Accueil > Du coté de la théorie/Around theory > « Travail et révolte dans l’impasse du Brésil » Première partie

« Travail et révolte dans l’impasse du Brésil » Première partie

Traductions DeepL relues par nos soins de deux textes qui nous paraissent intéressants parus sur le site « Ill Will ».

Nous publions le premier, le second le sera dans quelques jours. dndf

Militants dans le brouillard – Première partie

Travail et révolte dans l’impasse du Brésil

Dans la première partie de cette remarquable note sur la lutte des classes “informelle”, nos camarades de Sāo Paulo explorent les nouveaux styles hybrides de guerre et de travail qui ont généré une vague de révoltes motorisées, de grèves inversées et de blocages itinérants pendant la pandémie au Brésil.

*

“Le Brésil n’est pas un terrain ouvert où nous pouvons construire des choses tout de suite pour notre peuple. Il y a beaucoup de choses que nous devons d’abord démanteler, beaucoup de choses que nous devons défaire, avant de pouvoir commencer à construire quelque chose. J’espère que je pourrai au moins servir de point de bascule dans ce sens.” C’est avec ces mots que Jair Bolsonaro s’est adressé au banquet réuni à l’ambassade du Brésil lors de sa première visite à Washington en mars 2019. [1]

Exactement un an plus tard, le premier décès lié au Covid-19 était confirmé au Brésil. Le panorama apocalyptique des nouvelles qui affluaient de l’étranger sur la propagation de la pandémie contrastait avec la continuité ininterrompue de la routine quotidienne ici. Un scénario flou, qui a créé une atmosphère d’appréhension qui a grandi de jour en jour. La foule inévitable dans les lieux de travail fermés comme les usines, les centres commerciaux et les bureaux, ainsi que dans les bus et les wagons invariablement bondés, a fourni les conditions délétères pour la propagation d’une maladie encore inconnue. C’est dans une entreprise de télémarketing de Bahia que les tensions ont débordé pour la première fois : les travailleurs ont abandonné leur poste de travail et sont descendus dans la rue pour réclamer des mesures de quarantaine. En quelques heures, la scène s’est reproduite dans les centres d’appels de Teresina, Curitiba, Goiânia et d’autres villes. Les images des débrayages sont devenues virales dans les groupes WhatsApp et Facebook, révélant une solution concrète à une situation désespérée : littéralement, « il suffit de partir ! » [2]

Le coronavirus a donné un ton prémonitoire à une lettre anonyme – ou plus exactement à un “dernier appel à l’aide” – rédigée par les travailleurs d’une chaîne de librairies en février 2020 suite à un incident de harcèlement éhonté. Il est symptomatique qu’un mois avant la pandémie, ils aient déjà décrit leur expérience dans l’entreprise comme celle d’assister à la “masterclass de la fin du monde”. Le “problème avec la fin du monde”, ont-ils conclu, “c’est que quelqu’un doit toujours faire le ménage après. “ [3] En fait, lorsque nous nous sommes retrouvés face à une calamité biologique quelques semaines plus tard, les “bullshit jobs” ont continué à prendre des otages pour faire tourner l’entreprise. [4]

La comparaison entre les centres d’appels et les quartiers d’esclaves et les prisons, si courante dans les blagues des travailleurs, a soudainement trouvé une confirmation brutale. Pour beaucoup, s’échapper du travail est apparu comme un dernier recours pour ne pas mourir sur le lieu de travail. [5] Malgré un décret présidentiel peu après le début des confinements déclarant qu’il s’agissait de “services essentiels”, dans les semaines qui ont suivi, de nombreux centres d’appels se sont retrouvés vides. De nombreux travailleurs ont commencé à présenter des certificats médicaux (réels ou faux), à manquer le travail sans justification ou à simplement démissionner. Les entreprises ont répondu par des solutions inadéquates telles que le travail à distance, les vacances collectives et les licenciements. [6] La pression des manifestations a été absorbée par la désintégration de l’industrie qui était déjà en cours ici et qui a simplement été accélérée par le virus. [7]

Aussi rapidement que la pandémie a érodé les conditions de travail dans les domaines les plus divers, la vie s’est adaptée à la “nouvelle normalité”. Nous avons vu des travailleurs revenir de leur licenciement pour faire face à l’infection, tout en étant reconnaissants d’avoir encore un emploi dans un contexte de fermetures d’usines. Nous avons vu des enseignants qui s’opposaient initialement à l’apprentissage à distance s’engager de manière proactive dans la nouvelle routine. Après l’avalanche de licenciements, beaucoup de ceux qui sont restés dans le secteur des services ont dû se soumettre à des réductions de salaires et d’heures de travail conçues par le gouvernement fédéral (bien qu’en vérité, les heures de travail dans les entreprises n’aient pas vraiment changé). Et si les grèves des chauffeurs de bus et des receveurs sont devenues plus récurrentes dans le pays tout au long de l’année 2020, c’est parce que les grèves étaient le seul moyen restant pour garantir les salaires dans un contexte de réduction du nombre de passagers et de crise dans le secteur des transports. [8]

Le pouvoir destructeur du coronavirus s’est combiné, ici, avec la vague de dévastation qui était déjà en cours. Ce “mouvement de destruction des forces productives”, une sortie d’urgence déclenchée par le capital en réponse à la révolte sociale déclenchée en 2013, a trouvé une incarnation dans la figure incendiaire d’un capitaine de l’armée à la retraite lors des élections de 2018.  [9] Lorsqu’une crise s’avère impossible à gérer, c’est la crise elle-même qui devient un modèle de gestion. Là où certains pourraient voir un gouvernement inefficace, notre agent autoproclamé de la déconstruction révèle l’efficacité de la négation : tout comme le chaos est une méthode, “ne pas gouverner est une forme de gouvernement.” [10] En dressant systématiquement des barrages aux recommandations des scientifiques pour le contrôle de la pandémie, Bolsonaro n’a jamais été à proprement parler un “négationniste” ; au contraire, “il est lui-même un vecteur du virus, il est pleinement identifié au virus”. [11] Comme il l’a déclaré en 2017, “Je suis un capitaine de l’armée, ma spécialité est de tuer, pas de sauver qui que ce soit”. [12]

En août 2020, alors que le Brésil s’approchait encore des cent mille décès enregistrés de la COVID, des enquêtes ont mis en garde contre un autre indice inquiétant révélant que moins de la moitié de la population en âge de travailler travaillait réellement. [13] Si la diminution du ratio emploi/population au niveau plus bas de l’histoire récente pouvait être considérée comme une accélération de l’élimination des travailleurs jetables, sous un autre angle, cependant, le même tableau dévastateur produisait quelque chose de nouveau : “nous observions déjà au Brésil un scénario prometteur pour cette nouvelle façon de travailler et la pandémie a poussé davantage de personnes à chercher d’autres moyens de mener leurs activités et de générer des revenus”, a expliqué le vice-président de l’extension internationale d’une application utilisée par les entreprises pour embaucher des freelances dans 160 pays, qui arrive maintenant au Brésil.  [14] Après l’apocalypse, Uber ?

Le Brésil est en ligne [15]

“Nous voulons travailler !”, ont crié des dizaines de vendeurs itinérants en février 2020 en envahissant les voies de la gare Estação da Luz, dans le centre de São Paulo, pour protester contre l’utilisation d’une société de sécurité récemment externalisée pour supprimer le commerce des wagons de train – une activité qui, selon les règles du chemin de fer de banlieue, est informelle. [16] Quelques semaines plus tard, avec l’arrivée du nouveau virus, le même slogan résonnera à nouveau au milieu des klaxons des caravanes de voitures appelées par Bolsonaro pour demander la réouverture des commerces. En s’opposant aux politiques d’isolement mises en place par les maires et les gouverneurs, Bolsonaro n’a pas seulement satisfait les souhaits des petits patrons, il a aussi joué avec la situation des “travailleurs qui dépendent de petits contrats pour survivre et qui n’attendent que la misère sous la pandémie “. [17]

Si la perspective de lutte que nous avons vue dans les centres d’appels n’a pas réussi à se généraliser, c’est parce que la demande de mesures de quarantaine ne prend pas facilement les traits d’une grève. Cela est particulièrement vrai dans les secteurs où le travail transcende depuis longtemps les limites physiques de l’entreprise. Parmi les professions les plus qualifiées, il ne faudrait pas longtemps pour que la transition rapide vers le travail à distance transforme “l’abri sur place” en une incitation à travailler deux fois plus dur. D’un autre côté, à mesure que les rues se vidaient, ce slogan menaçait de faire perdre leur salaire et leur survie à ceux dont la subsistance dépend des mouvements quotidiens de la ville, par exemple les vendeurs de rue, les manucures, les serveurs, les flanelinhas  [préposés au stationnement irrégulier], les chauffeurs, etc.

Les mesures de confinement du coronavirus ont poussé la condition du travail sans forme définie, c’est-à-dire le travail informel, au centre du débat. Ce type de travail constitue un dilemme politique récurrent et fondamental dans la composition de l’économie capitaliste au Brésil. Tout au long de notre histoire, les Bicos  [gigs], les gambiarras  [kludges, DIY, MacGyver], les mutirões  [travail communautaire] et toutes les formes de trambiques  [con jobs] ont compensé la précarité des services urbains et de l’infrastructure de l’accumulation capitaliste. Le “jeitinho brasileiro”  [la manière brésilienne] improvisé par ceux d’en bas pour gérer la vie en marge de la ville, mélangeant formalité et légalité, a fourni le carburant du “miracle” d’industrialisation et d’urbanisation du pays. Décryptées par la sociologie brésilienne dans les années 1970, ces formules magiques ont nourri l’espoir d’un développement national vers une société salariale stable – un modèle qui montrait déjà des signes d’épuisement au cœur du système. [18] Depuis, c’est le reste du monde qui s’est approché du régime brésilien de flexibilité du travail, qui n’a plus d’avenir [19]. Au cœur du capitalisme, nous assistons à la dissolution des formes de travail “socialement stables, contractuelles et reconnaissables”, qui définissaient ce qui est et “ce qui n’est pas du temps de travail, du lieu de travail, de la rémunération ou des coûts de la main-d’œuvre. “ [20]

Même à son apogée pendant les gouvernements du Parti des Travailleurs (PT), le travail formel n’a jamais atteint beaucoup plus de la moitié de la population employée au Brésil, dans une expansion basée sur des emplois mal payés qui, malgré la litanie néo-développementaliste récurrente, n’exprimait pas tant une tendance à l’universalisation de l’emploi formel qu’à sa réduction à une stratégie parmi d’autres de viração  [s’en sortir]. [21] En déclarant que la législation du travail “doit se rapprocher de l’informalité”, [22] Bolsonaro a finalement ajusté le paramètre et reconnu le non réglementé comme règle.

Ce ne serait qu’en raison de la calamité économique causée par le coronavirus que le travail informel recevrait, pour la première fois dans l’histoire du pays, une définition légale – et elle était aussi large que possible, délimitée négativement : est informel tout travailleur sans contrat de travail formel, “qu’il soit employé, indépendant ou sans emploi. “ [23] Pendant la brève période de discussions autour de la loi instituant “l’aide financière d’urgence”, il était difficile d’anticiper avec précision la véritable portée de ce critère. Sanctionné au début d’avril 2020, le programme d’aide touchera près de 68 millions de personnes – environ 32% de la population brésilienne – dont 38 millions étaient jusqu’alors hors de portée des programmes de transfert de revenus. La dévastation a soudainement ouvert une opportunité historique d'”inclusion” :

Le président de Caixa Econômica Federal a qualifié ces personnes d’“invisibles”, la plupart d’entre elles ne disposant pas d’un ou plusieurs moyens d’accès à la visibilité sociale tels que déterminés par l’État : un numéro de sécurité sociale actif, un téléphone portable (avec accès à Internet) ou un compte bancaire. Ces personnes ne sont pas inscrites à Bolsa Familia  […], qui a atteint les coins les plus reculés du pays, rendant environ 30 millions de personnes visibles pour le gouvernement. Celles-ci étaient déjà connues. Invisible, curieusement, était une partie importante de la population dont le métabolisme social était structurellement lié au métabolisme urbain. C’est la partie de la population qui survit grâce au “viraçāo“, et non grâce aux prestations publiques (…). Ils sont présupposés dans leurs conséquences, mais invisibles dans leur existence. Lorsque la ville s’arrête, cette partie réclame la visibilité de l’État en s’inscrivant dans le registre unifié du gouvernement fédéral. La pandémie les révèle mais les soumet aussi, en fixant les règles de leur visibilité. [24]

Bien sûr, ce contingent invisible était déjà inclus jusqu’au cou, puisque les conséquences de leur travail informel ont toujours été présupposées par le fonctionnement de l’économie dans son ensemble ; la différence est simplement qu’ils seront désormais soumis à des mécanismes qui assurent un contrôle plus complet de leur existence. Un compte bancaire, un smartphone avec accès à Internet et un profil dans une application : les moyens requis pour percevoir l’Aide d’urgence sont les mêmes que pour créer un compte pour Uber, signe que nous sommes face à des éléments fondamentaux de cette “nouvelle façon de travailler”. Il y a des années, il était déjà possible d’identifier dans le programme Bolsa Família, dont les dimensions étaient faibles face au programme d’aide financière 2020, l’objectif de former une main-d’œuvre unifiée plus profondément soumise aux relations capitalistes. [25] La “bancarisation” encouragée par le programme a contribué à étendre la portée des systèmes de microcrédit, dans un processus de financiarisation de l’informalité – qui s’est approfondi ces dernières années avec la diffusion de terminaux de paiement et de systèmes de paiement électronique de plus en plus agiles et faciles, comme Pix  [une méthode de transfert d’argent plus rapide et non imposable].  [26] Le phénomène a atteint une intensité sans précédent grâce à l’aide d’urgence : la banque publique Caixa Econômica Federal a absorbé 30 millions de clients en dix jours, dans ce qui est peut-être le processus de bancarisation le plus rapide de l’histoire mondiale, atteignant ainsi un bénéfice record en 2020. [27]

L’accès au crédit est essentiel à l’émergence d’une main-d’œuvre précaire à laquelle sont transférés les coûts et les risques du capital, tandis que les taux d’intérêt induisent un nouveau niveau de productivité à l’ancien viraçāo  [se débrouiller], désormais directement connecté au marché financier mondial. Ainsi, ces politiques de revenu seraient moins axées sur l’expansion de la capacité de consommation des bénéficiaires (comme dans le modèle distributif keynésien) que sur l’expansion de leur capacité d’investissement, le financement de l’acquisition d’instruments de travail et l’“auto-valorisation” de leur “capital humain”. [28] Les enthousiastes de ces programmes affirment ouvertement que “le coussin financier fourni par le revenu de base peut représenter une stabilité suffisante pour que les gens puissent dépenser leurs propres économies ou d’autres capitaux pour créer une entreprise. “ [29] Un rapport qui a interrogé des habitants de certaines capitales de la région Nord-Est souligne que “dans de nombreux cas, l’argent  [de l’aide d’urgence] a servi de fonds de roulement pour des entreprises informelles” : finir de construire un petit appartement à louer, acquérir des marchandises pour le commerce de rue, ouvrir un petit magasin ou acheter “un vélo d’occasion au voisin pour faire des livraisons par le biais d’applications Internet”. [30] Cependant, dans les grands centres urbains, les paiements ne couvrent pas le coût de la vie pour de nombreuses familles, qui doivent chercher d’autres sources de revenus. “L’argent ne servirait qu’à payer le loyer. Ils auraient d’autres factures et la nourriture,” explique un chômeur contraint de dormir dans la rue. [31] Avant même d’envisager de relouer une chambre, lorsqu’il a reçu les premiers versements de l’aide financière, une autre personne interrogée dit avoir acheté un téléphone portable. Quand il n’a pas été investi dans des moyens de production, l’argent est devenu moyen lde reproduction : il a permis de payer des rénovations et des appareils ménagers. Au milieu de ces deux domaines se trouve le téléphone portable. [32]

Rassemblant les fonctions de loisir, de travail, de socialisation et de contrôle au sein d’un seul appareil, les smartphones matérialisent l’absence contemporaine de distinction entre temps libre et travail. Grâce à des algorithmes qui traitent de grandes quantités de données en temps réel, les apps (applications) qui connectent une multitude de personnes au même serveur ont permis au capital d’incorporer et d’organiser directement ce travail informel qui est une partie constitutive de l’économie brésilienne. La fameuse “ubérisation” du travail signifie, sur les terres tupiniquim, une sorte de “subsomption réelle du viraçāo”. [33]

Tout au long de la pandémie, le nombre de Brésiliens qui ont eu recours aux apps pour travailler a augmenté, atteignant un travailleur sur cinq. [34] Il est important de se rappeler que la première étape pour obtenir l’aide d’urgence était aussi de télécharger une application et de répondre à un questionnaire. Le programme a accéléré le processus de numérisation de cette foule invisible : “ceux qui n’avaient pas de téléphone portable devaient s’en procurer un, l’emprunter ou le demander” et “ceux qui ne savaient pas comment l’utiliser devaient apprendre” ou demander de l’aide. [35] Malgré cela, le flot de problèmes rencontrés lors de l’inscription en ligne pendant la première semaine s’est retrouvé dans les agences physiques de Caixa, entraînant des files d’attente qui s’étiraient sur des pâtés de maisons. En plus de surcharger les employés, la foule devant les banques au début de la pandémie a concrétisé le terrible dilemme de choisir d’être infecté par le virus ou d’avoir faim. Pendant quelques jours, ce délai désespéré s’est transformé en révolte : dans les villes du pays, la population a protesté, vandalisé des agences bancaires et bouché des avenues. [36]

Pendant que les responsables de Caixa réorganisaient le calendrier des présences en personne pour éviter le chaos, des groupes WhatsApp et Facebook se sont formés grâce à l’aide financière. Avec des centaines de milliers de membres, ces forums auto-organisés ont occupé la place laissée vacante par la précarité des services bancaires : les participants ont signalé leurs problèmes, échangé leurs expériences, résolu des questions, etc. Le seul acteur politique à avoir essayé de surfer sur cet immense engagement invisible était un parlementaire incognito de la même avalanche que Bolsonaro, élu grâce à ses vidéos au format selfie enregistrées aux barrages routiers pendant la grève des routiers de 2018. Au moment où il a commencé à suivre les procédures de l’Aide d’urgence quotidienne sur son profil Facebook, Andre Janones, un membre du Congrès fédéral de Minas Gerais est sorti des rangs inférieurs de la chambre basse, en transmettant les flux en direct les plus regardés de l’histoire de l’Internet dans l’hémisphère occidental. [37]

D’autre part, le début des paiements de 600 reais  [~112 USD] par mois pendant la première vague de la pandémie semble avoir contribué à retarder la convergence entre les travailleurs informels et les entrepreneurs recherchée par Bolsonaro et d’autres critiques de la distanciation sociale. À cette époque, les manifestations contre le verrouillage se limitaient au noyau militant de l’extrême droite et au chantage des petits et moyens patrons, qui tentaient de contraindre leurs employés à manifester sous la menace d’un licenciement en cas de faillite. [38] Dans le même temps, le flux d’argent fourni par l’Aide d’urgence aux familles et aux quartiers populaires a apporté un certain soutien à ceux qui, dans le chaos de la pandémie et malgré l’augmentation du chômage, refusaient de travailler dans de telles conditions. Après s’être manifestée dans les cachots des centres d’appels, l’insubordination ne tarderait pas à apparaître à l’extérieur, dans les rues, de plus en plus bondées de livreurs et de chauffeurs d’apps.

A l’assaut du Cloud

Fortaleza, 6 janvier 2020. Dans le centre financier de la ville, la circulation du matin est interrompue par une barricade colorée inhabituelle. Des sacs empilés portant les logos d’iFood, Rappi ou UberEats bloquent différents points du boulevard : c’est une manifestation organisée par des coursiers de l’application en colère contre un collègue qui s’est fait écraser la nuit précédente. Dans les mois qui ont suivi, cette scène allait devenir de plus en plus fréquente dans tout le pays. En mars, un groupe de militants estimait déjà qu'”un spectre hante les villes brésiliennes, et ce spectre se déplace sur deux roues”. [39]

Cependant, ce n’est pas d’hier qu’une partie essentielle du métabolisme urbain brésilien a commencé à se déplacer sur deux roues. Pendant l’expansion chaotique des villes, partout où les transports sont intervenus pour relier les fragments entre eux, le prix de la précarité a toujours été payé par la hâte de ceux qui devaient arriver à temps. Alors que le manque de mobilité punit la main-d’œuvre par des heures supplémentaires dans des transports collectifs bondés, les autres marchandises ne se déplacent pas toutes seules et exigent une circulation de plus en plus rapide. [40] D’où l’apparition, à la fin des années 1980 – bien avant les plateformes en ligne – d’une armée de motoboys  [coursiers à moto] de plus en plus nombreux, capables de se frayer un chemin à travers les embouteillages et garantissant ainsi, au péril de leur vie, l’accélération des flux capitalistes dans nos métropoles effondrées. Les “voies informelles et mortelles des motos” permettent la circulation de ce qui ne peut pas s’arrêter au milieu du trafic bloqué et servent, en même temps, à augmenter la productivité grâce à la mobilité des travailleurs pris en otage par l’immobilité urbaine, et qui ont trouvé dans les motos une sortie de secours qui “fait rimer faible coût avec grande vitesse”. [41]

Comme l’expansion du microcrédit pendant les gouvernements du Parti des Travailleurs a facilité le financement de motos de faible cylindrée, entraînant une croissance effrénée du parc automobile, les petites entreprises de livraison externalisées se sont multipliées. Ces entreprises dites “express” ont eu tendance à reporter les coûts du principal instrument de travail sur les travailleurs. La popularisation des téléphones portables tout au long des années 2000 allait permettre une communication continue et directe entre le bureau d’expédition et les coursiers dans les rues, diminuant les “zones de non-travail tout au long du trajet” et rendant le service moins cher pour les entrepreneurs. Plus tard, avec l’arrivée des smartphones avec accès à Internet et au GPS, la médiation effectuée par ces entreprises a été écartée et remplacée par une application qui promettait de connecter la foule de livreurs “directement” aux demandes du client, les libérant ainsi de l’exploitation d’entreprises tierces. En transférant les contrats de travail dans un registre virtuel et les travailleurs dans une main-d’œuvre à flux tendu, les plateformes sont capables de recruter des coursiers qui sont dans la rue depuis trente ans, le travailleur avec un emploi stable qui fait des livraisons après les heures de travail, ou le jeune chômeur qui possède ou loue un vélo comme activité secondaire. C’est cette multitude hétérogène qui, de manière dispersée, incohérente et avec différentes intensités, assure la distribution d’une partie importante des marchandises dans les villes.

Lorsque les coursiers d’applis se sont mis en grève pour la première fois dans le pays, s’opposant à la réduction du paiement des courses Loggi fin 2016, le syndicat du secteur – tout en regardant ses rangs s’évaporer dans le “Cloud” – est intervenu aux côtés du Tribunal du travail pour défendre la reconnaissance de l’emploi formel par la plateforme. Il a fini, pour cette même raison, par être rejeté par les grévistes eux-mêmes, qui porteront lors des manifestations suivantes une bannière au message clair : “non au contrat CLT  [loi brésilienne sur le travail]” ! Il peut sembler paradoxal que des travailleurs luttant pour de meilleures conditions de travail rejettent ouvertement la formalisation de leur activité. Cependant, c’est précisément dans ce refus que nous trouvons la force motrice du spectre qui hante les villes brésiliennes. [42]

Pour la plupart de la gauche, la réponse à l’énigme se résume à la conscience biaisée des travailleurs séduits par le chant entrepreneurial de la sirène néolibérale. Mais comment expliquer que le rejet de la réglementation soit souvent associé à une déclaration de “guerre contre les apps” ? Il n’est pas nécessaire de parler longtemps avec un coursier à moto pour se rendre compte que l’aversion pour les relations de travail entraîne un refus de l’univers infernal des “jobs de merde” : des heures à faire, un salaire bas et un patron pour te rendre la vie plus difficile. [43] Au-delà des coûts supplémentaires de la paperasse et des bureaucraties, l’avenir promis par le discours de la réglementation semble tout simplement faux. [44]

Dans le monde du travail informel, le programme réformiste acquiert un nouveau sens : en défendant et en maintenant le droit du travail, il cherche à récupérer la forme perdue, il est re-formiste. En d’autres termes, le “progressisme” devient réparateur. Contrairement au mirage de la reconstruction d’une société salariale dans un cadre keynésien-fordiste (qui au Brésil, comme nous le savons, n’a jamais eu qu’une existence partielle), le chant entrepreneurial trouve son écho dans l’expérience vécue du travailleur Uberisé. Après avoir créé un profil avec l’application, c’est le “travailleur, pour son propre compte, qui assume les risques et les coûts de son travail, qui définit son propre parcours, qui décide de son propre dévouement au travail.”  [45] C’est précisément parce qu’elle décrit une réalité, et n’est pas une simple rhétorique, que l’autonomie peut fonctionner comme un rouage central dans l’engrenage de la subordination : tout en transférant aux travailleurs la tâche de gérer leur propre travail, le capital leur transfère également la nécessité d’étendre et d’intensifier leur voyage tout en attendant d’eux qu’ils assument toutes les fluctuations de la demande et les incertitudes en cours de route.

Chaque coursier gère lui-même son processus de travail, mais il le fait dans le cadre des conditions imposées par ces entreprises de manière unilatérale et souvent imprévisible, à commencer par le paiement lui-même, qui est déterminé par un algorithme. Des systèmes de classement limitent le nombre de trajets qui peuvent être refusés ; des promotions encouragent les coursiers à répondre aux régions et aux périodes de forte demande, comme les jours de pluie, ou même à accepter tous les trajets pendant une certaine période ; des verrouillages automatisés, temporaires ou permanents, sanctionnent les irrégularités supposées détectées par le logiciel ; et, plus récemment, des mécanismes de planification encouragent la définition préalable des heures de travail. Comme l’indépendance marginale offerte par leur profession rencontre une résistance incessante, les coursiers sont obligés de s’engager dans un conflit permanent, créant des stratégies pour résister et tromper les mécanismes de contrôle des applications, ainsi que les autorités de la circulation et les gérants de magasins qui surveillent leur espace de travail.

Pour gagner sa vie en tant que coursier, il n’est pas rare de devoir utiliser (ou même louer) le profil de quelqu’un d’autre, en contournant le blocage d’un compte ; de griller des feux rouges ou de dépasser la limite de vitesse afin d’augmenter la productivité ; de couvrir sa plaque en passant devant un radar ; d’esquiver les barrages de police qui peuvent mener à la saisie d’une moto avec des arriérés de paiement ; ou même de détourner le repas d’un client pour garantir un goûter spécial entre un trajet et l’autre. Mais comme enfreindre constamment les règles ne fait pas seulement partie du jeu mais assure le fonctionnement de l’application – et de la ville dans son ensemble – l’insubordination des chiens fous  [comme les coursiers brésiliens se désignent eux-mêmes] s’avère ambiguë. [46]

Les groupes WhatsApp, ainsi que les chaînes YouTube et les forums Facebook jouent un rôle clé dans cette dynamique. Ils diffusent des stratégies de combat réussies, tout en établissant des réseaux de coopération indispensables au travail et au fonctionnement du service :

Il existe une infinité de groupes WhatsApp de coursiers qui servent à partager des informations sur les rues, les opérations de police, les agressions, les accidents ; à vendre et à échanger des motos, des sacs ou des vestes, des permis de conduire, du travail, toutes sortes de choses. Ces groupes finissent par être une structure informelle d’organisation du travail par les travailleurs eux-mêmes, qui fonctionnent parallèlement à ceux imposés par l’application. En même temps qu’ils contribuent à un meilleur fonctionnement de l’appli (les coursiers se disent dans quelles parties de la ville ils peuvent obtenir plus de trajets, s’il y a des pépins dans le système, s’aident mutuellement à naviguer dans les problèmes d’assistance ou de blocage de compte, etc.), les groupes WhatsApp sont aussi des espaces pour faire circuler des mèmes anti-travail, évacuer des frustrations et même organiser des manifestations. [47]

Depuis le début de 2020, c’est principalement par le biais de ces réseaux informels que les manifestations des coursiers ont été organisées. Lorsque le coronavirus s’est répandu dans tout le Brésil, ces mêmes réseaux se sont multipliés à ses côtés. Les mesures de quarantaine ont révélé la centralité du livreur dans la logistique urbaine – c’est, après tout, la mobilisation permanente de cette armée motorisée qui a produit une partie des conditions nécessaires au bureau d’attache des contingents plus “qualifiés”. Cependant, contrebalancée par l’expansion vertigineuse des “partenaires” inscrits sur les plateformes, la demande de services de livraison ne s’est pas traduite par une augmentation des revenus. [48] Au milieu de l’avalanche de licenciements dans d’autres secteurs, les apps ont commencé à fonctionner comme une sorte d’“assurance chômage” perverse et, alors que le nombre total de coursiers augmentait, la valeur des frais et la fréquence des commandes ont diminué. Combinée à l’afflux de nouveaux travailleurs pour qui il ne s’agissait que d’une source de revenus supplémentaire ou temporaire, la chute des revenus de ceux qui dépendaient déjà de ces apps allait provoquer l’éruption de mouvements sauvages dans tout le pays.

Un soir de forte demande, un groupe de coursiers a bloqué l’entrée du drive-in d’un fast-food, l’obligeant à donner la priorité à la sortie des repas destinés à la livraison. [49] Blottis sur le parking d’un supermarché alors qu’ils attendent leurs commandes, les coursiers s’énervent et entament une manifestation en klaxonnant pour faire pression afin que les colis arrivent plus rapidement. [50] Après qu’un épisode d’humiliation ou une tentative d’escroquerie se soit répandu sur WhatsApp, provoquant un débordement, le client canaille est surpris par le bruit d’un convoi de motos sur le pas de sa porte. Alors que les coursiers d’une ville se rassemblent pour réclamer plus de sécurité auprès des autorités après un accident avec délit de fuite ou un vol, à un autre endroit, des épisodes de violence policière et de contrôle arbitraire de la circulation déclenchent des manifestations. [51] Des grandes capitales d’État aux petites villes, des manifestations de dernière minute organisées via les médias sociaux pour réclamer des augmentations du paiement des livraisons et d’autres améliorations commencent à bouillir. À l’aube de la première vague du coronavirus, des motards d’Acre ont gelé leurs courses pour exiger la fourniture de masques et de désinfectant pour les mains par la mairie de Rio Branco. [52] Une grève des coursiers en moto et en voiture de Loggi contre la réduction brutale de la valeur du fret s’étend à tout l’État de Rio de Janeiro, atteignant Baixada Santista le lendemain. [53] À São Paulo, les motards se rassemblent à plusieurs reprises sur l’Avenida Paulista contre le système d’évaluation de Rappi, qui limite l’accès aux zones de plus forte demande. [54]

Avec des manifestations volatiles et éparses qui se sont formées et dissoutes dans l’intervalle entre un ordre et l’autre, le “spectre sur deux roues” qui rôde dans le pays allait bientôt faire sa première apparition publique. L’appel à la grève – surnommé le “frein national d’application” – a canalisé ce mouvement latent en une seule date, le 1er juillet 2020, marquant les débuts de ces luttes souterraines sur la scène des grands événements politiques. Alors que l’idée d’une grève nationale commençait à prendre forme dans les groupes WhatsApp, des selfies vidéo enregistrés par des coursiers ont annoncé la participation d’équipes de tout le pays. Alors que la mobilisation commençait à gagner en visibilité, les sympatisants faisant connaître une campagne de boycott des plateformes le jour de la grève, les partis et organisations de gauche ont publié des messages de solidarité, et les principaux médias ont relayé l’appel. En gagnant un visage public, l’agitation spontanée et diffuse des mois précédents a été traduite sous une forme plus lisible par les institutions : “Dans de nombreuses villes, les syndicats habituels ont essayé de prendre le devant du mouvement, et les leaders autoproclamés ont été embrassés par les partis et les institutions, ainsi que par la presse. [55] Arrivant à la fin d’une vague timide de manifestations contre le gouvernement fédéral, les médias grand public ont produit l’image du “coursier antifasciste”, tandis que les opérateurs de la gauche et du droit du travail ont encadré le mouvement dans la grammaire des droits du travail. [56]

Bien que grandes et bruyantes, de nombreuses caravanes de voitures qui avaient envahi les avenues du pays le 1er juillet – bien avant les convois stratégiquement dirigés par Bolsonaro l’année suivante – ont fini par être dominées par des organisations représentatives. À São Paulo, le camion de haut-parleurs du syndicat a couvert les klaxons de la foule motorisée qui s’est rendue du Tribunal régional du travail au pont de l’Estaiada. En restant dans les limites d’un secteur spécifique de travailleurs et de sa demande de meilleures conditions de travail, la grève de l’App n’a jamais réussi à se libérer du scénario conçu par les fantômes survivants du syndicalisme. Au Brésil, il s’agit de l’épisode le plus visible et le plus organisé – et donc, dans un certain sens, le mieux organisé – d’un mouvement qui a traversé toute la période de la pandémie et qui se poursuit encore, ici et dans d’autres coins de la planète. [57]

Quelque chose a toutefois échappé au scénario. À sept heures du matin, devant l’un des nombreux entrepôts de Loggi à São Paulo d’où partent des milliers de produits achetés sur Internet vers les maisons des consommateurs à bord de voitures et de motos, un enregistrement vidéo avait commencé à circuler sur WhatsApp. Réunis autour d’un haut-parleur diffusant de la musique pagode des années 1990, une douzaine de coursiers se préparaient à y passer la journée, promettant de faire un barbecue et de bloquer la livraison de tout colis. Les blocages dans d’autres entrepôts, centres commerciaux et restaurants de la ville se sont prolongés tout au long de la journée, se poursuivant jusqu’au dîner dans les fast-foods de la région ABC Paulista et d’autres points de la métropole. Il est curieux que, précisément dans les cas où il est difficile de définir un “lieu de travail” car celui-ci est réparti dans toute la ville, de véritables piquets de grève d’un genre que nous n’avions pas vu depuis un certain temps ont soudainement proliféré. Il s’agissait, dans un certain sens, de piquets inversés : le but était moins d’empêcher les travailleurs d’entrer dans l’espace de production que d’empêcher la sortie des marchandises pour la circulation. [58]

L’organisation de bon nombre de ces blocages s’est propagée par le biais de réseaux locaux de coursiers à moto qui, dans les moments précédant l’arrivée d’une nouvelle livraison sur l’application, ou en attendant la finalisation d’une commande au restaurant, se retrouvent à attendre sur le même parking. En même temps qu’elles donnent une image précise de la disponibilité permanente exigée du travailleur en flux tendu – qui, lorsqu’il ne s’agit pas d’une course contre la montre, doit rester en veille [59], en attendant que l’appli sonne – ces “zones d’attente “ [60] disséminées dans l’espace urbain deviennent des lieux de fraternisation, et finalement d’organisation. C’était comme ça le 1er juillet, lorsque de nombreux parkings se sont transformés en blocages. Plusieurs employés de fast-foods et même des gérants ont exprimé leur soutien aux grévistes, avec lesquels ils vivent tous les jours, en permettant l’utilisation des toilettes, en offrant du café et même en donnant des repas qui s’accumulaient sur le comptoir sans que personne ne puisse les livrer. Aux portes des centres commerciaux et des restaurants, le soutien tacite ou même explicite des agents de sécurité des entreprises de sécurité externalisées s’est avéré fondamental, bloquant ou retardant l’autorisation d’entrée des briseurs de grève les plus frénétiques.

Sur le parking d’un distributeur d’alcool qui, respectant le jour de grève, avait annoncé la suspension du service de livraison par le biais d’apps, on pouvait entendre au loin, vers onze heures du matin, l’arrivée d’un grand convoi de livreurs, rejoignant leurs collègues qui s’étaient concentrés là depuis le début de la matinée. Peu de temps après, l’essaim de motos a de nouveau parcouru les rues de la ville, sans itinéraire défini. Klaxonnant continuellement et faisant tourner leurs moteurs, cet escadron produisait un bruit assourdissant et assaillait les quais des centres commerciaux qu’ils trouvaient sur leur chemin dans des raids éclairs visant à expulser les chauffeurs qui prenaient des commandes et à forcer les commerçants, effrayés, à baisser leurs portes pendant un moment. Flexibles et reproductibles, les blocages mobiles portaient en eux une menace d’ingouvernabilité qui contrastait avec la prévisibilité et la rigidité des cortèges menés par les camions sonores du syndicat. Lorsque la ville elle-même est le lieu de travail, la grève peut prendre les traits d’une révolte sociale.

L’explosion, cependant, n’a pas eu lieu. Les piquets mobiles se sont heurtés à une double limite : d’une part, la flexibilité de l’application qui, en plus de lancer des promotions pour les livraisons dans les régions les plus touchées par la grève, s’est appuyée sur la taille de son gigantesque réseau de “restaurants partenaires” pour ne pas perdre les clients du jour ; d’autre part, l’agilité des briseurs de grève eux-mêmes, qui étaient tout aussi capables de se déplacer dans le tissu urbain à la recherche d’établissements ouverts. Il est significatif que beaucoup de ceux qui ont insisté pour travailler étaient des coursiers liés aux “opérateurs logistiques” (OL) externalisés d’iFood. En plus de la modalité “cloud” – la “nouvelle façon de travailler” tant célébrée dans laquelle le coursier allume l’application quand il le souhaite et organise son voyage, acceptant ou non les livraisons qui apparaissent sur l’écran – iFood s’appuie sur un autre système moins connu et (du moins apparemment) moins innovant pour gérer sa main-d’œuvre. Un “opérateur logistique est une petite entreprise sous-traitée par iFood pour organiser et gérer une flotte de chauffeurs-livreurs fixes”, parfois dans une zone limitée. [61] Selon la plateforme, ces sous-traitants représentent au moins 25 % du contingent de “partenaires” – une proportion qui, selon de nombreux coursiers, ne cesse de croître – et “contribuent à divers scénarios, comme la desserte de lieux spécifiques” et de centres commerciaux, “l’ouverture de nouvelles régions” et le “complément de la flotte certains jours et à certaines heures”. [62] Certaines de ces entreprises ont des flottes comprenant “jusqu’à 400 personnes circulant dans São Paulo” et facturent un forfait hebdomadaire pour la location de scooters et de vélos par leurs livreurs. [63]

Avec la promesse de recevoir plus de commandes que les “coursiers du cloud” et sans avoir à affronter la file d’attente pour s’inscrire au mode le plus populaire, le “coursier OL” a des horaires de travail prédéterminés, est payé par une entreprise tierce, à laquelle l’appli transmet la valeur des commandes, et est supervisé par un chef de station qui fait office d’intermédiaire pour la plateforme. Le contrôle impersonnel et automatique de l’algorithme se combine ainsi avec la gestion d’un patron en chair et en os qui, comblant les vides laissés par le premier, contrôle étroitement la productivité des travailleurs, avec le pouvoir d’intervenir dans la distribution des commandes, d’appliquer des sanctions et de licencier : le pire du travail avec un contrat officiel, sans aucune de ses garanties traditionnellement accordées.***

Le dernier mot en matière de gestion du travail, la “gestion algorithmique” ultra-moderne de plateformes comme iFood, se synchronise-t-il avec les méthodes archaïques du contremaître ? D’une part, c’est le marché préexistant au Brésil qui explique le phénomène : beaucoup d’opérateurs logistiques sont les anciennes sociétés d’express, des entreprises de livraison de motos qui ont perdu de la place au profit des apps, maintenant incorporées par iFood dans une position subalterne. D’autre part, la combinaison n’existe pas seulement ici. Les deux plus grandes entreprises de livraison d’apps de Chine divisent leur main-d’œuvre de manière similaire : alors que les “gig workers” sont généralement des chauffeurs à temps partiel qui peuvent choisir les commandes qu’ils acceptent, les coursiers “embauchés directement” travaillent à temps plein et sont liés à une “station” contrôlée par un manager – pourtant, aucun d’entre eux n’a de lien professionnel formel avec la plateforme. [64]

En combinant la capacité de traitement des données et la surveillance impersonnelle de l’intelligence artificielle avec la coercition directe et personnelle du bon vieux contremaître, désormais dûment externalisé, cette forme bâtarde d’Uberisation pourrait signaler une nouvelle tendance dans la gestion du travail, bien plus efficace que les robots laissés à eux-mêmes. “L’algorithme siffle beaucoup, mais il est muet”. [65] Dans le paysage infernal contemporain du travail, les contremaîtres, les intermédiaires et les tireurs ont une place garantie. Alors que certains rouages de la trêve apparente des dernières décennies sont laissés à la rouille, ces médiateurs néo-archaïques s’avèrent plus actuels que jamais – et, malgré les efforts des PDG qui, dans leur détachement cultivé, préfèrent les maintenir dans l’ombre, il n’est pas étonnant qu’ils cherchent la lumière du jour. [66] Dans cette économie de la viração renouvelée, il n’y a plus aucun moyen plausible d’empêcher la violence ouverte de devenir le nexus social central, comme le montre clairement le vocabulaire guerrier des coursiers à moto – des “soldats” dans la bataille quotidienne du trafic dont la productivité “est mesurée par la vitesse, c’est-à-dire par le risque de mort imminente”. ” [67] La “guerre civile… de plus en plus coordonnée par ce que nous appelons le système des hommes de main au Brésil” devient encore plus claire lorsque ses liens sociaux sont explicités, comme c’est le cas des preuves croissantes de relations entre les OL d’iFood et les entreprises illégales dans les banlieues de São Paulo et Rio de Janeiro. [68]

Le 4 juillet 2021, après une nouvelle vague de manifestations et d’arrêts de travail dispersés dans tout le pays, les coursiers de Curitiba, Goiânia, Campo Grande et Itajaí se sont mobilisés pour obtenir des améliorations, notamment l’abolition de l’obligation de programmer les heures de travail à l’avance imposée par iFood dans certaines villes où il opère. Le même jour, l’agrandissement de la zone de travail des chauffeurs OL, qui a considérablement réduit l’offre de commandes pour les autres, a conduit les coursiers d’un quartier populaire de l’ouest de Rio de Janeiro à se lier les bras et à empêcher la sortie des commandes dans un centre commercial. Les rapports sur la grève, qui s’est rapidement étendue à d’autres régions de la ville et a duré quatre jours, mentionnent non seulement les menaces récurrentes des dirigeants de l’OL envers les grévistes [69] mais aussi la présence de voyous armés devant les restaurants pour empêcher le piquet de grève. [70] Les relations obscures et notoires entre la famille présidentielle et les groupes armés qui exercent ce type de “contrôle privatisé et monopolisé du territoire” ne sont pas une simple coïncidence : en phase avec la gestion la plus avancée de la force de travail flexible répartie dans l’espace urbain, le “gouvernement de milice” du capitaine est à la fois un symptôme et un agent de l’Ubérisation brésilienne. [71]

Survivre au purgatoire

De fortes pluies sont tombées sur Macapá le 3 novembre 2020. Entre les ondulations du tonnerre, les lumières se sont éteintes et les téléphones portables ont perdu leur service. La sous-station qui fournit de l’énergie à tout l’État d’Amapá, qui fonctionnait avec une partie de sa structure endommagée depuis plus d’un an, s’est finalement effondrée. C’était le début de la plus longue panne de courant de l’histoire du pays, qui allait durer trois semaines. Le manque d’énergie électrique a affecté la distribution d’eau dans une grande partie de la ville, ce qui a conduit de nombreuses personnes à laver leur linge et à faire leur vaisselle dans les rivières. L’instabilité des réseaux de télécommunication a empêché les habitants de communiquer. Aux guichets automatiques, il était impossible de retirer de l’argent ; des files d’attente se sont formées dans les stations-service, et les rayons se sont rapidement vidés sur les marchés et dans les épiceries. Pendant ce temps, les décès de covidés ont augmenté de façon exponentielle. Après quatre jours dans le noir, la connexion a été rétablie, ainsi qu’un système de rationnement totalement instable, réparti de manière inégale entre les condominiums de l’élite et les quartiers de la classe inférieure. L’oscillation du courant a entraîné des surcharges : les appareils électroménagers se sont éteints, les lampadaires ont explosé, les maisons ont pris feu.

Alors que la crise s’étirait et que le désespoir se répandait, “des barricades sont apparues dans les rues, des manifestations dans toute la ville, beaucoup avec des pneus en feu”. [72] En plus d’atténuer l’obscurité de la nuit, sortir sur l’avenue et allumer une barricade de feu de poubelle était le dernier recours des foules qui attendaient la normalisation de l’alimentation électrique ou la réparation d’un transformateur endommagé pour faire pression sur les autorités. La police militaire, qui a suivi le mouvement de près, réprimant et persécutant les résidents, a compté plus de 120 manifestations dans tout l’Amapá quand, soudainement, la pandémie est redevenue un objet de préoccupation. “Dans le but de réduire les risques de transmission du nouveau coronavirus, le gouvernement de l’État a décrété un couvre-feu nocturne et a interdit “tout type d’activité politique dans les rues ou sur les places, même en plein air, y compris les réunions, les promenades, les cortèges, les rassemblements, etc. ” [73] Les formes d’effondrement qui se chevauchent en Amapa complètent notre portrait de la dystopie brésilienne, où l’État sabote les mesures d’isolement social au nom de la discipline du travail, puis déclenche un verrouillage pour contenir la révolte sociale.

“Ce qui s’est passé avec l’électricité dans l’Amapá n’a rien à voir avec le gouvernement fédéral”, affirmerait le Président les jours suivants. Il était clair dès le début que le gouvernement n’assumerait aucune responsabilité pour la panne d’électricité. Après tout, c’était le résultat de la négligence d’une entreprise privée : avec l’annonce que les dommages causés aux biens personnels ne seraient pas indemnisés, la population elle-même a commencé à organiser une collecte pour aider à reconstruire les maisons de ceux qui ont tout perdu. Autour du hashtag #SOSAmapá, des initiatives visant à donner des produits d’épicerie aux quartiers les plus pauvres se sont répandues pendant la pénurie. [74]

La survie auto-organisée de l’enfer opère donc dans une zone ambiguë, suspendue quelque part entre la solidarité et un effort pour décharger les coûts de la catastrophe sur la population. Lorsque le système de santé s’est effondré à Amazonas quelques mois plus tard, l’agitation sur Internet a permis de recueillir des dons dans tout le pays. Afin de contourner la surpopulation et le manque de fournitures dans les unités de soins intensifs, les familles ont improvisé des lits de soins à domicile pour prendre soin de leurs proches malades. Des réseaux d’amis et de bénévoles se sont mobilisés pour obtenir des bouteilles d’oxygène directement auprès des industries de la zone franche de Manaus, puis les ont redistribuées aux foyers de soins ambulatoires de toute la ville. Si le décompte quotidien des morts de la pandémie dans les journaux met en évidence la « jetabilité » à laquelle est condamnée une grande partie de la population, ce même cauchemar révèle sa productivité dans la mesure précise où il consigne les vivants à un régime de disponibilité totale à tout travail : “Nous sommes en train de devenir des médecins. C’est ce qu’il nous reste à faire”, rapporte une jeune femme qui vient d’apprendre à administrer de l’oxygène à domicile aux membres de sa famille qui n’ont pas été admis à l’hôpital par manque de lits disponibles. [75] Choc après choc, la catastrophe permanente dans laquelle nous sommes suspendus depuis deux ans donne du pouvoir et normalise les anciennes stratégies de survie dans la guerre quotidienne, qui ont toujours été informelles, improvisées, dangereuses et illégales. Mais ces heures supplémentaires sans forme, autrefois considérées par les sociologues brésiliens comme le moteur caché de notre modernisation capitaliste, n’ont depuis longtemps pas réussi à susciter d’espoir de développement : au milieu de l’effondrement, elles ne font que recalibrer constamment l’horizon négatif de l’enfermement dans notre période d’attente désespérée, épuisante et sans fin.

En même temps qu’elle radicalise le ” mode de vie périphérique de la course à la vie “ [76], la forme de gouvernement ” déconstructive “ de Bolsonaro [77] prépare le terrain pour les mouvements de capitaux qui resserrent les mailles du contrôle et tentent de donner “ une mesure à cette zone nébuleuse “ d’informalité. [78 ] De ce point de vue, l’aide d’urgence est loin du prétendu ” revenu de base universel “ célébré par les analystes économiques. [79] Les transferts d’argent expérimentaux de 2020 étaient étroitement liés à un autre transfert : le transfert des coûts et des risques de l’État et des entreprises vers une population dûment enregistrée et rémunérée à petite dose. [80] Lorsque les actions des autorités dans la pandémie se résument à “une plus ou moins grande indulgence ou à un (petit) renforcement d’une quarantaine auto-organisée par les travailleurs, “ [81] c’est parce que la gestion même de l’urgence sanitaire a été confiée à la foule. Cette “autogestion subordonnée “ [82] caractéristique du travail de plateforme se révèle ici être une tendance à la survie généralisée à travers la catastrophe. Des masques en tissu cousus à la maison et vendus dans la rue – une source de revenus pour ceux qui trouvent toujours un moyen de s’en sortir – aux barrières sanitaires où des habitants volontaires se sont relayés à l’entrée des petites villes et des zones touristiques [83], la quarantaine ne pouvait exister que sous la forme d’un bricolage [84], une somme d’efforts non coordonnés (et souvent contradictoires) qui ont abouti, au final, à une quantité gigantesque de travail sale. [85] Pendant que les morts étaient enterrés, nous avons tous collaboré – que ce soit dans l’isolement ou dans la bousculade – pour faire fonctionner la machine urbaine. [86]

Dans les derniers mois de 2020, l’aide d’urgence a été progressivement interrompue par l’exclusion progressive de millions de bénéficiaires et une réduction de la valeur des derniers versements, jusqu’à ce qu’elle expire finalement en décembre. Il s’en est suivi un état de calamité publique et un “budget de guerre” qui a rendu possible le plus grand essai de transfert direct de revenus jamais réalisé au Brésil. [87] Avec un deuxième pic d’infections au début de 2021, les états et les municipalités ont à nouveau mis en place des mesures pour restreindre le commerce et les services afin de contenir le virus, mais cette fois sans aucune aide économique. Les travailleurs informels seraient poussés à bout. La situation est devenue encore plus alarmante dans les régions touristiques, où l’été est l’occasion d’accumuler des économies pour le reste de l’année. [88]

Les nombreuses manifestations contre la fermeture qui ont commencé en décembre 2020 avaient une composition sociale différente de celle des rassemblements bolonaristes au début de la pandémie. Bien qu’une décision de justice ait fermé les plages, restreint le commerce et interdit les touristes, quelques jours avant le réveillon du Nouvel An, la ville de Búzios a été envahie par les manifestations : des centaines de personnes ont entouré le palais de justice, jusqu’à ce que la mesure tombe. À Angra dos Reis, les travailleurs ont bloqué l’autoroute Rio-Santos et les commerçants ont occupé le bâtiment de la mairie contre le durcissement des restrictions. [89] Dans tout le pays, les petits employeurs se sont mêlés dans les rues avec leurs employés aux côtés des colporteurs, des artistes, des vendeurs du marché, des chauffeurs de moto-taxi, des musiciens, des conducteurs d’apps, et ainsi de suite. D’une certaine manière, ce mouvement a exprimé une réaction à la fin de l’aide d’urgence, bien qu’en ciblant les mesures sanitaires des gouvernements locaux, il soit retourné dans l’orbite du Bolsonarisme. En Amazonas, où 52% de la main d’œuvre est informelle, le décret de verrouillage du 23 décembre interdisait expressément la “vente de produits par des vendeurs ambulants” et les “foires et expositions d’artisanat”. [90] Il serait révoqué trois jours plus tard, après qu’une manifestation ait échappé au contrôle des organisateurs et déclenché une nuit de barricades à Manaus. [91]

C’est précisément pendant les semaines qui ont suivi que le monde entier a regardé avec détresse les nouvelles de décès dus au manque d’oxygène dans les hôpitaux amazoniens, en proie à une nouvelle variante plus contagieuse du virus. Comment pouvons-nous soutenir une demande dont la conséquence évidente est la mort d’un plus grand nombre de personnes ? Selon les mots d’un chauffeur d’application qui a organisé les manifestations, le mouvement “n’est pas mené par des négationnistes, tout le monde sait que la maladie existe et que malheureusement de nombreuses personnes sont mortes”, mais “nous devons coexister et développer des moyens ou des stratégies qui peuvent garantir la continuité de toutes les activités économiques”. [92] A la recherche d’une “stabilité entre l’économie et la santé”, les manifestations réclamées au plus fort de la catastrophe hospitalière ont également commencé à exiger la distribution de “kits de covid gratuits”. Dans un nouveau serrage de vis vers la droite, la lutte contre le verrouillage s’est engagée dans une défense du soi-disant “traitement précoce”, une référence générique à la prescription de médicaments sans efficacité prouvée contre le nouveau coronavirus (et avec de possibles effets secondaires nocifs pour la santé), mais largement adoptée pendant la pandémie dans le pays.

Encouragée par le président dans ses discours, administrée dans les hôpitaux publics et indiquée par les assureurs santé et les médecins privés, la “prophylaxie” au moyen de médicaments en vente libre conçus pour le paludisme, les poux et les vers était encore, à la mi-2021, reconnue par près de la moitié des médecins brésiliens comme utile pour lutter contre le coronavirus. [93] L’étonnante capillarité de ce remède miraculeux, vendu par des opportunistes de toutes sortes plus d’un an après le début de la pandémie, était le signe que son appel trouvait des échos en première ligne dans les hôpitaux. Maintenant, si les “méthodes alternatives” n’ont jamais été efficaces pour le rétablissement des malades, elles apporteraient certainement un certain soulagement aux patients désespérés et apaiseraient l’impuissance des agents de santé eux-mêmes, dont beaucoup étaient au bord de l’épuisement face à une maladie inconnue et mortelle. D’alternatives improvisées pendant la crise, ces procédures se sont popularisées précisément en tant que “Protocole d’effondrement” – titre de l’un des livestreams (vidéos diffusées par Internet. ndt) dans lequel des médecins du Pará ont partagé leur expérience dramatique pendant la première moitié de 2020. Lorsque “le système de santé de Belém s’est effondré et que les pharmacies ont épuisé leur stock de médicaments,

les médecins ont dû improviser pour sauver la vie des patients. Les rapports de cas abondent sur les flux en direct, les expériences des plans de santé et des cliniques publiques, qui confirmeraient que le traitement précoce sauve des vies, et qui suggèrent que ceux qui n’ont pas eu accès au traitement ont réagi le plus mal.  [Dans le même temps, les cas de patients qui finissent par mourir sont considérés comme naturels : après tout, “aucun traitement n’est infaillible”. [94]

Dans des groupes fermés sur Facebook et Telegram, les médecins ont partagé les résultats de thérapies expérimentales et artisanales, comme la nébulisation de comprimés d’hydroxychloroquine chez des proches malades ; ils ont discuté de la façon de se protéger légalement lorsqu’ils pratiquent ce type de procédure clandestine ; ils ont organisé des campagnes pour la reconnaissance de leurs méthodes ; et, surtout, ils ont formé un énorme réseau de professionnels et de patients. Plus qu’une simple ordonnance – et un paquet gratuit en cadeau dans l’espoir de fidéliser les patients – l’ordonnance d’Ivermectin était souvent accompagnée d’une invitation à un groupe WhatsApp. [95]

Dans un pays où l’automédication est très répandue [96], il n’est pas surprenant qu’une grande partie de la population n’ait pas hésité à ajouter un paquet de pilules supplémentaire à l’armoire à pharmacie. De même, pour les autres travailleurs tourmentés chaque jour par la peur de la contagion – entourés par la mort de connaissances, d’amis et de membres de leur famille, et obligés de se risquer chaque jour dans des bus bondés, des bureaux fermés et des cafétérias – le mouvement de ” traitement précoce ” a fourni une ” communauté “ de soins et de sécurité, un réseau macabre d’entraide offrant un semblant de soutien et de bon sens au milieu du chaos. [97] De même, la croyance dans le “kit covid” parmi les travailleurs de la santé a servi de mécanisme de défense subjectif pour “tolérer l’intolérable”, à savoir la dureté du travail dans la nouvelle normalité. [98] Ce mécanisme a permis d’apaiser le désespoir et de faire face à la peur dans un contexte d’approfondissement dramatique de l’expérience négative d’un travail qu’il semblait impossible de déserter. En ce sens, le recours généralisé à des médicaments dont l’efficacité n’est pas prouvée semble avoir moins à voir avec un refus idéologique des mesures connues pour lutter contre la pandémie qu’avec la souffrance générée par leur non-viabilité. L’engagement des malades eux-mêmes – réels ou potentiels – dans la cause des “médicaments salvateurs” n’a pas seulement ajouté aux stratégies de défense psychique de milliers de personnes contraintes de faire fi des protocoles sanitaires les plus élémentaires pour survivre, mais a également donné un sens politique à l’indifférence à laquelle la nécessité les contraignait. [99]

Si de nombreux médecins ont volontairement rejoint la cause du “traitement précoce”, d’autres ont été contraints de le prescrire et de prendre part à ce sinistre “champ d’expérimentation et de diffusion de la cruauté sociale”. [100] Soumettre des patients à des recherches expérimentales sans leur consentement, prescrire le “kit covid” pour repousser les hospitalisations ou avancer la libération des lits en prescrivant des “décharges célestes” (c’est-à-dire, éteindre des équipements et administrer un “traitement palliatif”) était un sale boulot nécessaire pour équilibrer les comptes d’une poignée de prestataires de soins de santé, dans une démonstration sinistre de la façon dont la perversité peut devenir un système de gestion. [101] [102]

Il devrait être clair que la calamité verte et jaune a servi, sur de multiples fronts, de laboratoire avancé de gestion de crise. Pour ce qui pourrait être, selon le Général Edson Pujol, la mission la plus importante de sa génération, l’armée brésilienne a centuplé la production de chloroquine dans ses installations, après avoir fait un achat massif de fournitures. [103] Dans la bataille contre le virus, les mécanismes de défense subjective ont représenté des armes de défense nationale dans une opération qui, de l’aveu des forces armées, était essentiellement psychologique : plus qu’un remède contre la maladie, selon une déclaration de l’armée, il s’agissait de “donner de l’espoir à des millions de cœurs affligés par les impacts avancés de la maladie au Brésil et dans le monde. “ [104]

Le fait que l’effort de guerre requis par la pandémie échapperait aux schémas du combat conventionnel a toujours été évident dans la réponse de la chaîne de commandement mondiale au nouveau virus : “Plus qu’une guerre, c’est une guérilla”, a annoncé le directeur de l’Organisation mondiale de la Santé en mars 2020. Ce sentiment fait écho au paradigme du conflit irrégulier qui a longtemps guidé les manuels militaires, attentifs à la multiplication des conflits asymétriques et fragmentaires dans lesquels il n’est plus possible de distinguer clairement les forces en présence, comme c’était le cas dans le modèle classique de “deux armées nationales, l’une contre l’autre”. Et la perte de forme de la guerre contemporaine – qui revêt de plus en plus un “caractère informel, dynamique et flexible”, comme l’explique un colonel brésilien – n’est peut-être pas sans rapport avec la perte de forme du travail, mais indique que la frontière même entre la guerre et le travail s’est estompée. [105]

Nouvelle tendance dans les académies militaires du monde entier, le jargon de la “guerre hybride” décrit le mélange d’opérations de combat militaires – ouvertes ou secrètes, menées par des forces externalisées – avec l’engagement de la foule civile sur les réseaux sociaux et dans les rues, comme on l’a vu au cours de la dernière décennie en Syrie ou en Ukraine. [106] Cependant, pour un autre exemple combinant la gestion algorithmique de la foule et la coercition directe par des opérateurs externalisés, nous pourrions aussi considérer le régime de travail de certains coursiers d’applications. N’avons-nous pas découvert une gestion du travail “hybride”, entre logiciels et contremaîtres ?

Non moins “hybride” est l’administration des territoires et des populations de plus en plus ingouvernables autour d’ici. Une fois que gouverner est confondu avec démanteler, il est même difficile de distinguer les insurgés des forces de l’ordre. Dans son opération réussie pour assurer la loi et l’ordre dans un pays effondré, le gouvernement fédéral s’est appuyé sur un énorme réseau pour diffuser le “traitement précoce”, avec des mouvements sociaux soutenant la réouverture des commerces, des églises et des écoles, et avec les dons des collectivités et des entreprises pour les plus vulnérables, sans jamais écarter, toutefois, la puissance de feu des escouades officielles et officieuses : la police brésilienne a établi un nouveau record de létalité au cours de la première année de la pandémie. [107]

Dans l’ensemble, la crainte qui avait conduit le Congrès à défendre une aide d’urgence d’une valeur et d’une ampleur supérieures à tout autre programme de ce type dans le pays n’était plus justifiée : la capacité de la population “à se débrouiller dans des situations de crise “ [108] a transformé le scénario dévasté en une “nouvelle normalité”, même si les revenus du travail étaient en chute libre, l’inflation galopante et la faim en hausse vertigineuse. [109] Face à cela, le versement de l’aide reprendrait après des mois d’indéfinition à des niveaux plus “réalistes” – avec une portée réduite et des montants plus faibles – avant d’être finalement remplacé par une Bolsa Família remaniée et des lignes de crédit spéciales. [110] Recalibrée, la politique de transfert d’argent continue de fonctionner comme le “fonds de roulement” du viraçāo (dans lequel, par défaut, il est impossible de “séparer ce qui relève des affaires et ce qui relève de l’argent des ménages”) dans l’arsenal de cette mobilisation totale pour le travail. [111]

Même pour ceux qui sont restés à distance des dangers du front, l’expérience de l’enfermement à la maison – télétravail, cours à distance, absence de travail ou même monétisation de leurs performances sur des jeux vidéo – n’a pas échappé à l’effort de guerre. [112] D’une part, l’isolement social a creusé le fossé historique entre le contingent qualifié et le reste de la population active, puisque la sécurité du bureau à domicile n’était pas une option pour plus de 80 % de la population active. D’autre part, le bureau ou la salle de classe improvisé(e) au sein du domicile des gens, supportant des coûts qui auraient autrefois été supportés par les employeurs, indique que les caractéristiques de l’informalité ont commencé à s’étendre à toutes les strates de la population active. De la résistance silencieuse au régime de surveillance et de surmenage de l’apprentissage à distance [113] aux grèves sans précédent des streamers [114], les tensions de ce télétravail sans forme entre quatre murs ont également produit des conflits dans toute la pandémie. La frontière entre le travail et l’espace de repos étant floue, la vie en quarantaine est soumise à la pression d’une demande incessante de rester productif – entre les cours en ligne pour améliorer le CV et les exercices physiques pour rester en forme – “dans un mélange de rythme d’abattoir avec des conférences en ligne sur les défis de la parentalité et des enseignements sur ‘comment vivre seul et rester heureux'” [115].

Dans les rues ou à la maison, toute personne qui traverse la vie comme une guerre, “travaillant au rythme de la mort” – succombant un peu chaque jour – est déjà à moitié morte. Et “les morts-vivants ne sont pas enfermés : ils traversent les barrières, ils ne se soucient pas de mourir à nouveau. “ [116] Mais l’apocalypse zombie, dans la cosmologie hollywoodienne, est aussi l’image de l’insurrection. [117]

NOTES

1.Eduardo Bolsonaro,“Fala de JB abrindo o jantar na embaixada do Brasil nos EUA (17/MAR/2019),”YouTube,  18 Mars 2019.

2.“Para não morrer, operadores paralisam call centers em todo Brasil exigindo quarentena,”Passa Palavra, 19 Mars 2020. Les manifestations sont un épilogue inhabituel aux réflexions de certains militants qui, quelques années plus tôt, ont été confrontés aux difficultés d’organisation dans un secteur où le chiffre d’affaires est si élevé. Alguns Militantes, “Disk Revolta: questões sobre uma tentativa recente de organização em call centers,”Passa Palavra, 30 Mai 2019. Au moment où les centres d’appels étaient touchés par une vague d’arrêts de travail sans précédent, il est significatif que la perspective mobilisatrice ait été simplement d’échapper à cet enfer.

3.Trabalhadores da Livraria Cultura,“’Nosso último grito de socorro’: trabalhadores voltam a denunciar a Livraria Cultura,”Passa Palavra, 19 Février 2020.

4 “Nous sommes des otages”, tel était le message écrit sur une pancarte affichée par les travailleurs à la fenêtre d’un centre d’appels du centre-ville de São Paulo le jour de la “grève générale” appelée par les syndicats contre les réformes du travail et de la sécurité sociale en 2017. Disk Revolta, “Pedido de socorro e apoio à greve na Uranet,” Facebook, 28 Avril 2017.

  1. Ici, la bataille clandestine dans la librairie a également révélé une tendance. “Pour tout syndicaliste, l’objectif ultime fixé par les travailleurs de Livraria Cultura semblera très étrange : ils veulent être licenciés sans aucune raison justifiée. Bien que cette demande n’ait de sens que dans le cadre de la CLT [loi brésilienne sur le travail] (après tout, l’objectif est de gagner le licenciement), d’un point de vue historique, ce type de lutte indique déjà un adieu aux promesses faites par les contrats de travail CLT, puisqu’il n’y a plus l’horizon juridique, politique, économique et social qu’ils présentaient autrefois (carrière, stabilité, droits, etc.). ‘Être licencié était considéré comme une victoire’, a écrit un ancien employé dans un commentaire.” “Por que as denúncias contra a Livraria Cultura viralizaram?,”Passa Palavra,27 Avril 2019.
  2. Un cas de pression collective pour le travail à distance a été enregistré par Invisíveis de Goiânia,“Atento: resistindo à chamada da morte,”Passa Palavra, 17 Avril 2020.

7 “Connu pour être la porte d’entrée de milliers de jeunes sur le marché du travail”, le métier d’opérateur de centre d’appels faisait face “ces dernières années, (…) à une reformulation du marché [du télémarketing], avec des suppressions de postes et un investissement dans le libre-service”, explique le directeur du syndicat patronal du secteur. Les mesures d’éloignement social semblent toutefois avoir contribué à ce que plus d’opérateurs soient embauchés que licenciés au cours des douze mois terminés en février 2021, “pour la première fois en cinq ans”, un mouvement que certains experts considèrent comme temporaire. Quoi qu’il en soit, l’automatisation et la dispersion de la main-d’œuvre semblent être des tendances complémentaires dans la restructuration du secteur, qui évalue le maintien d’une partie de la main-d’œuvre travaillant à domicile après la pandémie – et développe déjà de nouveaux mécanismes de surveillance pour ce faire, comme plusieurs autres secteurs. Angelo Verotti,“Ao novo normal,”IstoÉ Dinheiro, 14 Juillet 2020; Douglas Gavras,Telemarketing reabre vagas com mudança de comportamento do consumidor pós-Covid,”Folha de S. Paulo, 8 Mai 2021;“Funcionários de call center em home office serão vigiados,”Poder 360, 28 Mars 2021.

  1. Certains de ces arrêts sont enregistrés dans une vidéo de la chaîne Treta no Trampo,“2020 – Greve dos rodoviários!”(Instagram, 1 Fév. 2021), et sont mentionnés dans Thiago Amancio,“Crise no transporte público na pandemia provoca greves em série por todo o país”(Folha de S. Paulo, 21 Mai 2021).

9 “Alors que la politique et la guerre ouverte se ressemblent de plus en plus”, avons-nous suggéré à une autre occasion, “les technologies de médiation sociale développées ces dernières années semblent devenir obsolètes.  […] La vague de destruction qui s’est abattue non seulement sur les principaux opérateurs de l’arrangement politique constitué depuis la période de re-démocratisation et leur appareil gouvernemental, mais aussi sur certaines des plus grandes entreprises brésiliennes, doit être appréhendée dans le cadre d’une ” annihilation forcée de toute une masse de forces productives “, mouvement typique des crises capitalistes, qui s’accompagne toujours d’une augmentation de l’exploration. La destruction des forces productives, souvent par la guerre, a toujours été une sortie de secours efficace pour le capital.” Un groupe de militants,“Brazil: “How things have (and haven’t) changed.’

10.Marcos Nobre,“O caos como método,”Piauí, Avril 2019; Gabriela Lotta,“O que acontece quando a falta de decisão é o método de governo,”Nexo, 27 Janvier 2020.

11 “Le discours de Bolsonaro n’est pas un déni de la létalité du virus, ou alors seulement à un niveau superficiel”, note un spectateur des premières prises de position officielles pendant la pandémie : “transsubstantié dans un complexe humain-virus, (. …) Jair Bolsonaro s’approche de sa forme finale, un ange de la mort, un émissaire de la mort de masse – quelle meilleure expression y aurait-il pour le suicide capital?” (Felipe Kouznets,“anjinhos,”helétricuzinho, 25 mars 2020).

12.“Bolsonaro diz que, no Exército, sua ‘especialidade é matar’,”Folha de S. Paulo, 30 juin 2017.

  1. Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE),Pesquisa Nacional por Amostra de Domicílios Contínua — Mercado de Trabalho Conjuntural, Août 2020.
  2. Parmi les nouveaux utilisateurs de la plateforme, 35 % ont fait le lien entre la recherche de travail et la distanciation sociale. Beatriz Montesanti,“Startup israelense de trabalho freelancer chega ao Brasil,”Folha de S. Paulo, 10 Novembre2020.
  3. L’expression “le père est en ligne”, rendue populaire par l’attaquant de football Neymar Jr, est devenue un mème sur Internet. Être en ligne signifie aussi, dans ce cas, être “connecté”, disponible, prêt à tout, dans des contextes allant du flirt au travail, en passant par tout le champ ambigu des réseaux sociaux.. 

16.Clara Assunção,“No país da informalidade, ambulantes na CPTM protestam pela sobrevivência: ‘Queremos trabalhar,’”Rede Brasil Atual, 6 Février2020.

  1. Disponible en anglais : Quelques militants,,“Caught between Rush and Isolation: Workers Under Dispute during the Pandemic,”Passa Palavra, 12 Avril 2020.
  2. Dans ses écrits des années 1970, Chico de Oliveira voyait le processus de modernisation du pays comme un “œuf de Colomb” : comme le vieux truc consistant à casser la coquille d’œuf pour la mettre sur ses pieds, ce qui a mis et maintenu le capitalisme brésilien sur ses pieds était cette “étrange économie de subsistance”, apparemment archaïque, des périphéries urbaines et des campagnes. L’industrie des biens de consommation, a montré le sociologue, avait son pendant dans le commerce de rue, tandis que la croissance de la production automobile s’est accompagnée de la prolifération de lave-autos manuels et d’ateliers de mécanique à tous les coins de rue. En compensant l’absence d’accumulation capitaliste préalable suffisante, cette symbiose a donné une place absolument centrale au “travail informel” dans le processus d’industrialisation et d’urbanisation du pays. De même, l’emploi formel est lui-même lié à l’informel depuis sa genèse : pendant les jours de congé de l’usine, le travailleur employé formellement continuait à travailler – de son propre chef et sans rémunération – pour construire sa propre maison dans des quartiers irréguliers, une pratique qui a donné naissance à un nombre considérable de bidonvilles et de quartiers périphériques dans les grandes villes brésiliennes et a fini par faire baisser les salaires, puisque ces derniers n’avaient pas à tenir compte du loyer. Dans l’autoproduction des travailleurs par des solutions épuisantes et improvisées, une quantité colossale de surplus de travail informel a été rendue invisible dans l’ombre de la vie professionnelle officielle. Chico de Oliveira a lié cette dimension invisible de l’exploitation à la méfiance des travailleurs envers les gouvernements populistes avant le coup d’État de 1964, qui ont été renversés du jour au lendemain sans grande résistance populaire. Ce n’est pas un hasard si c’est précisément des périphéries urbaines, qui concentraient ce travail informel, que de nouveaux personnages sont entrés en scène dans les années qui ont précédé la fin de la dictature militaire. De l’invasion des terres à la demande d’infrastructures collectives dans les quartiers (assainissement, électricité et rues pavées, bus, crèches, centres de santé, écoles, etc.), les luttes en marge de la métropole ont occupé une place centrale dans la recomposition politique du prolétariat brésilien de la fin des années 1970. En même temps qu’elle représentait un surplus de travail fonctionnel pour l’accumulation capitaliste, l’auto-construction de la ville s’est avérée être une zone de conflit explosive. Dans ce processus ambivalent, dans lequel l’auto-activité prolétarienne était simultanément un travail non rémunéré et une lutte de classe, devient visible ce que le brésilien James Holston a appelé une “citoyenneté insurgée”, dans laquelle la confrontation devient un moyen d’intégration à l’ordre. Voir Francisco de Oliveira, “The Duckbilled Platypus,”New Left Review, n. 24, Novembre/Décembre2003; et, du même auteur, “Acumulação monopolista, Estado e urbanização: a nova qualidade do conflito de classes,” dans José Álvaro Moisés et autres, Contradições urbanas e movimentos sociais, São Paulo, CEDEC / Paz e Terra, 1977; James Holston, Insurgent Citizenship: Disjunctions of Democracy and Modernity in Brazil, Princeton University Press, 2009.

19.Paulo Arantes, “A fratura brasileira do mundo,” Zero à esquerda, São Paulo, Conrad, 2004. Pour une reprise récente de cette discussion, dans le contexte de l’échec de la lutte contre la pandémie dans le cœur occidental du capitalisme, voir, see Alex Hochuli,“The Brazilianization of the World,”American Affairs, v. 5, n. 2, 2021.

  1. Ludmila Costhek Abílio,“O futuro do trabalho é aqui,”Revista Rosa, v. 4, n. 1, Août 2021.
  2. Cette expression populaire, empruntée par certains sociologues ces dernières années, définit joliment le mouvement “entre une série d’activités contingentes, marquées par l’instabilité et l’inconstance, ainsi qu’entre des expédients légaux et illégaux” qui marque la trajectoire d’une partie importante de la main-d’œuvre brésilienne : Des “parcours toujours discontinus, toujours instables sur le marché du travail” qui “rendent inopérantes les différences entre le formel et l’informel”. Voir Carlos Freire da Silva, “Viração: o comércio informal dos vendedores ambulantes” in V. Telles e outros, Saídas de emergência, Boitempo, 2011 and Vera da Silva Telles, “Mutações do trabalho e experiência urbana,” Tempo Social, v. 18, n. 1, 2006. Cette « vie à la limite » des périphéries brésiliennes signifie un accrochage constant aux opportunités, ce qui, en termes techniques, se traduit par la rotation élevée du marché du travail brésilien, le transit permanent entre le travail formel et informel (…), dans la combinaison de gigs, de programmes sociaux, d’activités et d’emplois illicites”. Ludmila Abilio,“Uberização do trabalho: subsunção real da viração,”Passa Palavra, 19 Février 2017.
  3. “Lei trabalhista tem que se aproximar da informalidade, diz Bolsonaro,”Folha de S. Paulo, 12 Décembre 2018.
  4. Pedro Fernando Nery,“Desigualdade em V,”Estado da Arte, 11 Novembre 2020
  5. Isadora Andrade Guerreiro,“O vírus, a invisibilidade e a submissão dos vivos ao não-vivo,”Passa Palavra, 11 Mai 2020.
  6. João Bernardo,“Programa Bolsa Família: resultados e objectivos,”Passa Palavra, 10 Avril 2010.
  7. Vecteurs du même processus, la nouvelle loi de régularisation des terres rurales et urbaines et le programme de maisons vertes et jaunes montrent la transformation des logements auto-construits en un actif financier, une sorte de financiarisation du viraçāo, qui constitue le véritable lest de ces titres – soit en tant que travail mort cristallisé dans les maisons qui sont régularisées et servent de garantie pour les hypothèques et autres transactions, soit en tant que travail vivant qui paie ces dettes. Isadora Guerreiro,“Casa Verde e Amarela, securitização e saídas da crise: no milagre da multiplicação, o direito ao endividamento,”Passa Palavra, 31 Août 2020.

27 “Nous n’avons aucune nouvelle d’un pays qui, en dix jours, a fourni gratuitement des comptes bancaires à 30 millions de personnes”, a déclaré Paulo Guedes début avril 2020. Mariana Ribeiro et al.,“Auxílio emergencial colocará 30 milhões de pessoas em contas bancárias digitais,”Valor Investe, 7 Avril 2020.

  1. “L’objectif est de liquider les formes archaïques de crédit et d’assurance, en les remplaçant par leurs équivalents capitalistes. Il est curieux de considérer que, si cet objectif est atteint, nous serons dans une situation opposée à celle du modèle keynésien de distribution des revenus, car ici nous ne comptons pas sur la capacité de consommation des bénéficiaires, mais sur leur capacité à épargner pour investir. De cette façon, ceux qui ne trouvent pas d’emploi en tant que salariés survivront en tant que microentrepreneurs, contribuant ainsi, d’une part, et d’autre part, à la modernisation du capitalisme brésilien” (João Bernardo, “Programa Bolsa Família: resultados e objectivos,” cit.). Le processus d’organisation de cette économie à la fois informelle et absolument moderne est précisément ce qu’on a appelé “ubérisation”, à condition qu’il ne s’agisse pas de régression ou de modernisation, mais certainement d’une augmentation de la température des chaudières de l’enfer qu’est le monde du travail contemporain.

29.Michael Grothaus,“How Universal Basic Income Could Rescue The Freelance Economy,”Fast Company, 1er Décembre 2017.

  1. João Pedro Pitombo e João Valadares,“Auxílio emergencial irriga negócio informal e banca puxadinho em casas no Nordeste,”Folha de S. Paulo, 7 Août 2020.
  2. Toni Pires and Heloísa Mendonça,“Mesmo com auxílio emergencial, crise empurra desempregados para viver na rua,”El País,1er Septembre 2020; Beatriz Jucá and Heloísa Mendonça,“O auxílio que revoluciona a vida no Ceará não salva da rua em São Paulo,”El País, 31 Août 2020
  3. Peut-être est-ce un bon exemple de “consommation productive”, de la manière dont Ludmila Abilio donne un nouveau sens au terme de Marx, en l’associant à l’effacement des frontières entre travail et consommation dans le capitalisme contemporain (Sem maquiagem: o trabalho de um milhão de revendedoras de cosméticos, São Paulo, Boitempo, 2014).
  4. La thèse est reprise de Ludmila Abilio (“Uberização do trabalho: subsunção real da viração,” cit.). Selon Marx, la subsomption réelle du travail au capital marque le moment où, dans l’industrie, les machines forment un système intégré qui n’est plus contrôlé par les travailleurs, mais dicte le rythme de leur travail et donne une unité aux tâches qu’ils accomplissent séparément. Le travail mort commence à organiser pleinement le processus de production et à soumettre le travail vivant, dans un processus de dépossession qui consolide la séparation entre les travailleurs et les moyens de production et constitue le travail en tant que tel. S’il y a des années, Chico de Oliveira a signalé quelque chose que l’on pourrait appeler la “subsomption formelle” du viraçāo (se débrouiller), les technologies qui permettent d’effectuer le contrôle de ce travail dans sa propre dispersion représentent une nouvelle étape. Grâce aux gains d’économies d’échelle, à la rationalisation et à la centralisation, la “gestion algorithmique” du viraçāo (getting by) porte la productivité à des sommets inconnus. De ce point de vue, la reconnaissance de ce travail informe au centre de notre modernisation tronquée impose une limite à la catégorisation de l'”uberisation” comme un strict processus de flexibilisation des relations de travail. En un sens, ce que les entreprises d’apps ont fait ici, c’est accélérer la création de connexions de plus en plus directes et rationalisées entre cette activité informe et les circuits d’accumulation.
  5. Luciana Cavalcante,“Do WhatsApp ao Uber: 1 em cada 5 trabalhadores usa apps para ter renda,”UOL, 12 Mai 2021.
  6. Victor Hugo Viegas,“O movimento do auxílio emergencial,”A Comuna, 14 Octobre 2020.
  7. Treta no Trampo,“Tretas na pandemia: Filas do banco,”Instagram, 6 Mai 2020
  8. Victor Hugo Viegas,“O que o auxílio emergencial tem a ver com a luta de classes?,”Jacobin Brasil, 27 Octobre 2020
  9. Aliny Gama,“MPT investiga se funcionários ajoelhados em ato foram coagidos por patrões,”UOL, 30 Avril 2020.
  10. Amigos do Cachorro Louco,“Dá para fazer greve no aplicativo? Discussão das lutas dos motoboys,”Passa Palavra, 17 Mars 2020.
  11. “J’apprendrai à nager”, chantait Gordurinha, condensant en un seul couplet, en 1960, le parcours consistant à “travailler à Madureira, voyager par Cantareira et vivre à Niterói”. Il n’est pas surprenant que les paroles soient apparues un an après la révolte des ferry-boats [“Revolta das Barcas”] qui a mis le feu à la flotte et pillé le manoir des propriétaires de la compagnie Cantareira. “Mambo Da Cantareira,”Gordurinha tá na praça, 1960. Il n’est pas non plus surprenant que les bus et les trains aient toujours eu une vocation incendiaire ; après tout, l’humiliation collective dans les files d’embarquement et les transports bondés est une caractéristique endémique du surtravail, car le fardeau du déplacement repose lui-même sur les épaules du travailleur. ” Il faut plus de travail pour aller au travail que pour travailler “, expliquait une pancarte en juin 2013, lorsque la bombe à retardement a finalement explosé.
  12. Dans les citations de ce paragraphe et du suivant, les termes proviennent de Ludmila Costhek Abílio, Segurando com as dez: o proletário tupiniquim e o desenvolvimento brasileiro, final postdoctoral report presented to FAPESP, FEA-USP, 2015.

42.Leo Vinicius,“A greve dos apps e a composição de classe,” Passa Palavra, 18 Août 2021.

  1. Cette perception n’est pas limitée aux livreurs brésiliens. “Il n’y avait personne qui respirait dans mon cou, me disant d’aller plus vite, de faire ceci ou cela. […] Étant donné à quel point les autres emplois peuvent être sinistres, beaucoup de travailleurs ont aimé Deliveroo en comparaison. Le stress de rouler sur la route est à peu près le même, voire moins, que le stress de travailler 8 heures dans un pub ou un supermarché.  […] Tu es dehors toute la journée, tu te déplaces constamment et tu n’as jamais un manager qui t’appelle pour couvrir une fermeture au bout de quelques heures. Il y avait un sentiment d’autonomie et d’indépendance dans ce travail qui n’était pas entièrement illusoire.” (Callum Cant. Riding for Deliveroo: Resistance in the New Economy. Cambridge, Polity Press, 2019. ) Se moquant de l’image des livreurs comme “pauvres esclaves du système”, un cycliste italien se demande si la livraison est “préférable à d’autres emplois, par exemple dans une entreprise. Je pense que c’est l’un des problèmes de la plateforme de revendications actuelle.  […] La plupart des livreurs sont contre cette manifestation  [appelée par les syndicats], pour se transformer en subordonné, car la flexibilité est un avantage” (“EP. 4 – Riders,”Podcast Commonware, April 20, 2021).
  2. Cherchant à tout prix à refléter, dans le mouvement réel, son image, la gauche “ne défend ni quelque chose d’utopique, puisqu’il s’agit du maintien de la même situation et d’un système de confinement, ni quelque chose de réaliste puisqu’il n’y a pas de lest matériel pour ses projets.” (Felipe Catalani, “O ‘enigma’ dos motoboys em greve contra a CLT,” Passa Palavra, 2 Juillet 2020).
  3. Ludmila Abílio, “Uberização do trabalho,” cit.
  4. Cette dialectique du chien fou n’est pas quelque chose de nouveau pour la périphérie du capitalisme. “Être un cachorro loko [chien fou] signifie avoir une moto sans permis  [de circulation] et savoir comment échapper à un blitz policier. Cela signifie connaître les chemins de la ville. C’est savoir comment faire les démarches dans un tribunal, un bureau d’enregistrement ou une banque. Cela signifie garantir à l’entreprise (ou aux entreprises) que le service sera exécuté littéralement sans contretemps. (…) Le zèle de cette profession se traduit par un jeu d’équilibriste permanent pour savoir combien risquer sa vie, comment effectuer les procédures bureaucratiques compte tenu de ses connaissances de la ville, et les tensions sociales quotidiennes qui se matérialisent dans la circulation.” Voir Abílio, “Segurando com as dez,” 23-24.
  5. Francisco Miguez and Victor Guimarães, “App Workers Memes and Struggles in Brazil,”Notes From Below, 30 Mars 2021.
  6. Jacilio Saraiva,“Total de entregadores na Grande São Paulo tem aumento de 20%,”Valor Econômico, 9 Juin 2020.
  7. Des scènes de manifestations comme celles-ci ont été enregistrées par Treta no Trampo dans “Diário de um motoca na pandemia,”Instagram, 25 avril 2020 et “Pedidos demorando demais pra sair no BK Demarchi (SBC),”Instagram, 13 Octobre 2020.
  8. Pour un exemple de ce type de situation enregistré à São Gonçalo, Rio de Janeiro, voir Invisíveis,“Protesto de entregadores no Supermarket,”Instagram, 11 Juin 2020.

51 En janvier 2020, la vidéo dans laquelle un policier attaque un livreur suscitera des manifestations contre le comportement arbitraire de la police lors d’une opération éclair d’inspection des véhicules dans le Distrito Federal (“Motoboys fazem protesto em Taguatinga,”Globoplay, 21 Janvier 2020); trois mois plus tard, des livreurs de Piauí manifesteront dans les rues pour demander plus de sécurité à la mairie de Teresina après qu’un collègue a été volé pendant une livraison (Entregadores Teresina PI,“Cadê os valentões da Rua Goiás agora???,”Instagram, 17 Avril 2020). Commentant une mobilisation contre une méga-opération de la police routière visant les livreurs à Florianópolis, Leo Vinícius réfléchit au problème de la sécurité du travail de livraison dans “Entregadores de apps e o modelo policial de prevenção de acidentes,”Passa Palavra, 25 Février 2021.

  1. Amigos do Cachorro Louco,“Sob pandemia, motoboys de app paralisam entregas no Acre,”Passa Palavra, 27 Mars 2020.
  2. La grève dans les entrepôts de Loggi a commencé le 9 juin 2020. Elle a duré quelques jours dans plusieurs régions de l’État de Rio de Janeiro et à Santos (Treta no Trampo,“Greve nos galpões da Loggi no RJ,”Instagram, 9 Juin 2020, and“Greve da Loggi em Santos,”Instagram, 10 Juin 2020. Regarde aussi Invisíveis Rio de Janeiro,“Entre as dificuldades do breque e a experiência dos entregadores,”Passa Palavra, Août 2020).
  3. Treta no Trampo,“Diário de um Motoca – Protesto dos Entregadores no Masp (5/6/2020),”YouTube, 20 Juin 2020.
  4. Isadora Guerreiro e Leonardo Cordeiro,“Do passe ao breque: disputas sobre os fluxos no espaço urbano,”Passa Palavra, 6 Juillet 2020.
  5. Même sans soutien important parmi les livreurs, l’apparition du groupe “Entregadores Antifascistas” [Livreurs antifascistes], au moment des manifestations contre Bolsonaro et de la montée du mouvement des livreurs, a contribué à faire levier sur la visibilité de la lutte contre les apps, en offrant un interlocuteur à la gauche et à la presse. Et c’est encore un autre symptôme du décalage constitutif de la grève des apps, cette fois entre la projection du public “progressiste” – dont le soutien sur les médias sociaux s’est avéré fondamental -, et ce qui était réellement en jeu pour les coursiers. Ce n’est pas un hasard si ce public allait être la cible d’un barrage des batteries publicitaires d’iFood dans les mois suivants.
  6. Pour un aperçu vidéo des mouvements des livreurs tout au long de la première année de la pandémie au Brésil, voir Treta no Trampo,“Um ponto de vista sobre o #BrequeDosAPPs 2020,”YouTube, 14 Mars 2020.
  7. Treta no Trampo,“Breque dos Apps/App Strike in Brazil (Sub EN/ES/PT/FR), July 2020,”YouTube, 8 Juillet 2020.
  8. L’idée a été développée par Leo Vinicius dans “Modo de espera e salário por peça nas entregas por apps,”Passa Palavra, 8 Novembre 2020. L’image d’un immense stock de travailleurs en flux tendu, en attente du prochain travail, est encore une description adéquate des grandes villes brésiliennes.
  9. L’expression a été inventée par Paulo Arantes et sert de titre à son essai sur “o tempo morto da onda punitiva contemporânea” dans O Novo Tempo do Mundo, São Paulo, Boitempo, 2014.
  10. Leandro Machado,“A rotina de ameaças e expulsões de entregadores terceirizados do IFood,”BBC Brasil, 24 Juillet 2020.
  11. Les données proviennent d’un directeur d’iFood dans un article répondant aux plaintes concernant le régime OL (João Sabino,“Cuidar do outro é mandamento do iFood,”Le Monde Diplomatique, 2 Août 2021), mais il n’est pas possible de les confirmer. Étant donné qu’une partie des livreurs du “cloud” accèdent à l’application de manière sporadique, pour des périodes plus courtes ou moins fréquemment, les opérateurs logistiques peuvent être en réalité responsables d’une part beaucoup plus importante de la flotte disponible. Les grèves sauvages contre l’expansion des zones d’opération des entreprises OL et la diminution du nombre de commandes dirigées vers d’autres livreurs sont devenues de plus en plus courantes dans la région métropolitaine de São Paulo (voir Treta no Trampo,“iFood, libera os nuvens em Arujá!,”Instagram, 12 Mai 2021), Goiânia et Cuiabá (voir Revolucionários dos Apps,“Ontem rolou a maior reunião dos entregadores em Goiânia,”Instagram, 3 Février 2022 et FML Foguetes do Asfalto,“Cuiabá vai pra cima do iFood, tmj,”Instagram, 16 Février 2022)
  12. Leandro Machado, “A rotina de ameaças e expulsões de entregadores terceirizados do IFood,” cit.
  13. Les grèves des livreurs de nourriture ont été multipliées par plus de quatre entre 2017 et 2019. En 2020, une série de manifestations et de grèves éclateront en Chine, car la pandémie a accéléré l’expansion du secteur et creusé les inégalités sociales, exerçant une pression à la baisse sur les salaires et conduisant les autorités à mettre en avant le secteur informel comme solution à la hausse du chômage en Chine Les informations sont rassemblées dans une “enquête de longue haleine sur les horreurs du travail de livraison de nourriture, basée sur six mois de recherche” produite par l’un des magazines les plus célèbres du pays, Renwu. Voir “Delivery workers, trapped in the system,” Chuang, Novembre 2020. Début 2021, cinq coursiers de Pékin qui tenaient des canaux d’entraide et des campagnes contre les plateformes de livraison sur les médias sociaux ont été détenus à leur domicile par la police. La persécution de l'”Alliance des travailleurs de la livraison” a été dénoncée par une campagne internationale, qui comprenait des actes de solidarité de la part de travailleurs de l’application du monde entier, notamment devant le consulat de Chine à São Paulo. Voir Treta no Trampo,“Liberdade para Mengzhu – motoca preso na china,”Instagram, 29 Avril 2021. Victime d’un processus obscur, le livreur Chen Guojiang a finalement été libéré en Janvier 2022. Pour plus d’informations, consulte le site https://deliveryworkers.github.io/.
  14. Leo Vinícius.“Os OL como resposta à luta dos entregadores de aplicativos.”Passa Palavra, 23 Juin 2020.
  15. Comme l’a remarqué Antonio Prata dans “#minhaarmaminhasregras,”Folha de S. Paulo, 10 Novembre 2019, repris par Gabriel Feltran,“Formas elementares da vida política: sobre o movimento totalitário no Brasil (2013-),”Blog Novos Estudos CEBRAP(également disponible en anglais à “The revolution we are living,”HAU: Journal of Ethnographic Theory, vol. 10, n. 1, 2020) et par Paulo Arantes et Miguel Lago,“A revolução que estamos vivendo,”Congresso Virtual UFBA 2021, 26 Février 2021.
  16. Isadora Guerreiro e Leonardo Cordeiro,“Do passe ao breque: disputas sobre os fluxos do espaço urbano,”Passa Palavra,6 Juillet 2020.
  17. Marcio Pochmann,“O movimento sindical e a precarização do trabalho no Brasil,”YouTube, 12 Avril 2021. Et, par le même auteur,“A guerra no mundo do trabalho,”Terapia Política, 11 Avril 2021.
  18. Voir, par exemple, Brasil Econômico,“Empresa que contrata entregadores para o iFood ameaça quem aderir à greve,”iG, 1 Juillet 2020; Victor Silva,“Operadoras da iFood ameaçam greve de entregadores,”Passa Palavra, 17 Seprembre 2021. Pour une collection de plaintes concernant ce régime de travail iFood, regarde les vidéos rassemblées dans Ralf MT, “(Série) iFood, a casa caiu, fim da função OL, das fraudes e das barbáries…,”YouTube.
  19. Leo Vinícius,“A inovadora parceria do iFood e as milícias,”Le Monde Diplomatique, 23 Juillet 2021.
  20. À partir du contrôle privatisé et monopolisé du territoire, où se déroule la reproduction de la vie, souligne Isadora Guerreiro, “l’État peut agir dans la régulation d’une économie informelle ou qui échappe à la législation du travail” en intervenant sur le “prix de la main-d’œuvre […] dans son aspect urbain.” Voir ” “Elementos urbanos de um ‘governo miliciano,’”Passa Palavra, 8 Juin 2020.
  21. Amazônia Real, “População de Macapá se revolta com apagão,”YouTube, 8 Novembre 2020. Pour un compte-rendu des mobilisations pendant la panne, voir Transe, “SOS Amapá – O apagão e as lutas,”YouTube, 19 Novembre 2020.
  22. “Decreto Nº 3915 de 17/11/2020,”Diário Oficial do Estado do Amapá, 17 Novembre 2020.
  23. La catastrophe qui a frappé l’Amapá peut anticiper, dans une moindre mesure, le scénario des effondrements énergétiques à venir – voir la fausse alerte concernant de nouvelles coupures de courant dans cinq États brésiliens au second semestre 2021, en raison de la sécheresse (Alexa Salomão, “Governo em alerta de emergência hídrica em 5 estados e vai criar comitê para acompanhar setor elétrico,”Folha de S. Paulo, 27 Mai 2021). Dans un scénario d’urgence climatique, dont la crise de l’eau n’est qu’une des composantes, il n’est pas surprenant que les coûts et les risques soient supportés par la population – tant les maladies environnementales que les remèdes prescrits par les gouvernements et les organisations internationales, comme la “taxe carbone : une taxe supplémentaire spécifique pour les produits polluants (…), (…) hautement régressive” (Antonio Celso, “Dirigindo pelo retrovisor,”Passa Palavra, 15 Août 2021). Il est bon de rappeler que la création d’une taxe de ce type a été le déclencheur du mouvement des gilets jaunes en France en 2019.
  24. Agência France Press, “A busca desesperada por oxigênio em Manaus para salvar pacientes em casa,”Estado de Minas, 18 Janvier 2021.
  25. Ludmila C. Abilio,“Breque no despotismo algorítmico: uberização, trabalho sob demanda e insubordinação,”Blog da Boitempo, 30 Juillet 2020.
  26. Sur la force politique de ne pas gouverner comme mode de gouvernement, une sorte de ” gouvernement de suspension ” inauguré par Bolsonaro dans son ” entreprise révolutionnaire “, voir Miguel Lago, “‘Batalhadores do Brasil…’,”Piauí, Mai 2021.
  27. Tom Slee, What’s Yours Is Mine: Against the Sharing Economy, OR Books, 2017.
  28. Raquel Azevedo, “Qual a origem de uma renda sem contrapartida?,”Passa Palavra, 14 Septembre 2020, et Nelson Barbosa, “Renda básica universal,”Folha de S. Paulo, 27 Août 2022.
  29. Il est logique que, pendant la panne d’électricité dans l’Amapá en novembre, le paiement de l’aide – réduit à l’époque à 300 reais – ait été extraordinairement maintenu à 600 reais par décision de la Cour suprême. Voir José Antonio Abrahão Castillero, “Amapá: protestos garantem auxílio emergencial de 600 reais,”A Comuna, 15 Novembre 2020.
  30. Organisés en “réseaux de voisins dans les complexes d’habitation, mouvements de bidonvilles, réseaux de solidarité entre les squats urbains” et ainsi de suite (Victor Hugo Viegas Silva, “Quem fez e faz a quarentena no Brasil? Os trabalhadores!,” Crônicas do Titanic, 21 Août 2020).
  31. Le terme est, là encore, de Ludmila Abilio Ludmila Abilio (“Uberização: Do empreendedorismo para o autogerenciamento subordinado,” Psicoperspectivas, v. 18, n. 3, Novembre 2019).
  32. Voir Alfredo Lima, “Barreira sanitária é vida, flexibilização é morte!,”Passa Palavra, 21 Juin 2020, et Renato Santana et Tiago Miotto, “Povos indígenas reforçam barreiras sanitárias e cobram poder público enquanto covid-19 avança para aldeias,”Indigenous Missionary Council, 29 Mai 2020. Pour un entretien avec des habitants qui ont participé à l’un de ces blocages dans la région de Trindade, voir Invisíveis, “Paraty: barreira sanitária e retomada territorial,”Passa Palavra, 27 Septembre 2020.
  33. Avant même que le coronavirus n’atterrisse au Brésil, l’image d’une “quarantaine bricolée” était déjà utilisée pour analyser comment les “mauvaises connexions entre les niveaux du gouvernement” ont entraîné des efforts contradictoires pour faire face à l’épidémie initiale du virus en Chine, de la “répression des médecins “dénonciateurs” par les responsables locaux” aux mesures sanitaires appliquées de manière apparemment aléatoire par chaque localité, hors du contrôle du pouvoir central. (Chuang, “Social Contagion,”Chuang Blog, Mars, 2020). Le manque de confiance “dans la capacité de l’État à contenir efficacement le virus” a entraîné une “mobilisation de masse en réponse à la pandémie, avec des groupes de volontaires fournissant toutes sortes de services, à la fois pour contenir la propagation et pour aider les gens à survivre à la pandémie”, ainsi que des blocages par les habitants à l’entrée des villages de la campagne du continent (voir l’interview de Chuang par Aminda Smith et Fabio Lanza, “The State of the Plague,”Brooklyn Rail, Septembre 2021).
  34. Voir Paulo Arantes, “Sale boulot,” dans O novo tempo do mundo, cit. Dans les contours mal définis de la “zone grise” de la gestion privée de la souffrance, il y a aussi l’infectiologue qui ratifie – au service du “consulting” signé dans de gros contrats avec tel ou tel hôpital de renom – la “tricherie” cynique des écoles privées qui, même au plus fort de la pandémie, ont “trouvé le moyen” de remplir d’élèves leurs salles de classe mal ventilées ; il y a l’enseignant, résigné à devoir retourner en classe et contraint de fermer les yeux sur l’inévitable violation des protocoles sanitaires parmi les élèves afin de garantir de façon précaire la continuité des cours ; il y a le chauffeur de camionnette scolaire autonome qui, sans enfant à emmener et sans argent, a trouvé une source de revenu temporaire dans le transport des morts au milieu du nombre élevé de décès dans la capitale de São Paulo. (Voir Roberto Acê Machado, “Esse ano não tem bandeirinha,”Le Monde Diplomatique Brasil, 10 Février 2021; Aline Mazzo, “Vans escolares vão transportar mortos por Covid até cemitérios de SP,”Folha de S. Paulo, 29 Mars 2021; et also Carolina Catini, “O brutalismo vai à escola,”Blog da Boitempo, 13 Septembre 2020).
  35. Le rôle de la viração [se débrouiller] dans la reproduction de cet effondrement sans fin est évident pour le président d’un institut de recherche, un spécialiste de la soi-disant “nouvelle classe moyenne brésilienne”, selon qui “la favela est ce qui a empêché le Brésil de s’écraser dans la pandémie”. La personne qui ramasse les ordures, l’aide-soignante, le collecteur et le chauffeur de bus sont des habitants de la favela. Les classes A et B n’ont pu entrer en quarantaine que parce que les habitants de la favela continuent à travailler’.” (Henrique Santiago, “Favela S/A,”UOL, 13 Décembre 2020).
  36. Victor Hugo Viegas Silva, “O Auxílio Emergencial não acabou em janeiro. Foi acabando aos poucos – e sem chance de defesa,”Crônicas do Titanic, 28 Janvier 2021.
  37. Pour une observation sur le rôle des nouvelles technologies, d’Airbnb aux services bancaires par Internet, dans la viração sur les plages pendant cette ” période d’ultra-valorisation temporaire des terres “, voir Três trabalhadores de férias, “Uma tarde na praia,”Passa Palavra, 28 Janvier 2019.
  38. Victor Hugo Viegas Silva, “A revolta de Búzios contra o lockdown e a conexão evangélica x #AglomeraBrasil (2),”Crônicas do Titanic, 4 Janvier 2021.
  39. “Decreto N.°43.234, de 23 de dezembro de 2020,”Diário Oficial do Estado do Amazonas, 23 Décembre 2020.
  40. Victor Hugo Viegas Silva, “A revolta popular de Manaus e os dilemas do lockdown (3),”Crônicas do Titanic,  6 Janvier 2021.
  41. Serafim Oliveira, “Movimento Todos pelo Amazonas e a Covid-19 – O risco da suspensão das atividades causar perdas econômicas e a ascensão dos movimentos populares,”O Conservador, 4 Janvier 2021.
  42. Selon une enquête de l’Association brésilienne des médecins, 34,7 % des médecins croyaient encore à une certaine efficacité de la chloroquine en juin 2021, et 41,4 % faisaient confiance à l’utilisation de l’ivermectine pour le traitement ou la prévention du covid-19 (Paula Felix, “Pesquisa diz que 1/3 dos médicos ainda acredita na chloroquina, comprovadamente ineficaz contra covid,”O Estado de S. Paulo, 2 Février 2021).

94.Victor Hugo Viegas Silva, “A culpa não é nossa’ e ‘precisamos fazer alguma coisa agora’: Entre a luta do lockdown e o tratamento precoce há um fio tênue,”Crônicas do Titanic, 12 Avril 2021.

  1. Victor Silva, “O que dizem no WhatsApp médicos a favor da cloroquina,”Folha de S. Paulo, 19 Juin 2021.
  2. Automedicação é um hábito comum a 77% dos brasileiros,”G1, 13 Mai 2019.
  3. Dans la pandémie, les bus sont, plus que jamais, des véhicules de mort : à São Paulo, ceux qui meurent le plus souvent sont ” ceux qui allaient au travail et parcouraient de longues distances en transports publics “, comme le montrent Raquel Rolnik et al,  “Circulação para trabalho explica concentração de casos de Covid-19,”LabCidade, 30 Juin 2020.
  4. Voir Christophe Dejours, Souffrance en France: la banalisation de l’injustice sociale, Paris, Seuil, 1998.
  5. Le discours dit “négationniste” et ses panacées sont en phase avec un monde dans lequel “l’inégalité fait de la quarantaine un luxe insoutenable pour les plus pauvres”, comme l’a observé Rodrigo Nunes. “Si, en d’autres temps, le sacrifice était présenté comme un moyen d’améliorer sa vie, il est désormais une fin en soi. (…) Dans un sens, il est possible d’affirmer que les fantasmes de l’extrême droite offrent, bien qu’irrationnellement, une réponse raisonnable à la folie que nous construisons actuellement. Réduire le pouvoir qu’ont ces fantasmes de parler aux gens au simple effet des fake news est une tentative de nier ce fait fondamental.” (“O presente de uma ilusão: estamos em negação sobre o negacionismo?,”Piauí, Mars 2021).

100.Paulo Arantes, “Sale boulot,” cit. Au second semestre 2021, les travailleurs de Prevent Senior se sont adressés au public pour dénoncer une série de pratiques irrégulières qu’ils ont été contraints d’adopter dans le traitement des patients atteints de covid-19. L’entreprise occupe un marché de niche formé par les personnes âgées qui ne peuvent pas se permettre les prix exorbitants des plans de santé pour leur groupe d’âge, mais réservent leurs ressources du mieux qu’elles peuvent pour garantir une assistance médicale privée. Avec des tarifs réduits et un public cible qui demande plus fréquemment des services hospitaliers, l’entreprise a toujours eu recours à des astuces pour éviter ou retarder des procédures coûteuses afin de maintenir sa rentabilité. Pendant la pandémie, qui a frappé le plus durement les personnes âgées, ces pratiques ont pris des contours encore plus macabres. D’autres opérateurs, comme HapVida et certaines unités d’UniMed, ont également été dénoncés. En plus des rapports de l’époque, voir le podcast “Prevent Senior não deveria ter sido aberta, diz especialista,” with interview with Ligia Bahia by Maurício Meireles and Magê FloresCafé da manhã, 11 Octobre 2021. 

  1. Arthur Rodrigues,“Direção da Prevent cobrava ‘altas celestiais’ para liberar leitos a pacientes VIP, diz advogada em CPI,”Folha de S. Paulo, 21 Octrobre 2021.
  2. “Le ‘mal’ serait représenté aujourd’hui comme un système de gestion, comme un principe d’organisation : des entreprises, des gouvernements, de toutes les institutions et activités, en somme, qui, organisées selon ce même principe, ont été converties en centres de diffusion d’une nouvelle violence et en incubateurs de ses agents, les soi-disant collaborateurs de notre époque.” Arantes, “Sale Boulot,” 102.
  3. Brazilian Army, “Mensagem do Comandante do Exército – COVID-19,”YouTube, 24 Mars 2020.
  4. Lisandra Paraguassu, “Em ofício, Exército defendeu sobrepreço de 167% em insumos da cloroquina por necessidade de ‘produzir esperança’,”Reuters, 22 Decembre 2020.

105.Alessandro Visacro, Guerra Irregular, São Paulo, Contexto, 2009. Fort de son expérience de terrain en Haïti et dans les favelas brésiliennes, l’officier a actualisé sa réflexion dans A guerra na era da informação, Contexto, 2019.

  1. Avant de refaire la une des journaux avec l’escalade du conflit en Ukraine, le terme ” guerre hybride ” s’est répandu au milieu de la vague de manifestations dans les pays arabes, à partir de 2011, et a fini par être largement utilisé par les dirigeants et les analystes pour réduire les bouleversements sociaux de plus en plus fréquents dans le monde à d’obscurs complots géopolitiques (voir Jonas Medeiros, “‘Guerras Híbridas’, um panfleto pró-Putin e demofóbico,”Passa Palavra, 28 Janvier 2020). Si le discours sur une “guerre hybride” menée par les agences de l’impérialisme yankee a soutenu le fantasme officiel de la gauche sur le processus politique brésilien de l’après-2013, l’anthropologue Piero Leirner a observé comment la même notion fonctionne avec un signe inversé à l’intérieur des Forces armées – concernées par un prétendu projet caché d’hégémonie culturelle mené par la gauche “gramsciste” depuis les années 1980 dans le pays. Le chercheur soutient que ces dernières années, l’armée brésilienne elle-même en est venue à se laisser guider par les principes du conflit hybride pour mener une campagne nationale, dont l’élection de 2018 représenterait un épisode clé. O Brasil no espectro de uma guerra híbrida, Alameda, 2019.
  2. La police brésilienne a assassiné 6 416 personnes en 2020. Parmi les victimes, 78,9 % étaient noires. L’année 2021 a commencé par le deuxième plus grand massacre de l’histoire de Rio de Janeiro, perpétré par la police civile dans le bidonville de Jacarezinho. Voir Fórum Brasileiro de Segurança Pública, 15º Anuário Brasileiro de Segurança Pública, 2021. 
  3. Comme ce même président d’un institut de recherche décrit le ” dynamisme entrepreneurial ” de la favela (Henrique Santiago, “Favela S/A,” cit.)
  4. Leonardo Vieceli, “Pandemia empurra 4,3 milhões para renda muito baixa nas metrópoles brasileiras,”Folha de S. Paulo, 6 Juillet 2021.
  5. Wellton Máximo, “Beneficiários do Auxílio Brasil terão acesso a crédito especial,”Agência Brasil EBC, 12 Août 2021.
  6. “Il ne sert à rien de dire à l’habitant de la favela de séparer ce qui est [l’argent] des affaires et ce qui est de la maison. Si tu dois économiser de l’argent pour l’entrepreneuriat, tu n’économiseras jamais d’argent “, explique Celso Athayde, CEO of Favela Holding (Henrique Santiago, “Favela S/A,” cit.)
  7. Entre Mai et Novembre 2020, le nombre moyen de personnes travaillant à distance ou éloignées en raison de la distance sociale correspondait à 17,6 % de la population active au Brésil (environ 14,5 millions de personnes). Les travailleurs qui ont pu exercer leurs activités professionnelles à distance “étaient principalement composés de personnes ayant une formation universitaire complète”. Les femmes, les personnes de race blanche, la tranche d’âge de 30 à 39 ans et les personnes employées dans le secteur privé sont les plus importantes démographiquement dans le travail à distance, mais de façon moins intense.” De plus, “on observe, tant pour le secteur privé que pour le secteur public, une forte participation des professionnels de l’enseignement” (Geraldo Sandoval Goés and others, “Trabalho remoto no Brasil em 2020 sob a pandemia do Covid-19: quem, quantos e onde estão?,”Carta de Conjuntura, n. 52, IPEA, 2021).
  8. La mise en œuvre d’urgence de l’enseignement à distance s’est heurtée à de sérieux obstacles matériels et sociaux, comme le manque d’infrastructures et d’équipements au domicile des élèves (“Ensino remoto na pandemia: os alunos ainda sem internet ou celular após um ano de aulas à distância,”BBC Brasil, 3 Mai 2020). En même temps, elle a accéléré un processus de restructuration du travail d’enseignement déjà en cours, exacerbant les tensions, comme le montrent les témoignages d’enseignants d’écoles privées et publiques recueillis par le bulletin A Voz Rouca pendant les premiers mois de la pandémie (“Diários de Quarentena,”Passa Palavra, 25 Mai 2020, et Professores Autoconvocados, “Pequeno manual de resistência no EaD,”Passa Palavra, 28 Avril 2020, sur la restructuration productive dans l’éducation de base et l’enseignement supérieur, voir par exemple Carolina Catini, “O trabalho de educar numa sociedade sem futuro,”Blog da Boitempo, 6 Juin 2020). De l’autre côté de l’appel vidéo, les étudiants qui ont réussi à se connecter ont également testé leur champ d’action dans un environnement transformé, en créant “New Types of School Sabotage in Distance Education”(available in English at Fever — Class Struggle Under Pandemic, 6 Juin 2020). C’est également grâce aux outils en ligne que les enseignants des écoles publiques ont organisé des grèves, dès 2021, pour boycotter le retour en personne dans les salles de classe avant la vaccination. Lors de la deuxième vague, les manifestations des enseignants en grève et des coursiers à moto se sont même réunies à São Paulo – malgré l’abîme des réalités et de la langue, les bannières des deux camps ont convergé dans la demande de vaccin (João de Mari, “Professores e entregadores de app se unem em greve contra retorno presencial e pedem vacina contra a Covid,”Yahoo! Notícias, 16 Avril 2021).
  9. En août 2021, les streamers et les téléspectateurs de la plateforme Twitch, acquise en 2014 par Amazon et largement utilisée pour la diffusion en direct de jeux et de championnats, se sont unis pour une journée de “blackout” du service, contre la réduction de 66% du coût des abonnements (c’est-à-dire du paiement) des chaînes brésiliennes. Comme dans les luttes des livreurs, les revendications de ces producteurs de contenu ubérisés ont évité la grammaire ouvrière de gauche, critiquant les projets de régulation et la charge fiscale (voir Alexandre Orrico and Victor Silva, “Por dentro da greve de streamers da Twitch no Brasil,”Núcleo, 23 Août 2021).
  10. Vladmir Safatle, “Não falar,”El País, 10 Août 2021.
  11. Isadora Guerreiro, “Lockdown: o problema e o falso problema,”Passa Palavra, 15 Mars 2021.
  12. The Invisible Committee, To Our Friends, Los Angeles, Semiotext(e), 2015.

  1. Pas encore de commentaire

%d blogueurs aiment cette page :