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« Insurrection et communisation : repenser l’émancipation sociale radicale à l’ère des catastrophes »

En traduction DeepL du texte en castillan, relue et corrigée dndf.

Nous vivons une époque de catastrophes qui rendront bientôt insignifiantes celles du XXe siècle, car la civilisation du capital a plongé dans une débâcle socio-écologique qui manifeste dans diverses régions de la planète le caractère de cette nouvelle ère de souffrance socialement exacerbée. À Gaza, on assiste à un génocide où les formes les plus précises de destruction d’êtres humains qu’offre la technologie hypermoderne se mêlent aux méthodes de terreur les plus ataviques : le plus moderne est aussi le plus archaïque, comme l’a si bien dit Guy Debord. Mais le feu de l’effondrement de la civilisation capitaliste se propage non seulement sous la forme de guerres néo-impérialistes et d’escadrons de la mort narcotiques devenus des puissances transnationales, mais aussi dans l’incendie bien réel des forêts dans le cadre d’un réchauffement climatique aggravé qui trouve son origine dans la destruction accélérée de la nature par la production capitaliste de marchandises. C’est pourquoi Gaza est à juste titre appelée le monde, car c’est là que tous les éléments des multiples crises de la débâcle capitaliste se rencontrent, convergent et se juxtaposent, montrant en un point défini de la planète-capital l’image exacte du futur proche de l’effondrement de ce mode de vie socialement aliéné.

Ce n’est donc pas un hasard si l’année 2023 a été à la fois l’année la plus chaude jamais enregistrée et l’année la plus violente depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En effet, le monde s’enfonce également dans une violence exacerbée. Les faibles barrières à la violence déchaînée que la civilisation bourgeoise s’était elle-même fixées après deux guerres mondiales et des processus de décolonisation se sont finalement effondrées, toujours à Gaza. Désormais, le discours creux de la démocratie et des droits de l’homme tenu par les puissances centrales du néo-impérialisme occidental a perdu le peu de sens propagandiste qu’il pouvait avoir, et même ses flagorneurs les plus enthousiastes ne sont plus en mesure de le défendre. Cela signifie que la voie est enfin ouverte vers une guerre mondiale totale – vers une guerre réellement et effectivement mondiale dans le cadre de la crise de la civilisation industrielle tardive – une guerre néo-impérialiste planétaire entre les grands blocs de puissances capitalistes qui s’affrontent aujourd’hui de plus en plus ouvertement dans les différentes régions de la planète. Mais ce n’est pas tout, car la souveraineté de l’État capitaliste est en train de s’éroder.[1] ou là où il tend à s’effondrer – comme c’est le cas en Somalie, au Congo ou en Haïti – l’émancipation n’a pas lieu, mais le vide étatique est comblé par les nouvelles mafias transnationales et leurs escadrons de la mort.

Aujourd’hui, il est possible de reformuler la célèbre phrase du prologue du Capital et de dire que les régions périphériques montrent aux nations industrielles avancées l’image de leur terrible avenir. Les cas de l’Équateur – récemment secoué par la guerre entre les rackets étatiques et para-étatiques – et du Mexique – où le narco est imbriqué à tous les niveaux du tissu social et devient une puissance transnationale – en Amérique latine sont paradigmatiques à cet égard, mais il en va de même pour le Salvador d’aujourd’hui et son nouveau prince modèle qui émerge au cours de cette crise : Nayib Bukele. Mais il ne faut pas s’étonner qu’une crise mondiale qui pousse des centaines de millions de personnes à la limite de la survie dans des conditions capitalistes, parallèlement à l’accumulation la plus écrasante de richesses, se jette dans les bras d’un nouveau type d’autoritarisme – un autoritarisme qui ne promet pas à ses citoyens misérables d’éviter la famine, mais d’éviter d’être tués par balle. Après tout, la variante progressiste de la gauche a échoué dans le monde entier à gérer le capital et nulle part n’apparaît l’horizon émancipateur d’une véritable alternative à la catastrophe capitaliste.

À cet égard, personne n’a sans doute mieux compris que Walter Benjamin que la toile de la socialisation capitaliste est caractérisée, tout au long de son développement historique, par le désespoir et la catastrophe. Que l’émancipation sociale radicale ne peut donc consister en rien d’autre qu’en l’activation du frein d’urgence qui stoppe l’avancée du mouvement du capital vers son auto-anéantissement complet. En effet, que la fin logique du déploiement historique du capital soit l’auto-anéantissement complet de l’humanité est une terrible conclusion à laquelle on peut parvenir non seulement en appréhendant de manière critique la dynamique fondamentale du mouvement de l’argent en tant que capital, mais aussi en examinant de près les conditions d’existence qui marquent l’histoire de cette civilisation. Or, en quoi consiste ce frein d’urgence et comment peut-il nous permettre de repenser l’émancipation sociale radicale ? Je soutiendrai ci-dessous que la théorie de la communisation constitue une précieuse mise en lumière théorique de la possibilité radicale qui émerge dans les luttes sociales contemporaines. En effet, comme nous le verrons, c’est précisément la dynamique contradictoire des formes sociales capitalistes qui permet non seulement leur critique au sens théorique, mais aussi leur négation pratique. La théorie de la communisation est donc une expression de la négativité présente dans l’ensemble du tissu social capitaliste.

Ce qui m’intéresse ici n’est donc pas de faire une apologie non critique d’une théorie particulière – à savoir la théorie de la communisation – mais surtout de contribuer à l’effort encore fragmentaire d’élaboration d’une théorie critique radicale à caractère autoréflexif. Ce n’est que dans ce cadre, c’est-à-dire celui d’une critique sociale radicale qui se comprend comme une possibilité de la société même dont elle émerge, que le dialogue avec la théorie de la communisation prend tout son sens. En ce sens, ce qui m’intéresse ici est de mettre en lumière le caractère pratique de l’abolition de la valeur – qui constitue, en fait, la grande question de la théorie révolutionnaire contemporaine – et, plus encore, de mettre en lumière la possibilité de l’émergence d’une pratique consciemment orientée vers la suppression des formes sociales capitalistes. En d’autres termes, le dialogue critique avec la théorie de la communisation que j’entends engager ici vise à réfléchir à la possibilité d’une critique pratique de la socialisation capitaliste. Cette approche implique, bien sûr, que la théorie de la communisation ne présuppose en aucun cas le caractère définitif de l’émancipation humaine, mais au contraire un moment fragmentaire d’auto-éclaircissement sur les possibilités pratiques qui s’agitent dans le stade historique actuel de la civilisation capitaliste. Elle est avant tout une expression des potentialités réelles des luttes contemporaines, mais n’est pas en soi identique à l’émancipation sociale, elle est plutôt un moment dans la formation contemporaine d’une critique sociale radicale encore à l’état fragmentaire.

Cependant, comme on peut déjà l’entrevoir, la possibilité d’une critique pratique du capital est une réalité.[2] Elle n’est pas, bien sûr, le résultat d’une théorie particulièrement brillante ou de la capacité d’analyse d’esprits particulièrement brillants – même si la théorie en tant qu’illumination de soi présuppose le développement de potentialités subjectives[3] – mais le résultat des transformations matérielles et historiques de la civilisation capitaliste avancée et du bouleversement de l’ensemble de son tissu de socialisation qui en découle. Comme toute personne intéressée peut le découvrir par elle-même, la théorie de la communisation est née précisément après les soulèvements mondiaux de 1968 et l’émergence d’une nouvelle qualité de lutte de classe qui présupposait la crise, et l’effondrement subséquent de l’ancien mouvement ouvrier et la configuration particulière du cadre de socialisation capitaliste dont ce mouvement était à la fois une partie intégrante, un facteur de modernisation, mais aussi une possibilité de sa critique et de son dépassement immanents.

La théorie de la communisation, et c’est un point qui en fait un courant particulièrement important pour la critique radicale contemporaine, est une théorie qui est consciente de sa propre détermination socio-historique : elle se comprend comme un bilan critique de l’échec de la vague révolutionnaire de 1968-77.[4]mais aussi comme la constitution d’un nouveau paradigme de la lutte des classes et de l’émancipation sociale.[5]. Je ne m’étendrai pas sur les divergences théoriques que j’ai avec la théorie de la communisation, en particulier sa compréhension de l’histoire de la civilisation capitaliste, sa théorie de l’idéologie – spécifiquement de Théorie Communiste – ou son dialogue souvent tronqué avec les prétendues “nouvelles lectures de Marx”, parce que je crois que son mérite réside dans son insistance sur le caractère pratique du mouvement pour l’abolition de la valeur comme processus d’auto-transformation de la société impliquant la suppression du prolétariat. Malgré son langage nécessairement ésotérique, la théorie de la communisation peut et doit être considérée avec tout son mérite comme une nouvelle lecture de Marx qui échappe généralement au domaine académique, mais qui partage des points de convergence fondamentaux avec différents efforts théoriques disséminés dans le monde qui ont pour orientation première la constitution d’une critique sociale radicale capable de devenir une force matérielle et historique visant à la suppression/au dépassement du cadre de socialisation capitaliste.

Par conséquent, je n’espère pas ici donner un résumé détaillé des principales propositions de la théorie de la communisation – elle-même fragmentaire, composée de divers collectifs et individualités aux perspectives souvent divergentes – mais souligner la possibilité réelle d’une insurrection contre la forme des relations sociales capitalistes, une insurrection visant à saper les formes sociales fondamentales qui sous-tendent l’ensemble de l’édifice de la socialisation capitaliste. De plus, je soutiendrai que cette possibilité, loin d’être une rêverie théorique, est présente dans le tissu social capitaliste lui-même et que, en fait, elle constitue la dimension radicale des luttes de classe contemporaines – ainsi que le fondement matériel de l’existence même de la théorie de la communisation. Cela signifie que je présenterai ici une réappropriation critique de la théorie de la communisation qui se comprend comme une auto-éclaircie rendue possible par les luttes récentes et l’échec de son potentiel émancipateur, une réappropriation qui vise à mettre en lumière le caractère pratique de l’abolition de la valeur et à permettre d’orienter la discussion émancipatrice dans le sens de la formation d’une force sociale et historique capable de viser consciemment à la liquidation des formes qui soutiennent le réseau de socialisation du capital.

Communisation

Lorsque Théorie Communiste dit que la révolution est communisation, cela signifie que celle-ci ne peut se produire qu’en tant que processus d’auto-transformation matérielle du processus social dans le déroulement duquel la valeur en tant que forme de rapports sociaux tend à être pratiquement liquidée, et que ce processus tire précisément sa force de cette liquidation. En termes simples, la communisation désigne un processus pratique de caractère collectif par lequel la forme capitaliste des rapports sociaux est abolie dans les faits, c’est-à-dire par l’abolition de l’échange de marchandises, de la valeur, de l’argent, du travail, du capital et, bien entendu, de l’État – dont le fondement est précisément la forme capitaliste des rapports sociaux – et du patriarcat – dans la mesure où les rapports capitalistes ne sont pas neutres du point de vue du genre et que leur abolition est également l’abolition du genre tel qu’il est produit socialement par cette civilisation.

La théorie de la communisation dans toutes ses variantes a toujours insisté sur la possibilité de l’immédiateté du communisme[6], c’est-à-dire la possibilité d’une production immédiate d’un mode de vie socialement émancipé à partir d’une rupture pratique avec la socialisation capitaliste qui émerge de ce même tissu de socialisation comme sa critique immanente en actes. Évidemment, le simple fait de rendre compte de cette possibilité constitue en soi le résultat d’un processus historique de civilisation capitaliste, une transformation matérielle de la relation capitaliste dans laquelle l’émancipation sociale n’a plus lieu sur la base de l’affirmation du prolétariat en tant que classe – ce qui impliquait à son tour l’affirmation du capital[7] – mais sur la base de sa négation, de sa remise en cause sur la base de sa propre action en tant que classe au sein de la socialisation capitaliste.

Certes, le communisme était possible depuis 1848, comme l’a dit Amadeo Bordiga, mais il était possible sur la base de l’affirmation du prolétariat en tant que classe. Je ne veux évidemment pas dire par là que l’abolition de la société de classes était impossible pour l’arc historique dans lequel la lutte des classes s’est déroulée dans le cadre de l’univers du mouvement ouvrier. Au contraire, je veux souligner que l’émancipation sociale radicale ne constitue pas une sorte d’invariant historique, mais qu’elle est le résultat d’une production historique réelle se déroulant au sein du métabolisme social capitaliste. Loin d’être une abstraction immuable existant en dehors du mouvement réel comme un idéal normatif, l’émancipation sociale se développe toujours sur la base du déroulement historique de la dialectique de la marchandise propre à la civilisation capitaliste – et donc de la lutte des classes.

La lutte de classe du mouvement ouvrier était l’émancipation possible dans un arc historique donné de la civilisation capitaliste. Le conseil [soviet], l’autogestion, la grève générale de masse, la prise du pouvoir, etc., étaient la forme pratique de cette émancipation possible dans la mesure où, dans le rapport de capital – le rapport de classe entre le capital et la classe salariée qui est le fondement de la valorisation de la valeur – l’auto-émancipation du prolétariat ne pouvait se produire qu’en tant qu’affirmation de la classe. En effet, dans le processus historique de transition de la domination formelle à la domination réelle du capital, la lutte de la classe ouvrière a nécessairement pris le contenu et la forme de son affirmation en tant que classe du capital dans le cadre de la socialisation du capitaliste, en ce sens que sa lutte contre le capital a été déterminée par la reproduction de la classe ouvrière en tant que moment nécessaire de la reproduction élargie du capital. Aujourd’hui, dans la transition mondiale vers la quatrième révolution industrielle, la situation est radicalement différente, puisque la reproduction de la classe ouvrière mondiale n’est plus une présupposition nécessaire de la reproduction élargie du capital, qui a scientifiquement politisé l’ensemble du processus de production de marchandises et dépend de moins en moins de la dépense immédiate de travail humain abstrait mesuré dans le temps – ce qui s’exprime, entre autres, dans la production d’énormes masses de population superflues pour le capital et dans la lumpenisation de la classe ouvrière.

Cela signifie que tout mouvement de contestation sociale radicale au sein de la civilisation capitaliste émerge comme une critique immanente de cette forme aliénée d’interdépendance sociale, c’est-à-dire qu’il émerge de et en contradiction avec ces formes de socialisation. Cependant, je tiens à souligner que c’est le caractère contradictoire de ces formes qui constitue la condition de possibilité de cette critique sociale radicale. Si la forme marchandise était la forme ultime de la reproduction sociale, si elle coïncidait entièrement avec les sujets de cette socialisation – dans sa phase théorique tardive, Camatte suggère explicitement, et à tort de mon point de vue, que cette identité a été réalisée comme une anthropomorphose du capital[8] – alors ni la critique ni la négation pratique de cette forme historiquement spécifique de relations sociales ne seraient simplement possibles. Au contraire, puisque la forme marchandise en tant que forme spécifique de la richesse capitaliste est en elle-même contradictoire – elle est à la fois richesse matérielle et abstraite[9] – la possibilité de sa critique et de son dépassement est contenue dans son propre déroulement historique.

Par conséquent, le communisme n’est ni un idéal normatif ni une essence invariable à réaliser ; il est la forme nécessaire de l’émancipation sociale en tant que production historique.[10]. La critique marxienne de l’économie politique pose la possibilité du communisme comme une critique immanente des relations sociales capitalistes, mais cette rupture est elle-même une production historique au sein de ce réseau de socialisation. L’émancipation sociale radicale en tant que communisation implique donc qu’aujourd’hui les luttes sociales contemporaines, et donc la guerre de classe, ont pour forme nécessaire la production immédiate de relations sociales émancipées, une production qui a sa condition de possibilité dans l’énorme temps historique objectivé par l’activité productive humaine sous le régime de pillage et de souffrance propre à la production marchande. Cela signifie que la réappropriation du temps historique par les masses salariées – qui est pour Marx, dans les Grundrisse, le contenu même de l’émancipation radicale – ne se fait pas sur un terrain immobile toujours égal à lui-même, mais a toujours sa condition de possibilité dans la dynamique historique de la production capitaliste et, en particulier, du rapport de capital.

Ainsi, lorsque je pense à la communisation comme critique pratique de l’économie politique, je veux dire qu’il s’agit d’un mouvement en actes qui nie la forme capitaliste de la richesse sociale pour faire émerger la richesse comme temps disponible, comme émancipation du temps de vie par rapport aux rapports capitalistes. Mais cela ne serait pas possible si le résultat ultime de la production capitaliste, c’est-à-dire la production de plus-value, n’était pas en même temps la production de temps libre historique objectivé comme plus-value, mais qui ne peut exister comme tel, et rester comme tel, que comme temps libre objectivé accumulé comme capital, dans la mesure où la reproduction élargie du capital se réalise continuellement ; En d’autres termes, la forme capitaliste de la richesse – la richesse abstraite, la valeur – ne peut demeurer en tant que telle que dans la mesure où elle est continuellement reconstituée à travers un déroulement historique contradictoire dans lequel la possibilité de sa négation est contenue. Cela implique, bien sûr, que pour se reconstituer continuellement, le capital doit perpétuer le prolétariat en tant que prolétariat en renouvelant continuellement la scission des producteurs par rapport aux moyens de reproduction sociale – y compris la terre – c’est-à-dire en renouvelant continuellement leur dépendance et leur dénuement par rapport au capital.

Comme toujours, la digression de Marx sur la richesse nous éclaire énormément :

“Mais en fait, si la richesse est dépouillée de sa forme bourgeoise limitée, qu’est-ce que la richesse sinon l’universalité des besoins, des capacités, des plaisirs, des forces productives, etc. des individus, créés dans l’échange universel ? Qu’est-ce que la richesse sinon le plein développement de la maîtrise humaine sur les forces naturelles, aussi bien sur celles de la soi-disant nature que sur sa propre nature ? Qu’est-ce que le développement intégral de la maîtrise de l’homme sur les forces naturelles, tant sur celles dites de la nature que sur sa propre nature ? Qu’est-ce que l’élaboration absolue de ses dispositions créatrices sans autre présupposé qu’un développement historique antérieur, qui fait de cette plénitude totale de développement, c’est-à-dire du développement de toutes les forces humaines en tant que telles, non mesurées par une norme préétablie, un objectif ? Quoi, sinon une élaboration par laquelle l’homme ne se reproduit pas dans son caractère déterminé, mais produit sa plénitude totale, par laquelle il ne cherche pas à rester comme quelque chose de devenir, mais est dans le mouvement absolu du devenir ? Dans l’économie bourgeoise – et dans l’époque de production qui lui correspond – cette pleine élaboration de l’interne apparaît comme un vide total, cette objectivation universelle, comme une aliénation totale, et la destruction de tous les objectifs unilatéraux déterminés, comme le sacrifice de son propre objectif à un objectif complètement extérieur (…). C’est une satisfaction d’un point de vue limité, alors que le monde moderne laisse insatisfait ou, lorsqu’il semble satisfait de lui-même, il est vulgaire” (p. 447-448).

En effet, par communisation, nous pourrions entendre le mouvement pratique et insurrectionnel dans lequel la richesse est dépouillée de sa forme bourgeoise limitée. Mais cette possibilité est contenue dans la forme même de la marchandise, dans le double caractère de cette forme historiquement spécifique de richesse et du travail qui la produit. Certes, dans la mesure où la marchandise est à la fois richesse matérielle et richesse abstraite, la non-identité est au cœur de cette forme, elle en est le caractère constitutif. En d’autres termes, si la critique de la marchandise et sa négation pratique sont possibles, c’est parce que la forme marchande de la richesse sociale n’est pas identique à cette richesse, que ce n’est que dans certaines conditions sociales, matérielles et historiques que les produits de la production humaine prennent la forme de la valeur, mais que celle-ci n’est en aucun cas leur forme ultime. Sinon, il ne serait même pas possible de penser à la surmonter.

Par conséquent, si l’émancipation sociale radicale se présente aujourd’hui comme communisation, c’est d’abord en raison des transformations réelles du déroulement historique contemporain de la dialectique de la marchandise – qui inclut, en son sein, le rapport de classe -, dialectique qui ne peut certes se développer qu’en reconstituant sans cesse la reproduction sociale sous sa forme capitaliste – ce qui implique des restructurations continues du rapport de classe. Loin d’être une forme indestructible, comme elle nous apparaît, toute la toile de la socialisation capitaliste est traversée de négativité : l’existence même de la souffrance et de la douleur irrationnelle que cette forme de rapports sociaux provoque indique la possibilité, et la nécessité, que cette torture cesse et qu’une autre forme d’interdépendance sociale non aliénée soit possible. Et la forme historique nécessaire de ce potentiel est l’insurrection en tant que communisation et donc l’abolition de la condition prolétarienne.[11].

Le processus de communisation, la production directe de la société sans classes au cours d’un processus d’auto-transformation sociale ne peut être qu’insurrectionnel, parce qu’il est le mouvement pratique de subversion de la dynamique de reproduction sociale du capital. La communisation s’attaque donc à la forme même sous laquelle l’accumulation capitaliste s’autoreproduit et se perpétue de manière étendue. Cela signifie que la communisation, en tant que mouvement insurrectionnel, n’est pas seulement un mouvement visant à supprimer la forme capitaliste des relations sociales, mais qu’elle est aussi l’émergence matérielle d’une autre forme de reproduction sociale qui surgit dans la négation pratique du capital. Comment cela est-il possible ? Réponse : dans le capital, tout est praxis, mais il s’agit d’une praxis au sens d’une production réciproque de la société par les sujets et des sujets par la société. Le mouvement global du capital est le mouvement global de la praxis aliénée et de plus en plus autonomisée de l’espèce humaine dans le cadre d’un métabolisme de reproduction sociale historiquement spécifique, une praxis sociale qui doit s’autonomiser relativement aux êtres humains et qui exerce sur eux une domination universalisante. La communisation est possible en tant qu’ouverture du fossé qui émerge de la contradiction intrinsèque des formes sociales capitalistes au stade actuel de la crise de la civilisation du travail. Cela signifie que le processus de communisation émerge des formes sociales capitalistes et les contredit. Je ne saurais trop insister sur le fait qu’il n’y a pas d’alternative émancipatrice à la catastrophe capitaliste qui puisse émerger d’une extériorité à cette forme de socialisation ou d’une pure volonté, la possibilité de la négation pratique du capital est le résultat des brèches qui s’ouvrent au cours de son propre mouvement contradictoire.

Mais en quoi consistent ces brèches? Les brèches sont les points d’ouverture au sein du rapport de capital qui rendent possible la rupture avec la socialisation capitaliste qui émerge au sein de sa propre dynamique contradictoire.  Théorie Communiste a dit là quelque chose de fondamental, car si le prolétariat ne peut agir que comme classe de ce mode de production, et agir strictement comme classe du capital pour exister en tant que tel, comment peut-il alors abolir les classes et produire l’émancipation sociale ? Réponse : précisément parce qu’agir strictement comme classe remet en cause sa propre reproduction comme classe, et que c’est précisément là que se situe l’écart : la remise en cause de sa propre condition de classe en agissant comme classe. C’est là que se trouvent à la fois les limites et les potentialités subversives des luttes contemporaines, puisque nous y voyons comment elles ouvrent effectivement des brèches dans lesquelles les masses insurgées rompent potentiellement en actes avec la condition prolétarienne, mais aussi renforcent et reconstituent leur condition de classe par le biais de leur propre activité pratique et des revendications – salariales, entre autres – qui en sont le corollaire. La tâche d’une théorie critique radicale est donc de générer les conditions de possibilité de l’auto-éclaircissement de la praxis collective elle-même, non pas tant en disant ce qu’il faut faire, mais en montrant activement les limites de la praxis à un moment donné et le côté par lequel elle tend à reconstituer les rapports sociaux capitalistes perturbés par le mouvement subversif – ce qui, bien sûr, nous amène sur le terrain de la médiation entre la critique radicale et le mouvement réel, c’est-à-dire au problème de la praxis matérielle qui a besoin d’être dotée des moyens d’être efficace.

Cela signifie d’ailleurs que les prétendues “minorités révolutionnaires” et les individualités qui se consacrent à la critique sociale radicale – avec plus ou moins de rigueur, il faut le dire – ne sont que des expressions des possibilités d’émancipation nichées dans l’objectivité de la société capitaliste. Le génie de Karl Marx ne réside pas tant dans un esprit brillant et particulièrement doué, mais dans l’élaboration d’une théorie autoréflexive de son propre conditionnement socio-historique, de sa détermination comme possibilité de l’objet même qu’il critique, c’est-à-dire le capital. C’est la source de son actualité permanente en tant que critique immanente de la socialisation capitaliste, actualité qui restera valable tant que l’objet de sa critique existera. Cela signifie aussi que la perspective que j’avance ici est historiquement déterminée, et que sa validité n’a de sens qu’en tant que possibilité de la crise de la civilisation capitaliste, mais ne s’étend en aucun cas au-delà de ces circonstances qui la déterminent. En d’autres termes, l’émancipation sociale en tant que communisation, le frein d’urgence en tant que critique dans les actes de socialisation du capital et la production d’un mode de vie socialement émancipé, est la forme nécessaire pour arrêter la catastrophe du capital dans cet arc historique particulier, mais elle n’est en aucun cas assurée de réussir, ni n’est la forme ultime de l’émancipation sociale. Au contraire, comme nous le verrons dans la prochaine série de ce document, les possibilités de critique et donc de dépassement émancipateur de l’effondrement capitaliste sont aujourd’hui de plus en plus minées.

Cependant, il est nécessaire d’approfondir l’aspect pratique du processus de communisation, même si, ce faisant, je dois reconnaître mes propres limites – qui sont également le résultat de la toile d’obscurcissement produite par la socialisation capitaliste : il ne peut y avoir de recette générale pour l’émancipation humaine, parce que l’émancipation humaine trouve sa condition de possibilité dans les brèches de la socialisation capitaliste, qui sont présentes dans toute l’objectivité du tissu social et ne sont pas identiques, même si elles répondent aux mêmes fondements – c’est-à-dire aux formes sociales fondamentales de la modernité capitaliste : valeur, marchandise, travail, argent, capital, etc.

En premier lieu, le processus de communisation, pour être tel, doit tendre à supprimer la condition prolétarienne. La valorisation du capital, l’objectif moteur de toute la trajectoire historique aveugle de la production capitaliste, ne peut être réalisée que par l’accumulation de la plus-value, c’est-à-dire du temps de travail excédentaire arraché sans échange d’équivalent à la classe ouvrière mondiale. Par conséquent, la marchandise en tant que forme structurante de base de la civilisation capitaliste ne peut être comprise sans le surtravail qu’elle contient….[12]. 12] En effet, dans la production capitaliste, toute marchandise est constituée par la matérialisation du temps de travail excédentaire, du surtravail forcé de la classe salariée. De cette manière, la classe ouvrière est configurée, comme le dit Théorie communiste, comme la marchandise de la marchandise, comme la base réelle de la reproduction élargie du capital. Par conséquent, la critique en action du réseau de socialisation du capital exige la perturbation de la relation capitalistique, la remise en question de la reproduction de la classe salariée en tant que classe salariée, ce qui implique la transformation nécessaire de la reproduction sociale sur une base non médiatisée par les formes sociales capitalistes – et donc la libre distribution des marchandises comme première étape pratique du processus insurrectionnel. En termes simples, cela exige que l’ensemble des masses prolétarisées – y compris, bien sûr, les chômeurs, les lumpenisés, les précaires, etc. – puissent reproduire leur corporalité physique sans la médiation du travail, de l’argent ou de la forme marchandise.

Comme nous le voyons, tirer le frein d’urgence nécessite non seulement la production de la rupture – le moment du déclenchement insurrectionnel de la révolte, du pillage, de la destruction de l’infrastructure du capital.[13]13] – mais exige la réorientation de la reproduction sociale sous sa forme capitaliste. Le processus de communisation est donc impensable sans l’appropriation collective des moyens de reproduction sociale, c’est-à-dire ce qu’on appelle les moyens de production. Cependant, bien que l’appropriation et la socialisation des moyens de production aient été un thème fondamental du livre de recettes léninistes de la révolution, il convient de préciser que la simple appropriation des moyens de production par les masses salariées n’implique pas nécessairement le dépassement du capitalisme en tant que tel. En effet, comme dans le cas de l’URSS, le capitalisme peut se reconstituer précisément sur la base de l’appropriation des moyens de production par les masses salariées. Ce qui est essentiel, cependant, c’est la forme de reproduction sociale, et la forme capitaliste des relations sociales est parfaitement compatible avec l’appropriation prolétarienne des moyens de production.

De plus, les moyens de production existent actuellement sous une forme objective léguée par le capital, une forme façonnée par l’objectif moteur de toute dynamique sociale existante : la valorisation de la valeur. Il ne s’agit pas de s’approprier les industries et d’y reproduire les relations qui font exister l’industrie en tant que telle, mais de se réapproprier la praxis sociale matérialisée dans ces moyens et de réorienter la reproduction sociale sur de nouvelles bases : la satisfaction directe des besoins humains et la production de temps libre. D’autre part, une énorme quantité de machines et d’industries est terriblement nuisible, polluante et objectivement destructrice des conditions biophysiques de la vie sur la planète, ce qui implique qu’un processus insurrectionnel réussi devra démanteler toute l’infrastructure de dévastation et parvenir simultanément à assurer la survie des personnes au moyen d’une nouvelle reproduction sociale ayant pour objectif une abondance croissante de temps – et donc de richesses matérielles.

Par conséquent, une appropriation dans un sens émancipateur de ce qu’on appelle les moyens de production, qui inclut d’ailleurs la réappropriation sur une nouvelle base sociale de notre relation à la terre, exige nécessairement de rompre avec son caractère de capital, ce qui présuppose la réorientation de la production vers la satisfaction directe des besoins humains au cours du processus insurrectionnel. En effet, on ne peut pas vivre de rapine, car la rapine dans sa forme capitaliste contemporaine – telle qu’elle apparaît dans les révoltes des deux dernières décennies – présuppose une production surabondante de marchandises. De plus, personne ne s’investira dans une révolution qui ne met pas de pain dans la bouche des gens – il suffit de penser à l’échec retentissant du potentiel émancipateur de la révolte de 2019 au Chili – donc un processus insurrectionnel qui ne réoriente pas la production sociale sur d’autres bases est voué à être vaincu institutionnellement par le pouvoir d’inertie des relations sociales capitalistes, d’abord, et ensuite par une contre-insurrection violente visant à empêcher la réapparition d’une révolte généralisée.

En l’absence de véritables horizons alternatifs, les masses salariées se précipiteront dans les bras de l’institutionnalité du capital, elles voudront de toutes leurs forces le retour à la normalité, la protection de l’Etat, et cracheront sur leur récente rébellion. Car toute rébellion au sein du capitalisme peut rapidement se transformer en une rébellion conformiste, un renforcement de la socialisation capitaliste au moyen de la violence de masse. Encore une fois, la période post-révolte au Chili est paradigmatique à cet égard, car les conditions sociales sont aujourd’hui encore pires que celles qui ont donné lieu à la révolte, mais le spectre social semble s’être déplacé vers des perspectives réactionnaires. Permettre l’émergence ouverte et le déploiement du potentiel émancipateur suscité dans les luttes sociales contemporaines exige de soutenir l’ouverture des brèches dans la relation capitaliste, ce qui présuppose nécessairement une praxis orientée vers la réappropriation matérielle du temps aliéné et des moyens de reproduction sociale. La révolte au Chili, comme dans d’autres pays, a échoué précisément dans ce saut qualitatif de l’insurrection généralisée à l’émancipation sociale radicale, et la sortie de cette impasse réside dans la praxis sociale contradictoire de ces mouvements et dans la possibilité de pousser consciemment leur potentiel émancipateur.

À ce stade, la théorie de la communisation a mis en évidence la nécessité de ce que l’on appelle les “mesures communistes” [14].[14]14], la forme concrète d’activité pratique par laquelle la socialisation capitaliste est abolie et donc le prolétariat en tant que main-d’œuvre vivante à aspirer par la propre famine canine du capital pour le travail de plus-value est autosuffisant. La production d’une autre forme de socialisation, d’une forme d’interdépendance humaine émancipée, consiste à multiplier et à généraliser les actes qui, au cours de la lutte, permettent d’abord d’affaiblir les formes sociales capitalistes – puis de les supprimer – en permettant à différents groupes sociaux de se joindre à la lutte et en sapant la force de la réaction organisée politiquement et militairement dans l’État et ses agents. Il n’est pas possible d’abolir immédiatement le cadre de socialisation capitaliste, mais il est possible de mettre en œuvre une praxis qui remet immédiatement en question ses fondements. En ce sens, bien que j’aie dit plus haut qu’il ne peut y avoir de recette généralisée pour la production consciente du communisme, on pourrait dire que la maxime “que personne n’ait faim” résume le contenu d’une mesure communiste fondamentale pour la continuité de l’insurrection et son renforcement au fur et à mesure de son déroulement. Seules les mesures communistes concrètes qui permettent d’orienter la reproduction sociale vers la satisfaction directe des besoins et la production de temps libre peuvent permettre au processus insurrectionnel de se maintenir, de s’étendre et finalement de triompher.  En ce sens, la maxime marxienne “l’insurrection est un art” doit être reprise sur une nouvelle base : dans notre cas, l’insurrection est l’art de faire fleurir le temps émancipé, de libérer le temps vivant – la praxis sociale vivante de l’humanité – de son enveloppe capitaliste.

PS : Ce texte est le premier d’une série d’écrits auxquels je réfléchis depuis un certain temps. L’objectif principal de ces textes est de contribuer à la formation d’une critique sociale radicale capable de devenir une force historique matérielle et effective. En eux-mêmes, bien sûr, ils n’auront qu’une valeur littéraire, seule leur capacité à devenir un dialogue autoréflexif avec le mouvement réel sera la condition de leur succès dans un sens émancipateur. L’article suivant s’intitulera “Les limites et les possibilités de la critique”, dans lequel j’entends développer la difficulté croissante de la critique à devenir une praxis sociale émancipatrice, en cherchant à démêler les possibilités qui s’ouvrent pour l’émergence d’un mouvement radical au cours du processus catastrophique de la débâcle socio-écologique de la civilisation capitaliste – une débâcle qui est, naturellement, la débâcle de ses sujets. Si le courant aux aspirations radicales rejette actuellement toute théorie critique de la subjectivité – précisément parce qu’elle remet en cause ses propres positions – il s’agit là d’une condition nécessaire à une critique sociale radicale.

Enfin, je remercie publiquement les camarades de Flora Espacio Anarquista, qui m’ont chaleureusement accueilli et ont été la principale source d’inspiration pour commencer cette série d’écrits. Je suis de tout cœur avec eux. Ce n’est pas un hasard si les conversations qui ont initialement inspiré ce texte ont été interrompues par le méga-incendie dans la région de Valparaíso, c’est-à-dire par l’irruption abrupte dans ce territoire de la catastrophe capitaliste dont nous avions l’intention de discuter. Cela nous parle aussi des limites et des possibilités de la critique, car nous sommes encore dans un état fragmentaire de l’élaboration d’une critique radicale en action au moment même où l’incendie de la civilisation du capital se propage sur toute la planète. Cela exige donc de nous pousser à l’effort du concept au moment même où les possibilités de la critique sont de plus en plus minées.

Pablo Jiménez Cea, Mexique/Chili, février 2024.

Notes

[1] On devrait simplement dire que tout État est capitaliste, mais en ces temps d’obscurcissement, on n’insistera jamais assez sur l’exigence de précision des mots : ils sont aussi des armes dans la lutte pour l’émancipation sociale radicale.

[2] Le concept de critique pratique du capital ou de l’économie politique est tiré d’un court paragraphe de The Substance of Capital de Robert Kurz : “Les manuels de l’ancien bloc “socialiste” continuent à se référer sérieusement et sans compromis à une “économie politique du capitalisme” et à une “économie politique du socialisme”, au lieu de concevoir et d’adopter le socialisme comme la critique pratique de l’économie politique en tant que telle [Italique mine NPU]” (p. 59). Cependant, ce paragraphe n’est pas développé et il n’y a pas d’autre référence à une telle problématique dans le reste du livre. D’autre part, la perspective d’une critique pratique des rapports sociaux avait déjà été avancée par l’Internationale Situationniste et en particulier par Guy Debord dans La Société du Spectacle.

[3] La théorie est la puissance du moi, dira Adorno.

[4] Voir Jasper Bernes, Quelques récits de communisation, au lien suivant : https://translatoriac.noblogs.org/jasper-bernes-algunos-relatos-sobre-la-comunizacion_01/

[5] Sur ce point, voir Sur l’ultra-gauche la théorie de la communisation de Théorie Communiste. Disponible au lien suivant avec plusieurs textes de TC traduits en anglais : https://drive.google.com/drive/folders/1NtviJ3AikLVd1qHPcssbcZnQun6Dvac8

[6] J’entends ici le terme “communisme” dans un sens négatif, c’est-à-dire comme un mode de vie sociale et d’interdépendance humaine dans lequel les classes sociales, les relations sociales capitalistes et l’État ont été abolis. Bien qu’il y ait eu des nations entières, et même des superpuissances mondiales comme l’URSS, qui se disaient “communistes”, il s’agissait plutôt de branches alternatives de la modernité capitaliste portées par le mouvement ouvrier et sa contre-révolution historique.

[7] C’est cette détermination matérielle et historique de la praxis du mouvement ouvrier en tant qu’émancipation sociale possible par l’affirmation du prolétariat en tant que classe qui a simultanément constitué le fondement de la contre-révolution mondiale qui l’a liquidée. En effet, le fait que la contre-révolution soit venue des organisations mêmes du prolétariat, que les nations capitalistes aient émergé de la lutte de classe révolutionnaire, trouve son fondement dans le fait que l’affirmation du prolétariat comme classe impliquait nécessairement l’affirmation du capital et que, par conséquent, le cadre de la socialisation capitaliste pouvait être reconstitué à partir des organisations ouvrières elles-mêmes.

[8] Voir Errance de l’humanité au lien suivant : https://archivesautonomies.org/IMG/pdf/gauchecommuniste/gauchescommunistes-ap1952/invariance/espanol/errancia-humanidad-1973.pdf

[9] Sur le caractère non-identique de la forme marchandise, il n’y a pas de meilleure référence que le premier chapitre du Capital. Sur ce double caractère de la marchandise et du travail producteur de marchandises, Marx dira que dans l’appréhension de cette non-identité réside “tout le secret de la conception critique” (Lettre de Marx à Engels, Manchester, 1868).

[10] Pour une critique des perspectives normatives sur l’émancipation sociale, voir : https://endnotes.org.uk/translations/theorie-communiste-historia-normativa-y-esencia-comunista-del-proletariado

[11] Ce qui revient à dire que la société de classes est abolie, dans la mesure où toutes les autres classes sociales dans le régime capitaliste de production maintiennent leur reproduction sur le temps de travail excédentaire objectivé en tant que produit excédentaire – produit excédentaire qui est converti en capital – résultant du pillage du temps de travail excédentaire de la classe salariée mondiale.

[12] Sur ce point, voir Capital. Livre VI (inédit). Résultats immédiats du procès de production capitaliste, p. 109.

[13] Je reviendrai sur ce point dans la série III de ce mémoire.

[14] Voir les mesures communistes de Mattis Leon sur le lien suivant : https://colectivobrumario.wordpress.com/2015/12/22/las-medidas-comunistas-leon-de-mattis/

  1. UnAmateurDeThéorie
    23/04/2024 à 21:52 | #1

    DNDF mérite à nouveau sa véritable signification : des nouvelles du futur ;-)

  2. Un passant presque triste
    30/04/2024 à 19:31 | #2

    Le pendant de ma précédente remarque, amusé, serait de déplorer le peu de discussion que soulève ce texte, relativement au débat du milieu réellement “autonome” (citoyennisme ou pas) en ceci qu’il ne parlerait qu’entre soi en français dans le so called “texte”.

    On a ici un texte d’outre-Atlantique, du sud, qui présente les caractères de mise à jour du corpus communisateur sur son versant “pré-vision de la révolution”, à la lumière de l’évolution récente de la situation mondiale. C’est pas tous les jours, ni même tous les ans.

    Comme quoi il serait plus difficile de faire réellement de la théorie, et d’en débattre, que de déballer sans fin des désaccords et convergences qui ne concernent pas véritablement la théorie en propre, mais la façon dont s’en emparent les uns et les autres. Peut-être bien que certains ne font pas, ou plus, la différence.

    Enfin, je dis ça, j’ai rien dit sur ce texte non plus. Mais moi j’ai perdu la main et le niveau depuis que j’ai gagné la retraite.

    Le communisme ou la mort ! (on est gagnant à tous les coups)

  3. David Cro
    02/05/2024 à 17:24 | #3

    ” (…) on pourrait dire que la maxime “que personne n’ait faim” résume le contenu d’une mesure communiste fondamentale pour la continuité de l’insurrection et son renforcement au fur et à mesure de son déroulement.

    Alors dans ce cas pas besoin d’attendre l’insurrection pour préparer ce qui permettra à cette mesure d’être prise.

  4. pepe
    03/05/2024 à 17:24 | #4

    @David Cro
    Militer aux restos du coeur?

  5. Un passant réfléchi
    04/05/2024 à 09:45 | #5

    Qualifier la lutte insurrectionnelle contre la faim de “mesure communiste” ressort d’une évidence. D’abord parce que le capital est incapable de l’assumer, puisqu’il est la cause des famines et de la malnutrition. Ensuite parce c’est un fondement essentiel de la lutte communiste, “l’éruption” des “forçats de la faim”, dit L’Internationale, pour satisfaire un besoin naturel vital. Enfin, ce qui est plutôt le sens évoqué, parce que si l’insurrection ne le faisait pas, elle serait défaite à la fois trahissant son but et renvoyant les masses humaines dans les bras de l’adversaire pour un retour vers un passé d’illusions réformistes.

    Ce qui n’est pas sans poser, de surcroît, des questions écologiques et démographiques essentielles, notamment l’équilibre mondial dans la répartition d’une nourriture produite durablement.

    Vu comme ça, l’avenir n’est-il pas exaltant ?

  6. David Cro
    04/05/2024 à 19:31 | #6

    @pepe

    C’est là tout la limite de ce mot d’ordre, “personne n’a faim”, en effet. Je pensais plutôt à ce genre de réflexions pour lui donner plus de consistance :

    “Pour résumer, l’argument des pages précédentes pourrait être compris ainsi : si les prolétaires du XXIe siècle communisent l’approvisionnement alimentaire et réorganisent l’agriculture, en
    surmontant la division entre la ville et la campagne, ils le feront non pas parce que cela correspond à leurs idéaux, mais parce que ces mesures communistes apparaîtront comme le
    meilleur, et même le seul, moyen de répondre à leurs besoins dans une conjoncture révolutionnaire, étant donné les dépendances de parcours des ressources productives qu’ils
    héritent du capitalisme. ”

    “Le ventre de la révolution : L’agriculture, l’énergie, et l’avenir du communisme – Jasper Bernes”, 2020

    https://dndf.org/?p=19906

  7. David Cro
    05/05/2024 à 08:53 | #7

    @pepe

    Après, l’aide alimentaire est intéressante à étudier et par extension tout le système alimentaire.

    Dans la production alimentaire capitaliste de 2024, la loi de l’échange et de la valeur est sans dessus dessous. Une partie des gens reçoivent cette production sous la forme de dons (insuffisants en quantité pour pouvoir dire “personne n’a faim”, et encore plus en qualité nutritive). La gestion de la distribution de ces dons est massivement le fait de bénévoles retraités. La production agricole elle-même nécessite des fortes subventions pour pouvoir boucler les comptes (mais il faudrait étudier plus en détail la chose). Je parle ici du cas en France du moins.

    L’aide alimentaire est alimentée par les invendus du système agro-alimentaire-distribution (les bénévoles de l’aide alimentaire permettent ainsi indirectement aux entreprises privées de toucher de l’argent, sous forme de baisse d’impôts, donc clairement l’aide alimentaire participe d’une cogestion de la crise) mais il semble aussi qu’une partie de la production alimentaire soit directement dédiée pour l’aide alimentaire (je n’ai pas la référence sous la main).

    Au total, concernant le système de production et de distribution alimentaire, on a une sorte de mesure communiste à l’envers, imposée à froid, hors insurrection et petit à petit, par le système capitaliste pour dépasser les contraintes de l’économie de marché au sein d’un secteur économique très particulier. Pour sa survie, il sait encore assurer que “personne n’ait (trop) faim” par une production gratuite ou à très bas coût, de faible qualité nutritionnelle et nuisible pour la santé à long terme.

    Il semble aussi que le fonctionnement concret du système alimentaire, comme d’autres secteurs industriels, soit très dépendante de flux physiques. Quelques jours à peine de stock dans les villes. Et l’aire agricole large autour de chaque ville ne produit pour la ville en question que quelques % au grand maximum.

    Toujours sur un plan concret, la production agricole, industrielle, est très dépendante de quantités de flux physiques pour des intrants également que les agriculteurs ne peuvent pas ou ne savent pas produire sur place (carburant, intrants chimiques, semences, mais aussi entretien des machines, savoir-faire, pièces détachées). C’est un peu moins vrai pour la très faible portion de petits producteurs alimentant les circuits-courts autour des villes.

    La transformation alimentaire, non évoquée plus haut, est aussi intéressante à considérer, et souvent oubliée quand on se concentre uniquement sur la production agricole. Située entre une production agricole industrielle et les grandes entreprises de distribution, elle est finalement destinée à des personnes qui mangent mais sans cuisiner, que ce soit pour gagner du temps pour pouvoir travailler, et/ou par manque de savoir-faire ou même de la possibilité matérielle de cuisiner (logements précaires). L’aide alimentaire ne donne que peu de produits frais mais beaucoup de pains, yaourts, conserves, etc, soit une alimentation avec des calories mais peu de micronutriments donc dégradant à long terme la santé des gens qui les consomment. La transformation alimentaire est aussi liée à l’industrie du plastique pour le conditionnement (futurs déchets), est dépendante de la chaîne du froid, etc.
    Au cours d’un épisode révolutionnaire, au contraire, on a le temps de cuisiner et la possibilité matérielle de cuisiner.

    Donc une mesure communiste permettrait certes que “personne n’ait faim” mais il se poserait quelques questions pratiques aux différents niveaux où le système alimentaire est déjà construit par le capitalisme :
    – les flux physiques alimentaires approvisionnant les villes (produits transformés livrés à la grande distribution)
    – les flux physiques alimentaires alimentant la transformation alimentaire (produits agricoles bruts livré aux usines agro-alimentaire… mais qui pourraient utilement être déroutées pour une transformation directe en ville)
    – les flux de matières alimentant la production agricole (carburant, intrants, semences, pièces détachées des machines : toute choses permettant une forte productivité par hectare et par travailleur, mais très dépendantes du marché mondial et du commerce international)

    Ce système fait intervenir un grand nombre de salariés peu qualifiés devant se contenter de bas salaires (transport, agroalimentaire) pour la distribution et la transformation, et des travailleurs indépendants (agriculteurs) avec des niveaux de revenus très divers (dans un modèle économique en voie de disparition mais susceptible d’entrer en lutte cf le mouvement de début 2024) et de plus en plus de grosses entreprises avec salariés qualifiés pour la production agricole.

    Conclusion : pas besoin d’attendre l’insurrection pour apprendre à cuisiner… pour beaucoup ^^

  8. Un passant dubitatif
    06/05/2024 à 13:43 | #8

    L’affirmation discutée est la nécessité pour l’insurrection de pourvoir la population en nourriture. Répondre qu’on peut le faire sans attendre la révolution, outre qu’n puisse en douter, est-il bien dans le sujet du texte ?

    La fin de la faim n’est pas l’unique objectif de la fin du capitalisme par les insurgés révolutionnaires, car c’est loin d’être le seul inconvénient de ce mode de production et de destructions.

    Alors certes, Monsieur Cro nous apporte des précisions intéressantes sur les conditions actuelles de nourrissage, l’histoire des “flux”, mais faute de clairvoyance peut-être, je ne vois pas le rapport avec la réflexion sur une conjoncture insurrectionnelle.

  9. Anonyme
    11/05/2024 à 11:54 | #9

    @ au passant

    J’ai l’impression que pour te répondre il faudrait reprendre ce qui s’est passé au Chili en 2019-2021 et qui a inspiré ce texte. Pourquoi est-ce que son auteur insiste tellement sur les questions alimentaires, je ne sais pas, et on a aucun élément factuel sur sa lecture de la conjoncture depuis laquelle il écrit.

    J’ai décrit à la louche le système alimentaire français. A quoi ressemble celui du Chili ?

    La “faim” ne peut-elle être comprise comme une métaphore globale, une idéologie, qui permet de rendre intelligibles des événements (une crise, une insurrection, une contre-révolution) dans des mots que tout le monde comprend ? Peu importe si dans la réalité, l’alimentation n’est qu’un besoin parmi d’autre et qu’une partie du panier des subsistances.

    Le fait que dans les représentations de plus en plus plus répandues, la satisfaction de ce besoin élémentaire ne soit plus assurée pour une raison pour une autre (avec des points de vue différents sur la manière de voir et de résoudre la question), est sans doute propre à beaucoup d’agitations sociales spécifiquement sur l’agriculture, le rapport à la terre et à l’alimentation.

    <>

  10. Un passant
    11/05/2024 à 18:47 | #10

    @Anonyme Myster Cro

    J’ai l’impression que pour te répondre, il faudrait savoir d’où tu parles. Ce n’est pas une inquisition, mais la nécessité de situer ce que tu développes dans une perspective un point de vue théorique sur le capital et la visée révolutionnaire pour s’en débarrasser.

    J’ai souvent pointé les inconvénients de l’habitude des pseudonymes sans passé dans les débats. Cela laisse tout un éventail d’interprétation de ce qui est dit, voire de simple compréhension.

    Quand tu parles de “métaphore” (je laisse tomber “idéologie ologie”, qui ne mange pas de pain), je l’interprète à nouveau
    plus encore comme une tendance “réformiste”, comme si tous les besoins à satisfaire, appelant pour les amis de dndf une révolution communiste insurrectionnelle, peuvent l’être en attendant la fin par d’autres solutions, dans lesquelles tu a l’air d’espérer, qu’est-ce que ce signifie d’autre qu’une adaptation du mode de production capitaliste ?

    Je peux me tromper dans cette interprétation, mais dans ce cas je ne vois pas où tu veux en venir.

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