« Les causes historiques du séparatisme arabe »
Traduction de la présentation des camarades de la revue Endnotes.
le texte en français («programme communiste»; N° 104; Mars 2017) fait suite.
LES CAUSES HISTORIQUES DU SEPARATISME ARABE
par Il Programma Comunista
Introduction
La chimère de l’unification arabe vue d’en haut
Les causes historiques du séparatisme arabe
INTRODUCTION : LE PROGRAMME COMMUNISTE, L’UNITE ARABE ET LE MYTHE DE LA RACE BLANCHE
“Une civilisation qui se révèle incapable de résoudre les problèmes qu’elle crée est une civilisation décadente.”Aimé Césaire
À la fin des années 1950, en pleine guerre froide arabe, le principal journal de la gauche communiste italienne, Il Programma Comunista, a publié une série d’articles sur le nationalisme arabe, que nous avons traduits et publiés ci-dessous.1 Ces articles établissaient un lien entre les tentatives d’unification des peuples arabophones dans un nouvel État super-régional et le sort de “l’Europe bourgeoise pourrie, corrompue, mortelle, infectée par la réaction et le fascisme plus ou moins déguisé, qui, depuis quarante ans, est le foyer inépuisable de la guerre impérialiste et de la contre-révolution”. “Qui peut mesurer l’impact révolutionnaire gigantesque de l’effondrement du mythe de la supériorité de la race blanche ?
C’était l’idée du “fardeau de l’homme blanc”, un soutien idéologique à l’ordre impérial occidental qui devait être détruit avant que ne puisse émerger quoi que ce soit qui ressemble au socialisme ou au communisme. Amadeo Bordiga, auteur anonyme de nombreux articles dans Il Programma Comunista, avait insisté, dans son style oraculaire caractéristique, sur le fait que “la civilisation, dont nous avons montré l’aube, doit connaître son apocalypse avant nous. Le socialisme et le communisme viennent après et se situent au-dessus de la civilisation, tout comme la civilisation a suivi la barbarie et s’est située au-dessus d’elle”.2 Aujourd’hui, nous assistons à une apocalypse palestinienne au double sens du terme : révélation de la vérité de la puissance occidentale et catastrophe humanitaire de l’ampleur des bombardements de Nagasaki et d’Hiroshima.3 Mais si le bombardement atomique du Japon a inauguré l’ordre mondial actuel, il se peut que nous arrivions aujourd’hui à sa fin. Comme nous l’avons affirmé, notre “époque est traversée par un désordre qui vient d’en haut comme d’en bas, et cette crise semble défaire les bases de la longue paix (la Pax Americana) qui a interrompu le déroulement révolutionnaire d’une époque antérieure”.4
La cause palestinienne mobilise des centaines de milliers, voire des millions de personnes, dans des manifestations et des protestations partout dans le monde et menace de déclencher un nouveau printemps arabe au Moyen-Orient.5 Beaucoup, peut-être la plupart, des Occidentaux qui descendent dans la rue pour protester contre les bombardements et la famine à Gaza n’ont aucune sympathie profonde pour le Hamas ou les mouvements islamistes qui ont pris de l’ampleur après la défaite du nationalisme arabe analysé par Il Programma Comunista. Mais tout comme les internationalistes italiens ont déclaré en 1958 qu’ils étaient en faveur de la révolution nationale arabe, car ils pensaient qu’elle pouvait déstabiliser l’impérialisme occidental (l’ennemi le plus puissant du prolétariat mondial), il est rationnel pour les internationalistes de soutenir la libération palestinienne aujourd’hui. Non pas parce que la libération nationale peut conduire à une rupture avec le système capitaliste (elle ne le peut pas puisque le capitalisme est par nécessité un système d’entreprises et de nations concurrentes), mais parce que ce qui est en jeu dans la lutte palestinienne, ce sont précisément les effets potentiellement révolutionnaires de l’effondrement du mythe de la supériorité de la race blanche.
La critique notoire de l’antifascisme par Bordiga présente des similitudes avec l’insistance d’Aimé Césaire, à la même époque, sur le fait que ce que les bourgeois antifascistes “ne peuvent pardonner à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme … mais le fait qu’il a appliqué à l’Europe des procédés colonialistes qui, jusqu’alors, avaient été réservés exclusivement aux Arabes d’Algérie, aux coolies de l’Inde et aux Noirs d’Afrique”.6 Comme Césaire, qui insistait en 1950 sur le fait que le colonialisme “ne peut qu’entraîner la ruine de l’Europe elle-même, et que l’Europe, si elle n’y prend garde, périra du vide qu’elle a créé autour d’elle”, Il Programma prédisait que l’orgueil démesuré de l’impérialisme occidental causerait la perte des puissances européennes et atlantiques. En cela, le capitalisme créait les conditions de son dépassement, car la défaite de l’Occident jetterait les bases d’une révolution mondiale. En ce sens, l’unité arabe serait une étape potentielle sur la voie du communisme, dans laquelle les forces non prolétariennes pourraient jouer un rôle essentiel.7
Dans les articles que nous traduisons ci-dessous, Il Programma affirme que l’unité arabe pourrait prendre l’une des deux formes suivantes. Elle pourrait être réalisée par “la conquête militaire d’un État hégémonique qui effacerait les cloisonnements étatiques en vigueur dans les territoires habités par des personnes de race et de langue arabes”. Ou bien elle peut provenir d’une “révolution des classes inférieures qui, en détruisant l’ordre établi, jette les bases d’un État unitaire”. La première solution, qui ferait pour le monde arabe ce que “la Prusse a fait pour l’Allemagne et le Piémont pour l’Italie”, serait, selon Il Programma, très probablement vaincue par une intervention militaire occidentale. Pour le démontrer, ils ont évoqué, en 1959, la présence de la 6e flotte américaine dans les eaux libanaises. Aujourd’hui, nous pourrions citer les opérations Aspides et Prosperity Guardian en mer Rouge.
Mais, selon Il Programma en 1958, l’autre voie de l’unité arabe – une révolution par le bas – “fait encore défaut”. La révolution nassériste n’avait pas été un “mouvement révolutionnaire de masse” puisqu’elle avait laissé intactes les relations féodales dans les campagnes égyptiennes, ni “exprimé la puissante volonté d’une bourgeoisie digne de ce nom”. Les panarabistes du Caire et de Damas avaient confié leur destin politique aux intrigues d’État, d’où leur échec. Pourtant, Il Programma se réjouit des luttes futures qui “permettront aux Arabes de se libérer de l’asservissement à l’impérialisme d’une part et des survivances du particularisme féodal d’autre part”.
Assiste-t-on aujourd’hui à une telle évolution ? Nous avons soutenu ailleurs, à la suite d’Asef Bayat, que nous vivons une ère d’accumulation mondiale de non-mouvements.8 Ceux-ci sont l’expression d’un ordre économique mondial en stagnation séculaire et de l’effritement d’un ordre géopolitique apparu en 1948 avec la fondation de l’État israélien et la Nakba palestinienne. Aujourd’hui, 76 ans plus tard, la lutte palestinienne est devenue le point de convergence de ce que nous avons appelé les “expressions subjectives du désordre objectif de notre époque”. Outre la mobilisation de mouvements politiques et militaires plus classiques, tels que les rebelles houthis et le Hezbollah, le monde arabe a connu des manifestations de grande ampleur contre le génocide à Gaza. Des milliers de personnes ont été arrêtées en Jordanie et en Égypte, tandis que même les États du Golfe ont connu des manifestations modestes.9 Même si ces manifestations ont été limitées, elles constituent une menace sérieuse pour les gouvernements arabes, qui dirigent certaines des sociétés les plus inégalitaires au monde. En effet, comme l’a récemment déclaré un analyste, “[l]a question de la Palestine est une question d’injustice, et cette question d’injustice est ensuite interprétée par les masses arabes comme symbolisant une quête de justice généralisée, qui inclut également la critique des régimes autoritaires du monde arabe, qui sont monumentalement injustes”.10 Ou, comme l’a exprimé succinctement un militant au Koweït après une série de sit-in en soutien à la Palestine : “[c]e qui arrive au peuple palestinien clarifie les fondements du problème pour les Arabes partout dans le monde”.11 En conséquence, les sondages d’opinion au Moyen-Orient indiquent non seulement que la plupart des gens sont profondément opposés à Israël et aux puissances occidentales, mais aussi qu’il existe une conscience claire de la complicité des dirigeants arabes dans le génocide, dont beaucoup craignent qu’il ne conduise à un troisième printemps arabe.12
En 2011, lors du premier printemps arabe, Gaza et la Cisjordanie ont également connu une série de manifestations importantes contre la hausse des prix des carburants, la détérioration du niveau de vie et les salaires impayés du secteur public. Ces manifestations, qui ont pris la forme d’émeutes et de grèves violentes (allant jusqu’à l’auto-immolation), ont été réprimées par les forces combinées du Hamas et de l’Autorité palestinienne.13 Lorsqu’un deuxième printemps arabe a balayé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient en 2019, la Palestine est restée relativement calme, ce que certains ont expliqué en se référant à un vieux dicton de Yasser Arafat : “[i]l ne faut pas attendre de révolutions en Palestine. Les Palestiniens seront toujours plus en colère contre les Israéliens que contre moi.”14 Pourtant, aujourd’hui, les dirigeants des États arabes craignent que la guerre à Gaza ne menace leur pouvoir. La guerre a fait de la cause palestinienne un problème mondial. L’appel à libérer la Palestine est devenu un cri de ralliement qui produit une unité contre les intérêts impérialistes et les dirigeants régionaux que Il Programma Comunista aurait considéré comme révolutionnaire au sens historique du terme : une “unité d’en bas” qui détruit les fondements politiques et économiques du système mondial capitaliste.15
Si la célèbre prédiction de Bordiga d’une révolution mondiale dans les années 1970 ne s’est pas réalisée, cette décennie a confirmé sa prédiction quant au destin du nationalisme arabe.16 Avant que Husayn ibn ‘Ali (1853-1931), le chérif de La Mecque, ne proclame au printemps 1916 la “grande révolte arabe”, le nationalisme avait été perçu comme une force trompeuse (une importation occidentale) par les intellectuels arabes de l’Empire ottoman. Les Turcs dominaient le Moyen-Orient depuis le XVIe siècle. Le califat n’était pas, à ce moment de l’histoire, une nation centrée sur l’arabe et les coutumes arabes, mais une immense civilisation, comprenant des musulmans de différents groupes linguistiques, ainsi que des cultures juives et chrétiennes prospères. Le déclin de ce monde a été un processus complexe, mais sa mort a été certifiée dans l’accord Sykes-Picot par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale, les puissances occidentales que Bordiga avait identifiées comme les défenseurs les plus efficaces de la civilisation capitaliste, en raison de leur capacité à acheter ou à tuer tous les ennemis.
L’or britannique avait permis de mobiliser les tribus arabes en faveur de l’émancipation de la domination ottomane et, partant, de garantir les intérêts coloniaux britanniques dans la région (T.E. Lawrence était surnommé “l’homme à l’or”).17 Le nationalisme arabe est né dans les ruines du califat et peut être considéré comme le résultat de l’importation violente de l’État-nation européen moderne dans la région. Les Ottomans se sont retirés de Palestine en 1917, ce qui a permis aux Britanniques d’entrer en Égypte et d’occuper Jérusalem (le général britannique Edmund Allenby aurait déclaré que “les guerres des croisades sont maintenant terminées”). Les tribus arabes s’emparent bientôt d’Aqaba et de Damas et, tandis qu’Atatürk prend le pouvoir en Turquie, le rêve d’un nouvel État, un État arabe, devient peu à peu possible. Cependant, ce sont les soulèvements contre les Français en Syrie et la révolte arabe en Palestine en 1936 qui ont jeté les bases de ce qu’Il Programma a appelé “la révolution arabe”.
Il Programma affirme que le nationalisme arabe sera inévitablement vaincu s’il s’organise selon les lignes arbitraires de l’accord Sykes-Picot. Les États clients des puissances occidentales devaient être remplacés par un État suprarégional capable d’unir le peuple arabe. Pour Il Programma, il importait peu que cette unité populaire vienne d’en haut ou d’en bas. Ce qui comptait, c’est que dans les deux cas, elle conduirait à l’effondrement du mythe de la supériorité raciale des Blancs. Aujourd’hui, avec l’assaut sur Gaza, ce mythe est en ruine. Même des personnalités comme Tucker Carlson et Joe Rogan semblent incapables de défendre la supériorité morale de l’Amérique. Les manifestations sur les campus américains, d’une ampleur inégalée depuis la guerre du Viêt Nam, témoignent de l’effondrement des croyances de toute une génération. Les jeunes Américains, en particulier ceux qui ne sont pas de race blanche, sont aujourd’hui beaucoup moins enclins à considérer Israël comme un avant-poste des “valeurs occidentales” dans un pays barbare.18 Comme l’a récemment déclaré Jonathan Greenblatt, directeur de la Ligue anti-diffamation, lors d’un appel téléphonique qui a fait l’objet d’une fuite : “tous les sondages que j’ai vus, ceux de l’ADL, ceux de l’ICC, les sondages indépendants, suggèrent qu’il ne s’agit pas d’un écart entre la gauche et la droite, le problème du soutien des États-Unis à Israël n’est pas la gauche et la droite, c’est la jeunesse et la vieillesse… nous avons vraiment un problème TikTok, un problème Gen-Z…”.19
Dans les pages de Il Programma Comunista, les bordigistes, si l’on peut dire, affirmaient que la révolution arabe espérée pourrait “marquer la fin de la domination colonialiste dans toute l’Afrique, non seulement dans l’Afrique arabe, mais aussi dans le reste du continent habité par des peuples de race noire, traversés par de profonds frissons de révolte”. Ils faisaient le pari qu’un monde décolonisé serait plus sensible au communisme puisqu’il s’agirait d’un monde multipolaire et, donc, d’un monde avec plus de maillons faibles susceptibles d’éclater. Bien sûr, ils savaient qu’un soulèvement national arabe ne serait pas nécessairement révolutionnaire au sens communiste du terme (mais quelle lutte l’est ?). Ils ne se faisaient pas non plus d’illusions sur le bloc soviétique en tant qu’alternative à l’Occident supposé plus capitaliste. Toute leur raison d’être en tant que projet politique reposait sur un refus clair (ils diraient volontiers sectaire et dogmatique) de prendre parti dans de tels conflits inter-impérialistes. Cependant, ils pensaient que ce n’était qu’à travers le déploiement du chaos dans le système mondial moderne que la question d’un nouvel ordre international pouvait être soulevée.
Ils envisageaient des luttes autonomes et spontanées (ce que nous appellerions aujourd’hui des non-mouvements) s’organisant en une force capable de rompre avec l’impérialisme occidental comme avec l’impérialisme oriental. Dès 1913, Bordiga insistait sur le fait que “les opinions politiques ne sont pas le résultat d’idées abstraites ou de connaissances philosophiques et scientifiques, mais du milieu [l’ambiente] dans lequel on vit et des besoins immédiats de ce milieu”.20 Les opinions politiques, selon le jeune marxiste italien, sont davantage une “question de sentiment” qu’un produit de la culture philosophique et scientifique.21 Il exhorte les socialistes italiens à mobiliser cet “environnement de sentiments” pour en faire une force politique et organisée : un parti révolutionnaire. Quatre ans plus tard, en 1917, les expériences de la guerre et de la famine ont suscité en Russie de véritables sentiments révolutionnaires que différents groupes de gauche, tels que les sociaux-révolutionnaires et les bolcheviks, ont réussi à canaliser dans de puissants mouvements politiques, mais qui allaient bientôt être brutalement réprimés par l’armée et la police.
Dans les années 1950, Il Programma espérait qu’une autre organisation des sentiments des classes laborieuses – un parti ou un “organisme anti-formiste”, comme l’aurait appelé un groupe de bordiguistes contemporains – pourrait unifier le monde arabe.22 Aujourd’hui, une telle force, si elle devait se conformer à la vision lointaine de Bordiga, devrait adopter une position défaitiste contre la guerre, et donc aussi contre les tentatives d’États comme la Russie et l’Iran d’utiliser ces conflits pour leurs propres intérêts.23 Cela nécessiterait de forger une nouvelle organisation à travers et contre les nations et les partis politiques existants. Ce serait une tâche difficile. Mais de nouvelles organisations de ce type pourraient s’appuyer sur les sentiments qui s’expriment aujourd’hui au Moyen-Orient comme un rejet ouvert du “charisme postcolonial” et donc comme une crise de la représentation politique traditionnelle.24Comme l’affirmait Il Programma en 1953, les travailleurs ne peuvent attendre un Messie et ne pourront “triompher que lorsqu’ils comprendront que personne ne viendra”.25
Le terme “non-mouvement” de Bayat (un terme qui est utile précisément pour sa laideur) englobe ces sentiments de méfiance à l’égard des leaders charismatiques et du messianisme politique. Pour Bayat, le non-mouvement est “l’action collective d’acteurs dispersés et non organisés”. Il fait référence aux “non-mouvements des pauvres pour revendiquer des droits à l’espace et aux équipements urbains ; aux non-mouvements des jeunes pour retrouver leur jeunesse, c’est-à-dire pour réaliser les styles de vie qu’ils souhaitent et accomplir leur individualité ; et aux non-mouvements des femmes pour lutter pour l’égalité des sexes, que ce soit au niveau du statut personnel ou de la présence active dans la sphère publique”.26 Il s’agit de sentiments exprimés qui peuvent devenir des “contagions sociales et émotionnelles”, remodelant les relations existantes et produisant ce que Bayat, dans un résumé récent de son travail sur le Moyen-Orient, décrit comme des vies révolutionnaires.28
Un tel “environnement de sentiments” peut aujourd’hui être discerné dans les tentatives des prolétaires et autres de se désengager, ou comme le dirait l’activiste et érudit palestinien Haidar Eid, de “disparaitre“, de ceux – y compris en Palestine à la fois le Hamas et l’OLP – qui cherchent à canaliser les bouleversements actuels dans les mouvements politiques existants.29 Ni Bayat ni Eid ne se sont opposés à l’organisation en soi, mais ils comprennent que des mouvements nouveaux et plus prometteurs peuvent naître sur la base d’un sentiment généralisé que les alternatives existantes à gauche et à droite n’ont rien à offrir. En outre, ils réalisent que ce que Bordiga appelait en 1913 l’ambiente, à savoir la pratique quotidienne des exploités pour remodeler leur vie en fonction de leurs espoirs et de leurs souhaits, n’est pas une poussée spontanée mais une série de pratiques mises en œuvre et de sentiments vécus.30
Bordiga imaginait que les mouvements de ceux qu’il appelait les “barbares” allaient faire renaître les fruits de la civilisation qui, selon lui, et un peu comme Césaire, était devenue pourrie et donc moribonde.31 Leur vision d’un Occident pourri semble encore plus juste aujourd’hui. La tragédie de la Palestine est le reflet d’un système mondial qui non seulement ne parvient pas à offrir une bonne vie à beaucoup, voire à la plupart, mais qui tolère même aujourd’hui un génocide télévisuel. Mais elle montre aussi le nihilisme qui peut facilement émerger d’en bas. La création de l’État islamique d’Irak et du Levant en 2014, en pleine guerre civile syrienne, était une expression claire mais fasciste de la recherche de l’unité arabe. L’attaque du Hamas en octobre 2023, qui a conduit au massacre de plus de 300 civils fêtards au festival de Re’im, est un autre témoignage que la brutalité peut venir d’en bas comme d’en haut. On peut dire que ce type de violence fait partie de la plupart des mouvements qui cherchent à constituer un État ou à créer une nation. On pourrait y voir la dimension décadente d’une politique centrée sur l’État. Seules les masses qui se détachent des puissances occidentales, tout en disparaissant des soi-disant petits maux que sont l’Iran, la Russie et la Chine, peuvent trouver une issue à une civilisation génocidaire qui a rendu Israël possible et, pour de nombreux Juifs, malheureusement même nécessaire, en premier lieu. L’existence continue d’Israël en tant qu’État colonial de peuplement est l’expression d’une civilisation capitaliste mondiale qui ne peut surmonter sa tendance à la stagnation que par la violence et la militarisation.32
Les bordiguistes pariaient que l’entropie et la stagnation croissantes du système capitaliste se conclueraient finalement soit par la guerre, soit par la révolution.33 Aujourd’hui, c’est la cause palestinienne qui révèle le nihilisme de l’Occident que les bordiguistes avaient décrit dans la chronique des révoltes arabes du 20e siècle. Le génocide qu’il mène à Gaza a fait apparaître à la communauté mondiale la nature d’Israël en tant qu’État raciste et d’apartheid et, par conséquent, un handicap politique pour l’Occident soi-disant démocratique.34 Alors que Joe Biden exprime son indignation face à la demande de la Cour pénale internationale de délivrer des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant, il devient évident que “l’ordre international fondé sur des règles” n’est que la règle arbitraire de la puissance impériale américaine.35 L’Occident est “pourri” précisément parce que, comme le disait Césaire en 1950, “au bout de l’humanisme formel” qui légitime la domination de l’Occident, “il y a Hitler”.36 C’est pourquoi la lutte pour la libération de la Palestine crée les conditions d’une unité internationale – une contagion sociale et émotionnelle – non seulement entre les peuples arabes mais aussi à travers les continents en généralisant la nécessité d’un ordre mondial où aucun État ne peut mener un génocide en toute impunité. Cette unité contre ce que Il Programma Comunista considère comme la civilisation pourrissante et belliciste du capitalisme sénile – ce “cadavre qui bouge encore” – serait un moyen de “mesurer l’impact révolutionnaire gigantesque de l’effondrement du mythe de la supériorité de la race blanche”.
« Les causes historiques du séparatisme arabe »
« Cet article, publié sur le n° 4 (1958) de Programme Communiste était la synthèse de deux articles parus sur Il Programma Comunista qui était alors l’organe alors du parti: les n°10/1957 («la chimère de l’unification arabe par des ententes entre Etats») et le n°6/1958 («Les causes historiques du séparatisme arabe»). »
https://www.pcint.org/04_PC/104/104_separatisme-arabe.htm
Notes
- Bien qu’ils portent certaines marques stylistiques d’Amadeo Bordiga, ces articles anonymes n’ont pas été attribués à Bordiga dans Arturo Peregalli & Sandro Saggioro, Amadeo Bordiga (1889-1970) : bibliografia, Colibrì, Paderno Dugnano, 1995. Par conséquent, nous les avons attribués uniquement à Il Programma Comunista (Il Programma en abrégé) ci-dessous. D’autres articles non signés sur les mêmes sujets ou des sujets connexes qui ne figurent pas (encore) ci-dessous comprennent : ‘La crisi del Medio Oriente (1), L’immobile Occidente e il dinamico Oriente’ Il Programma Comunista No 20, 6-20 novembre 1955 ; ‘La crisi del Medio Oriente (2)’ Il Programma Comunista No 21, 20 novembre – 2 dicembre 1955 ; ‘Il terremotato Medio Oriente. Il “bluff” russo (1)’ Il Programma Comunista No 7, 31 marzo – 13 aprile 1956 ; ‘Il terremotato Medio Oriente (2). Giordania e Cipro – Il duello anglo-americano’ Il Programma Comunista No 8, 13-27 aprile 1956 ; ‘Il terremotato Medio Oriente’ Il Programma Comunista No 13, 15-29 giugno 1956 ; ‘Il terremotato Medio Oriente (4)’ Il Programma Comunista No 21, 20 ottobre – 3 novembre 1956 ; Gli spavieri dell’altro imperialismo piombano sul Medio Oriente’ Il Programma Comunista No 22, 3-17 novembre 1956 ; ‘L’imperialismo gangster del dollaro aggredisce la rivoluzione araba’ Il Programma Comunista No 14, 20 luglio – 2 agosto 1958 ; ‘La crisi della Svizzera del Medio Oriente’ Il Programma Comunista No 13, 5-19 luglio 1958 ; ‘Medio Oriente e Algeria : Lipocrisia piratesco regno della coesistenza pacifica’ Il Programma Comunista No 16, 8-17 settembre 1958 ; ‘Il mito della solidarietà araba’ Il Programma Comunista No 18, 4 ottobre 1961. Ces articles peuvent être consultés en ligne à l’adresse suivante : https://www.pcint.org/
- Amadeo Bordiga “Avanti, barbari !” Battaglia comunista, n° 22, novembre 1951. Traduction par Libri Incogniti
- L’Euro-Med Human Rights Monitor estime qu’Israël “a largué plus de 25 000 tonnes d’explosifs sur la bande de Gaza depuis le 7 octobre, soit l’équivalent de deux bombes nucléaires. À titre de comparaison, la bombe nucléaire Little Boy larguée par les États-Unis sur Hiroshima pendant la Seconde Guerre mondiale contenait 15 000 tonnes d’explosifs puissants et détruisait tout dans un rayon d’un mille (1,6 km).”
- Endnotes, “Onward Barbarians”, Sept 2020 https://endnotes.org.uk/posts/endnotes-onward-barbarians
- Sania Mahyou, “Can Israel’s war on Gaza trigger a ‘Palestinian Spring’ in the Arab world?”, The New Arab, 10 avril 2024.
- Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme (New York : Monthly Review Press, 2000), pp. 36-37. Ce passage est précédé de ce qui suit : “Il vaudrait la peine d’étudier cliniquement, en détail, les démarches de Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au bourgeois très distingué, très humaniste, très chrétien du vingtième siècle que, sans qu’il s’en rende compte, il a un Hitler en lui, que Hitler l’habite, que Hitler est son démon.”
- Dans un autre article paru la même année dans Il Programma Comunista, le ou les auteurs anonymes écrivent : “Il ne fait aucun doute que la formation d’un État arabe unitaire, balayant les obstacles réactionnaires qui s’y opposent, induirait une profonde révolution sociale.” “L’imperialismo gangster del dollaro aggredisce la rivoluzione araba” Il Programma Comunista n° 14, 20 luglio – 2 agosto 1958.
- Endnotes, “Onward Barbarians”, Sept 2020 https://endnotes.org.uk/posts/endnotes-onward-barbarians
- Dana El Kurd, “Although Limited, Arab Public Protests Against the War in Gaza Continue” Arab Center Washington DC, avril 30, 2024
- Giorgio Cafiero, “Why Arab leaders aren’t helping the Palestinians in Gaza”, Responsible Statecraft 20 mai 2024
- . Vivian Yee, Vivian Nereim and Emad Mekay, “As Anger Grows Over Gaza, Arab Leaders Crack Down on Protests”, New York Times, 29 avril 2024.
- Yasine Akrimi, ” The Arab World, the Question of Palestine and the Spectrum of the Arab Spring ” (Le monde arabe, la question de la Palestine et le spectre du printemps arabe), Brussels International Center, 4 avril 2024. Le deuxième printemps arabe a eu lieu en 2019, notamment en Irak, au Soudan et en Algérie.
- Wendy Pearlman “Palestine and the Arab Uprisings” in Adam Roberts, and others (eds), Civil Resistance in the Arab Spring: Triumphs and Disasters
- Aaron David Miller “Why No Arab Spring in Palestine” Carnegie novembre 2019.
- Bien sûr, une unité “d’en haut” peut encore être une possibilité. Zbigniew Brzezinski, le grand idéologue de la Pax Americana, a mis en garde dans Le grand échiquier contre l’émergence d’une alliance entre la Russie, la Chine et l’Iran. Il pensait que les États-Unis devaient tout faire pour éviter cette situation, car elle mettrait à mal leur position d’hégémonie. Mais même si la défaite d’Israël, et donc des intérêts américains au Moyen-Orient, permettrait aux intérêts chinois et russes d’intervenir plus directement dans la région, elle pourrait aussi faciliter le déroulement d’un troisième printemps arabe. Il n’y a aucune garantie, mais les États-Unis ont renforcé leurs liens avec les régimes autoritaires de la région après 2011, en établissant des bases militaires et en facilitant les contrats d’armement avec des gouvernements despotiques, de Bahreïn au Yémen. Les soi-disant accords d’Abraham, initiés sous Trump et soutenus par Biden, ne visaient pas à établir une “normalisation israélo-arabe”. Il s’agissait d’une tentative, dans le sillage du Printemps arabe, de permettre aux régimes arabes de “peaufiner leurs efforts pour contrôler et réprimer la libre pensée et l’opposition” et d’agir ainsi contre de futurs bouleversements. Les accords se sont effondrés, du moins pour le moment, bien que les États arabes soient restés largement passifs pendant la crise de Gaza. Dana El Kurd, “Assessing the Abraham Accords, Three Years On” Arab Center Washington DC, 31 août 2023.
- Dans une lettre adressée à Umberto Terracini en 1969, Bordiga écrivait : “J’attends, dans un entêtement et une position qui, comme je l’ai toujours prédit, que notre révolution vienne au monde en 1975, plurinationale, monopartiste et monoclassiste, c’est-à-dire, avant tout, sans le pire moule interclassiste, celui de la soi-disant jeunesse étudiante.” La base de ce pronostic a été présentée en 1956 dans la sixième partie de l’essai “Dialogato coi morti” où il était dit que l’accumulation du capital à l’est et à l’ouest s’approcherait d’une situation explosive au début des années 1970 : “L’année 1975 sera-t-elle décidée par la guerre ou par la révolution ? D’ici là, la lutte théorique tranchera entre l’économie de l’explosion et celle de la prospérité croissante.”
- Fin 1917, les Britanniques avaient alloué environ 2 millions de livres d’or aux tribus du Sharif dans l’espoir d’affaiblir l’empire ottoman.
- Un récent sondage Gallup a révélé que si la sympathie envers Israël avait baissé pour tous les Américains depuis le début de la guerre, la baisse la plus importante concernait les jeunes adultes (18 à 34 ans) qui étaient 64 % à être favorables à Israël en 2023, mais seulement 38 % en 2024. Jeffrey M. Jones “Americans’ Views of Both Israel, Palestinian Authority Down” Gallup 4 mars 2024. Une récente enquête de Pew a révélé que les jeunes Américains (18 à 29 ans) sympathisent davantage avec les Palestiniens qu’avec les Israéliens et qu’une pluralité de jeunes disent qu’Israël mène la guerre à Gaza de manière inacceptable, pensent que le Hamas a des raisons valables de combattre Israël et s’opposent à l’aide américaine à Israël. Laura Silver, “Les jeunes Américains se démarquent dans leurs opinions sur la guerre entre Israël et le Hamas” Pew Research Center 2 avril 2024. Une enquête menée par la Fondation Carnegie peu après le 7 octobre a révélé que les Noirs américains étaient nettement moins favorables à Israël que les Américains blancs. Christopher Shell “Les opinions des Noirs américains sur le conflit israélo-palestinien” Carnegie, 13 décembre 2023.
- L’enregistrement de l’appel téléphonique a été publié par le Tehran Times, ce qui laisse penser qu’il a été enregistré par les services secrets iraniens. Sadegh Fereydounabadi, “La jeunesse américaine se libère des jougs sionistes” Tehran Times, 13 novembre 2023.
- Amadeo Bordiga, “Un programma: l’ambiente” in L’Avanguardia 1 juin 1913.
- Amadeo Bordiga, “Un programma: l’ambiente” in L’Avanguardia 1 juin 1913.
- N+1, “La guerra è dissipazione di energia” in QuinternaLab, 7 mai 2024.
- Bordiga a écrit dans une lettre en 1957 : “La révolution viendra si la guerre est stoppée dans son élan et si elle est renversée, c’est-à-dire si elle empêche la guerre de se développer. Pour que cela soit possible, il faudra qu’un puissant parti international soit organisé, dirigé par la doctrine qui affirme que ce n’est qu’en renversant le capitalisme que l’on empêchera la série de guerres. En résumé, l’alternative est la suivante : soit la guerre passe, soit la révolution passe.” Amadeo Bordiga, “Bordiga a Ceglia” 5 juin 1957.
- Mohammed Bamyeh, “The Rise and Fall of Postcolonial Charisma” dans Arab Studies Quarterly, Vol 45. Issue 1. Mars 2023, 61-74.
- “Pourtant, le Messie a été contre-productif dans toutes les révolutions. Même le mythe chrétien le déclare. Lorsque le Christ a annoncé son départ imminent aux apôtres et aux autres disciples mineurs, ils se sont retrouvés tristes et dépourvus. Que pouvons-nous faire, que fera la multitude sans tes conseils ? Mais le Christ a répondu : “Je dois retourner auprès de mon Seigneur et Père. Il est facile pour vous de me voir ici sous une forme humaine, fait chair, comme quelqu’un que vous pensez doté d’un pouvoir ultime, alors que physiquement je tomberai sous les coups de l’ennemi. Ce n’est qu’après mon départ que le Saint-Esprit viendra parmi vous et les masses du monde sous une forme invisible et impalpable. Et les humbles millions investis par lui conquerront les forces de l’ennemi sans chef physique. Le mythe, en fait, représente la puissance sociale et souterraine d’une immense révolution qui mine partout le monde ancien. Il était facile de procéder lorsque le Maître faisait trembler et se taire tout le monde, en accomplissant des miracles, en guérissant les malades, en ressuscitant les morts et en frappant l’épée de la main de l’agresseur. Les travailleurs triompheront lorsqu’ils comprendront que personne ne viendra. L’attente du messie et le culte du génie, explicable dans le cas de Peter et de Carlyle, n’est pour un marxiste de 1953 qu’une misérable couverture de l’impuissance. La Révolution se lèvera à nouveau, et sera terrible, mais anonyme.” Amadeo Bordiga, “Les fantômes de Carlyle” dans Il Programma Comunista, n° 9, 1953.
- Asef Bayat, “The Urban Subalterns and the Non-Movements of the Arab Uprisings: An Interview with Asef Bayat”, Jadaliyya 26 mars 2013.
- Elaine Hatfield ; John T Cacioppo, et Richard L. Rapson, “Emotional contagion” dans Current Directions in Psychological Science, 2 (3), juin 1993 : 96-99.
- Voir Asef Bayat, Revolutionary Life : The Everyday of the Arab Spring (Harvard University Press, 2021).
- Haidar Eid, “Dis-participation as a Palestinian Strategy?”, Al-Shabaka Dec 9 2013
- . Aujourd’hui, en mai 2024, les sentiments contagieux et perturbateurs des damnés de la terre sont devenus si viraux que les politiciens occidentaux décrivent les médias sociaux comme des instruments qui bouleversent le statu quo. C’est tout à fait logique puisque les sentiments mondialisés des masses sont si contagieux qu’ils remodèlent la politique au niveau mondial – les États-Unis en sont un exemple clair – et nourrissent même un sentiment croissant parmi des minorités significatives qu’il faut rompre avec le mode de production capitaliste et, par conséquent, avec son défenseur le plus important : les États-Unis.
- “Lorsque le mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière redeviendra fort, s’organisera et s’armera, et que surgiront des formations qui n’adhèrent pas à la civilisation d’un Acheson ou d’un Malik, alors ce seront ces forces barbares qui ne dédaigneront pas le fruit mûr du potentiel industriel moderne, mais qui l’arracheront de la gorge des exploiteurs en brisant leurs dents encore aiguisées. Le socialisme accueillera donc une nouvelle et fructueuse barbarie, comme celle qui descendit les Alpes et rajeunit l’Europe, et qui ne détruisit pas mais exalta les siècles de sagesse et d’art conservés dans le sein du formidable empire.” Amadeo Bordiga, “En avant, les barbares”, Battaglia Comunista, 1951
- . Israël est né du sionisme en tant que projet colonial nationaliste mené principalement par des juifs ashkénazes allemands (de langue yiddish) dans la première moitié du 20e siècle. En l’absence d’une métropole d’accueil distincte, qui caractérisait la plupart des autres exemples de colonialisme de peuplement, des relations étroites avec l’Empire britannique d’abord, puis avec les États-Unis, ont dû s’y substituer. Les survivants de l’Holocauste et les juifs mizrahi (soumis à un racisme sévère) des pays arabes ont été incorporés comme matière première dans la construction de la nation. Son aspect colonial a ensuite été revigoré par les territoires nouvellement conquis après 1967. Cependant, Israël a la malchance, du point de vue sioniste, d’être une société coloniale de peuplement tardive mise en place lorsque, face à la décolonisation et à la montée du “sud global”, les solutions génocidaires mises en œuvre aux États-Unis et en Australie ne semblent plus possibles. Ce que nous voyons à Gaza depuis le 7 octobre est une tentative de tester cette impossibilité. Si l’idéologie du sionisme imagine Israël comme un État regroupant tous les Juifs du monde, la réalité est qu’il existe désormais une nation hébraïque au Moyen-Orient, avec ses propres contradictions de classe. Le groupe antisioniste Matzpen a soutenu que, sur la base de ces contradictions, le renversement d’Israël en tant qu’État colonial oppressif peut être imaginé, mais seulement s’il est lié à des soulèvements similaires dans les pays arabes et à une contestation interne paralysant son protecteur américain. Nous voyons aujourd’hui des signes d’une telle évolution. Le cas classique d’Israël en tant qu’État colonial a été présenté par Maxine Rodinson, Israel : A Colonial-Settler State ? (Pathfinder, 1973). Sur l’approche du Matzpen à cette question, voir Moshe Machover, “Hebrew self-determination” Matzpen 2017.
- “Entropie” est le terme utilisé par N+1 dans leur interprétation de l’analyse de la science de la révolution exposée dans Il Programma Comunista au cours des années 1950- et 60 : https://www.quinterna.org/pubblicazioni/ennepiuuno/scienzarivoluz00.htm.
- “L’apartheid” n’est qu’une analogie destinée à cultiver la solidarité internationale. Comme l’ont affirmé de nombreux militants anti-apartheid sud-africains, la situation à laquelle sont confrontés les Palestiniens est nettement pire que celle des non-Blancs dans l’Afrique du Sud de l’apartheid. La population d’Israël/Palestine est actuellement divisée en trois catégories juridiques largement définies : Les Israéliens juifs sont des citoyens à part entière, les Israéliens arabes non juifs sont des citoyens de seconde zone soumis à diverses formes de discrimination, et les Palestiniens non israéliens constituent une troisième catégorie sans aucun droit de citoyen et soumise à une violence arbitraire. Contrairement à l’Afrique du Sud, la première catégorie considère de plus en plus la troisième catégorie (et même la deuxième pour certains) comme un problème à éliminer, comme ils semblent essayer de le faire à Gaza aujourd’hui.
- Felicia Schwartz, “ICC’s move against Benjamin Netanyahu puts Joe Biden in diplomatic and political bind”, Financial Times 21 mai 2024. Comme si cela ne suffisait pas, les États-Unis ont insisté en février contre la CPI pour que la “cour ne trouve pas qu’Israël est légalement obligé de se retirer immédiatement et inconditionnellement des territoires occupés”. Voir France 24, ” US urges UN court not to order Israel out of Palestinian lands ” (Les États-Unis exhortent la Cour de l’ONU à ne pas ordonner à Israël de quitter les terres palestiniennes), France 24, 21 février 2024.
- “J’ai beaucoup parlé d’Hitler. Parce qu’il le mérite : il permet de voir les choses à grande échelle et de saisir le fait que la société capitaliste, à son stade actuel, est incapable d’établir un concept des droits de tous les hommes, tout comme elle s’est révélée incapable d’établir un système d’éthique individuelle. Qu’on le veuille ou non, au bout de l’impasse qu’est l’Europe, je veux dire l’Europe d’Adenauer, de Schuman, de Bidault et de quelques autres, il y a Hitler. Au bout du capitalisme, qui ne demande qu’à survivre à son époque, il y a Hitler. Au bout de l’humanisme formel et du renoncement philosophique, il y a Hitler.” Aimé Césaire, Discourse on Colonialism (New York : Monthly Review Press, 2000), 36-37.
Ouh la la, comme c’est compliqué ! Et que de suppositions et de “si” mettant “Paris en bouteille”, traversant les époques historiques pour y voir des similitudes.
Alors donc, du grand bordel de la crise de la “mondialisation américaine” (un label de TC sur tard), surgirait, rencontre aléatoire de “non-mouvements” (browniens ?), une sorte conjoncture révolutionnaire mais à la mode Ennotes.
Le grand défaut de la plupart des théories révolutionnaires dans les périodes qui ne le sont pas, c’est d’inventer des histoires du futur qui n’ont pour fonction que d’alimenter l’espoir de ceux qui les écrivent, et de quelques-uns qui les lisent et les archivent avec soin, des fois que…
Il est naturellement toujours possible, quand je fais ici des remarques, que je n’ai rien compris, par manque des “sentiments” qui devraient accoucher de tout ça. Il est tout aussi possible que ce ce soit le fruit empoisonné d’un excès de subjectivisme des auteurs (je parle de intro).
Bref, pitié, que théoriciens sérieux, cad ayant les pieds sur terre en 2024 sans utopiste consolateur, nous offre des textes solides, ou rien et tant pis si l’on s’ennuie du manque à jouir de de la révolution demain matin.
PS : je ne doute pas d’une forte intention israélienne de se débarrasser du problème palestinien sans le résoudre, mais je ne ne pense pas qu’utiliser le terme de “génocide” au présent objectif serve la cause de la compréhension de ce qui se passe. 35 000 morts voire le double, sur 2 millions et demi, en 8 mois, non, ce n’est pas un “génocide”, et le soutenir n’enlève rien à la condamnation de l’inhumanité dissymétrique. Et puis merde, quand on fait de la théorie, on n’utilise pas avec légère les mots de la vulgate médiatico-policienne qui font bander les deux camps ; ils ne sont pas les nôtres.
à “Un passant…”
“Le grand défaut de la plupart des théories révolutionnaires dans les périodes qui ne le sont pas, c’est d’inventer des histoires du futur qui n’ont pour fonction que d’alimenter l’espoir de ceux qui les écrivent, et de quelques-uns qui les lisent et les archivent avec soin, des fois que…”
L’espoir, ou autre “sentiment” est en fait le préalable à tout engagement.
Si l’on ne soucie pas de l’avenir, ni “des histoires du futur” on ne s’engage pas… pourquoi le ferait-on?
Pourquoi passerait-on son temps, sa vie même, à fouiller la trame des rapports sociaux, des conflits, des douleurs, des souffrances liées à ces rapports sociaux?
L’engagement militant, social, théorique implique comme préalable le sentiment de l’injustice et le refus de sa fatalité, il ressort de la subjectivité et se nourrit de l’objectivité pour ressortir en objectivité nourrie de subjectivité. L’affect est primordial, premier.
Ici ce qui vaut pour les individus vaut pour les groupes sociaux.
Pourquoi un groupe social dominé ou/et exploité entrerait-il en mouvement émancipatoire sans affect, sentiment, idéologie dessinant une résolution positive eu égard à leur condition? Sans espoir pas de mouvement socialement émancipateur. L’injustice ou la violence imposées par l’exploitation et les différentes dominations pour être le ressort d’une action collective tendant à les détruire doivent être interprétées comme telles “injustice”, “violence” dans un affect de volonté et d’espoir de les abolir.
Les conditions matérielles ne sont jamais tout-à-fait telles qu’à elles seules elles créent les conditions ou “conjonctures” propres à aboutir à des activités révolutionnaires, ou communistes.
Là encore, il est peu pertinent de penser que l’activité d’autotransformation jaillirait d’elle-même au cours des luttes sans précédent de sentiment, d’espoir, de conscience qui aurait permis leurs expressions et leur formations.
Pour finir, ce n’est pas que l’on “…s’ennuie du manque à jouir de la révolution demain matin.”mais que la situation présente, aujourd’hui est réellement préoccupante, pour ne pas dire désespérante à tous égards que l’on continue à chercher des raisons d’y croire et d’espérer, ou bien de préférer s’être trompé quant au changement possible, nécessaire, que d’avoir eu cent milles fois raisons de s’en foutre et de n’y être affecté en rien.
@Anonyme
Ça se discute, ou du moins suppose des précisions, des distinctions, car un sujet révolutionnaire qui se construit et s’élabore dans les rapports sociaux antagonistes ne le fait pas pour les mêmes raisons et de la même manière que les groupes militants en général et théoriciens en particulier.
Or par “sentiments” entre guillemets je renvoyais à ce qui semble constituer pour l’introduction de Endnotes une motivation de l’émergence d’un sujet révolutionnaire, peu ou prou.
Le problème survient quand les théoriciens, ou leurs adeptes, partant de leur sentiment d’injustice, le prolongent dans un espoir qui devient un biais d’analyse pour la théorie.
Je suppose que ta remarque ne ferait pas l’affaire de Théorie Communiste, qui est très réticent, c’est un euphémisme, à mettre du sentiment dans les fondements des luttes de classes en général, qui relèvent davantage de “la matérielle”. Du reste, il l’est aussi pour interroger ses propres motivations individuelles et je doute qu’il y reconnaîtrait le sentiment d’injustice. Sauf évidemment s’il reconnaissait qu’il n’a rien à voir avec le prolétariat et ses conditions le conduisant à se remettre en cause comme tel.
Est-ce que l’on peut parler, concernant les insurgés communisateurs, d’un “engagement”, comme d’une décision sortant d’une réflexion sur l’injustice ? Il y bien une pulsion, sur des “affects”, mais directement produits, justement, par les conditions matérielles, les contradictions “matérialistes” de classe. Ici le “sentiment de l’injustice” est lui-même le produit de ces conditions, et non l’inverse comme ce qui engagerait une réflexion théorique pour en sortir.
Mais il n’est pas exclu que nous soyons d’accord.
“Le problème survient quand les théoriciens, ou leurs adeptes, partant de leur sentiment d’injustice, le prolongent dans un espoir qui devient un biais d’analyse pour la théorie. ”
Il n’y a pas moyen de faire autrement, que T.C. le veuille ou non/ on ne s’intéresse pas à la marche des affaires par intérêt scientifique, objectif, on y poussé au préalable par des affects qui mobilisent le refus et la révolte. Cette démarche est toute entière contaminée par la réception subjective, et donc l’objectivité est un leurre.
Puis, d’insurgés communisateurs, je ne vois pas, et d’autre part je de dis pas “réflexions sur l’injustice”, je dis sentiment de révolte face aux conditions;
De mémoire ” quand l’idéologie s’empare des masses elle devient une force matérielle” donc il y a bien un premier moment: l’idéologie (l’affect,le sentiment) qui aboutit à une dynamique matérielle: l’abolition des conditions existantes.
Les conditions matérielles produisent l’injustice, la souffrance et le désespoir, mais non la conscience de cette situation. Ce n’est que lorsque une idéologie, un affect, une subjectivité s’en mêlent que la dynamique peut devenir “une force matérielle”.
Il n’est pas exclu que nous ne soyons pas d’accord
Il y a des chances en effet que nous ne soyons pas d’accord….
Dans ton commentaire, en fait, tu parles des “individus” révoltés, des révolutionnaires…..
Mais en fait cela n’a pas grande importance (à part pour eux même vu le grand cas qu’ils font de leur révolte). Ca n’est pas les révolutionnaires qui font les révolutions, c’est l’inverse, non?
“Ca n’est pas les révolutionnaires qui font les révolutions, c’est l’inverse, non?”
Et les révolutions sont produites par qui?
Parce que si les révolutions font les révolutionnaires, pourquoi celles-ci débuteraient?
je dis que sans idéologie préalable, pas de mouvement capable à son tour de produire des individus impliqués dans une dynamique “révolutionnaire”
C’est ainsi que je comprends la phrase de K.Marx: “Une idée devient une force lorsqu’elle s’empare des masses”.
Tu écris que les révoltés font “grand cas de leur révolte.” Donc toi-même tu es parfaitement étrangère à tout sentiment de révolte face aux souffrances causées par l’exploitation et les dominations, c’est bien cela? Puis participer au “milieu” ne participe pas à l’auto-estime desdits participant-e-s? Cela ne correspond pas du tout à ce que j’ai pu voir.
Je reviens donc avec la citation de Marx, cette”idée” d’où vient-elle?
Car il faut bien qu’elle ait été produite, qu’elle se répande pour devenir une force…
les tentatives révolutionnaires, admettons programmatiques, ont bien été précédées par des idéologies présentes uniquement dans les têtes de quelques individus puis répandues par une diversité de moyens. Leur échec tint moins au fait que le prolétariat ne pouvait s’abolir en s’affirmant qu’au fait qu’il pouvait s’affirmer en s’auto-impliquant (euphémisation de collaborer). Meilleures conditions de vie selon les standards idéologiques de la classe exploitante; c’est cette idéologie issue elle-même de la bourgeoisie qui a été déterminante. Le but lointain et idéal d’une société sans classes, ni état, etc… a toujours été confinée dans quelques cercles révolutionnaires;
Par contre, la perspective de meilleures conditions de vie selon les standards mis en place par la bourgeoisie ont été très largement majoritaires.
De toutes façons, les productions théoriques participent et produisent de l’idéologie: les luttes de classes, la communisation, les écarts, les fractions sont de l’idéologie.
le problème avec, c’est qu’elles s’ignorent telles et refusent de l’assumer: nous ne sommes pas anti, méprisant les militants, la politique, les activistes, fière, oui de son superbe isolement.+
Je crois vraiment que nous avons là une divergence majeure au sujet de la “conscience”, grande préoccupation des “révolutionnaires”, en général transfuges de la classe moyenne et qui donnent des leçon de radicalité aux prolétaires (“collaborer”…)
Les révolutions ne démarrent pas parce que les idées révolutionnaires sont montées en puissance, ont chargé les esprits, puis ont décillé les prolétaires aveuglés. les bouleversements majeurs du rapport Prolétariat/Capital dépassent de beaucoup l’accumulation des révoltes individuelles qui, c’est vrai, les accompagnent.
En matière de bouleversement social comme sur beaucoup de chose, la réalité n’est pas “si tu veux tu peux mais au contraire, si tu peux, tu veux!”
Petits extraits d’un texte de TC encore inconnu.
“Il faut se débarrasser de ce « concept » de « conscience de classe » que personne (Marx y compris) n’a jamais pu définir sauf comme étant toujours ce qu’il manque.
La « conscience de classe » se réfère nécessairement à une organisation pérenne qui la représente et l’incarne et dans laquelle par étapes, par aller et retours les ouvriers sont destinés à se reconnaître puisque cette conscience est une potentialité de leur être (Lukacs). ….Et nous en revenons à la lutte de classe conçue comme un sport de montagne où nous devons atteindre un sommet déjà là et existant d’une manière ou d’une autre, même si ce n’est que dans la potentielle conscience de classe.
Dans la réalité non-théoricienne, il n’y a pas d’ « hiatus temporel ». La « classe en soi » est toujours « pour soi » (si l’on veut utiliser ces termes), les prolétaires savent ce qu’ils font dans une situation donnée, ils sont toujours parfaitement conscients de leurs actions, de ce qu’ils sont dans le rapport d’exploitation, de ce qui les opposent au capital et à la classe des patrons et de ceux qui dirigent l’Etat. La « conscience de classe » c’est ce que les théoriciens, tous plus ou moins transfuges des classes dominantes ou moyennes de chaque période, ont décidé de ce que devait penser et faire le prolétariat au nom des nécessités de l’Histoire dont ils sont les représentants auto-proclamés recherchant pour leur compte les agents voire les « idiots utiles ».
Il faudrait corriger – je suis un incorrigible révisionniste moi-même – cette lecture par le lutin de la célèbre formule de Marx.
La première “force matérielle” qui s’empare des masses, disons de prolétaires, c’est leur exploitation. Et quelle force ! Qui leur ruine également l’esprit au point qu’ils n’ont pas immédiatement “l’idée” de s’en débarrasser, voire plutôt comme dit duende celle de s’en accommoder.
Leur conscience de classe est elle présente immédiatement. C’est tout simplement comme le disait jadis Endnotes “la conscience du capital”, donc de leur exploitation, pour quoi ils n’ont besoin ni d’un dessin, ni d’un parti, ni d’un Marx ou d’un TC.
Quant à la révolte contre l’injustice qu’ils subissent, force matérielle, elle est immédiatement matérielle aussi, plus ou moins imprégnée d’idéologieS, diverses et avariées. L’hypothèse de la communisation en est une, reconnue comme telle par TC jusqu’à ce qu’une conjoncture la favorise, auquel cas elle ne s’emparerait pas des masses, pas même au sens de Marx. Pour ma part, toujours virtuellement en suivant l’hypothèse de TC, je vois ça dans un même mouvement des actes et des paroles, quelque chose d’une dialectique performative.
Ce qui est très matériel encore, et matérialiste, c’est que la lutte pour la vie, pour “la vraie vie”, cad la révolution, est de l’ordre d’un combat à mort contre l’adversaire – le capital, qui me ferait davantage penser à celle d’un animal attaqué par un autre, quand il n’y plus la place que pour un seul.
Autrement dit, la révolution ne saurait être le produit d’une idéologie, théorie révolutionnaire y compris.
À mon sens, c’est le B A BA matérialiste, sans quoi il faut brûler Marx, TC et même moi… en passant.
@Salander”…en général transfuges de la classe moyenne et qui donnent des leçon de radicalité aux prolétaires (“collaborer”…)”
Raté, pas transfuge, expression qui porte en elle un léger relent “léniniste”…Faudra trouver une autre détermination en ce qui concerne ma pomme.
” les prolétaires savent ce qu’ils font dans une situation donnée, ils sont toujours parfaitement conscients de leurs actions, de ce qu’ils sont dans le rapport d’exploitation, de ce qui les opposent au capital et à la classe des patrons et de ceux qui dirigent l’Etat.”
Non,pas forcément, en tous cas…
pas individuellement, sinon on n’en serait pas à plus de 2 siècles de ce système. Pour nombre d’entre eux et elles la” classe “n’existe pas, quant aux “patrons “il y a oscillation entre haine et envie, pour beaucoup “exploitation” est synonyme d’abus, non d’un travail à peu-près dans les normes.
Et, en toute franchise, je me demande qu’est-ce qui fonde cette “connaissance” de ce que sont les prolétaires, pas de base empirique. D’ailleurs n’est-ce pas un peu pareil que de décider ce que les prolétaires doivent “faire et penser”?
Il va falloir faire un effort, camarades. Un effort pour de se concentrer, d’un point de vue communiste plus largement que communisateur, sur ce qui importe aujourd’hui, du point de vue même du prolétariat, des ouvriers tels qu’ils sont et non tels qu’on les rêve.
Hormis les abstentionnistes, ils ont émis un vote de classe, qui a une signification, et RS l’a décrite dans le fil à côté.
Quand on voit ce qui s’exprime, souvent rien encore, du côté de la post ultragauche intellectuelle, il y a du blé à moudre en responsabilité pour les partisans d’une révolution contre le capital.
Voyez l’antifascisme comme fond d’analyse sur Paris Luttes Info, ou pire compte tenu de son ambition critique, sur lundi matin. La livraison d’hier est affligeante, particulièrement le texte d’Alain Brossat, pour qui “un électeur sur deux est nazi” (point 2).
https://lundi.am/Tous-et-toutes-en-Belgique
Le vote de 40 pour cent des ouvriers pour Bardella est qu’on le veuille ou non une “base empirique”, et nous dévoile l’état des lieux de la lutte de classes autant que son pendant, l’hypothèse retenue par l’adversaire de classe, la bourgeoisie aux affaires et dans l’Etat d’un pouvoir d’extrême-droite.
Si la question d’une “immersion théorique” (RS) dans le cours quotidien des luttes telles qu’elles sont, est posée, je ne vois pour l’heure guère qu’ici pour commencer par en débattre, en se montrant à la hauteur de la situation présente, et digne de la raison d’être de dndf, au delà d’une contemplation passive de texte dont on partage l’essentiel.
S’il y avait pléthore de commentaires, je comprendrais le luxe des polémiques anecdotiques. Mais là je dois plutôt dire ma déception et ma frustration.
Théorie du communisme… ou théorie communiste?
Je crois qu’il y’a une certaine confusion entre les exigences d’une théorie strictement analytique et le besoin d’une théorie de l’agir, de “la transformation du monde”.
La deuxième reposait sur le progressisme pseudo scientifique qui pour se maintenir dû prophètiser sa fin comme l’issue certaine de la période de transition.
Après avoir critiquer le programatisme, nous voilà avec une théorie très efficace sur le plan analytique mais dépourvue de dimension prescriptive.
Il y’a de quoi avoir quelques “sentiments” de “frustration”. Sommes nous capable de formuler, même abstraitement le communisme comme un objectif, d’envisager des moyens plus ou moins hypothétiques mais théoriquement fondés pour y parvenir ? S’il faut rigoureusement s’agenouiller devant les formes concrètes que prend la lutte de classe pour obtenir un regard qui ne “marche pas à l’intention” (ce qui du point de vue de l’analyse est, je le reconnais, nécessaire), qui prendra la responsabilité de tenter de promouvoir une nouvelle forme à la lutte de classe ?
Disposons nous ici d’aptitudes qui nous permettrait d’être à la hauteur de la situation?
Je ne sais pas si cette “immersion theorique” prendra une telle direction. Mais il serait surement vain d’attendre un tel développement d’un cercle restreint de théoriciens (même s’il n’y a pas ici que des théoriciens, et que les théoriciens ne sont pas que “théoriciens”)
Si une telle activité, nécessairement consciente, devait être dominé par des “transfuges de la classe moyenne” qui en profiterait pour donner “des leçon de radicalité aux prolétaires”
alors oui, restons en à l’analyse.
Si l’ambition de formuler un horizon au delà du capitalisme ne peut être qu’une tentative de reclassement déguisée en révolution, on va avoir du mal à agir.
Mais si c’était le contraire! Si c’était l’absence d’une telle volonté de formuler un tel horizon qui était symptomatique du milieu social des théoriciens ? Un “bloc de la trouille” théorique ?
Bon je taquine un peu. Et je crache pas dans la soupe. C’est déjà très bien d’avoir une théorie analytique solide. C’est un travail monumental.
Et puis, une pensée de l’agir, si elle ne vient pas ici, elle peut exister ailleurs. J’ose considérer que c’est déjà le cas.
Mais en effet, si on veut être “à la hauteur de la situation” il ne faudrait pas attendre que les idées tombent du ciel, fusse d’une façon rigoureusement mécanique. S’interroger sur les conditions historiques de production d’une idée avant même d’oser formuler cette idée. Ça ne vous donne pas un peu mal à la tête ?
“Si on peut on veut” voilà sûrement un bon postulat pour une démarche analytique. Si on veut, on ne peut pas forcément. Mais si on ne veux pas, c’est encore plus improbable qu’on puisse. Je ne crois pas qu’on puisse envisager la production du communisme autrement que comme une activité consciente. Et donc volontaire. Si on ne transforme pas le monde simplement à coup de volontés individuelles, comment fonder, même de façon spéculative, à partir des intérêts historiques concrets des individus, un objectif communiste, et esquisser les moyens d’y parvenir?
Amicalement
D’abord, il y eu ça
https://dndf.org/?p=21329
Ensuite, je crois que TC s’est expliqué du fait qu’il ne parle plus de communisation explicitement, ce qui est sans doute plus sage que les élans de la période SIC.
Dans son dernier texte, RS envisage la nécessité d’une immersion militante, mais rapportée aux enjeux actuels, la préemption du prolétariat par le RN étant adéquate à la
gestion politique du capital. Cest déjà beaucoup, et assez nouveau de la part de TC pour mériter une discussion au moins de ses proches. Il est presque inquiétant que cela n’en suscite aucune, quant à l’état des troupes comunisatrices (le compte Facebook de la communisation ne reçoit plus aucun commentaire).
Je ne crois pas que le monde se transforme dans le sens du communisme par des “volontés individuelles” qui ne seraient embarquées dans une lutte collective, disons de classe, et sans la faveur d’une conjoncture de “dépassement” seulement alors “produit”. L’enjeu d’une éventuelle intervention aujourd’hui n’est pas celui-ci, mais d’éclairer ce qui se passe.
“Je ne crois pas que le monde se transforme dans le sens du communisme par des “volontés individuelles” qui ne seraient embarquées dans une lutte collective, disons de classe, et sans la faveur d’une conjoncture de “dépassement” seulement alors “produit”.”
Je ne dis pas le contraire. Et je l’ai bien précisé : “on ne transforme pas le monde simplement à coup de volontés individuelles”
“L’enjeu d’une éventuelle intervention aujourd’hui n’est pas celui-ci, mais d’éclairer ce qui se passe.”
Je ne suis pas sûr qu’on puisse en déduire la nécessité d’un cadre d’intervention aussi restrictif. Je ne suis pas sûr que l’enjeu se réduit à la production d’une bonne analyse. De plus, c’est contradictoire, car si les “masses” sont “immédiatement conscientes”, pourquoi auraient elles besoin qu’on vienne les “éclairer”? Je crois sincèrement que nous pouvons et que nous devrions suggérer une autre perspective concrète, quoique théoriquement fondée, fusse de manière spéculative, à partir des conditions actuelles (ça va de soi)
Sur “volontés individuelles”, excuse-moi, je t’ai lu à l’envers.
On a déjà discuté de l’activité récemment (avec duende). Parler de celles des théoriciens et de leurs proches par les idées, est différent de l’activité de la classe, sauf quand ils sont dans les luttes sur un même pied.
Leur activité théorique participe de la lutte, elle n’éclaire pas ce qu’il faut faire mais ce qui est fait. Sans quoi, c’est la théorie-guide qui débouche sur l’activisme. Le prolétariat a immédiatement la conscience de ce qu’il est dans et face au capital, à savoir exploité, pas nécessairement celle du sens de sa lutte, ou de son activité (par exemple voter Bardella), dans le devenir historique présent.
Une “bonne analyse” bien diffusée et immergée est en soi une activité performatrice on ne peut plus “concrète “. Encore faut-il s’y coller, et donc en avoir les moyens, ceux d’une certaine forme de militantisme (n’ayons pas peurdu mot), et la “volonté individuelle” voire le courage qu’il nécessite. Pour l’heure apparemment, ça ne décolle pas.
Toujours est-il que je ne vois pas l’utilité de présenter une perspective communiste comme horizon, utopie. Je crois que ça cache toujours une sorte de pédagogie révolutionnaire dont le complément est l’activisme. Le concret est toujours au présent, par définition.
Pour paraphraser le commentaire précédent:
” la Théorie, c’est comme l’Expérience. C’est une lampe accrochée dans le dos. Elle n’éclaire que le chemin parcouru”.
C’est tout ce qu’on lui demande et…. c’est déjà beaucoup!
Je suis un peu perdu.
Si la bonne analyse est performative, quelles sont ces conséquences concrètes ? Si “ça ne décolle pas” qu’est ce qui manque selon toi?
Une perspective n’est pas nécessairement une utopie.
Et si l’anti-volontarisme était une erreur ?
La volonté collective ou individuelle existe. Elle est évidemment le fruit des conditions qui l’ont produite. Que ces conditions ne puissent être élucidées qu’après coup ça va de soit. On ne va pas faire l’histoire du futur.
Ne devrait t on pas assumer l’hypothèse communiste? Croire en sa possibilité ? Je préférais quand tu parlais de pari pascalien. On pourrait suggérer que le communisme est une croyance rationnelle ou quelque chose comme ça. Mais faire de la théorie sans intention, ça me paraît presque inutile. A quoi servent ces analyses si elles ne nourrissent pas une volonté communiste. Si elle ne nous permettent pas de transformer le monde?
Je ne suis pas activiste. Je me pose tellement de questions que je me considérerai plutôt comme inactif. Bloqué. Les pratiques actuelles ne me parlent pas. Dois je me réfugier dans une pratique théorique strictement analytique ? En attendant quoi? Pourquoi ? A quelle fin?
Je pense que ces questions sont légitimes et qu’elles ne cesseront pas de surgir.
Ne te connaissant pas, j’aurai du mal à te répondre, et je crois qu’il n’y a pas de réponse générale susceptible de satisfaire tous ceux qui souhaitent sortir du capitalisme.
Car la “perspective communiste” est là et nulle part ailleurs, c’est l’abolition du capital, donc de ce qui le définit, le structure et l’entretient, davantage que le rêve alléchant de ce qu’on pourrait construire sur ses ruines, qui viendra dans le mouvement de sa destruction. C’est en cela que ce n’est pas d’abord une utopie.
À partir de là, la “volonté collective ou individuelle” peut se fonder, surgir et s’élargir dans la connaissance du capital, de son fonctionnement et de son mouvement actuel à travers les luttes qu’il produit. La théorie, analytique et critique, consiste à valider cette connaissance en la diffusant car elle doit s’immerger dans ces luttes pour s’élaborer et se mettre à jour.
Je ne me souviens pas d’avoir soutenu un “pari pascalien”. Aujourd’hui je ne le ferais pas. Le communisme en tant qu’utopie réalisée est effectivement une croyance qui suppose la foi. Ce n’est pas ce qui fait agir un sujet révolutionnaire, mais fondamentalement le rejet de la vie offerte par le capital. La théorie alimente ce rejet des éléments qui le définissent et promeut leur abolition ; elle écarte les leurres alternatifs, comme par exemple aujourd’hui le programme du Nouveau front populaire, ou l’antifascisme.
Ce qui ne décolle pas, c’est la mobilisation du milieu radical dans cette période où la lutte de classe est biaisée, le prolétariat préampté par une grande bourgeoisie consciente de son intérêt à l’embarquer dans la voie sans issue du nationalisme et du racisme ou de l’antiracisme transclassiste.
Si ça peut te rassurer, tu n’es pas le seul à être “bloqué”, le moment n’est pas propice à un déblocage. Il va peut-être falloir attendre que, la séquence électorale pourrie ayant produit ses effets, cela déclenche des luttes avec, sinon des “écarts”, des interstices où glisser quelques missiles contre le capital susceptibles d’en favoriser l’émergence.
Je ne parlais pas d’utopie. Mais je crois que le communisme est une fin qui en tant que telle nécessite des moyens. Et que par conséquent on devrait pouvoir ennoncer des enjeux concrets, suggerer des “plans”. Se limiter à l’analyse des formes concrètes de la lutte de classe n’est ce pas là une manière objectiviste de renoncer à se définir comme acteur de ses formes?
En ce qui concerne l’aspect “croyance”, il me semble que tant qu’ on aura pas abolit le capital, le communisme sera toujours une hypothèse ou un postulat. Chercher et questionner les conditions de sa production, c’est déjà croire en la capacité des humains à le produire. Il me semble important de pas se croire au delà de la spéculation sur ce point. C’est encore plus important si on atteint une dimension prescriptive. Mieux vaut faire un pari conscient, fondé par une décision rationnelle, que de suivre aveuglement une prophétie. Dans les deux cas c’est pourtant une forme de croyance. quitte à faire de la spéculation, autant l’assumer pleinement mais pas n’importe comment. Je ne suis pas assez “philosophe” pour m’aventurer plus loin.
Je n’ai évidemment aucune réponse à ses questions moi non plus. Je cherche seulement à me les poser “correctement”. Si quelqu’un est plus inspiré je suis preneur.
D’un côté tu dis approuver l’analyse de TC, de l’autre tu suggère une posture dans la lutte en désaccord avec celles des théoriciens de la communisation en général (des “plans”, une “dimension prescriptive”). Mais ce ne sont pas deux versants séparés de la théorie, de ses concepts et de sa méthode. À te suivre on en viendrait à une sorte de programmatisme communisateur, une contradiction dans les termes.
Les “enjeux concrets” sont l’abolition de la valeur marchande, de l’argent, de l’Etat, des classes sociales, de la domination masculine… Leur projet ne peut émaner que des luttes mêmes dans leur développement antagoniste au mode de production capitaliste, il ne s’anticipe pas dans un programme, mais quand ces luttes se heurtent aux limites de leurs contenus et poussent à les dépasser. C’est un “dépassement produit”, pas un plan préalable allant de la théorie à la pratique.
Encore une fois, il faut distinguer l’activité théorique de quelques-uns et l’activité de classe des masses. Le théoricien communiste en tant que tel n’a pas à se considérer comme un “acteur” qui plus est faisant des prescriptions sur les formes de la lutte, sans quoi l’on retombe dans l’avant-gardisme.
Je te suggère de creuser l’articulation entre les termes de l’analyse et la dimension prospective, en clair la fonction de la théorie.
Je vais en rester là, je ne me sens pas de parler à la place de TC que tu interpelles de fait par ton pseudo.
Il me semblait pourtant que le programatisme était synonyme d’affirmation du travail (le mot travailliste était déjà pris), et ne concernait pas nécessairement une critique de l’élaboration de plan en général.
Pour le reste tu as peut-être raison. Peut être qu’être prescriptif c’est être avant gardiste.
“Encore une fois, il faut distinguer l’activité théorique de quelques-uns et l’activité de classe des masses.”
Certes. Mais à quelle point l’activité (théorique et autre) de quelques un est t elle partie prenante à l’intérieur de l’activité de classe dans son ensemble ? Une activité théorique doit elle être strictement analytique (quoiqu’éventuellement performative)
Je me rends bien compte que reposer la même question de différentes manières comme je le fais ne fait pas avancer grand chose. On tourne en rond.
Face à cette préemption de la lutte de classe, il est tentant de chercher à faire exister et à opposer quelque chose.
Peut-être qu’une telle tentation ne peut, au moins pour l’instant, que déboucher sur des injonctions incantatoires, voir avant-gardiste, symptôme de l’impuissance générale actuelle à abolir le capitalisme.
J’ai quand même l’impression que parler d’immersion c’est se penser comme acteur non strictement théoricien. Ça me semblait légitimer ces questions.
En tout cas merci pour la discussion.
Effectivement l’impression de tourner en rond. Mais quand même une précision, quand à la participation d’un (une…) théoricien à une lutte, manifestation ou autre.
RS distingue participer “en (tant que) théoricien”, d’être présent au même titre que les autres, comme “acteur” de la lutte si tu veux. Dans le premier cas il fait son boulot, d’observation, d’écoute sollicitée ou non par des échanges, une sorte d’enquête pour alimenter son analyse.
Parlant d'”immersion”, dans le texte Européennes 2024, il suggère je pense autre chose (qui n’exclue pas la précédente posture), qui suppose une prise de parole (tract, brochure…) dont il pose les enjeux (préemption…). Ce n’est pas réservé au théoricien en propre mais à ceux qui partagent son point de vue ou celui de son groupe.
Il arrive que des textes d’apparence théorique n’ont pas réellement de fondement étayé par ce type d’enquête ou un travail sociologique, soit de terrain, soit d’éléments statistiques, mais ont plutôt l’allure de compilations de diverses sources théoriques fonctionnant “en descendant” sur les événements, ou leur mémoire des mois après. Je pense au dernier publié, “Dans les flammes…”. L’auteur ne s’y est manifestement pas brûlé. Je dirais un peu méchamment que ce type de texte ne m’apporte rien, et à ses lecteurs sans doute pas mal de confusions derrière une apparence de science théorique à vocation pédagogique. Certains en sont friands. J’espère que le prolétariat s’en fout.