« Le point d’explosion des contradictions israéliennes »
Dix thèses sur les bouleversements en cours au Moyen-Orient
I.
L’offensive lancée par le Hamas sur le territoire israélien le 7 octobre 2023 et ses conséquences immédiates représentent, à nos yeux, un tournant majeur dans l’évolution économique, politique et militaire du Moyen-Orient. Nous n’écrivons pas ces mots à la légère, avec indifférence face aux souffrances des victimes et de leurs proches, ou pire, avec sympathie pour le recours à la violence indiscriminée contre les civils. Tout simplement, nous pensons que toute analyse des événements doit faire abstraction de ces aspects si elle veut évaluer correctement leur signification. Il n’est pas possible de privilégier l’interprétation strictement locale des événements au détriment de celle internationale, ou vice versa. Il est nécessaire de poursuivre les deux. Cette poignée de thèses n’est qu’une première tentative.
II.
L’attaque multiforme lancée par le Hamas doit d’abord être « replacée dans le contexte », c’est-à-dire dans la situation géo-économique actuelle. De façon très générale, il faut la situer dans la phase de crise de la mondialisation, à un moment où des projets capitalistes opposés pour un monde post-mondialisé (dé-mondialisé ?) commencent à émerger plus clairement. Plus concrètement, il faut la situer dans le contexte du repositionnement des principaux acteurs du Moyen-Orient en fonction de l’affrontement global entre États-Unis et Chine.
III.
Il faut d’abord considérer les processus d’intégration régionale promus par les États-Unis (en dernier lieu avec les accords d’Abraham), qui ont mis à l’ordre du jour la normalisation définitive des rapports économiques et diplomatiques entre Israël et un certain nombre de pays arabes d’Afrique du Nord, du Proche et du Moyen-Orient, dont notamment les Émirats Arabes Unis. Avec les attentats de la semaine dernière, le Hamas a clairement indiqué l’alternative suivante : ou bien cette normalisation inclut la question palestinienne et accepte sa représentation à la table des négociations, ou bien elle aura à passer sur les cadavres de 5 millions de Palestiniens.
La dynamique des accords d’Abraham est contrebalancée par les efforts chinois — évidemment indigestes pour Israël — visant à dégeler les relations entre le bloc vulgairement identifié comme « chiite » (Iran-Liban-Syrie-Irak) et celui dit « sunnite ». Le Hamas offre l’alibi parfait à l’Arabie saoudite pour ne pas signer les accords d’Abraham, confirmant ainsi son désalignement (momentané ?) avec Washington. La diplomatie chinoise remercie.
IV.
Une fois saisie la gravité du moment historique du point de vue palestinien, il est inutile de s’attarder excessivement sur les distinctions entre le Hamas et les Palestiniens en général. Que l’attaque ait été « imposée » à l’ensemble de la population palestinienne, en premier lieu à la celle de Gaza, que celle-ci soit « otage » du Hamas, ne signifie rien d’autre que la banalité suivante : les hommes font l’histoire dans des conditions qu’ils n’ont pas le luxe de choisir. Le fait politique fondamental est que Hamas, à Gaza comme en Cisjordanie, est présentement devenu le seul acteur politique d’envergure, même en dépit de sa non-reconnaissance internationale, alors que l’Autorité palestinienne, bien que toujours en charge, est désormais condamnée à l’insignifiance.
V.
En déchaînant la violence contre les civils israéliens à un degré sans précédent et en entraînant Israël vers une guerre à grande échelle, le Hamas révèle en fait les limites (l’impossibilité) de l’approche purement répressive ou militaire de la question palestinienne. Pour Israël, « éradiquer le Hamas » ne signifie pas simplement envoyer des troupes à Gaza dans le cadre d’une opération militaire techniquement ardue et aux résultats incertains. Cela signifie s’exposer à la probabilité de troubles massifs en Cisjordanie et à l’ouverture d’un autre front militaire à la frontière avec le Liban (Hezbollah). L’ampleur d’un tel affrontement poserait chaque composante de la structure sociale hétéroclite qui caractérise Israël face au dilemme existentiel : « faut-il mourir pour Israël ? ». Ceux qui connaissent l’état du pays réel savent que la réponse est aujourd’hui loin d’être gagnée d’avance. C’était peut-être le cas en 1967 ou en 1973, mais plus aujourd’hui. Les jeunes bobos ashkénazes au double passeport, pour qui Tel-Aviv n’est qu’une capitale du divertissement parmi d’autres, sont-ils vraiment prêts à mourir pour la patrie ? Les Juifs russophones qui parlent à peine l’hébreu, les Haredim suceurs de subsides mais exemptés de la conscription obligatoire, les Arabes israéliens encore et toujours traités comme des citoyens de seconde zone, sont-ils prêts à mourir pour Israël ? C’est la question fondamentale que la perspective d’un conflit militaire à grande échelle met en évidence.
VI.
La politique d’Israël après les accords d’Oslo (1993) est incompréhensible sans prendre en compte la multiplicité des « tribus d’Israël » (cf. la revue « Limes ») ainsi que le caractère inachevé et encore mouvant de la construction nationale israélienne. Cette politique n’a pas été le résultat d’un caprice politique du Likoud, ni de petites raisons comptables qu’un matérialisme grossier suffirait à révéler. L’expulsion de la main-d’œuvre palestinienne des Territoires de l’économie israélienne, le soutien tacite ou explicite aux nouvelles colonies de peuplement, le démembrement administratif de la Cisjordanie, etc. promettaient d’assurer la cohésion interne en alimentant le facteur de conflit externe. Mais cela présupposait que ce dernier se maintient dans les limites d’un conflit de faible intensité et aux proportions gérables. Sur ce point comme sur d’autres, l’attaque du Hamas rebat radicalement les cartes. Les débats et reconstructions a posteriori pour déterminer dans quelle mesure l’attaque du Hamas était réellement inattendue, dans quelle mesure les services de renseignement ont échoué, dans quelle mesure les avertissements adressés aux échelons supérieurs du pouvoir politique ont été ignorés, etc. ne servent pas à grand-chose. Dans les faits, si jusqu’à il y a une semaine, la question palestinienne semblait évanescente, c’est parce qu’Israël semblait avoir gagné sur toute la ligne. Si aujourd’hui l’image de la puissance israélienne apparaît sérieusement diminuée, cela ne dépend pas de l’événement en lui-même ni d’un de ses aspects particuliers (nombre de victimes, temps de réaction de l’armée, etc.), mais des fissures qu’il peut creuser au sein de la société israélienne.
VII.
Tariq Ali (cf. le blog de la « New Left Review », 7 octobre 2023) a donc tort, et avec lui une bonne partie de l’intelligentsia de gauche, de croire que l’existence d’Israël, simplement du fait d’être « un État nucléaire, surarmé par les États-Unis », n’est pas du tout en question. Derrière la menace fantasmée et idéologisée d’un encerclement par « l’Axe de la Résistance », il y a pour Israël la menace bien réelle de ne plus pouvoir produire la cohésion interne nécessaire pour se projeter à l’extérieur. En d’autres termes, c’est la menace de se voir réduit, même malgré le remarquable développement économique et technologique acquis, au statut d’un failed State moyen-oriental parmi d’autres, juxtaposition amorphe d’ethnies et de clans périodiquement au bord de la guerre civile.
VIII.
Comparée à un telle juxtaposition, la situation des Palestiniens est aussi désespérée que l’on voudra, mais elle présente une extraordinaire homogénéité nationale, produite précisément par plus de soixante-dix ans de conflit avec Israël. La nation palestinienne, de pâle invention du colonialisme britannique qu’elle était à l’époque de la Palestine mandataire et encore au lendemain de la Nakba, n’atteint peut-être qu’aujourd’hui le statut de nation historique au sens propre. En tout cas, elle l’est bien davantage aujourd’hui que dans les années 1970, à l’âge d’or des tiers-mondismes d’antan. Le succès même de l’attaque du Hamas le prouve. Il ne s’agit pas d’en faire l’apologie, mais d’en mesurer la portée au-delà de ses aspects les plus spectaculaires et macabre, c’est-à-dire d’en saisir le niveau d’organisation, la complexité, la détermination – qui n’ont pas grand-chose à voir avec les attentats d’Al-Qaïda ou de l’État islamique avec lesquels ils ont été comparés dans les grands médias.
IX.
Comme partout dans le reste du monde arabe, la montée de l’Islam politique en Palestine a été, là aussi, une déclinaison petite-bourgeoise de la crise du nationalisme laïc et socialisant, voire de la crise de la nation arabe tout court – déclinaison souvent encouragée et favorisée par ses adversaires locaux et internationaux les plus farouches. Néanmoins, la trajectoire des forces islamistes a toujours été façonnée par les contextes spécifiques dans lesquels elles se sont enracinées, ce qui veut dire, dans le contexte palestinien, par le mouvement plébéien de « résistance » contre Israël. Pour le Hamas, s’appuyer sur ce mouvement, donner un débouché politique aux soulèvements (première et deuxième Intifada) et parvenir à une solution au moins provisoire de la question palestinienne sont des étapes obligées vers la réalisation des intérêts de classe de moyen terme qui le sous-tendent en tant que force politique : la promotion de la lumpen-petite-bourgeoisie de Gaza au statut de bourgeoisie palestinienne sans phrase, interprète potentiel d’une relance des rapports capitalistes sur un périmètre relativement petit, mais densément peuplé d’une force de travail jeune et instruite. La trajectoire politique du Hamas s’articule avec celle, sociale, du prolétariat palestinien, pour qui « Israël » est de moins en moins un capital-employeur et de plus en plus une simple force répressive et militaire.
X.
Cela nous ramène une fois de plus au dilemme impossible auquel Israël est confronté : entrer à Gaza, mais pour faire quoi ? En d’autres temps et dans d’autres circonstances, Israël aurait pu faire des Palestiniens l’une de ses « tribus ». Aujourd’hui, cette option n’est plus d’actualité : « deux peuples pour un État » n’est pas une solution viable lorsque l’un des deux peuples, supposément le dominant, tend à se fragmenter en plusieurs. La perspective d’une guerre à grande échelle impose d’en éclaircir l’horizon stratégique. Dans les conditions actuelles, « éradiquer le Hamas » est au mieux une utopie, au pire un euphémisme pour désigner un génocide. Le type de guerre asymétrique qu’il faudrait mener (et gagner) pour « nettoyer Gaza » nécessiterait un certain nombre de conditions actuellement non remplies, en premier lieu la neutralité ou la connivence d’une partie importante de la population locale. Certes, le caractère irréaliste de l’opération n’exclut pas qu’elle soit déclenchée, ni que ses objectifs réels ou affichés évoluent en cours de route, jusqu’au De profundis le plus sanguinaire. Mais attention : depuis quelques années, les variables en jeu ne sont plus les mêmes. L’affrontement global entre États-Unis et Chine surdétermine tout. Nous ne nous remettons pas à la bonté de Xi Jinping pour sauver les Palestiniens, mais parions sur la « jouabilité » politique de la question palestinienne dans le cadre du nouveau bipolarisme en formation. Ce ne serait pas la révolution prolétarienne, mais peut-être une bonne nouvelle pour l’avenir des Palestiniens, qui nous paraît aujourd’hui si incertain et sombre.
18 octobre 2023
Pour une fois, si on prend du recul par rapport à leur culture “programmatique”, on a un texte du CCI qui nous change du tsunami des réactions campistes à la guerre Hamas/Israël:
https://www.millebabords.org/spip.php?article38392
Ha, oui, le “campisme”… ennemi facile, presque sur mesure. Et si, pour une fois, on parlait de l’anti-campisme? Le premier ayant au moins le “mérite” d’être inscrit dans les choses, porté par de puissants processus historiques – la Grande Divergence entre The West et The Rest -, plutôt que par les simples troubles intérieurs de la belle âme de Hegel. Le “Clash of Civilizations” étant désormais nommé et envisagé comme tel: Democracies vs. Autocracies (J. Biden), le Jardin vs. la Jungle (J. Borrel), etc. Que cette évolution, qui embarque également la situation israélo-palestinienne, ne nous plaise pas, c’est une chose. Faut-il pour autant en effacer l’asymétrie fondamentale? Mais surtout: dans la vision anti-campiste, n’est-on pas déjà en train de travailler pour le roi de Prusse lorsqu’on est “défaitiste” envers on “camp”?
Pour mémoire:
“Et pour la troisième (Guerre mondiale)? Nous n’hésitons pas à affirmer que la victoire des États-Unis représenterait l’éventualité la plus funeste. Il est vrai que nous sommes dépourvus de forces de classe pour intervenir dans ces événements formidables; il est vrai aussi que nous devons garder notre autonomie par rapport à l’une et à l’autre puissance, également anti-révolutionnaires, et combattre à fond l’une et l’autre “croisades”. Il n’en reste pas moins que nous ne pouvons pas nous écarter de la seule appréciation conforme à la doctrine marxiste: à savoir que la chute du centre du capitalisme implique la chute de tout le système, tandis que la chute du secteur le plus faible peut laisser en vie le système bourgeois mondial, étant donnée la méthode moderne d’anéantissement militaire et étatique du vaincu et sa réduction à l’état de colonie passive.” (“Leçons des contre-révolutions”, Programme communiste, juin-juillet-août 1974, p. 35)
Nous avons retrouvé ce petit texte de Bernard Lyon qui exprimait en 2009 son angoisse devant le silence assourdissant autour de la situation de Gaza.
Ce texte résonne douloureusement aujourd’hui…dndf
….https://libcom.org/library/silence-sur-gaza%E2%80%A6-%E2%80%93-bernard-lyon
Très bien le billet de BL… mais peut-on le séparer de la période où il a été écrit ? La situation de 2009 (“Plomb durci”) ou même de 2014 sont-elles comparables à la situation actuelle? Je ne le pense pas.
“Gaza face au consensus génocidaire” sur le site de contretemps.eu
Un article de contexte, intéressant même s’ils évitent soigneusement de toucher au massacre du 7 octobre
https://www.contretemps.eu/gaza-genocide-israel-palestine/
@R F
Nous avons bien dit que ce petit texte “résonnait”.
Pas qu’il fallait faire des analogies a-historiques, toujours hasardeuses au demeurant….
Tiré du “Monde” d’aujourd’hui:
Leila Seurat
LE HAMAS VEUT PARLER AU NOM DES PALESTINIENS
L’injonction au qualificatif du Hamas comme terroriste est désormais un préalable à toute discussion. Proportionnelle à la déstabilisation que connaît Israël, cette mise à l’agenda politico-médiatique ne permet toutefois pas de saisir la nature protéiforme de cet acteur politique (tout à la fois mouvement social, groupe armé et acteur gouvernemental), ni les raisons de son irrésistible ascension. Depuis 2013, le Hamas est parvenu à produire une réflexion sur l’évolution de la lutte armée et de son rôle en Palestine. Perçu comme l’incarnation même de la résistance qui, pour les Palestiniens, est une composante centrale de leur identité, ce mouvement ne saurait donc être considéré comme un groupe sectaire exogène à sa société.
Ouvrant une période de grandes difficultés diplomatiques et économiques, le coup d’Etat du maréchal Al-Sissi, en Egypte, en juillet 2013, favorise la réévaluation stratégique du mouvement. La priorité pour le Hamas est l’établissement de bonnes relations avec ce pays, qui dispose d’une frontière avec la bande de Gaza. Pourtant à la tête de l’axe anti-Frères musulmans, aux côtés de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, Le Caire trouve son intérêt à coopérer avec le Hamas pour assurer la sécurité du Sinaï. Ces relations de relatif bon voisinage amènent les autorités égyptiennes à supprimer le Hamas de sa liste des organisations terroristes. Ultime concession à l’Egypte, le Hamas ne fait plus mention de son affiliation aux Frères musulmans dans son « Document de principes et de politique générale » publié en 2017.
L’autre évolution qui caractérise l’après-2013 est la volonté du Hamas de se détacher des institutions officielles palestiniennes. Dès l’accord de réconciliation d’Al-Shati conclu avec son rival du Fatah au printemps 2014, le Hamas avait laissé à ce dernier la responsabilité de former à lui seul le gouvernement.Si l’existence de divisions internes au Hamas avait à l’époque empêché la mise en œuvre de cet accord, l’arrivée au pouvoir de Yahya Sinwar en 2017 ne permet plus l’expression de voix dissidentes. Profondément opposé à l’établissement d’un mini-Etat à Gaza, le nouvel homme fort de l’enclave impose la signature d’une nouvelle réconciliation. Par cet accord signé au Caire à l’automne 2017, le Hamas réitère son souhait de se désengager des structures de l’Autorité palestinienne. La légitimation du mouvement ne peut plus passer par ces institutions largement discréditées.
Yahya Sinwar impose également une autre visionrelative aux usages de la lutte armée : mobiliser plus « stratégiquement » l’outil militaire et sortir du tempo imposé par Israël lors des opérations militaires contre Gaza (2009, 2012 et 2014) qui le faisaient systématiquement passer pour l’agresseur alors qu’il n’était pas à l’initiative des affrontements. Le Hamas modifie son approche et décide désormais de déclencher les hostilités. Contrairement à ses prédécesseurs, Sinwar, libéré à la faveur de l’échange du soldat israélien Gilad Shalit en 2011, est un militaire, fondateur de l’organisation Al-Majd, ancêtre des Brigades Ezzedine Al-Qassam, la branche armée du mouvement.
Prêter main-forte
Première étape de ce renouvellement, les « marches du retour » du 2018 et 2019 [manifestations organisées à Gaza, sur la frontière avec Israël] qui ont forcé Israël à octroyer des concessions au Hamas. Oscillant entre apaisement et confrontation violente, cette stratégiea permis au mouvement d’obtenir une augmentation de l’aide qatarie, passée lors d’un accord conclu le 1er avril 2019 de 15 millions à 40 millions de dollars [de 14 millions à près de 38 millions d’euros], sans interrompre les mobilisations populaires aux frontières. C’est aussi à ce moment-là que commencent les tentatives du Hamas de rassembler l’ensemble des groupes palestiniens sous une bannière commune, qu’il s’agisse du « Haut Comité national pour la marche du retour et la fin du blocus » ou de la « Chambre commune des opérations ».
Reste que, dans l’opinion palestinienne, ces marches ont été interprétées comme une manœuvre visant à profiter au seul Hamas ou à assouplir le blocus uniquement. C’est l’opération « Epée de Jérusalem » en 2021 qui a permis au mouvement d’apparaître comme le défenseur de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem et de réunir les différentes localités palestiniennes dans une lutte commune. C’est aussi la première fois que le Hamas déclenche l’affrontement déjouant le Dôme de fer [le système de défense antiaérien israélien] et prouvant sa capacité à mettre en déroute le renseignement israélien.
Depuis, dans les discours, le Hamas élude toute identification partisane voire religieuse pour parler au nom de tous les Palestiniens. A la différence des deux premières Intifadade 1987 et de 2000, où la résistance était largement islamique, celle-ci est désormais palestinienne.Sur le site desBrigades Al-Qassam, le drapeau palestinien a remplacé celui du Hamas. Jérusalem permet tout particulièrement cette fusion entre islam et nation, lorsque le porte-parole des Brigades, Abou Ubayda, annonce, en mai, que « Gaza, Jérusalem, la Cisjordanie, et les Palestiniens de 1948 ne sont qu’un seul corps, une seule patrie, partageant un seul destin et une seule résistance » .
Progressivement, systématiquement, le Hamas a pu prendre le pouls d’un environnement palestinien prêt à se soulever. Comme ce fut le cas en avril lorsque, tirant des roquettes du Liban dans sa stratégie d’unification des fronts, le Hamas s’est vu prêter main-forte par des Palestiniens de Cisjordanie et d’Israël.
L’opération « Déluge d’Al-Aqsa » du 7 octobre confirme ces évolutions. Sans engager entièrement le Hezbollah, l’activation d’un front au nord limite le champ d’action de l’armée israélienne dans la bande de Gaza et fragilise l’option d’une incursion terrestre. Si les sources ne permettent pas à ce jour de préciser la manière dont la décision de l’attaque du 7 octobre a été prise – elle n’aurait engagé qu’un petit noyau du Hamas à Gaza –, les autres factions armées de la « Chambre commune des opérations » ont toutes rejoint les Brigades Al-Qassam peu de temps après le déclenchement de l’opération, suivies de nombreux individus non encartés.
Une réponse coordonnée
A Gaza comme en Cisjordanie, les Palestiniens sont unanimes dans leur soutien au Hamas et, en dépit du nombre de Palestiniens tués, saluent ce qu’ils considèrent comme une victoire historique contre Israël. Ils ne semblent pas, si ce n’est de manière extrêmement marginale, concernés par la condamnation occidentale du Hamas pour avoir tué des civils israéliens. Pour eux, le 7 octobre est une réponse coordonnée aux attaques qu’ils subissent au quotidien et dans le temps long de l’histoire de l’occupation. Seul le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a condamné l’assaut contre des cibles non militaires.
A l’inverse, le pilonnage incessant de la bande de Gaza ainsi que le bombardement de plusieurs hôpitaux entachent durablement l’image d’Israël comme celle de ses alliés occidentaux et arabes. Les déplacements forcés de populations ne manquent pas de soulever des interrogations quant aux cibles et aux intentions réelles des autorités israéliennes. Sans être erronée, l’idée selon laquelle Israël aurait sciemment favorisé l’ascension du Hamas devrait être réévaluée : ce soutien est moins l’effet d’une fine stratégie mise en œuvre par l’ establishment israélien que le résultat d’une accélération de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem et des agressions contre les Palestiniens et les lieux saints. L’ascension du Hamas se mesure donc aussi en miroir d’un projet politique israélien à la dérive.
Une analyse intéressante du déroulement de l’affrontement militaire en cours:
https://ejmagnier.com/2023/10/30/le-bourbier-de-gaza-la-guerre-mediatique-et-psychologique-et-le-leadership-de-netanyahou-sous-la-loupe/
Gaza, une guerre génocidaire.
Un autre article intéressant de Contretemps.
https://www.contretemps.eu/gaza-guerre-genocidaire/
NB: article très partisan, mais présentant un bon travail de documentation
LE RETOUR DE BÂTON : LE BILAN DE LA GUERRE DE GAZA SUR L’ÉCONOMIE ISRAÉLIENNE
Israël pourrait ne jamais se remettre de l’effondrement économique qui a suivi le 7 octobre. La résistance palestinienne a réussi non seulement à détruire la perception de la sécurité intérieure d’Israël, mais aussi à ériger des barrières de risque importantes pour les investisseurs étrangers.
Kit Klarenberg, 13 novembre 2023, https://new.thecradle.co/
Le 6 novembre, le Financial Times a publié une enquête remarquable (lien : https://www.ft.com/content/77d7ff6b-85f7-40ba-babe-ed82a3e8208f ) sur le bilan économique dévastateur de la guerre d’Israël contre Gaza, dont l’impact se répercute sur les finances personnelles, les marchés de l’emploi, les entreprises, les industries et le gouvernement israélien lui-même.
Le FT rapporte que la guerre a perturbé et ravagé des “milliers” d’entreprises, dont beaucoup sont au bord de la faillite, et que des secteurs entiers ont été plongés dans une crise sans précédent.
Les données citées par le Bureau central des statistiques d’Israël révèlent une sombre réalité : une entreprise sur trois a fermé ses portes ou fonctionne, au mieux, à 20 % de ses capacités depuis le début de l’opération Déluge d’Al-Aqsa, le 7 octobre, qui a entamé la confiance des Israéliens.
Plus de la moitié des entreprises sont confrontées à des pertes de revenus dépassant les 50 %. Les régions du sud, les plus proches de Gaza, sont les plus touchées, les deux tiers des entreprises étant fermées ou fonctionnant “au strict minimum”.
Parmi les facteurs d’aggravation de la crise, le ministère israélien du travail signale que 764 000 citoyens, soit près d’un cinquième de la main-d’œuvre israélienne, sont sans emploi en raison des évacuations, des fermetures d’écoles imposant des contraintes sur la garde des enfants, ou des appels au service militaire de réserve.
Les conséquences sur le commerce et le tourisme
Lundi, Bloomberg (lien : https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-11-12/israel-s-hamas-war-budget-leaves-netanyahu-caught-between-markets-and-politics ) a chiffré l’impact économique de la belligérance de Tel-Aviv : la guerre de Gaza aurait coûté à l’économie israélienne près de 8 milliards de dollars à ce jour, auxquels s’ajoutent 260 millions de dollars de pertes chaque jour qui passe.
Malgré cette situation désastreuse, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui dépend fortement du soutien des factions politiques de droite et ultra-sionistes, persiste à allouer des “sommes considérables” à des projets idéologiques et coloniaux non essentiels, s’écartant ainsi du protocole économique habituel en temps de guerre.
M. Netanyahou a affecté un montant record de 14 milliards de shekels (3,6 milliards de dollars) à des dépenses discrétionnaires pour les cinq partis politiques qui composent son gouvernement de coalition, dont une grande partie est destinée à des écoles religieuses et au développement de colonies juives illégales en Cisjordanie occupée.
Ironie amère de la guerre contre Gaza, de nombreux projets de construction israéliens ont été temporairement interrompus, car ils reposaient de façon essentielle sur l’exploitation de la main-d’œuvre palestinienne. Le FT rapporte que les sionistes sont désormais “inquiets à la vue d’ouvriers arabes maniant des outils lourds” et qu’ils “ne veulent donc pas d’ouvriers palestiniens”. Cette privation de droits intervient alors que de nombreuses entreprises en sont réduites à solliciter des dons pour rester à flot.
Prenons l’exemple d’Atlas Hotels, une chaîne de boutiques qui a ouvert ses 16 établissements dans l’État d’apartheid aux personnes “déplacées” par l’action des combattants de la liberté palestiniens. Le désespoir les a conduits à implorer les fournisseurs, les contacts à l’étranger, les clients et même leur propre personnel pour obtenir un soutien financier.
Un cadre supérieur interrogé par le FT a ouvertement admis que si ces revenus n’étaient pas au rendez-vous, l’entreprise serait condamnée. Étant donné que les dépenses de consommation des Israéliens ont chuté depuis le début de la guerre, il en va sans doute de même pour de nombreuses entreprises dont la survie dépend des fonds étatiques discrétionnaires.
Le tourisme, bouée de sauvetage économique potentielle, n’offre guère de répit à Tel-Aviv. Selon les chiffres de l’OCDE, les voyages internationaux représentent 2,8 % du PIB israélien et soutiennent 230 000 emplois, soit un peu plus de 6 % de la main-d’œuvre totale.
Malgré les efforts persistants déployés tout au long de l’année 2022 pour relancer le tourisme, le mois d’octobre a enregistré une baisse record de -76 % par rapport à l’année précédente. Le début du Déluge d’Al-Aqsa a encore décimé les voyages, les vols quotidiens au départ et à destination de l’aéroport Ben Gurion étant passés de 500 à 100 seulement.
En octobre 2022, les arrivées internationales dépassait les 370 000. La guerre n’étant pas près de s’achever et entraînant de nombreuses chez les colons eux-mêmes, il semble peu probable que Tel-Aviv redevienne une destination de vacances prisée de sitôt.
Guerre économique
Le cataclysme en cours n’échappe pas aux économistes de Tel-Aviv, dont 300 ont exhorté, le 1er novembre, M. Netanyahou et ses ministres des finances à “revenir à la raison”, en raison du “grave coup porté à Israël”.
Ils estiment que le cataclysme “exige un changement fondamental des priorités nationales et une réorientation massive des fonds pour faire face aux dommages de guerre, à l’aide aux victimes et au rétablissement de l’économie”. En réponse, le Premier ministre s’est engagé à créer une “économie armée” :
“Mes directives sont claires : nous ouvrons les robinets, nous injectons de l’argent à tous ceux qui en ont besoin… Quel que soit le prix économique que cette guerre nous impose, nous le paierons sans hésitation… Nous battrons l’ennemi dans la guerre militaire et nous gagnerons aussi la guerre économique”.
Malgré cette rhétorique grandiloquente, de nombreux éléments indiquent que l’État sioniste se fait autant d’illusions sur sa viabilité économique que sur ses prouesses militaires. Les rapports publiés par le think tank Start-Up Nation Policy Institute (SNPI) de Tel-Aviv révèlent de sombres perspectives.
Deux semaines seulement après l’opération Déluge d’Al-Aqsa, l’organisation a publié une étude sur les dommages subis par le secteur technologique israélien, qui était autrefois une source de fierté nationale et un indicateur de la prospérité du pays en général. Les conclusions sont sans appel.
Même à ce stade précoce, le SNPI prévoyait, sur la base de son enquête, l’imminence d’une “crise économique dont l’ampleur est encore inconnue”. Au total, 80 % des entreprises technologiques israéliennes ont signalé des dommages résultant de la détérioration de la “situation sécuritaire” du pays, tandis qu’un quart d’entre elles ont enregistré des “dommages à un double titre, à la fois en termes de ressources humaines et d’obtention de capitaux d’investissement”.
Plus de 40 % des entreprises technologiques ont vu leurs accords d’investissement retardés ou annulés, et seulement 10 % ont réussi à avoir des réunions avec des investisseurs. Le rapport conclut :
“L’incertitude et la décision de nombreux investisseurs de rester sur la touche en raison de la situation actuelle frappent un écosystème qui avait déjà du mal à trouver des capitaux, en partie à cause de l’instabilité politique à la veille de la guerre, combinée à la récession économique mondiale.”
Une autre raison de la chute du secteur technologique israélien, non mentionnée par SNP – mais étudiée par The Cradle le 13 octobre (lien: https://new.thecradle.co/articles/israels-intel-failure-is-bad-for-business ) – est l’exposition des vulnérabilités du système de surveillance électronique et de guerre de Tel-Aviv par l’opération Déluge d’Al-Aqsa.
Ce rapport concluait que l’opération de la résistance palestinienne “conduirait probablement à un déclin significatif de la prospérité du secteur israélien de la cybersécurité”, étant donné qu’elle représente un coup grave et potentiellement mortel pour l’enseigne “Start-up Nation”, qui dépend fortement de la cybersécurité. Les événements qui ont suivi ont confirmé cette prédiction.
Fluctuations brutales
Le 2 novembre, le SNPI a publié une nouvelle étude sur la résistance historique de l’économie I
israélienne face aux crises sécuritaires, basée sur les données concernant “les épisodes de combat les plus importants des vingt dernières années”, notamment l’opération Bordure protectrice de 2014.
Tout en admettant que les événements récents ont “naturellement” suscité de “grandes inquiétudes parmi les investisseurs étrangers, les partenaires et les clients” des entreprises israéliennes, le SNPI a brossé un tableau plus optimiste qu’auparavant, suggérant que Tel-Aviv a “prouvé sa capacité à surmonter des crises de ce type dans le passé et… à en sortir plus fort”.
Ce jugement optimiste se fonde sur le fait que l’assaut de 2014 contre Gaza n’a coûté que 0,3 % du PIB israélien, soit environ 8 milliards de shekels en monnaie courante. En outre, cet effort militaire n’a pas perturbé durablement les marchés financiers, ni provoqué de “fortes fluctuations” de la bourse de Tel-Aviv à court ou à long terme. La SNPI a conclu que le même impact, ou plutôt la même absence d’impact, pouvait donc être envisagée en ce qui concerne l’opération Épées de fer menée aujourd’hui contre Gaza.
Cependant, l’ampleur sans précédent du Déluge d’Al-Aqsa, qui a entraîné la mobilisation de 360 000 soldats israéliens, l’intensification des escarmouches militaires sur le front nord avec le Hezbollah libanais et un cataclysme économique durable remettent en question l’applicabilité du scénario prévu pour l’opération Bordure protectrice. En 2014, 5 000 soldats seulement ont été mobilisés dans le cadre d’une action militaire des forces d’occupation israéliennes qui n’a duré que 49 jours.
Netanyahou donne, au moins sur le plan rhétorique, l’impression de vouloir éliminer le Hamas et mettre fin à la domination du mouvement à Gaza, même si ces objectifs sont pour l’instant loin d’être atteints. Il y a également des indications sans ambiguïté que les États-Unis et la Grande-Bretagne recherchent un conflit par procuration prolongé et lourd de conséquences, non seulement en Palestine, mais dans l’ensemble Asie occidentale. Cette trinité infernale est peut-être sur le point d’apprendre une leçon atrocement douloureuse sur les véritables limites de leur pouvoir actuel.
L’opération Déluge d’Al-Aqsa a remporté des succès surprenants, remettant en cause les mesures de sécurité établies et signalant potentiellement le début d’un démantèlement plus général du projet sioniste. Les risques pour Israël n’ont jamais été aussi élevés. Dans ce scénario, l’économie coloniale de Tel-Aviv, qui repose sur l’assujettissement des Palestiniens, pourrait être confrontée à un avenir précaire et constituer le prochain domino à tomber.
Petit article récent à lire en complément de celui, beaucoup plus étayé, de Tony Karon et Daniel Lévy, « Israël is losing this war » ( https://www.thenation.com/article/world/israel-gaza-war/ ), traduit ici : https://agencemediapalestine.fr/blog/2023/12/11/israel-est-en-train-de-perdre-cette-guerre/
ISRAËL EST EN TRAIN DE PERDRE LA GUERRE CONTRE LE HAMAS – MAIS NETANYAHOU ET SON GOUVERNEMENT NE L’ADMETTRONT JAMAIS
Le discours officiel répète que le Hamas est affaibli, mais en réalité la doctrine de la force massive appliquée par Tsahal est en train d’échouer
Paul Rogers, 21 décembre 2023
( https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/dec/21/israel-losing-war-against-hamas-netanyahu-idf )
Jusqu’à très récemment, le récit de la guerre contre Gaza était largement contrôlé par Tsahal et par le ministère de la Défense du pays. La réputation internationale d’Israël a beau s’être effondrée avec la mort de plus de 20 000 Palestiniens, environ 50 000 blessés et la destruction d’une grande partie de la bande de Gaza, Tsahal a pu continuer à faire croire que le Hamas était gravement affaibli, allant jusqu’à affirmer que la guerre dans le nord de la bande de Gaza était en grande partie terminée et que le succès dans le sud de la bande de Gaza ne tarderait pas à venir.
Ce discours a été facilité par les graves difficultés rencontrées par les quelques journalistes encore présents à Gaza, notamment les risques pour leur sécurité personnelle, alors que la presse internationale était bloquée à Jérusalem et dépendait des sources de Tsahal pour la plupart de ses informations.
Lorsqu’un tableau différent a commencé à se dessiner, la situation a changé. Il y a eu d’abord l’absence de preuves à l’appui des thèses de Tsahal concernant l’existence d’un quartier général du Hamas sous l’hôpital al-Shifa, puis l’incapacité de Tsahal de localiser les otages israéliens, alors qu’il est censé disposer de services de renseignement parmi les plus avancés au monde.
Deux autres incidents se sont produits très récemment. Le 12 décembre, des paramilitaires du Hamas ont tendu une triple embuscade dans une partie de Gaza censée être contrôlée par les forces israéliennes. Une unité de Tsahal est tombée dans l’embuscade et a subi des pertes. D’autres troupes ont été envoyées pour aider cette unité, et elles sont tombées dans une embuscade, tout comme les autres renforts.
Dix soldats de Tsahal ont été tués et d’autres grièvement blessés, mais c’est leur ancienneté qui compte, notamment celle d’un colonel et de trois majors de la brigade d’élite Golani. Le fait que le Hamas, prétendument décimé et dont des milliers de soldats auraient déjà été tués, ait pu monter une telle opération n’importe où dans la bande de Gaza, qui plus est dans un district supposément déjà sous le contrôle du Tsahal, devrait faire douter de l’idée qu’Israël progresse de manière substantielle dans la guerre.
Un autre indice est apparu quelques jours plus tard, lorsque trois otages israéliens ont réussi à échapper à leurs ravisseurs, avant d’être tués par des soldats de Tsahal, même s’ils étaient torse nu et tenaient un drapeau blanc. Ce qui a aggravé la situation et suscité une grande colère en Israël, c’est que les appels des otages avaient été captés par un chien de recherche de Tsahal équipé d’un système audio, pas plus que cinq jours avant leur assassinat.
Il existe d’autres indications, plus générales, des problèmes de Tsahal. Les chiffres officiels des pertes font état de plus de 460 militaires tués à Gaza, en Israël et en Cisjordanie occupée et d’environ 1 900 blessés. Mais d’autres sources font état d’un nombre de blessés bien plus important.
Il y a dix jours, le principal quotidien israélien, Yedioth Ahronoth, a publié des informations obtenues auprès du département de réhabilitation du ministère de la Défense. Le chef de ce département, Limor Luria, aurait déclaré que plus de 2 000 soldats de Tsahal ont été enregistrés comme handicapés depuis le début du conflit – 58 % de tous les patients traités ayant connu de graves blessures aux mains et aux pieds. Cela laisse supposer un nombre de victimes bien plus élevé que le chiffre officiel. Dans le même temps, le journal Times of Israel a indiqué que le nombre de soldats de Tsahal, de la police israélienne et d’autres forces de sécurité blessés s’élevait à 6 125. Il y a également eu un certain nombre de soldats tombés sous le feu ami, le même journal faisant état de 20 décès sur 105 dus à des tirs venant de Tsahal ou à des accidents survenus au cours des combats.
Dans l’ensemble, Tsahal suit toujours la doctrine bien rodée de Dahiya, qui consiste à recourir à une force massive pour répondre à une guerre irrégulière, à causer d’importants dégâts sociaux et économiques, à saper la volonté des insurgés de se battre tout en dissuadant les futures menaces pour la sécurité d’Israël. Mais les choses sont en train de mal tourner. Les critiques proviennent de milieux inattendus, notamment de l’ancien ministre britannique de la défense, Ben Wallace, qui a mis en garde contre un impact susceptible de durer 50 ans. Même l’administration Biden commence à se sentir très mal à l’aise face à ce qui se passe, mais Benjamin Netanyahu et le cabinet de guerre sont déterminés à continuer aussi longtemps qu’ils le peuvent.
Il importe de comprendre pourquoi. Les attentats du 7 octobre et la brutalité qu’ils ont entraînée ont profondément ébranlé l’idée qu’Israël se faisait de la sécurité, ce qui signifie que la grande majorité des Juifs israéliens ont jusqu’à présent continué à soutenir la réponse de Netanyahou. Cependant, même ce sentiment, grevé par l’assassinat des trois otages par les troupes de l’armée israélienne, est en train de s’effriter.
L’un des effets de tout cela est que les généraux de Tsahal sont soumis à une énorme pression pour réussir, et qu’ils iront aussi loin que le cabinet de guerre le leur permettra. La plupart de ces généraux sont des individus aussi intelligents que déterminés ; ils savent désormais qu’en dépit de la rhétorique de Netanyahou, le Hamas, ou du moins les idées du Hamas, ne peuvent être vaincues par la force militaire. Ils savent également que si les pourparlers sont au point mort, la pression exercée par les familles des otages pourrait bientôt déboucher sur une nouvelle pause humanitaire. Par conséquent, leur objectif sera de nuire au Hamas autant qu’ils le peuvent, aussi rapidement qu’ils le peuvent, tant qu’ils le peuvent, quel qu’en soit le coût pour les Palestiniens. Les raids aériens intenses de cette semaine sont la preuve de cette approche.
Ce qui rend cela possible, c’est la dépendance de Netanyahou à l’égard d’une minorité extrémiste de fondamentalistes religieux et de sionistes virulents au sein de son gouvernement. Sans la tragédie du 7 octobre, ceux-ci ne bénéficieraient pas d’un soutien aussi large en Israël ; dans le même temps, ils nuisent de plus en plus à la sécurité à long terme d’Israël. Non seulement Israël risque de devenir un État paria, même parmi ses alliés, mais il alimentera également une génération d’opposition radicale de la part d’un Hamas reconstitué ou de son inévitable successeur.
Israël a besoin d’être sauvé de lui-même, mais cela dépendra, plus que tout, de Joe Biden et des personnes qui l’entourent. Peut-être poussés par l’évolution rapide de l’opinion publique en Europe occidentale, ils doivent assumer leur rôle dans la mise en place d’une fin immédiate à ce conflit.
La brigade d’élite Golani a été retirée de Gaza : 25% de l’effectif est hors de combat, morts et blessés.