Accueil > Du coté de la théorie/Around theory > Revue Endnotes : dossier “Young Mattick

Revue Endnotes : dossier “Young Mattick


Traduction DeepL de la présentation du dossier et comme nous l’a écrit un très cher camarade « une très vraie et très belle “introduction”.. sur ce qui nous fait ¨être et travailler à tout ce qui nous préoccupe ». dndf

« Nous sommes heureux de publier la première partie de notre dossier “Young Mattick”, qui comprend des traductions de nouvelles et de reportages de Paul Mattick datant de 1924-1934. Ce dossier comprend 11 pièces au total, avec une préface de Marie et une postface de @totalcritique https://endnotes.org.uk/dossiers/the-young-mattick »

« PRÉFACE UNE RÉFLEXION PERSONNELLE »

par Marie

 « Le jour, je suis obligée de vendre mon temps, de gagner ma vie sur la chaîne d’emballage d’un entrepôt. La nuit, je consacre d’innombrables heures – aussi ingrates que passionnantes – à la lecture, à l’écriture et à l’édition pour un cercle de discussion communiste marginal, dont j’ai toujours supposé qu’il serait ignoré. Il n’y a donc pas une seule figure de l’histoire du marxisme à laquelle je m’identifie davantage, d’une manière plus profondément personnelle, que Paul Mattick (1904-1981). Ses idées extrêmement rigoureuses, leur motivation subjective passionnée sous la surface, ses luttes et ses doutes en tant qu’autodidacte prolétarien ayant une relation ténue et conflictuelle avec le marxisme académique et qui était néanmoins forcé de se lier d’amitié avec des professeurs afin de pouvoir s’engager avec des pairs intellectuels, et surtout le paradoxe fondamental de toute son approche brutalement honnête : c’était un obsédé de la théorie dont l’intégrité ne lui permettait pas de compromettre le moins du monde les premiers principes, et pourtant il était convaincu que sa propre pensée, ses écrits et son activité n’étaient que des gouttes d’eau insignifiantes dans la mer déferlante de l’histoire du monde.1

Mattick avait une approche de la théorie sociale critique que l’on pourrait presque qualifier de “l’art pour l’art”.2 Il était poussé par une compulsion intérieure urgente à parvenir à une compréhension cohérente des phénomènes qu’il examinait et de l’armature conceptuelle marxienne qu’il utilisait pour ce faire, mais il ne pensait vraiment pas qu’il était très important que quelqu’un d’autre lui prête attention ou le comprenne.3 Ce que Mattick a dit de Marx était également vrai de lui-même : “Cette attitude déconcerte presque tout le monde, mais c’est ce qui fait que je me sens si rarement proche de lui. Il croyait vraiment que l’émancipation de la classe ouvrière devait être la tâche des travailleurs eux-mêmes. Il s’est éduqué, a écrit et pensé par lui-même, et si les masses devaient vraiment être en mesure de se libérer de la condition prolétarienne, de reconstruire et d’administrer elles-mêmes tous les aspects de la société, elles devraient certainement apprendre à s’éduquer et à penser par elles-mêmes. On ne peut pas imposer l’auto-activité à quelqu’un, alors ce n’est pas de l’auto-activité. La liberté ne peut pas être donnée par un intendant bienveillant et éclairé, elle doit être prise par ceux qui se sont éclairés eux-mêmes dans et par le processus même de la prise. C’est en cela que consiste la grande tradition allemande de la Bildung, de Goethe à Hegel et Adorno, et la révolution prolétarienne, si elle doit avoir lieu, sera sa réalisation à l’échelle mondiale – la réalisation de la philosophie.5

Mattick était convaincu de la justesse de ses théories et de son analyse, fondées sur celles de Marx. Non pas d’une manière dogmatique et invariable – il était toujours prêt à affiner et à développer ses idées par la discussion et l’autoréflexion, ainsi que par l’étude et la participation aux événements historiques en cours – mais dans leur compréhension essentielle des “lois du mouvement” fétichistes de la société capitaliste. J’en suis également convaincu. C’est en fin de compte la raison pour laquelle il pensait que ses compagnons de travail finiraient, grâce à l’expérience historique des conditions de la crise capitaliste et à leurs propres efforts pour lutter en leur sein et contre elles, par reconnaître la vérité sous leurs yeux, comme il l’avait fait lui-même. Il pouvait simplement laisser ses idées à la dérive, comme un message dans une bouteille, à l’intention de ceux qui chercheraient. Et s’ils ne le faisaient pas ? Un démagogue colportant des marchandises idéologiques ne ferait, au mieux, aucune différence, et au pire, renforcerait même la passivité, le retard intellectuel et la mentalité de suiveur autoritaire parmi les prolétaires. Une compréhension instinctive et une sympathie pour ce type de perspective m’ont attiré vers l’anarchisme à un très jeune âge. Mais j’ai vite appris6 que presque tous les anarchistes sont tout aussi enchantés par les fantaisies de l’avant-garde, tout aussi prompts à se placer au-dessus et contre la classe, tout aussi trompés quant à l’importance de leur argumentaire politique et de leur tutorat paternaliste que n’importe quel léniniste,7 et souvent tout aussi prêts à se mêler à d’odieux mouvements populistes et nationalistes.

 Le capitalisme place intrinsèquement les travailleurs – et doublement les travailleuses – dans la position d’être traités comme des imbéciles, des péons, des enfants à charge. Le désir ardent de communisme est à bien des égards un désir de dignité, de reconnaissance mutuelle, de respect d’une communauté de pairs. Je ne déteste rien de plus que d’être traité avec condescendance et comme un étudiant. Je suis révolté, au niveau le plus personnel, par toute conception de la “politique radicale” qui consacre ce traitement exaspérant comme l’attitude correcte et nécessaire à l’égard de mes camarades prolétaires. Je soupçonne Mattick d’avoir ressenti la même chose, pour des raisons similaires, et ce sentiment transparaît dans ses écrits, m’apparaissant sous la forme de lettres de feu, brûlantes de vérité et de sincérité, presque sans équivalent dans l’ensemble de la littérature marxiste. Seuls Guy Debord et Theodor Adorno me paraissent à peu près aussi convaincants que moi : comme moi, je suis tombé amoureux de la musique et de la poésie ; comme Mattick, le jeune auteur de fiction, ils ont commencé par des activités artistiques, mais ont été contraints de se mettre à la théorie parce qu’ils devaient comprendre pourquoi tout était si horrible et si peu libre ; ils ne se souciaient pas non plus de la démagogie ou de l’enseignement de complaisance. Mais Mattick a lutté et souffert davantage, lui qui, brillant, a vécu une vie de travailleur manuel enchaîné au salaire8, se débattant pour survivre pendant les périodes de chômage, se battant avec des éditeurs adeptes d’un jeu professionnel dont il n’a jamais appris ou accepté les règles. Quelle que soit la rigueur de son raisonnement et la solidité théorique et historique de ses arguments, quelle que soit sa réticence à l’admettre publiquement, il y avait manifestement un motif profondément personnel pour lui, tout comme il y en a un pour moi. Je me reconnais dans ses luttes, ses souffrances et ses humiliations, dans les périodes désertiques de dépression où il n’arrivait pas à écrire, convaincu de son incompétence.9

 Les mouches qui bourdonnent autour de la carcasse de la “gauche” sont attirées par un altruisme qui pue la noblesse oblige, un devoir de rendre justice10 à quelque victime vertueuse quelque part ailleurs, une mauvaise conscience qui réclame de l’aide pour les malheureux, et pour l’assouvir, elles cherchent quelque chose à faire, s’affairant à répéter les tics et les rituels que l’on appelle l’activisme.11 Mon attitude, au contraire, est celle que je décèle chez Mattick – une pure fureur exigeant de devenir enfin un être humain, et de prouver dans chaque mot que j’écris12 que la racaille philistine dont le contrôle des moyens de production détermine mon sort misérable n’est pas, pour autant, mes putains de supérieurs. Ou, pour reprendre les mots de Marx : “Je ne suis rien et je devrais être tout.13 »

  1. Un vieux passant regardant d’où il vient
    04/06/2024 à 14:34 | #1

    Ça devait arriver – advenir pour faire classe. “Notre histoire” est de moins en moins ce qu’elle était, à défaut de devoir être. Mattick ne fait plus recette, du moins de commentaires, encore moins de critiques. Les temps sont loin où l’on soulignait ses différents avec lui. On ne sait même plus si c’était le père ou le fils, de ces demi-dieux de ,’ultra-gauche morte d’une balle dans le pied, ou plus vraisemblablement de vieillesse.

    Notre tour est venu, car tout passe et trépasse. Ça au moins, c’était plus que préviseurible.

    C’est peut-être pas plus mal. On ne peut même pas souhaiter que l’avenir révolutionnaire en soit réduit à ce qu’on a pu faire, car tout est à défaire – déconstruire, pour la classe -, éternellement.

    En attendant, Mattick en exergue, tout le monde s’en fout. La foule insurrectionnaliste demande autre chose.

%d blogueurs aiment cette page :