Grèce et communisation

Article en date de l’été 2014 c’est-à-dire avant l’arrivée du Syriza au gouvernement (et à partir de laquelle le groupe « Blaumachen » a cessé d’exister ) publié sur le blog russe  посткап / post-cap

Nous ne comprenons pas comment “Post-cap” peut dire que «contrairement aux anarchistes, le mouvement de communisation reconnaît la nécessité d’une phase transitoire et de puissance temporaire pour protéger les  mesures communistes», mais …  qui connaît la théorie de la communisation?

Notes introductives de Post-cap

Il y a eu l’une des situations de crise les plus graves, ces dernières années, en Grèce. Les mesures d’austérité imposées par l’Etat étaient directement liées à la crise économique mondiale de 2007. Les taux de croissance économique élevés en Grèce dépendaient beaucoup des flux de capitaux et il apparut donc soudainement que la faillite était causée par la lourde dépendance économique aux flux externes de valeur. La Grèce est devenue l’un des pays qui paye les conséquences de la crise internationale. L’Etat grec a réorganisé l’économie pour sauver le secteur privé. Le chômage, les coupes dans les budgets publics ont effectivement conduits à la perte du statut d ‘«Etat social» (si un tel terme est approprié). Manifestations, grèves nationales, affrontements avec la police sont devenus en quelques années habituels pour le pays. Pour nous, dans ces circonstances, les événements grecs sont l’une des sources de pratiques modernes dont nous devons être conscients.

Notre camarade grec est un membre du mouvement pour la communisation (des groupes comme Théorie Communiste, Troploin, EndNotes, Blaumachen etc). Les partisans de ce courant, dans leur théorie, soulignent que le communisme est le mouvement réel et non une société «idéale» qui doit être «construite».

La communisation est le processus de destruction des attributs de la société de classe (la production des marchandises, la propriété privée, l’Etat), et de propagation du communisme. Ainsi, l’un de ses concepts les plus ambigus (sans étapes définies) est la destruction immédiate des rapports marchands. Contrairement aux anarchistes, le mouvement de communisation reconnaît la nécessité d’une phase transitoire et de puissance temporaire pour protéger les mesures communistes (voir «Communisation”» par Troploin et «Communisation vs. Socialisation”» par TC). Le mouvement de communisation ne veut pas appeler cette période «dictature du prolétariat», et il considère l’Etat comme un produit des rapports marchands et le prolétariat comme antagoniste et satellite du capital. Le prolétariat existe tant que le capital existe (et cela signifie que la contradiction entre capital et travail existe aussi), et la communisation ne se concentre pas sur le travail (puisque le travailleur est un élément du Capital), la communisation transforme le prolétaire en individu d’une société sans classes.

La participation des membres du mouvement de communisation aux points de résistance sociale (France, Grèce) ainsi que les éléments les plus forts de leur théorie (compréhension non-démocratique et non-pédagogique du mouvement communiste, qui commence dans la période du capitalisme), rendent nécessaire l’étude de leur expérience précieuse du mouvement et l’établissement de relations internationales. Nous ne pouvons pas être d’accord avec chaque réponse dans une interview, en particulier en ce qui concerne l’utilisation du terme «antiautoritaire» et la présentation de l’AntiMaidan comme un miroir de Maidan, bien que l’analyse du camarade se situe au-delà des jugements superficiels sur la direction politique de la Maidan et AntiMaidan, préférant regarder leur essence cachée derrière l’apparence des faits.

Parlez-nous de vous-même et vos positions

Je viens de Grèce, j’ai 26 ans et depuis 3 ans, je fais partie la théorie marxiste moderne de la communisation. Je suis l’auteur du blog “a ruthless critique””  qui est principalement un blog sur la théorie communiste moderne et la lutte de classe en Grèce et en Europe de l’Est. Je suis également l’auteur d’un projet de blog parallèle appelé our baba doesn’t say fairy tales”””  où je publie en grec des informations antiautoritaires et communistes sur les Balkans et l’Europe orientale et parfois sur la Grèce, en anglais. J’ai commencé à m’impliquer dans le mouvement antiautoritaire quand j’avais 18 ans. J’ai commencé à partir d’idées anarchistes traditionnelles et j’ai évolué lentement vers les idées anti étatiques marxistes, il ya 4 ans. Je m’intéresse particulièrement aux sujets théoriques comme les aspects essentiels des rapports capitalistes, à la critique du marxisme vulgaire ou traditionnellement anti autoritaire, une critique marxiste et non bourgeoise ou postmoderne du sexisme, le sexe et les rapports de classe, l’idéologie, et la linguistique marxiste. Je participe également à des discussions de marxologie, c’est-à-dire à la méthodologie de Marx dans ses écrits, etc.

La principale position idéologique de mon blog est le rejet complet de toute forme de marchandise et d’échange d’argent, le rejet complet du nationalisme et de l’idée nationale que je vois comme  des formes qui découlent des relations  capitalistes et le rejet complet du pouvoir, de l’Etat etc.  comme autre forme d’unité des sujets bourgeois. Enfin, je rejette complètement toute forme de démocratie tant que l’échange, les biens, les relations et les séparations nationales existent toujours. Avec d’autres personnes qui pensent comme moi (mais non à l’identique), nous essayons de formuler un discours public antiautoritaire qui rejette complètement marchandise et  nationalisme, parce que nous pensons que le mouvement grec n’est pas assez opposé à ces aspects de la vie capitaliste et est fortement influencé par la rhétorique semi-patriotique et une critique non-concrète de la monnaie/marchandises, c’est-à-dire les relations de classes.

Que pouvez-vous dire à propos de la lutte économique en Grèce: grèves, mouvement syndical, etc. Les travailleurs y sont ils actifs  ou simplement, ses membres sont-ils sous contrôle du syndicat par la bureaucratie ?

Qu’en est-il de ce que l’on appelle  parti « communiste » de Grèce (KKE) et son vrai rôle (avec quelques exemples). Nous savons ce qu’il est réellement, et nous savons que c’est un parti bourgeois, mais il y a des gens en Russie qui l’admirent et nous avons besoin d’en savoir plus sur ses actions réelles.

Le principal syndicat est le GSSЕ. Il a été créé dans les années 20 par le KKE. Après la chute de la dictature militaire en 74, le GSSE est devenu un syndicat complètement bourgeois, et c’était le seul syndicat à pouvoir faire grève légalement. Tous les autres syndicats plus petits appelaient aussi à la grève, mais généralement ces grèves étaient illégales. Le  GSSE a grossi dans les années 80 et il est devenu le plus gros syndicat de Grèce, avec des milliers de membres, mais il était largement contrôlé par le gouvernement et surtout sous le contrôle du PASOK, un parti socialiste / bourgeois libéral qui avait le contrôle du Parlement durant la plus grande partie des années 80 et 90. La raison principale pour laquelle le PASOK et GSSE

eurent tant de succès est leur fort niveau de corruption et le fait que par le truchement du parti, il ​​y avait une bonne chance de trouver un emploi avec un salaire très important dans la bureaucratie d’Etat. Après la crise, le GSSE a perdu ses membres rapidement car il ne pouvait plus remplir pleinement sa tâche de vous trouver un emploi comme avant. Mais tous ces gens qui ont quitté le GSSE ne sont pas organisés massivement ailleurs plus radicalement. La plupart d’entre eux sont retournés tristement dans leurs foyers, ont abandonnés tout espoir de changement et ne créent pas de mouvement ouvrier massif.

Le deuxième syndicat le plus puissant est le ПАМЕ du KKE. Ce syndicat a un rôle douteux. D’une part il est nettement plus radical que le GSSE. D’un autre côté, il a clairement une perspective d’Etat et de mouvement ouvrier de style Khrouchtchev. Ils croient qu’ils sont les seuls véritables représentants du mouvement syndical et qu’eux seuls ont le droit de défendre les droits des travailleurs ; mais pour ce faire ils considèrent le Parlement comme perspective principale, pas la lutte de classe directe. Ils ont un style rhétorique soviétique au sujet de la révolution, etc., mais leurs principaux efforts consistent à élever leurs performances aux élections. Les éléments les plus radicaux à l’intérieur du KKE sont les travailleurs du bâtiment et des chantiers navals qui sont traditionnellement plus radicaux. C’est la masse principale de ПАМЕ et ils en sont les éléments les plus violents à l’intérieur du KKE. Mais ils ne sont guère différents dans leurs opinions politiques des autres membres du KKE, ils croient que l’objectif principal est de soulever les électeurs du KKE de sorte que le parti soit en mesure de les défendre au Parlement. En raison de ces tensions internes le KKE doit trouver son équilibre et un terrain d’entente. D’une part il y a les travailleurs qui composent 40% de sa base électorale, d’autre part, les 60% de ses électeurs qui ne veulent pas de violents affrontements etc.  Donc, le KKE est parfois violents, parfois plus tranquille dans les rues. Le principal problème est que le KKE a très peur de la critique des autres partis parlementaires et voit le parlement comme une bonne chose, ils évitent donc d’être trop radical. Ils critiquent les autres en disant que l’absence de parlement serait le chaos etc. Donc le KKE et surtout la ПАМЕ, quand il s’agit de faire face à des éléments plus radicaux dans les rues, sont toujours du côté de l’Etat qu’ils voient comme instrument neutre utilisable pour l’émancipation. Cela s’est produit fréquemment au cours des 20 dernières années, les membres de ПАМЕ travaillant côte à côte avec la police quelques fois. Ces incidents ont également provoqué de vives critiques contre le KKE. L’autre problème avec KKE est que, parfois, si une lutte de classe va bien, mais que le KKE n’en a pas le contrôle, ils essaient de saboter indirectement la lutte. C’est le cas en particulier dans les grèves du syndicat des étudiants et les occupations d’universités sur lesquels le KKE n’a pas grande influence. Un autre problème du KKE, très complexe à analyser ici, est qu’il possède en propre un ensemble de médias, chaîne de télévision, journaux, etc. Le KKE est, là comme toute entreprise capitaliste dans le contexte du marché capitaliste, forcé de réduire les salaires, de licencier, etc. Le problème est que KKE le cache et que, dans ces tensions du marché, il ne se concentre pas sa critique sur la «marchandise, le marché, mais  reste concentré sur une analyse politique qui dit que les salaires sont juste une question de volonté politique. Ils ne voient pas les contradictions internes dans les catégories capitalistes que sont l’argent, la valeur, etc. En plus de n’avoir jamais coopéré avec les forces à leur gauche, dans les années 90, ils ont participé à un gouvernement avec l’aile droite libérale du parti de la Nouvelle Démocratie, ils croient que l’homosexualité est quelque chose qui disparaitra dans le communisme et que c’est un phénomène bourgeois ; à cause de l’histoire de la Grèce et de la lutte antifasciste pendant la 2ème guerre mondiale, la principale organisation partisane contre les Allemands était celle du KKE, l’EAM ; en raison de ces événements, le KKE a un soutien national fort (le KKE prétend qu’il a défendu le pays) ce qui, comme je l’ai dit, ici en Grèce, n’est pas du tout accepté par le mouvement. Dans bon nombre de leurs manifestations ils ont beaucoup de drapeaux grecs etc. De plus, de nombreux prêtres ont milités dans l’ EAM au cours de la Seconde Guerre mondiale, ce qui fait que le KKE n’est pas contre la religion, mais seulement contre les organisations religieuses incontrôlables. Le KKE est dans une situation très complexe et controversée

Après le syndicat du KKE, viennent de petits syndicats gauchistes, des groupes anarchistes ou des coalitions des deux. Je pense que le plus fort d’entre eux doit être l’ OЛМЕ, des enseignants des écoles, qui jusqu’à très récemment était très radicale, mais qui, au cours des deux dernières années après certaines grandes défaites, ne sont plus très forts. D’autres groupes existent, comme des groupes anarcho-syndicalistes des livreurs de nourriture (c’est la principale occupation de 15% des jeunes hommes) qui sont très forts et très radicaux ; ces syndicats sont presque totalement sous le contrôle des anarchistes et des gauchistes, principalement parce que la plupart des gens de ces opinions politiques travaillent comme livreurs. Il faut avoir à l’esprit qu’en Grèce c’est un emploi très rependu. Il y a aussi de nombreux syndicats étudiants qui sont massifs et radicaux, mais ces syndicats ne sont forts que dans les universités. En général, il faut savoir que la façon dont les syndicats sont organisés est différente dans le secteur public et dans le privé. Dans le secteur privé, les syndicats sont organisés comme des organisations politiques, par des gens qui sont impliqués dans le mouvement anarchiste / gauchiste, ils sont plus ou moins implantés dans les milieux de travail. Cela les rend plus radicaux mais moins massifs. D’autre part, les syndicats du secteur public sont légaux; ils travaillent comme de petits parlements qui représentent les intérêts des travailleurs. Chaque année, ils organisent des élections par secteur professionnel, de sorte que le syndicat peut tenir sous son influence des éléments plus ou moins radicaux. C’est un système complexe qui s’appelle le 1er, deuxième et 3e niveau de syndicats. Le seul syndicat de 3ème degré est le GSSE, les syndicats comme ОЛМЕ (par secteur professionnel) sont au deuxième degré et les syndicats de secteur privé sont au premier degré ou complètement autonome. Voila pour le mouvement ouvrier. En général, tous ceux-ci étaient assez forts il y a quelques années; aujourd’hui il ne se passe plus rien, et le mouvement ouvrier, du haut en bas, est très faible à quelques exceptions près.

Comment les masses réagissent-elles à  l’agitation?

Cela est variable. Il y a 4 ans ou 5 ans, les gens étaient très en colère; il y avait des émeutes massives et violentes. Après quatre années d’austérité et de politiques du FMI,  il ne reste rien. Les gens semblent ne vraiment pas se mobiliser du tout, les manifestations ne sont pas massives. En général, les gens ont délégué leurs espoirs à SIRIZA, le plus grand parti social-démocrate. D’autre part, certaines personnes, de la petite bourgeoise mais aussi de nombreux travailleurs, se sont tournés vers l’Aube dorée, le parti d’extrême droite / néonazi  de Grèce, car ils pensent que c’est un parti révolutionnaire. Principalement ce que je peux dire, c’est qu’il y a une forte recrudescence  de la fausse idée et rhétorique  nationale, de l’indépendance nationale comme  contre-pouvoir au FMI et au capitalisme en général (!). Ils ne comprennent pas que l’Etat national, l’identité nationale et la société divisée est exactement ce qui fait le jeu du FMI et du capitalisme en général. Vous ne pouvez pas avoir de capitalisme sans états nationaux et  sans idées nationales. Voici une grande question qui doit être analysée plus avant, et nous n’en avons ni le temps ni l’espace: Beaucoup de gens pensent que le capitalisme dissout les états ou les nations, mais ce qu’il fait vraiment, c’est de renforcer leur formation et en même temps de les mettre en crise, afin de les reconstruire de façon efficace pour l’accumulation de capital. C’est un mouvement en deux dimensions contradictoires du capital.

L’agitation dans les rues est maintenant une grande question. En général, beaucoup de gens ne participent pas, mais voient le mouvement  de façon très positive. Ce sont des gauchistes plus âgés ou des libéraux, insatisfaits de la situation actuelle. Bien sûr, il y a de grandes différences entre eux, mais ils sont en général “pro-protestation». Je pense que la principale différence entre eux est de savoir comment ils imaginent et quel genre de mouvement ils veulent: certains d’entre eux veulent un mouvement politique des organisations de gauche, d’autres, les libéraux, veulent un mouvement de “citoyens” parce qu’ils pensent que le gouvernement actuel ne sert pas les intérêts du «peuple grec » ou même de la nation grecque (une variante plus nationaliste de ce point de vue). D’autre part, il ya certains libéraux extrémistes qui pensent que la situation actuelle est ce que nous voulons vraiment, ce dont nous avons vraiment besoin. Ce sont les personnes qui soutiennent le gouvernement actuel. Il y a aussi une majorité de gens qui  ne font rien: ils ne votent pas pour un parti, mais ils ne sont pas impliqués dans des pratiques de lutte de classe. Ils essayent juste de garder leur emploi et de travailler dur car ils sont vraiment inquiets pour l’avenir, mais ils croient qu’il n’y a pas d’autre solution que de travailler vraiment dur pour ce faire. En général, ils ne se soucient pas vraiment du mouvement. Bien sûr, comme vous pouvez l’imaginer, ces catégories ne sont pas un bloc et ne forment pas un groupe social, mais il y a une dynamique entre eux: les gens passant d’une catégorie à l’autre tout le temps. SIRIZA,  en général, gagne ce genre de soutien de masse parce qu’il essaie de combiner la rhétorique populiste semi-nationaliste avec des points plus gauchistes ou  libéraux.

Qu’en est-il des émeutes de rue, certaines personnes (en particulier beaucoup d’anarchistes) s’intéressent plus à elles et oublient le mouvement ouvrier

Certains anarchistes sont plus dans l’affrontement de classe que d’autres. En général, les anarchistes en Grèce ne fétichisent pas les affrontements de rue et les émeutes. C’est plus un cliché que de la réalité. Les anarchistes en Grèce sont bien sûr la principale force sur les émeutes et les affrontements, mais ils préfèrent fortement le faire d’une manière « lutte de classe », pendant les grèves, sur le travail local ou dans les mouvements écologiques. D’autre part, ils ne sont pas dans la lutte de classe au sens  strict du mot, c’est-à-dire se battre pour un salaire plus élevé. Ils sont également dans d’autres formes de lutte de classe telles que les grandes émeutes d’expropriation, etc. Ce qui est considéré, dans le  mouvement anarchiste grec, comme une forme de la lutte, au coté des  formes traditionnelles de lutte de classe telles que le syndicalisme. Blaumachen et moi même sommes fortement “pour” ce type de lutte, car nous les considérons comme un moyen de détruire la forme marchandise d’un produit. La plus grande partie des anarchistes sont d’accord, je pense. N’oubliez pas que de temps à autre le mouvement social grec est plus “radical” et “progressif”,  comme lors des émeutes de 2008 ou des grèves de 2010 quand les gens ordinaires n’allaient pas à l’émeute comme «travailleurs» mais simplement comme « humains » qui veulent tout. Ce sont eux qui ont initié les affrontements et qui ont fait le plus d’expropriations. Ils ne veulent pas être -à ce moment là- des ouvriers, ils veulent juste ce dont ils ont besoin. Bien sûr, l’activité d’expropriation et la critique pratique de la forme marchandise pendant les émeutes est un phénomène plus complexe que ce que Blaumachen, TC, moi et d’autres ont essayés de critiquer et d’analyser, mais ce sont les grandes lignes. Il existe deux catégories d’anarchistes. Il y a d’abord une petite organisation anarchiste très célèbre appelée AK. Ils ont recommencé en 2003 et, jusqu’en 2010, ils ont été très forts, la plupart des anarchistes modernes y étant  impliqués  (j’en étais également membre) Après 2010, l’AK a arrêté toute analyse de classe et de nombreuses personnes l’ont quitté. Depuis l’AK est très «soft» dans sa rhétorique, mais très violente et militarisée dans les rues pendant les chocs avec la police. En dehors d’eux il y a aussi une relativement grande partie des anarchistes de la prétendue «armée» (вооруженный). Il s’agit principalement de membres d’organisations autour de la solidarité aux organisations gauchistes et anarchistes «terroristes», qui attaquent des banques, posent des bombes, tuent des  flics etc. Certaines d’entre eux disent apprécier la  lutte de classe traditionnelle, mais seulement si elle est combinée avec les forces armées “nihilistes”, les autres ne sont partisans que de la lutte armée. Je n’utilise pas le mot « nihiliste » en vain, beaucoup d’entre eux se considèrent comme tels, et ne lisent que de tels ouvrages.

Vous avez dit que vous (et Blaumachen) étiez fortement favorables aux formes d’activités comme les expropriations émeutes etc, mais quels aspects vous semblent les plus prometteurs : ce genre d’émeutes ou les lutte de classe de masse, économique, comme les grèves?

Je ne peux pas vraiment dire ce que pensent les gens de Blaumachen en ce moment, parce qu’ils sont dans une phase de réflexion et de refonte de certains de leurs concepts. Mais je vais répondre sur ce qui est la situation actuelle, pour moi. Je pense que le fondement social du capitalisme est la marchandise. La marchandise est faite de valeur, ce qui signifie a la forme de valeur, et que la valeur n’existe que par ses formes. Ces formules doivent être circulaires: un produit est vendu; le capitaliste prend un peu d’argent, en donne aux travailleurs et garde le reste pour lui-même et pour le réinvestissement. Ensuite, les travailleurs continuent à travailler, à se reproduire en tant que travailleurs et à reproduire le capital lui-même. Puis l’ensemble du processus se répète. C’est la circulation. Marx l’a appelé circulation du capital, ou circulation de la valeur (car il est fait des catégories de la valeur: argent, marchandises,  capital constant, etc). Le capital ne peut fonctionner et se reproduire comme relation sociale que si le processus n’est pas perturbé. Pour couper la circulation du capital, à savoir la circulation des formes de la valeur, il n’y a de deux façons: par la lutte «économique» qui peut perturber le processus  de production de la valeur (Marx comme vous le savez a fait valoir que le capital ne produit pas simplement des «marchandises», mais de la valeur) ou par l’expropriation, le vol massif de magasins etc., qui perturbe la circulation de la valeur lorsque le produit est sur le marché. Cela pourrait provoquer une situation plus polarisante à l’intérieur de la ligne de production entre les travailleurs et les capitalistes. En théorie, vous pouvez le faire dans les deux sens, et nous ne préférons ni l’une ni l’autre. Mais dans la pratique, du moins comme nous l’avons vu en Europe et en Grèce, la deuxième voie est la plus susceptible d’être utilisée. La raison de la possibilité de la deuxième solution, n’est pas indifférente à l’impossibilité de la première (la lutte économique dans la production) L’augmentation de la productivité  de la force de travail, et la financiarisation du capitalisme produisent la dissolution de la classe ouvrière en tant que sujet historique. Ce pour deux raisons: la production d’une masse constante de chômage (EndNOTES a pondu un article très intéressant la dessus) qui effraie les travailleurs. D’autre part, la productivité croissante rend l’accumulation de capital de plus en plus difficile pour les entreprises, leurs produits deviennent meilleur marché, la plupart d’entre eux deviennent très agressif contre leurs travailleurs, et quelques fois, cela dresse les travailleurs contre les travailleurs d’autres capitaux ; ils croient que leur vie dépend de la survie de leur propre capital, de sorte qu’ils vont le défendre (nous avons vu à de nombreuses reprises). Si vous combinez ces raisons interdépendantes, il est facile de voir que le lieu du travail n’est plus un bon endroit pour “une rixe” avec le capital. D’autre part, ces marginaux, et les personnes exclues du circuit de capital (ils sont  chômeurs ou avec de très bas salaires pendant de nombreuses années, etc.), semblent être plus susceptibles de briser le circuit de la valeur par des manifestations massives, etc. Donc nous soutenons ce que les prolétaires eux-mêmes font. En Grèce, en Espagne, en France, et dans les Balkans, les prolétaires en tant que mouvement sont inexistants en général, en raison de ce qui précède. Bien sûr, cela ne signifie pas que nous ne soutenons pas les luttes économiques dans les lieux de production, bien sûr que nous le faisons, mais nous les voyons moins se produire que l’autre forme.

Comment les gens qui sont en train de prendre part à des expropriations, peuvent organiser? Y-a t-il des «organisations» territoriales de ces groupes ? Sinon, est-ce  une perspective réelle que ce genre de «regroupements» des expropriateurs?

Non il n’y a aucune forme d’expropriation organisée, et il n’y a pas de telle perspective. Parce que ce genre d’activité est hautement illégale et principalement pratiquée par marginaux. Il y a eu quelques projets d’organisation de marginaux en vue d’exproprier des supermarchés, mais nous ne l’avons pas fait. La seule chose que nous ayons faite, les groupes anarchistes, fut de parfois exproprier des supermarchés et de donner des produits à la population, gratuitement. Ce fut la seule chose organisée. Outre que les seules expropriations massives se sont produites au cours de manifs. La chose la plus proche de ce que vous demandez est ce qu’on appelle le «mouvement d’auto-réévaluation». C’est un mouvement qui a en particulier mis l’accent sur le problème du prix de l’électricité et du gaz. Les factures d’électricité et de gaz sont très élevées et beaucoup n’ont pas d’emploi ou ont de faibles revenus, ils sont incapables de payer, alors ils vivent sans électricité ou sans chauffage. Ce fut une action qui allait de quartier en quartier et reconnectait l’électricité et le gaz gratuitement. Bien sûr, il ya des limites à ce genre de pratique, mais pour un temps ce fut très réussi.

Que pensez-vous de Maidan? Ce n’est pas un mouvement de classe, plus une manifestation “citoyenne”, mais quelles perspectives utiles peut-elle apporter pour le mouvement communiste? Cette manifestation peut-elle conduire directement à un mouvement fondée sur la classe ?

Maidan est une chose très complexe qui m’a beaucoup occupé. Ici en Grèce seuls quelques staliniens et moi-même prêtons attention aux événements en Ukraine. Maidan est clairement un mouvement citoyen comme en Espagne et en Grèce. En fait, il ressemble beaucoup au mouvement grec Sidagma: Il n’y avait que des drapeaux nationaux, les personnes réclamaient principalement  une «meilleure démocratie bourgeoise » et un meilleur capitalisme et bien sûr il y avait quelques éléments progressistes au milieu des nationalistes, mais ils étaient tous ensemble sous l’identité abstraite de «citoyens». À l’exception du fait que les ultranationaliste étaient plus actifs et plus violents, il n’y a aucune différence entre le mouvement grec et le mouvement Ukrainien. Si nous concevons la société capitaliste comme une hétéronomie de l’individu social, comme Marx l’a dit: “La production et  la société constituée  d’individus sociaux, mais au-delà de leur contrôle direct, cette hétéronomie pose la volonté sur les individus comme puissance sociale externe”. Cela signifie que Maidan était clairement un mouvement contre la dynamique générale du capitalisme moderne des crises qui détruit et reconstruit une grande partie des rôles et identités sociales bourgeoises. De ce point de vue Maidan était un mouvement et non pas une protestation pilotée par l’OTAN. D’autre part, parce que les contradictions du capitalisme contemporain ne permettent pas la construction d’un mouvement clairement prolétarien, Maidan, ne pouvant pas donner de perspectives au mouvement des travailleurs (vous devez avoir un mouvement ouvrier préalable, pour faire cela , et si vous aviez un, vous n’ auriez pas Maidan en premier lieu), Maidan a été la réaction à la dynamique du capitalisme de crise financière moderne, mais c’était dans une perspective bourgeoise: son objectif principal était la réévaluation des sujets bourgeois comme un tout, comme sujets unis. C’est pour cela qu’on a assisté à cette hystérie nationale. La nation est exactement cela: l’unité de sujets bourgeois. Ce type d’analyse vient du fait que le capitalisme moderne veut l’extrême dévaluation d’une grande partie de la société bourgeoise, de sorte que les individus sociaux réagissent afin de garder leur structure sociale précédente ou pour construire un «capitalisme sain », un  « capitalisme pour tous ». Bien sûr, cela ne peut être réalisé, du coup, ce genre de mouvement, Maidan, Sidagma, ou même Occupy Wall Street ont une limite à leur activité, ils se retrouvent assez tôt dans une impasse comme cela est arrivé partout. Le fait est que ce genre de contradictions  créées par Maidan et ces mouvements peuvent conduire à un mouvement marginal de travailleurs. Je pense que c’est la dessus que nous devons nous concentrer, pour voir les contradictions qui découlent de l’activité de ces mouvements plutôt que ce qu’ils sont réellement. Les contradictions qui peuvent découler de ces mouvements n’auront pas les caractéristiques de Maidan, ou antiMaidan ; ils peuvent être contre et avoir une forme différente, à la fois de Maidan et de l’antiMaidan. Je voudrais également ajouter ici que l’analyse ci-dessus concerne également le mouvement antiMaidan. Si nous mettons de coté le conflit très militarisé des deux derniers mois, nous constatons le mécontentement général de la population de l’est de l’Ukraine à propos de l’accord avec l’UE, et nous pouvons voir contradictions similaires, mais à l’inverse de celles qui ont déclenché Maidan. Les gens de l’est de l’Ukraine ont les mêmes craintes et les mêmes inquiétudes au sujet de leur avenir, mais leurs vies ont été structurées et limitées par l’aire russe de l’accumulation capitaliste, avec l’accord de l’UE , ils avaient donc aussi peur que la partie  occidentale du rapprochement de  l’Ukraine avec l’Union douanière. L’ antiMaidan était le miroir exact de Maidan, non moins bourgeois et conservateur, pas moins progressiste. C’était un mouvement des sujets bourgeois orientaux dans leur ensemble comme unité. La principale raison pour laquelle la crise ukrainienne a pris cette forme et non pas celle de l’Espagne ou de la Grèce (je veux dire la forme d’une petite guerre civile et pas seulement un mouvement civil) c’est la contradiction principale de l’Etat ukrainien, qui était incapable de rejoindre le capitalisme général, à cause se son incapacité à adapter l’économie de l’Est depuis de nombreuses années, économie qui avait une composition organique de son capital très différent de celui de l’Ukraine occidentale. Ce que je dis, c’est qu’il n’y a aucun moyen de comprendre pleinement les contradictions des événements ukrainiens sans une compréhension des contradictions et de la composition du capital de la société ukrainienne au cours des 15 dernières années. J’ai traduit un de mes textes sur ce sujet  dans mon blog, il est appelé « chant de la mer noire »

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