subordination, extraction de surtravail, etc.) plutôt que par leur degré de rémunération, voire par le patrimoine dont ils disposent[37], il devient absurde de nier le sens de telles pratiques, ce qu’elles impliquent pour la reproduction de la totalité capitaliste, sur la base… du revenu du ménage. Un flic a beau marier une prolétaire, il n’en est pas moins un flic et sa femme, une prolétaire. C’est que tout simplement, un·e exploité·e n’est pas moins exploité·e par son boss si l’un·e ou l’autre des conjoint·e perçoit un sursalaire. L’exploitation a lieu et ce qui arrive après ne regarde en rien le rapport qui lie les deux agents. Astarian et Ferro nous servent justement une théorie des classes digne des Guizot et Cie lorsqu’ils considèrent le ménage comme l’unité de base de la classe : les ménages pauvres (qui ne peuvent accumuler de patrimoine), les ménages intermédiaires et les ménages très riches qui ont de gros patrimoines.

Par ailleurs, nous soutenons que le fait de reproduire directement la force de travail constitue l’une des cinq grandes fonctions qu’effectue la classe moyenne et nous affirmons de plus que les femmes sont surreprésentées dans les travaux qui y sont associés. Contre cette idée, voilà ce qu’en disent Astarian et Ferro :

À notre avis, il y a plusieurs incohérences dans cette tentative de circonscrire un ensemble d’activités ou de branches (forcément improductives d’après TL) constituant la reproduction « directe » de la force de travail. TL inclut dans cet ensemble mal défini certaines activités et pas d’autres. Sur la base de quel critère? On ne sait pas.[38]

Tout d’abord, il est faux d’affirmer que pour nous, il existe des activités qui sont forcément, nécessairement improductives; nous nous bornons à constater le fait que certaines d’entre elles ont été historiquement exclues de la production de plus-value, et ce, parce que le capital n’a jamais jugé profitable de s’en emparer sur une large échelle[39]. Y a-t-il des écoles privées, des cliniques privées, des résidences pour personnes âgées privées, c’est-à-dire des entreprises offrant des services « de reproduction directe » dont l’objectif est de faire du profit? Bien évidemment. Mais au Québec, par exemple, l’essentiel des services d’éducation et de soins est fourni plus ou moins « gratuitement »[40] par l’État et – ce qui est autrement fondamental – selon une tout autre logique que celle présidant à l’entreprise capitaliste. C’est un fait d’une immense importance, parce qu’il place ceux et celles qui fournissent ces services dans un rapport totalement différent au capital et par là, à la totalité sociale. Ensuite, il est remarquablement malhonnête de soutenir que nous ne fournissons pas de critères à même de discriminer quelles activités doivent être comprises comme « reproduisant directement la force de travail ». Voici ce qui est dit, aux pages 194 et 195 :

Ce que nous entendons par « reproduction directe », ce sont tous les travaux absolument nécessaires pour que la force de travail puisse se rendre quotidiennement au travail et y être apte. Par là, nous excluons toute activité propre, exclusive à la reproduction de la classe capitaliste et des couches non subordonnées de la classe moyenne. (…) La reproduction directe de la force de travail désigne donc les activités consistant à former et à soigner la force de travail, ainsi que celles lui permettant d’aller travailler – notamment la charge des enfants, des personnes âgées et des personnes non autonomes.[41] (Nous soulignons)

Astarian et Ferro se demandent franchement si le transport public répond à ces critères. Nous les aiderons : consiste-t-il à former ou à soigner la force de travail? Non. Dans ce cas, décharge-t-il quiconque du fardeau de prendre en charge les enfants, les personnes âgées ou les personnes non autonomes? Non. Est-il alors, au minimum, par quelque côté que ce soit, comparable aux tâches tout juste mentionnées? Non plus. Conclusion : les chauffeur·euse·s d’autobus, de taxi, les pilotes d’avion, les conducteur·rice·s de trains, de bateaux, d’hélicoptères ne reproduisent donc pas directement la force de travail. Vaut-il même la peine de répondre à l’objection selon laquelle il n’y aurait aucune raison de ne pas ranger là les flics? Non seulement les flics sont très, très loin d’effectuer des tâches de la nature dont nous venons de parler, mais en plus, ils ont droit à une fonction bien à eux, à savoir celle dont « l’objectif est de museler, de contenir et d’écraser tout ce par quoi le refus du monde actuel se manifeste.[42] » Ne va-t-il pas de soi que les différences existant entre l’activité concrète des infirmières et celle de flics justifient, du point de vue d’une théorie des classes, qu’on les traite différemment?

Division sexuelle du travail et histoire du patriarcat

À partir de leur critique concernant notre analyse de la surreprésentation des femmes au sein des couches faiblement rémunérées de la classe moyenne, Astarian et Ferro s’aventurent sur le terrain de l’histoire. Ce faisant, ils aboutissent à des conclusions révolutionnaires du type « les théories contemporaines du genre ne sont que le produit de 300 000 ans d’humanisation du rapport à la nature » ou encore « les luttes féministes n’ont aucun réel potentiel subversif ». Tenez-vous bien, le chemin est tumultueux. La première thèse à laquelle nos auteurs s’attaquent est la suivante : dans l’intégration des femmes au travail salarié, il y a continuité et renforcement de la division sexuelle du travail qui relègue les femmes au travail reproductif. Dit autrement, l’intégration des femmes dans le travail salarié se fait sur la base d’une division sexuelle au sein du travail salarié et, plus encore, ce travail s’ajoute aux tâches domestiques qui leur sont encore majoritairement déléguées (d’où la pertinence du concept de double journée de travail). Astarian et Ferro affirment ne pas vouloir « nier la continuité évoquée par TL, entre les tâches effectuées à la maison et dans le salariat ». Mais, espérant nous opposer une objection destructrice, ils remarquent avec perspicacité qu’« elle n’est pas systématique[43] », c’est-à-dire que cette continuité ne concerne pas 100 % des individus associés au groupe femme. Une telle objection doit-il laisser penser que nos auteurs considèrent que la division sexuelle du travail relève de la pure contingence – étant donné sa non-systématicité – et qu’en ce sens, ce phénomène ne mérite pas vraiment d’analyse? C’est en tout cas ce qui semble confirmé par leur absence marquée d’intérêt par la question. Or, suivant ce type de raisonnement, nos auteurs devraient également conclure que, puisqu’il arrive que des enfants de prolétaires deviennent des capitalistes, la reproduction sociale des classes « n’est pas systématique » et ne mérite donc pas qu’on en parle. De manière connexe, Astarian et Ferro soutiennent qu’on ne peut pas vraiment parler d’exclusion des femmes de la production de plus-value, parce « que les choses ne sont pas si simples » : il y a en effet des femmes qui effectuent un travail productif. Convenons que l’expression aurait pu être plus rigoureuse (toutes les femmes n’ont pas été historiquement exclues, mais elles l’ont été massivement). Ceci étant dit, cela ne supprime en rien la nécessité d’expliquer un phénomène qui persiste, malgré d’innombrables reconfigurations, depuis l’avènement du mode de production capitaliste. Et par ailleurs, cela ne rend pas moins banale l’objection qu’on nous oppose. La question qui se pose reste la même : y a-t-il oui ou non, une constance quelconque dans ce phénomène d’exclusion? Si oui – et ils le reconnaissent eux-mêmes –, alors il faut l’expliquer. Et dans ce cas, comment faire?

Première option. S’armer des Manuscrits de 44 de Marx – comme le font Astarian et Ferro – pour espérer trouver un point d’appui nettement plus solide et exhaustif pour penser le genre que ce que la théorie féministe a pu produire au cours des 75 dernières années et ainsi corriger « les théories contemporaines du genre ». À travers la réponse de nos auteurs, on apprend que les « rapports sociaux de sexe » font partie des rapports de l’homme (!) à son corps organique, eux-mêmes déterminés par la transformation du rapport de l’homme (!) à son corps inorganique[44]. Qu’est-ce qu’on retrouve derrière cette terminologie fumeuse? Rien d’autre que la bonne vieille thèse selon laquelle le rapport de genre n’est qu’un problème superstructurel, qu’il est de nature quasi immatérielle parce que non médiatisé par la nature, qu’il est entièrement déterminé par les rapports de classes et que celui-ci sera automatiquement solutionné par la révolution communiste, sans qu’il soit nécessaire de lutter spécifiquement sur le terrain du patriarcat. Astarian et Ferro nous disent donc avec précision comment ils conçoivent la subversion du genre :

une nouvelle phase [du rapport de genre] interviendra soit dans la prochaine restructuration du capital, soit dans un soulèvement victorieux du prolétariat. Dans le premier cas, elle se fera comme évolution fonctionnelle des rapports capitalistes, comme cela a été le cas lors des restructurations fordiste et post-fordiste. Dans le deuxième cas, elle se fera comme individualisation des prolétaires (hommes et femmes) dans l’insurrection.[45]

Sur ce sujet, l’ensemble de l’argument d’Astarian et Ferro repose sur le fait qu’ils rangent les « rapports sociaux de sexe » dans les seules transformations du « rapport au corps organique » (de l’homme). Ces rapports de sexe n’auraient donc rien à voir avec celles du rapport au corps inorganique (de l’homme), c’est-à-dire avec « la nature au sens fort du terme »[46]. Il faudrait nous dire ce que signifie ici un « rapport à la nature au sens fort du terme », puisque celui-ci semble exclure le fait d’enfanter, de transformer des aliments pour nourrir sa famille, de rendre habitable l’espace de vie, bref de réaliser toutes les tâches qui relèvent du travail domestique. Pour des gens qui tiennent à ramener le genre à sa « présupposition naturelle », il est surprenant de voir à quel point Astarian et Ferro ignorent les conditions naturelles minimales de reproduction de l’espèce humaine. Et si nos auteurs tiennent à se limiter au cadre étroit des manuscrits laissés non publiés par le jeune Marx, peut-être serait-il pertinent de relire plutôt ceux où celui-ci parle de la famille comme première forme de la division du travail où l’exploitation existe déjà comme « libre disposition de la force de travail d’autrui[47] ». Si dans notre second numéro nous dédions une section aux effets de la division sexuelle du travail sur les divisions en classes et en fractions de classe du mode de production capitaliste, c’est précisément parce que le genre ne peut être réduit à un rapport immatériel, culturel, qui serait entièrement déterminé par le rapport de classes. Ou pour parler comme nos philosophes attitrés du genre : les rapports de genre font eux aussi partie « des rapports de l’homme à son corps inorganique ».

Seconde option, plus osée celle-là. Devant l’inanité de la première option, s’intéresser à ce que des féministes ont à dire là-dessus. À ce titre, Sylvia Federici est l’une des autrices dont les travaux sont les plus instructifs relativement à l’histoire du genre dans ses rapports à l’émergence du mode de production capitaliste. C’est pourquoi, pour traiter de la division sexuelle du travail d’un point de vue historique, il est indispensable de s’y référer – ne serait-ce que de manière critique. Saisissant l’occasion au vol, Astarian et Ferro ne peuvent quant à eux résister à la tentation de faire le procès de son ouvrage Caliban et la sorcière et de nous associer à des thèses et des concepts complètement étrangers aux nôtres. À suivre Astarian et Ferro, il semblerait que citer une autrice implique désormais d’appuyer l’entièreté de son corpus théorique. De l’intérêt que nous accordons à l’analyse qu’offre Federici de la transformation des rapports de genre lors de l’émergence du capitalisme, nos critiques extrapolent une communauté d’idées parfaite entre elle et nous : prolétariat médiéval, sphère de la reproduction comme source de valeur, théorie de la transition – tous ces éléments seraient endossés par Temps Libre, parce que… nous avons repris l’idée selon laquelle l’émergence du mode de production capitaliste n’a été possible que sur la base d’une division sexuelle du travail précise qui n’a pu être établie que par des procédés violents. Pareillement, bien que nous citions Astarian et Ferro en vertu de l’intérêt de la notion de sursalaire qu’ils ont contribué à développer, nous serions bien embêté·e·s de nous porter à la défense du concept de travail productif qu’ils utilisent.

Au final, la seule critique sérieuse porte sur le lien de causalité que nous établissons entre le phénomène de répression des femmes à l’époque de la chasse aux sorcières et celui de l’augmentation démographique de l’Europe ayant permis l’extension de l’exploitation de la force de travail. Comme première objection, Astarian et Ferro soutiennent qu’un tel lien ne peut être établi, parce que la reprise démographique s’effectue dès 1450, soit avant la période de la chasse aux sorcières. Malheureusement, cette critique tire complètement à côté de sa cible : lorsque Federici insiste sur le rôle de la répression des femmes et de la sexualité non reproductive dans la reprise démographique, elle fait explicitement référence à la reprise qui suit le déclin démographique qui s’amorce en Europe à partir de 1580 (pour atteindre son point culminant vers 1620-1630) et non à celui causé par la crise de la Grande peste de 1346-1351[48]. Ce n’est donc pas la reprise qui suit cette dernière que Federici explique par la chasse aux sorcières, mais celle du XVIIe siècle. Comme seconde objection, Astarian et Ferro affirment que l’augmentation démographique s’expliquerait d’abord par « l’amélioration des conditions hygiéniques et alimentaires portées par une relance de la productivité du travail [49]». Il est certes concevable qu’une telle poussée démographique n’aurait pu avoir lieu sans la réunion de certaines de ces conditions. La question est donc de savoir quel facteur joue ici le rôle décisif : l’amélioration des conditions hygiéniques et alimentaires ou un mouvement de répression nataliste. Mais comme Astarian et Ferro se trompent de siècle, il leur est difficile de défendre de manière convaincante l’idée selon laquelle la reprise démographique qui se déroule à partir de XVIIe s’explique d’abord par « l’amélioration des conditions hygiéniques et alimentaires » en s’appuyant sur des faits… qui relèvent du XVe siècle. Or ce qui est marquant, c’est précisément le fait que, durant la première moitié du XVIIe siècle, coïncident à la fois une crise démographique générale et le développement de toute une série de mesures et de pratiques natalistes (répression de la contraception, de l’avortement, de l’infanticide, etc.) grâce auxquelles finit par être surmontée cette « crise ». À moins de penser la reproduction comme un phénomène purement naturel et entièrement déterminé par les aléas de la sécurité matérielle, il faut prendre au sérieux les interventions sociales effectuées sur les capacités reproductives, justement parce qu’elles ont historiquement rendu possible l’émergence du mode de production capitaliste et transformé durablement les rapports de genre.

Nous convenons du fait que le genre ne peut être analysé indépendamment des rapports de classes, tout comme du fait que le patriarcat n’a pas de dynamique purement autonome; il est notoire que ce dernier est chaque fois bouleversé par le passage d’un mode de production à un autre. Mais il est tout aussi évident que le genre n’est pas lui-même sans effet sur ces transitions. Et c’est précisément dans le sens de ces thèses que nous avons abordé le problème du genre. Inversement, pour Astarian et Ferro, celles-ci semblent impliquer qu’il n’y a rien à dire sur le sujet. Ainsi, plutôt que de fournir une véritable théorie de l’articulation du patriarcat et du mode de production capitaliste, ils esquissent au contraire ce qui s’apparente à une anthropologie générale du genre, teintée à la fois d’un naturalisme vulgaire et d’un optimisme naïf :

Plus fondamentalement, la « subversion du genre » doit être comprise comme un aspect de l’humanisation du rapport à la nature parvenue à un certain stade de développement. [Suit un passage où ils expliquent que les rapports de genre sont déterminés par les rapports de classe] Il est impossible d’en rendre compte sans analyser les rapports de classes (alors que l’inverse est toujours possible). Les théories contemporaines du genre, qu’elles le veuillent ou non, sont un produit de quelque 300 000 ans d’humanisation du rapport à la nature. Contrairement à ce que ces théories prétendent, le sexe (la présupposition naturelle) précède bien le genre logiquement et historiquement. Le genre, c’est-à-dire la présupposition sociale du sexe, ne saurait être une réalité présente au même degré depuis les débuts de l’histoire humaine. C’est un résultat historique. Le « développement progressif du caractère problématique du genre » correspond au stade le plus récent d’approfondissement du rapport à la nature intérieure et extérieure. Mais la « subversion du genre », si l’on tient à appeler ainsi le passage à un degré supérieur d’humanisation du rapport à la nature sous l’angle du sexe (voilà qui est beaucoup plus clair! nda), n’est nullement à la portée des luttes de femmes que TL porte en exemple de leur caractère prétenduement anticapitaliste. Une nouvelle phase de ce rapport interviendra soit dans la prochaine restructuration du capital, soit dans un soulèvement victorieux du prolétariat.[50]

Il y a beaucoup de choses ici. Tout d’abord, le sexe est présenté comme la base explicative du genre, comme le « naturel » sur lequel se développe le « social » Bien que le genre soit caractérisé comme la « présupposition sociale » du sexe, on voit que pour eux le sexe reste logiquement et historiquement premier (« le sexe est la présupposition naturelle du genre ») c’est-à-dire que l’affirmation « le genre est la présupposition sociale du sexe » est vidée de son sens et n’est là que pour jeter de la poudre aux yeux. Bien sûr que le genre est un résultat historique, mais ce que ne voient pas Astarian et Ferro, c’est justement que le sexe aussi est un résultat historique, une catégorie sociale. Les catégories de sexe utilisées pour penser les processus de sexuation différenciés de l’espèce humaine n’en constituent pas le reflet neutre et impartial, elles ne font pas qu’enregistrer ce qui est là. La transformation de ces catégories au cours de l’histoire représente d’ailleurs le premier indice de cette non-identité. Contrairement à ce que prétendent les théories faisant du sexe le fondement naturel et inébranlable sur lequel s’ajoutent ensuite des déterminations sociales (le genre), les traits biologiques que l’on rassemble sous les catégories de « sexe » ne se répartissent pas en deux groupes rigides, mutuellement exclusifs et conjointement exhaustifs. Chez l’humain, le sexe est au contraire fondamentalement polymorphe, c’est-à-dire que coexistent, chez une grande part des individus, des traits associés tantôt à l’un, tantôt à l’autre sexe[51]. La bicatégorisation du sexe est beaucoup plus un présupposé de l’observation qu’un résultat de celle-ci. Les déterminations biologiques que l’on attribue au sexe sont certes naturelles, mais la division de celles-ci en deux catégories distinctes (mâle/femelle) n’est possible que sur la base du genre, qui, précisément, assigne des traits déterminés à ces catégories[52]. En réalité, l’unité des sexes mâle/femelle n’a de sens que par rapport à des préoccupations sociales, telles que celles consistant à vouloir identifier les corps capables de mener à terme une grossesse.

En quoi la position que soutiennent Astarian et Ferro se distingue-t-elle de la bonne vieille position des curés qui veulent fonder en nature les identités de genre? Fort étrangement, par sa similitude avec la conception kantienne du développement historique. Chez Kant, l’histoire humaine progresse suivant une courbe asymptotique qui tend vers la paix universelle; en résolvant les conflits que suscite la nature humaine par la création de nouvelles règles, l’espèce humaine moralise progressivement le monde jusqu’à instaurer un système cosmopolite d’équité parfaite. Remplacez la morale par le genre et vous obtenez approximativement l’anthropologie du genre d’Astarian et Ferro : d’êtres barbares, purement sexuels, qu’ils étaient, les êtres humains deviennent vraiment humains « en humanisant » leur rapport à la nature par l’intermédiaire du genre. Avant que ce dernier n’eût existé, l’homme et la femme se comportaient vis-à-vis de l’autre de manière bestiale et animale, mais cela change lorsque le genre apparaît, puisqu’il produit ses effets civilisateurs et nous fait passer d’un degré sans cesse supérieur « d’humanisation de la nature ». En établissant des règles et en produisant des identités genrées par lesquelles le mâle devient homme et la femelle, femme, les êtres humains façonnent la nature (le sexe) à leur image. Le genre occupe une fonction historique progressiste : le degré de sophistication qu’il atteint nous permet de mesurer la maîtrise qu’a l’homme sur sa propre nature, sur son sexe. Au contraire de ce que dit Temps Libre, il faut donc penser la véritable « subversion du genre » comme le « passage à un degré supérieur d’humanisation du rapport à la nature sous l’angle du sexe »; loin d’espérer la disparition du genre, Astarian et Ferro semblent souhaiter qu’il devienne encore plus réel, qu’il s’épanouisse davantage. C’est pourquoi lorsque ceux-ci parlent d’« individualisation des prolétaires (hommes et femmes) dans l’insurrection », il n’y a aucune raison d’y voir là, comme on pourrait s’y attendre, le souhait que cette individualisation se fasse contre l’assignation à un sexe et à un ensemble d’attributs genrés. Bien au contraire, tout porte à croire qu’une telle assignation leur apparaît naturelle et indépassable.

Comment le patriarcat se modifie-t-il au fil de l’histoire pour participer activement à la reproduction des différents modes de production? Pourquoi y a-t-il une permanence du rapport de genre à travers l’ensemble des sociétés de classes? Voilà des questions qui n’intéressent pas vraiment Astarian et Ferro. Pour eux, il semble suffisant d’affirmer que le sexe est anhistorique, que le genre est, lui, historique et que nous atteindrons un nouveau degré d’humanisation du rapport à la nature, que ce soit dans la restructuration ou suite à un soulèvement victorieux du prolétariat.

 

 

  1. Insurrection et révolution

 

 

Théorie des classes, théorie de la révolution

 

Nous avons déclaré, dans notre dernier numéro, qu’une théorie communiste des classes doit nécessairement être, en même temps, une théorie de la révolution. Astarian et Ferro affirment pour leur part être restés « sur leur faim » quant à cette dernière, n’ayant pas trouvé ce qu’ils attendaient y trouver. Ce qui pour eux constitue le « noyau de la théorie communiste », l’insurrection, y est absent. C’est un fait que nous ne l’abordons pas. Et pourquoi? Tout simplement parce que nous cherchons à mettre en évidence le lien intime qui unit le cours normal du développement du capital et la révolution en montrant que ce cours est contradictoire, c’est-à-dire qu’il porte en lui-même la possibilité de son dépassement. Mais une théorie communiste des classes doit précisément être en mesure de rendre compte d’un tel lien dans sa façon de définir les classes du mode de production capitaliste. En analysant l’activité spécifique du prolétariat au sein des rapports de production (le travail productif), l’identité de ce qui le définit comme classe et de ce qui en fait une classe révolutionnaire apparaît : son activité participe du caractère contradictoire du capital (en même temps qu’il le reproduit, il lui rend la vie plus difficile en lui résistant) tout en étant le seul groupe de la société en mesure d’assurer, lorsqu’éclate une crise profonde, la suppression du rapport d’exploitation capitaliste (au sens où il est le seul capable d’en garantir l’arrêt généralisé et de redémarrer la production sur une base post-capitaliste). Les crises, ces accoucheuses de révolutions, n’apparaissent quant à elles plus comme une fatalité qui s’impose au prolétariat, mais comme le produit de son activité à lui aussi : il reproduit les conditions de son exploitation en cherchant à l’atténuer, à tel point qu’elle finit par devenir impossible dans les conditions qui prévalaient.

Ainsi, relativement à la tâche que nous nous sommes donnée – définir les classes du mode de production capitaliste, leur fonction au sein de la totalité sociale et par là, leur (in)capacité à prendre des mesures suffisantes pour dépasser la société capitaliste –, parler de l’insurrection ne nous aurait pas beaucoup avancé. Il ne s’agissait pas de décrire la manière dont se déroule un processus pré-révolutionnaire à partir du cours quotidien de la lutte des classes, mais bien d’identifier les conditions à partir desquelles un groupe de la société peut non seulement bloquer la reproduction du rapport social d’exploitation capitaliste, mais instaurer des rapports sociaux entièrement nouveaux, et ce, de manière pérenne. À cet égard, le prolétariat est révolutionnaire à au moins deux niveaux. Tout d’abord, en tant que classe du travail productif, il participe, de par son activité quotidienne la plus banale, à provoquer la crise, tout comme le fait à sa façon – et malgré elle – la classe capitaliste. Leur lutte, ouverte ou latente, détermine dans ses grandes lignes le cours historique contradictoire du capital qui ne peut que déboucher sur des crises. Mais surtout, le prolétariat est la seule classe qui, dans celles-ci, peut assurer une reprise de la production non capitaliste, c’est-à-dire qui soit capable de supprimer la base matérielle de la production capitaliste et, sur ses ruines, d’en organiser une nouvelle. En ce sens, la théorie de l’insurrection se fonde sur la théorie plus générale de la révolution : elle en constitue une partie certes indispensable, mais elle ne peut rendre compte par elle-même de ces éléments fondamentaux. Cela, Astarian et Ferro ne le voient pas. Et c’est pourquoi ils nous reprochent d’escamoter le moyen terme que représente l’insurrection – ce qui nous priverait de la capacité à comprendre le passage entre les luttes quotidiennes et la révolution communiste comme rupture. En faisant jouer un rôle central à la contradiction entre travail nécessaire et surtravail au sein de la société capitaliste, nous aurions « refusé » de venir sur leur terrain, c’est-à-dire d’insister sur les différences qualitatives qui séparent les différents stades de la lutte du prolétariat et de même, d’accorder aux insurrections le statut de « noyau de la théorie » et celui de « périphérie » aux luttes quotidiennes et révolutionnaires.

Pourquoi et comment le prolétariat peut-il faire la révolution?

 

Ce qui rend peut-être difficilement assimilable, pour Astarian et Ferro, la divergence d’idées qui nous oppose à eux, c’est que nous posons le problème de la révolution dans des termes différents. Ces derniers raisonnent à partir d’une observation qui semble, à première vue, évidente : les insurrections ont historiquement été le fait du prolétariat et puisque la révolution n’est possible que sur la base de l’insurrection, c’est le prolétariat qui sera conduit à mener à son terme le dépassement du mode de production capitaliste. Mais plus précisément, pourquoi le prolétariat est-il, selon Astarian et Ferro, amené à faire la révolution et comment la fait-il? Pour eux, cela va de soi : le prolétariat est révolutionnaire, parce qu’il est la classe des sans-réserves, ce qui veut dire que lorsque la crise éclate, les prolétaires n’ont plus aucun autre moyen de survivre que de s’insurger et, s’ils et elles en ont la chance, de faire la révolution. Ainsi, dans un premier temps, l’éclatement d’une crise profonde forcera celui-ci – en tant qu’il se compose de sans-réserves et que, par hypothèse, le capital cesse d’employer la force de travail – à s’emparer d’éléments du capital pour ne pas crever de faim et pour se donner les moyens de lutter contre la répression[53]. C’est pourquoi la saisie de moyens de production et l’armement du prolétariat constituent, selon Astarian et Ferro, les deux critères permettant d’identifier une situation insurrectionnelle[54]. Du fait de cette crise, le prolétariat est amené à s’attaquer à ce qui représente pour eux le « cœur » du rapport social capitaliste : « le monopole de la propriété capitaliste sur les conditions de la reproduction matérielle des prolétaires. [55] » L’insurrection constitue donc ce moment où de larges masses prolétariennes se soulèvent dans une logique qui rompt avec celle caractérisant les luttes quotidiennes. En effet, si ces dernières se limitent généralement à une refonte plus « équitable » du rapport d’exploitation, les luttes insurrectionnelles se caractérisent par des pratiques dont l’objectif est de garantir la survie immédiate du prolétariat à l’extérieur du rapport d’exploitation capitaliste[56]. Cette situation spéciale fournit donc l’occasion de l’élaboration d’un rapport social nouveau, où les individus sont contraints d’apprendre à se reproduire sans passer par l’intermédiaire du capital. À ce titre, la confiscation d’éléments du capital en vue d’assurer la reproduction matérielle des insurgé·e·s et de bloquer celle des capitalistes est incontournable, autant que l’est celle des armes qui permettent de défendre cet acquis.

Mais pour assurer sa survie dans la durée, le prolétariat sera dans un deuxième temps contraint de reprendre en main ce qui constituait jusque-là le capital productif pour s’en servir à son compte, que ce soit en le transformant ou en le détruisant simplement. Dans ce contexte, la prise en charge de la production se fera néanmoins de manière non capitaliste, c’est-à-dire qu’elle sera amorcée suivant d’autres règles que celles présidant à l’organisation capitaliste du travail ; les prolétaires seront tout simplement forcé·e·s, compte tenu du caractère extraordinairement tumultueux de la lutte des classes, de produire de manière non productiviste et non normalisée, c’est-à-dire d’improviser, de «produire par bricolage»[57]. C’est de là seulement que se dégagera la possibilité de l’abolition effective des classes et des catégories du mode de production capitaliste. Ce deuxième moment correspond à la révolution proprement dite, à la communisation. L’aspect purement négatif de l’insurrection finit par laisser place à une réorganisation de la production qui rend positivement irreproductibles les anciens rapports sociaux.

Il faut faire ici deux remarques. Premièrement, ce qui découle de tout ce schéma, c’est que ce qui fait du prolétariat une classe amenée à faire la révolution — et effectivement capable de réaliser cette tâche — repose uniquement dans le fait que ses membres sont dépourvu·e·s de réserves, c’est-à-dire que tout repose dans sa précarité présumée. Dans ce cas, pourquoi prendre la peine de s’embarrasser du concept de prolétariat et ne pas dire bêtement et simplement : les pauvres feront la révolution parce que, pour survivre, ils et elles n’auront pas le choix de la faire? En cherchant à savoir comment et pourquoi, selon Astarian et Ferro, le prolétariat est la classe susceptible d’abolir le mode de production capitaliste, on finit par comprendre qu’il est accessoire que celui-ci soit partie prenante de la contradiction qui meut la société capitaliste.

Deuxièmement, il y a chez eux une incohérence flagrante. D’un côté, le passage de l’insurrection à la révolution est caractérisé (à juste titre) comme le moment où ce qui constituait jusqu’alors le capital productif est massivement repris en main et transformé de manière à répondre aux besoins matériels les plus variés des insurgé·e·s/révolutionnaires : la production reprend, mais sur les ruines du précédent mode de production. C’est donc à ce moment seulement que l’objectivité matérielle du capital – sa base matérielle – commence à être supprimée de manière définitive. La révolution communiste proprement dite, c’est cela. Mais de l’autre côté, Astarian et Ferro désignent explicitement les sans-réserves comme le sujet de ces transformations. Le problème, c’est que ce ne sont pas tous les sans-réserves qui peuvent opérer ce passage, c’est-à-dire réorganiser la production dans des conditions extraordinaires, anarchiques, chaque fois singulières et ainsi assurer la reproduction matérielle des insurgé·e·s/révolutionnaires. Voler des morceaux de tôles pour se construire des barricades, tout le monde peut le faire : le commis du dépanneur comme l’ouvrière de l’industrie automobile. Mais pour résoudre des problèmes liés à la production de tels ou de tels objets jugés nécessaires par les révolutionnaires, il faut s’y connaître un minimum : être familier.ère avec les procédés de fabrication, savoir utiliser telle ou telle machine, tel outil, connaître moindrement les matériaux entrant dans la composition de l’objet. Bref, il faut avoir travaillé dans le secteur, voire dans un site de production déterminé. L’initiative et l’imagination peuvent pallier l’expérience dans une certaine mesure, mais cette mesure doit diminuer radicalement suivant le degré de complexité de fabrication d’un objet. Or, il est évident que pour produire sur une base moindrement massive, la production ne peut manquer d’être moindrement complexe. Et c’est d’autant plus le cas en ce qui a trait à la fabrication de certains objets spécialisés qui resteront, au moins pour un temps, indispensables (matériel médical, technologie de pointe, approvisionnement énergétique, etc.). Aussi faut-il insister sur le fait que le travail manuel auquel est relégué le prolétariat lui apprend néanmoins à produire – aussi étriqué et aliénant cet apprentissage soit-il. Même la production capitaliste hautement développée – qui repose pour une grande part sur le travail intellectuel des spécialistes – est impensable sans l’inventivité et la débrouillardise quotidienne des travailleur·euse·s manuel·le·s. Ainsi, les véritables sujets de ces transformations au sein de la production et plus généralement, au niveau de la révolution communiste, ce sont les travailleuses et travailleurs productif·ve·s. Non pas les sans-réserves. Être sans-réserve, voilà la détermination en vertu de laquelle on est sujet de l’insurrection : c’est d’abord en tant que tel que les individus pillent et se battent contre la reprise du travail capitaliste. Nul besoin d’être prolétaire – travailleur ou travailleuse productif·ve – pour s’insurger de la manière décrite (correctement) par Astarian et Ferro. Mais dès que le centre de l’insurrection se déplace et qu’il devient à nouveau impératif de produire, c’est le prolétariat, comme classe du travail productif, qui reprend les devants de la scène. Les prolétaires peuvent très bien être le sujet central de ces deux moments, mais ils et elles ne le sont pas en vertu de la détermination.

C’est pourquoi nous sommes porté·e·s à croire que, lorsque Ferro et Astarian parlent du prolétariat comme « classe des sans-réserves employé·e·s par le capital », c’est parce qu’ils sentent que ce n’est pas suffisant d’être pauvre pour faire partie de la classe sans laquelle la révolution est impossible. Mais cette intuition, si elle existe vraiment chez eux, ne parvient jamais à s’imposer de manière à résoudre la tension qui traverse leur théorie du prolétariat. Ou bien le prolétariat, comme classe des sans-réserves, n’est qu’en partie révolutionnaire (seule une part des sans-réserves est réellement en mesure de prendre des mesures communisatrices) et il n’est donc pas vraiment une classe révolutionnaire, ou bien une telle définition du prolétariat est tout simplement trop extensive. Or, du moment que le prolétariat est défini par son activité plutôt que par un quelconque statut socio-économique, cette difficulté s’évanouit.

Par conséquent, malgré ce qu’en disent Astarian et Ferro, notre théorie est donc tout à fait capable de répondre aux questions du pourquoi et du comment relatives au rôle révolutionnaire du prolétariat. Comme nous l’avons vu, notre approche consiste, pour ce faire, à partir de la position fonctionnelle des agents dans la reproduction contradictoire de l’ensemble. Pourquoi le prolétariat peut-il provoquer la révolution? Parce que son activité spécifique – produire de la plus-value – le place dans une position telle que seul celui-ci peut effectivement faire cesser la reproduction du capital sur une échelle suffisamment large pour que le capital entre dans une crise profonde. Comment peut-il mener à terme la révolution? Il est le seul qui soit en mesure de rendre irreproductible le rapport d’exploitation capitaliste en assurant une reprise de la production telle qu’elle donne le coup de grâce au capital.

Luttes quotidiennes et contradiction prolétariat-capital

 

Remarquons en premier lieu que, dans leur réponse, nos contradicteurs nous attribuent une idée qui nous est étrangère. Ceux-ci nous réprouvent en effet une « contradiction toute formelle du travail productif à la fois nécessaire et de trop ». Pourtant, nulle part nous ne parlons de la « contradiction du travail productif ». Restituons les faits : en tant qu’activité du prolétariat, le travail productif correspond à l’un des pôles de la contradiction prolétariat-capital et non pas à la contradiction elle-même. S’il s’agit d’une nuance, la différence est de taille. Le prolétariat est engagé dans un rapport contradictoire au capital en tant qu’il est la classe qui effectue le travail productif; en même temps qu’il est nécessité par le capital, ce dernier tend à l’éjecter du procès de production. D’ailleurs, contre cette idée, Astarian et Ferro soutiennent que le prolétariat occidental n’aurait pas vraiment décru quantitativement, mais qu’il aurait seulement été délocalisé et qu’en ce sens, on ne pourrait y voir l’expression d’un procès contradictoire, mais seulement celle d’une « tendance qui a ses contre-tendances[58] ». Admettons que ce que perdent les pays occidentaux est tout entier gagné par des pays dont la composition organique du capital est plus faible. Nous aimerions bien qu’ils nous expliquent comment il est possible, compte tenu du progrès constant de la productivité du travail, que la part de la population qui se consacre à la production matérielle (ce qui inclut le prolétariat) ne diminue pas relativement à long terme. Le prolétariat mondial peut évidemment croître du fait de la dissolution de modes de production précapitalistes, mais ce mouvement est limité historiquement et ses effets sont appelés à se faire toujours moins sentir. Si Astarian et Ferro sont d’avis que le prolétariat croît et doit croître indéfiniment (absolument et relativement), qu’ils l’affirment franchement.

Nous avons déjà vu que les critiques que nous adressent Astarian et Ferro peuvent enchaîner des raisonnements à développement logique variable. Après avoir concédé notre apport à leur théorie de l’encadrement – qui consiste à montrer que le sursalaire n’est pas uniquement justifié par un travail de direction/surveillance –, ils nient dans la phrase suivante ce qui fait de notre apport un apport. À travers ce qui suit, nous verrons que nos auteurs se prêtent au même genre d’exercice et rendent par là leur critique sur la nature de la contradiction du surtravail de plus en plus confuse. Dans un premier temps, Astarian et Ferro nous reprochent d’accorder, à l’instar de Théorie communiste, une aussi grande importance à la contradiction du surtravail, au fait que, « pour la première fois, la classe productive est à la fois toujours nécessaire, à la fois toujours de trop »[59]. Pourquoi? Parce qu’il s’agirait uniquement d’une « belle formule ». La contradiction qu’elle définit serait « toute formelle », trop « logique » – ce qui est d’ailleurs uniquement un problème pour qui réduit la logique à la logique formelle, c’est-à-dire pour qui sépare rigidement la logique de la réalité. Devrait-on en comprendre que cette contradiction (parce que trop « logique ») n’en serait une que dans l’esprit, comme les myriades d’antinomies métaphysiques dont les professeur·e·s d’université raffolent? Cherchent-ils à dire que la contradiction entre travail nécessaire et surtravail est du même ordre que les expériences de pensée qui spéculent sur l’inexistence du monde extérieur? Mais malgré ce reproche, ceux-ci tranchent, dans un deuxième temps, sur le fait que « la contradiction mise en avant par TL n’en est pas une[60] » et qu’il s’agit plutôt d’une « tendance ». Il faut pourtant savoir se décider : s’agit-il d’une contradiction ou d’une simple tendance?

Prenons toutefois pour acquis qu’ils optent pour la seconde option. Selon eux, il y aurait donc la « vraie contradiction », celle qui oppose les deux classes fondamentales et, comme résultat de celle-ci, une tendance (le prolétariat qui est toujours nécessaire mais toujours de trop). Chez eux, la vraie contradiction se traduit plus précisément par l’opposition entre prolétariat et classe capitaliste pour la fixation du curseur du surtravail :

Le rapport entre les deux classes de la société capitaliste se calque sur le rapport entre travail nécessaire et surtravail. Tandis que les prolétaires cherchent naturellement à augmenter le temps du travail nécessaire, c’est-à-dire la valeur de leur force de travail, les capitalistes n’achètent cette même force de travail que pour sa capacité à travailler au-delà de ce qui lui est nécessaire pour se reproduire, autrement dit à produire de la plus-value.[61]

Notons au passage qu’on ne sait pas très bien pourquoi, de leur point de vue, le fait de produire de la plus-value pourrait exprimer une opposition entre des classes, parce qu’il est selon eux contingent qu’un·e prolétaire produise de la plus-value. Autrement, inutile d’insister sur le fait que cette opposition est « contradictoire » dans un sens assez pauvre. Ce qui, seul, fait son caractère contradictoire, c’est que chaque fois qu’une classe parvient à déplacer le curseur du surtravail en sa faveur, elle le déplace en défaveur de l’autre; chaque sou gagné l’est au détriment de l’autre. Utilisé dans ce sens, le mot « contradiction » ne signifie pas autre chose qu’« antagonisme ». On pourrait tout aussi bien remplacer toutes les occurrences du premier par le second, cela ne changerait rien à ce qu’ils disent. On comprend bien pourquoi, avec une conception aussi étriquée du concept de contradiction, Astarian et Ferro ne voient pas en quoi le caractère contradictoire du cours quotidien du capital fait en sorte qu’il peut et doit déboucher sur autre chose. Lorsque nous parlons de la contradiction entre le prolétariat et le capital, c’est-à-dire de la contradiction entre le travail nécessaire et le surtravail au sein du mode de production capitaliste, nous ne référons pas uniquement au conflit pour la division de la journée de travail. Pour parler de contradiction au sens strict, il ne faut pas seulement démontrer qu’un conflit oppose deux termes, mais également que ceux-ci sont impliqués dans un rapport dont les conditions interdisent la pérennité du rapport lui-même. Ainsi, pour parler de la contradiction entre le travail nécessaire et le surtravail, il ne suffit pas d’énoncer l’existence de ces deux termes, mais plutôt d’analyser les lois tendancielles qui rendent l’exploitation du surtravail de plus en plus problématique. Du reste, le fait que le prolétariat « soit toujours nécessaire et toujours de trop » n’exprime en rien une tendance : au contraire, il définit positivement une contradiction qui, elle, s’exprime notamment par la tendance à la diminution du poids démographique du prolétariat au sein de la société capitaliste.

Par conséquent, quand Astarian et Ferro indiquent que la diminution relative du « travail productif […] sous l’effet de l’accumulation du capital » est la tendance de la contradiction fondamentale et non la contradiction elle-même, ils disent donc quelque chose de juste, mais ils semblent ignorer qu’une contradiction sans tendance, sans dynamique, n’est qu’une opposition statique seulement bonne pour les exercices d’introduction à la logique. Si nous pouvons parler d’une contradiction dans la réalité et non simplement d’un antagonisme ou d’une contradiction dans la pensée – c’est-à-dire une erreur de raisonnement –, c’est précisément parce que nous avons affaire à une contradiction en procès qui ne peut être séparée de sa tendance. Pour exemplifier tout cela, prenons quelques contradictions purement formelles, afin de voir ensuite ce qui les distingue d’une contradiction dialectique.

Contradictions formelles :

  1. A: Il n’y a pas de travail non exploité.

-A: Le travail improductif n’est pas exploité.

  1. A: L’insurrection n’est pas un « scénario imaginé » par Astarian, mais un phénomène historique observable dans l’histoire du mode de production capitaliste.

-A: Il n’y a pas de précédent historique au scénario insurrectionnel rendant possible la communisation.[62]

  1. A: La notion de travail de subordination explique avec plus de précision ce qui justifie le sursalaire.

-A: La notion de travail de subordination n’explique pas ce qui justifie le sursalaire.

Ici, nous avons affaire à de simples fautes de raisonnement qui ne concernent pas la dynamique contradictoire de la réalité sociale, mais uniquement l’esprit d’auteurs pensant pouvoir faire coexister ces propositions. Inversement, lorsque nous reprenons la formule de Théorie communiste affirmant que le prolétariat est à la fois nécessaire et de trop, nous ne référons pas à une situation statique où ces deux déterminations contraires s’appliqueraient toujours invariablement au prolétariat. Le rapport social capitaliste existe et se reproduit uniquement par l’exploitation du prolétariat et c’est en cela que celui-ci est nécessaire, mais ce rapport tend à sa propre suppression parce que, pour augmenter la productivité du capital, il évince progressivement ce par quoi il existe, à savoir l’exploitation du travail humain. Ainsi, c’est parce que les conditions spécifiquement capitalistes d’exploitation du surtravail impliquent une certaine dynamique que l’on peut parler de contradiction dans un sens proprement dialectique. Sans l’étude des lois tendancielles du mode de production capitaliste – étude qui fait d’ailleurs la spécificité de la critique de l’économie politique marxiste –, on ne peut pas réellement parler de contradiction sans tomber dans la simple opposition d’intérêts.

Au risque de se répéter, il n’est pas suffisant qu’il y ait un rapport d’opposition, un rapport d’antagonisme entre des classes pour que ce rapport soit contradictoire. Le fait qu’une classe s’enrichisse sur le dos d’une autre ne fait pas du rapport qui les lie une contradiction. L’exploitation n’est pas en tout temps et en tout lieu une contradiction. Par voie de conséquence, toute la multiplicité des luttes dont l’objet est l’atténuation de l’exploitation et qui se déroulent au sein de la société capitaliste ne participe pas nécessairement du caractère contradictoire de celle-ci. Le fait brut que des employé·e·s revendiquent une diminution des cadences, une augmentation des congés payés ou l’élargissement de la couverture des soins dentaires ne dit rien sur la nature du rapport qui les lie au capital. Seules les luttes des travailleur·euse·s productif·ve·s contre leur exploitation mettent directement en jeu la contradiction qui meut la société capitaliste. Seules celles-ci peuvent déboucher sur une crise profonde du capital. Les sans-réserves improductif·ve·s n’ont pas, de par la place qu’illes occupent au sein de la totalité sociale, une telle capacité. Or, le prolétariat d’Astarian et de Ferro ne peut pas provoquer la crise en tant que prolétariat, parce que son activité de classe reste, chez eux, extérieure à la contradiction qu’est l’exploitation capitaliste (seule une partie de leur prolétariat est exploitée et donc impliquée par elle).

Plus largement, de la manière dont ils le pensent, le cours quotidien de la lutte des classes apparaît condamné à s’éterniser tant et aussi longtemps que n’intervient pas un événement extraordinaire. En effet, leur conception étriquée de la contradiction – et par là, du caractère contradictoire du cours quotidien de la lutte des classes – ne permet pas d’expliquer le passage en autre chose de celles-ci. Ce n’est qu’avec l’insurrection que s’établit un passage entre « cours quotidien » et « révolution ». Mais à peine ont-ils trouvé cette solution qu’ils font face au même problème : comment penser le passage du cours quotidien à l’insurrection, si celui-ci ne tend pas lui-même à se saborder? Ils font alors appel à la crise. Mais cette solution reste tout aussi partielle, parce qu’on ne voit pas, sur la base de leur conception de la « vraie contradiction » – qui se résume à un rapport d’antagonisme opposant prolétariat et classe capitaliste – ce qui doit mener à la crise. Il faut qu’il y ait, disent-ils, « pénurie de plus-value », qu’il y ait « des capitaux et des capitalistes en trop par rapport à la masse de plus-value socialement disponible.[63] » Mais comment parvient-on à une telle pénurie si, par hypothèse, le travail nécessaire permet de s’approprier du surtravail? Ne pourrait-on pas multiplier à l’infini l’exploitation du travail? Justement, non. Et la raison fondamentale de cette impossibilité repose dans la manière dont le capital, d’après son concept et en réaction aux luttes prolétariennes, est amené à se valoriser, à savoir : grâce à l’accroissement de la productivité du travail[64]. Or, cet accroissement se traduit par la hausse de la composition organique du capital et en cela, par la baisse tendancielle du taux de profit, c’est-à-dire par la diminution de la part du travail pouvant être exploité par rapport à une masse donnée de capital. Par cette façon qu’a le capital de se valoriser davantage, il sape la base même sur laquelle sa valorisation est possible : l’exploitation du travail. Plus le capital exploite intensivement, plus il cherche à accroître le taux de plus-value par l’augmentation de la productivité, moins il pourra exploiter par la suite. L’exploitation capitaliste, dont les modalités sont précisément l’objet des luttes du cours quotidien de la lutte des classes, est donc elle-même une contradiction et c’est cela qui explique qu’elle débouche sur des crises. Tant que le caractère contradictoire de ce cours n’est pas élucidé, les crises ne pourront manquer d’apparaître comme des événements fortuits, parce qu’extérieures à la lutte des classes.

***

Il est possible que ce texte n’ait pas répondu à la totalité des objections qui ont été faites à notre dernier numéro – ce qui ne peut surprendre compte tenu de leur nombre et, il faut le mentionner, de leur qualité variable. Toutefois, nous estimons avoir apporté des réponses décisives à l’essentiel d’entre elles. À travers leurs critiques, Astarian et Ferro nous auront surtout fourni une nouvelle occasion de montrer que le prolétariat ne peut en aucun cas être séparé de sa pratique spécifique de classe : le travail productif. Comme nous l’avons notamment vu dans la troisième section de ce texte, définir le prolétariat par le statut de « sans-réserves » ne peut mener à autre chose qu’à des aberrations. Ni le cours quotidien de la lutte des classes, ni la révolution, ni même la crise ne peuvent être pensés convenablement sans un solide concept de prolétariat. Or, ce n’est certainement pas sur la base de la « solution » d’Astarian au problème du travail productif qu’un tel concept peut être construit. Contre celle-ci, il importe au contraire de prendre au sérieux les rapports sociaux concrets au sein desquels s’inscrit tel ou tel travail.

Enfin, en ce qui a trait à la classe moyenne, nous avons pu voir encore une fois que ni le fait de recevoir un sursalaire, pas plus que le fait d’encadrer ne constituent des critères à même de rendre compte de la diversité des tâches qu’effectuent ses membres. Mieux : en s’attardant à cette diversité, la division sexuelle du travail qui s’y opère ne peut que sauter aux yeux. Nous laisserons donc aux lecteurs et lectrices le soin de juger quelle voie est la plus à même d’apporter une explication véritablement matérialiste à ce phénomène : celle qu’emprunte Temps Libre ou celle que préconisent Astarian et Ferro.

 

Montréal, décembre 2021.

[1] Astarian et Ferro, Le ménage à trois de la lutte des classes, L’Asymétrie, 2019, p. 34. Ainsi, il serait justifié de ne rien dire sur l’appartenance de classe des deux millions d’individus qui, en France, font partie de la classe moyenne non salariée, en tant qu’ils ne sont que deux millions – contre dix millions pour la partie salariée de la classe moyenne. Le prolétariat des pays capitalistes occidentaux est en déclin numérique depuis les années 70, devrions-nous cesser d’en parler?

[2] Temps Libre, n. 2, pp. 190-198.

[3] Astarian et Ferro, Réponse à « Temps Libre », section 3.1.

[4] Astarian et Ferro, Le ménage à trois de la lutte des classes, p. 45.

[5] Ibid., p. 46.

[6] Ibid., p. 380.

[7] Astarian et Ferro, Réponse à « Temps Libre », section 2.2. (Nous soulignons.)

[8] Ibid. (Nous soulignons.)

[9] Astarian, op. cit., pp. 175-176.

[10] Astarian et Ferro, op. cit., p. 385.

[11] Les études sur l’endettement des ménages au Canada indiquent une concentration de la dette chez les personnes dont le revenu excède 100 000$/année, concentration qui baisse corollairement au niveau de revenu. On note également un lien étroit entre le fait d’être propriétaire de son logement et le niveau d’endettement. Ces données confirment donc une concentration de l’endettement chez les personnes qui partagent les caractéristiques – en termes de revenu – de la classe moyenne sursalariée. Cf. Chawla et Uppal. « L’endettement des ménages au Canada », L’emploi et le revenu en perspective, été 2012, vol. 24, no 2, no 75-001-XIF au catalogue de Statistique Canada.

[12] INSEE, enquête « Histoire de vie et Patrimoine 2017-2018 ».

[13] Astarian, op. cit., p. 271.

[14] Astarian et Ferro, Réponse à « Temps Libre », section 2.3.

[15] « Changes in U.S Family Finances from 2016-2019 », p. 11. Les différences de patrimoine médian net selon l’âge sont les suivantes (en $US) : moins de 35 ans, 13 900$ ; 35 à 44 ans, 91 300$ ; 45-54 ans, 168 600$ ; 55-64 ans, 212 500$ ; 65-74 ans ; 266 400$ ; 75 ans et plus, 254 800$.

[16]Statistique Canada. Tableau 36-10-0585-01. Comptes économiques répartis pour le secteur des ménages, patrimoine, par caractéristique, Canada, annuel, inactif.

[17] Astarian et Ferro, op. cit., section 2.3.

[18] Emploi-Québec, Guide des salaires selon les professions au Québec, édition 2017. Au Québec en 2016, le salaire médian s’élevait à 23$/heure alors que le salaire minimum était quant à lui de 10,75$/heure. Pour les métiers mentionnés dans le texte, les salaires médians étaient les suivants : 1. Plâtriers, poseurs et finisseurs de systèmes intérieurs et latteurs : 31,25$/heure. 2. Briqueteurs-maçons : 34$/heure. 3. Machinistes et vérificateurs d’usinage et d’outillage : 22$/heure. 4. Mécaniciens de chantier et mécaniciens industriels : 25,55$/heure.

[19] Le prolétariat blanc étatsunien des années 60-70 est un exemple notoire d’une telle possibilité.

[20] Astarian, op. cit., p. 280.

[21] Comparez cette affirmation avec le reproche qu’il fait à R.S. de rassembler dans un rapport d’exploitation attrape-tout l’ensemble des prolétaires (productif·ve·s ou non). Cf. Ibid., p. 174.

[22] Ibid., p. 118.

[23] Ibid., p. 147.

[24] Ibid., p. 196.

[25] Ibid., p. 175.

[26] Curieusement, au chapitre 3 de son livre, Astarian nous parle de « l’exploitation du travail par le non-travail ». Le « non-travail » est-il un nom différent pour désigner la même chose (la « classe de la propriété »)? Ou bien s’agit-il d’un concept différent – ce qui contredirait l’idée selon laquelle seule la classe de la propriété peut exploiter un travail? Cf. ibid., p. 113.

[27] Temps Libre, n. 2, pp. 80-81.

[28] Marx, Le Capital, livre 1, t. I, p. 214.

[29] Marx, Le capital, livre 3, t. I, 1969, p. 309. (Nous soulignons.)

[30] Si le rapport d’exploitation capitaliste se distingue des autres types de rapport d’exploitation en ce qu’il reproduit de manière essentiellement économique ses propres conditions de possibilité, à peu près tous les types de rapport d’exploitation non capitaliste doivent faire intervenir des contraintes extra-économiques pour assurer leur reproduction. Le monopole des armes (et de la violence légitime dans le cas des sociétés à État) est précisément ce qui, en dernière instance, assure aux groupes exploiteurs une certaine stabilité en cas de contestation radicale de l’ordre social.

[31] Delphy, L’ennemi principal, t. I, Syllepse, 2009, pp. 42-43, 45 et suiv.

[32] Chadeau et Fouquet, « Peut-on mesurer le travail domestique?», Économie et statistiques, 1981, pp. 32-34.

[33] Cf. Tabet, La construction sociale des inégalités de sexe. L’Harmattan, 1998, pp. 58-62. Aussi, cf. Meillassoux, Femmes, greniers et capitaux. Maspero, 1975, p. 119.

[34] Astarian et Ferro, Réponse à « Temps Libre », section 3.2.

[35] Dans leur réponse, Astarian et Ferro utilisent le concept de CMS inférieure. Ou bien ils utilisent leur concept de CMS (où tou·te·s reçoivent par définition un sursalaire) et alors aucun dialogue n’est possible, parce qu’ils assument d’emblée ce que nous rejetons, à savoir que tous ses membres sont sursalariés. Ou bien ils traduisent dans leur terminologie à eux notre concept de « couches subordonnées de la classe moyenne », couches caractérisées par l’absence de sursalaire et donc, par l’exploitation de ses membres. Nous supposons qu’ils optent pour la seconde option.

[36] Ibid.

[37] Cf. supra « La crise et le patrimoine de la classe moyenne ».

[38] Astarian et Ferro, Réponse à « Temps Libre », section 3.3.

[39] Cf. Temps Libre, n. 2, p. 195.

[40] Ces services ne sont pas « gratuits » au sens où ils sont financés par la population et donc, payés indirectement. Mais ils le sont au sens où il n’y a pas de rapport strict entre la contribution à titre privé et l’utilisation qu’un individu en fait.

[41] Ibid., pp. 194-195.

[42] Ibid., p. 191.

[43] Astarian et Ferro, Réponse à « Temps Libre », section 3.3.

[44] Ibid.

[45] Ibid.

[46] Ibid.

[47] Marx, L’Idéologie allemande, Éd. Sociales, 1968, p. 61.

[48] Federici, Caliban et la sorcière, Entremonde et Senonevero, 2014, pp. 150-151.

[49] Astarian et Ferro, Réponse à « Temps Libre », section 3.3.

[50] Astarian et Ferro. Réponse à « Temps Libre ». section 3.3.

[51] Dorlin, Sexe, genre et Sexualité, Presses universitaires de France, 2008, p. 49. « Réalisée sur 500 hommes génitalement « normaux » – c’est-à-dire déclarés mâles à la naissance et vivant pleinement comme des hommes – ayant effectué un passage à l’hôpital entre novembre 1993 et septembre 1994 pour un traitement bénin à l’urètre ou pour un cancer superficiel de la vessie n’ayant pas nécessité une intervention chirurgicale, l’enquête montre que 275 d’entre eux, soit 55 % des hommes pouvaient être labellisés « normaux » selon les critères médicaux de normalité péniennes appliqués aux enfants intersexes. Le reste, soit 45 % des hommes, témoignaient de différentes caractéristiques anatomiques ou physiologiques pouvant signifier, dans le cadre des critères appliqués aux enfants intersexes, une identité sexuelle ambiguë. »

[52] Pour un traitement réellement étayé de cette question, se référer aux travaux d’Elsa Dorlin et, plus particulièrement, au chapitre « L’historicité du sexe » de Sexe, genre et Sexualité.

[53] Notons qu’en ce qui concerne les grandes étapes du passage du cours quotidien de la lutte des classes à la communisation proprement dite, nous nous accordons grosso modo Astarian et Ferro. Une fois posées les bases d’une théorie de la révolution, il est évident que leur contribution relative à l’insurrection, malgré quelques problèmes, constitue un jalon d’importance pour la théorie communiste. En effet, la révolution présuppose sans conteste un climat de crise aiguë, comme il semble raisonnable d’affirmer que l’éclatement d’un cycle de luttes quotidiennes ne peut pas mener illico presto à la communisation. Cela doit être dit.

[54] Astarian et Ferro, Le ménage à trois, pp. 369-372.

[55] Ibid., p. 370.

[56] Astarian. op. cit. p. 272

[57] Cf. Astarian et Ferro, op. cit., pp. 393-395.

[58] Astarian et Ferro, Réponse à « Temps Libre », section 2.

[59] Ibid.

[60] Ibid.

[61] Cf. Astarian, op. cit., p. 256.

[62] Astarian et Ferro, Le Ménage à trois, p. 320. « La difficulté théorique est ici qu’il n’y a pas de précédent historique à un tel soulèvement (c’est-à-dire à une insurrection grâce à laquelle la communisation devient possible, nda). Les dernières insurrections prolétariennes ont eu lieu sur la base d’une structure très différente du rapport entre prolétariat et capital. La révolution allemande de 1918-21 ou l’insurrection de Barcelone en 1936 ne nous donnent que très peu d’indications sur ce que serait une insurrection à notre époque. » Or, c’est précisément à ce type d’insurrection que nous faisions référence dans notre critique comme étant un « scénario imaginé » par Astarian et non pas aux insurrections historiques.

[63] Ibid., p. 318.

[64] Comme le montrent Astarian et Ferro, le capital peut être contraint d’opter pour une « formule de la plus-value » différente, à savoir celle de la plus-value absolue. Mais cette formule n’est qu’un palliatif de courte durée, parce qu’en diminuant la taille du panier de subsistance du prolétariat à travers la réduction des salaires, le capital réduit par là même sa capacité à réaliser la plus-value qu’il a soutirée de cette façon. C’est pourquoi, sur le long terme, la formule de la plus-value relative – qui consiste à augmenter la productivité de manière à faire baisser la valeur des marchandises entrant dans la consommation du prolétariat et donc, la valeur de sa force de travail – apparaît plus appropriée à une relance véritable de l’accumulation.

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