Un reclassement à 69 euros par mois en Inde pour des salariés… du Tarn
‘Inde pour 69 euros par mois. Il y a quelques jours, neuf salariés de l’entreprise textile Carreman, à Castres (Tarn), ont reçu cette offre de leur employeur. Mais il ne s’agit pas d’un séjour à prix cassé dans la plus grande démocratie du monde. La direction du groupe leur a proposé d’aller travailler dans son établissement de Bangalore (sud du pays), moyennant une rémunération quinze fois plus faible que le smic (net à temps plein). [print_link]
Cette invitation au voyage a été lancée à cause des difficultés de l’usine castraise : soumise à la concurrence des pays à bas coûts de main d’oeuvre, elle a récemment décidé de réduire ses effectifs et indiqué à ses salariés menacés de perdre leur emploi qu’ils pouvaient être reclassés dans son unité de production indienne. “Je suis conscient que c’est stupide, mais c’est la stupidité de la loi”, s’est justifié François Morel, l’un des responsables de Carreman, dans un entretien au quotidien régional La Dépêche du midi publié le 8 mai. Avant de procéder à un licenciement économique, les entreprises sont tenues de faire des propositions de ce type lorsqu’elles ont d’autres sites, “même si c’est en Papouasie ou au Bangladesh”, a ajouté M. Morel.
L’affaire a suscité un émoi d’autant plus vif que Carreman prévoit d’envoyer prochainement ses commerciaux dans l’île polynésienne de Bora Bora – cette fois-ci pour quelques jours seulement. “Il s’agit d’un voyage d’affaires, comme nous le faisons chaque année, avec nos clients, a plaidé M. Morel. Il tombe mal, c’est sûr, mais il était programmé depuis longtemps et nous avons déjà versé des arrhes.”
Même si elles défraient de temps à autre la chronique, les offres de reclassement dans des pays “low cost” se sont banalisées depuis quelques années. En juin 2008, les salariés d’Ardenne Forge s’étaient vus proposer une trentaine de postes, dont trois au Mexique et au Brésil. Trois ans plus tôt, le fabricant de bobines électriques Sem Suhner, à Schirmeck (Bas-Rhin), avait dit à six personnes qu’il s’apprêtait à licencier qu’elles pouvaient être reprises dans une entreprise partenaire en Roumanie pour 110 euros brut par mois et 40 heures de travail par semaine.
Bien qu’elles n’aient quasiment aucune chance d’être acceptées, ces offres sont faites pour éviter que les plans sociaux soient contestés devant les tribunaux. Sur un plan juridique, “elles sont inattaquables dès l’instant où l’employeur a démontré qu’il n’y avait pas d’autres possibilités de reclassement ailleurs”, commente Me Rachid Brihi, avocat spécialisé en droit du travail.
Dans une “instruction” adressée en janvier 2006 aux services déconcentrés de l’Etat, le ministère de l’emploi avait estimé qu’une proposition de reclassement à l’étranger “pour des salaires très inférieurs au smic ne (pouvait) être considérée comme sérieuse” et ne saurait répondre aux obligations du code du travail. Mais ce texte n’a pas force de loi car il “n’est qu’une interprétation de l’administration”, souligne Me Brihi.
Bertrand Bissuel Article paru dans l’édition du 12.05.09
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