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Blog Réalité : « Israël attaque sur tous les fronts pour démontrer qu’il est fort même sans les États-Unis »

Israël attaque sur tous les fronts pour démontrer qu’il est fort même sans les États-Unis

Dans cet entretien que nous traduisons, Emiliano Brancaccio affirme que le gouvernement Netanyahu veut démontrer que la crise de la dette américaine et la tendance des États-Unis à limiter leur présence au Moyen-Orient qui y est associée, n’affectent pas l’hégémonie d’Israël dans la région. Les actions militaires contre le Liban, le Yémen, l’Iran, jusqu’au nettoyage ethnique de Gaza, toujours souhaité et jamais osé auparavant, tout indique que Netanyahou et les siens jouent le tout pour le tout. Ils veulent démontrer que dans la crise de l’ancien ordre américain, Israël est destiné à rester le gendarme économique et militaire du Moyen-Orient.

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Nous traduisons et publions un court entretien avec Emiliano Brancaccio, paru le samedi 14 juin 2025 sur les pages du quotidien italien L’Unità. Il nous a semblé opportun de l’offrir au lectorat francophone car il permet de comprendre la guerre en cours entre Israël et l’Iran dans la continuité des analyses que nous avons déjà présentées iciici et ici. Il nous semble toutefois nécessaire d’apporter un bémol à l’égard de l’idée contenue dans le titre de l’entretien. Le pivot états-unien vers l’Asie-Pacifique, qui implique un relatif désengagement vis-à-vis de l’Europe et du Moyen-Orient engendre, dans ces théâtres en passe de devenir secondaires du point de vue américain, des réactions ambivalentes : des tentatives d’autonomisation, encore très prudentes au demeurant, de la part des pays couverts par le parapluie sécuritaire américain, mais également des initiatives visant à fixer les États-Unis sur place. Il n’y a pas de contradiction entre les deux, et Israël ne fait pas exception dans ce cadre. À notre avis, l’attaque contre l’Iran est à comprendre à l’aune de cette ambivalence, notamment en ce qui concerne sa tentative manifeste de susciter une intervention américaine pour atteindre ses objectifs de guerre.

Israël lance des salves de missiles contre des sites militaires et nucléaires iraniens. Il s’agit d’une déclaration de guerre ouverte à l’Iran, qui semble prendre de court même les États-Unis. Dans l’attente de la réaction internationale, les ambassades du monde entier ferment leurs portes. L’heure de l’apocalypse approche-t-elle? Sommes-nous vraiment au bord d’une grande guerre? Nous en parlons avec l’économiste Emiliano Brancaccio de l’université Federico II de Naples, promoteur de l’appel sur les « conditions économiques pour la paix », publié par le Financial Times et Le Monde. (Umberto de Giovannangeli)

Monsieur Brancaccio, avec l’attaque d’Israël contre l’Iran, sommes-nous à l’aube d’un conflit de grande ampleur? La « troisième guerre mondiale par morceaux », comme l’appelait le pape François, est-elle arrivée à un tournant?

Tous les conflits actuels doivent être interprétés à l’aune d’une tendance prolongée à l’escalade mondiale. Depuis le début du siècle, nous assistons à une véritable explosion du nombre de victimes de guerre : un chiffre annuel qui a augmenté de 100 % en termes absolus et même de 600 % par rapport à la population mondiale [sic]. Nous ne comprenons rien aux guerres en cours si nous ne les inscrivons pas dans cette tendance à long terme. Y compris la dernière attaque d’Israël contre l’Iran. L’objectif est de saboter la tentative de l’administration américaine de parvenir à un accord de stabilisation avec l’Iran. Plus les États-Unis tentent de réduire leur présence au Moyen-Orient, plus Israël met la barre plus haut. Cela vaut également pour le massacre en cours en Palestine.

Dans quel sens?

Le gouvernement Netanyahu veut démontrer que la crise de la dette américaine et la tendance des États-Unis à limiter leur présence au Moyen-Orient qui y est associée n’affectent pas l’hégémonie d’Israël dans la région. Les actions militaires contre le Liban, le Yémen, l’Iran, jusqu’au nettoyage ethnique de Gaza, toujours souhaité et jamais osé auparavant, tout indique que Netanyahou et les siens jouent le tout pour le tout. Ils veulent démontrer que dans la crise de l’ancien ordre américain, Israël est destiné à rester le gendarme économique et militaire du Moyen-Orient.

Certains diront que vous oubliez l’attaque du 7 octobre du Hamas…

Au contraire. Au lendemain de l’attaque du Hamas du 7 octobre, j’ai déclaré qu’il fallait l’interpréter comme une opération de désorganisation souterraine de la région. L’objectif était de bloquer les accords d’Abraham et de contrer le corridor IMEEC sur lequel les États-Unis ont misé pour tenter de construire une voie commerciale alternative aux routes de la soie chinoise. Israël s’est porté candidat pour jouer le rôle de gendarme de cette route commerciale alternative, et la « normalisation » des relations avec les pays arabes producteurs d’hydrocarbures vise précisément cet objectif. Parmi ceux qui ont contribué à l’attaque du 7 octobre, on trouve les ennemis de cette opération, qui trouve en fin de compte toujours ses causes ultimes dans la tentative des États-Unis de redimensionner leur sphère d’influence, notamment sous la forme de protectorats commerciaux et militaires. Comme cela s’est déjà produit dans l’histoire, le peuple palestinien est la victime sacrificielle d’une terrible partie de Risk entre les puissances de la région.

Le gouvernement italien a jusqu’à présent adopté une position assez hésitante sur le massacre israélien à Gaza. Qu’en pensez-vous ?

Il faudrait se coordonner avec au moins une partie des pays de l’UE pour imposer un embargo contre Israël. Seul un choc économique et financier de cette ampleur pourrait créer les conditions nécessaires pour reprendre le vieux projet « deux peuples, deux États », qui me semble actuellement inenvisageable, totalement enseveli sous les décombres et les milliers et milliers de cadavres.

Avec le célèbre biographe de Keynes, Robert Skidelsky, vous avez publié un appel sur « les conditions économiques pour la paix ». Quels sont les espoirs concrets d’ouvrir une négociation pour la paix au niveau mondial ?

La sphère de la diplomatie est loin de cet objectif, mais il faut insister dans cette direction. Nous sommes au milieu d’une crise de l’ordre mondial dirigé par les États-Unis, qui trouve l’une de ses causes profondes dans la crise de la dette américaine envers l’étranger. Le risque que l’escalade militaire débouche sur un conflit à très grande échelle reste élevé.

En Italie, vous avez été le premier commentateur à insister sur le problème de la dette extérieure américaine comme clé pour interpréter la crise de l’ordre mondial. Vous en avez également discuté avec l’ancien gouverneur de la Banque d’Italie, Ignazio Visco, lors d’un débat très suivi sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, tout le monde commence à en parler…

La crise de l’ordre mondial dirigé par les États-Unis ne peut être comprise que partiellement à partir de la crise de ce que j’ai parfois appelé le « circuit militaro-monétaire » américain: c’est-à-dire le mécanisme qui permet aux États-Unis de s’endetter à volonté à l’étranger, y compris pour financer des opérations militaires à l’étranger. Aujourd’hui, nous savons que ce circuit s’est grippé. C’est de là qu’il faut partir pour comprendre les guerres en cours: de l’attaque de la Russie contre l’Ukraine aux démonstrations de force d’Israël contre tous ses ennemis potentiels au Moyen-Orient. Il semble que même les analystes géopolitiques de renom aient fini par le comprendre. Mieux vaut tard que jamais.

  1. Un passant
    21/06/2025 à 18:05 | #1

    Sans le soutien américain, Israël ne pourrait tout simplement pas être “le gendarme du Moyen-Orient.”

    Les USA ont financé plus de 70% des dépenses militaires israéliennes depuis le 7 octobre 2023, chiffré en dizaines de milliards de dollars. Israël est complètement dépendant des États-Unis pour l’approvisionnement en munitions, particulièrement les bombes les plus puissantes utilisées sur tous les fronts récemment, dont Gaza. Dans l’attaque de l’Iran, le soutien logistique et le renseigement américain sont indispensables pour que les bombardiers israéliens arrivent à destination, à 1700 km de leur départ en Israël.

    Je veux bien que Netanyahu ait mis Trump devant le fait accompli, une forme de chantage, mais sans “Trump”, à la suite de “Biden”, il n’y aurait pas eu de “fait” guerrier du tout.

    Ce n’est pas l’avenir du Canada d’être le 51eme État américain mais la réalité d’Israël depuis des décennies, un 51ème État particulièrement belliqueux, “avant-poste dans le conflit de civilisation, contre la barbarie…”. Qui sont les barbares ? Qui vise les hôpitaux, les civils en masse ? Qui sont les bras désarmés dans la région ?

    Je vois l’hésitation de Trump à se lancer dans la guerre en propre, si j’ose dire, comme la double conséquence de la dette américaine (déjà supérieure au budget de la défense), et à l’absence de garantie de réussir leur intervention d’élimination du risque nucléaire iranien (la fameuse bombe contre la fameuse usine sous la fameuse montagne), sans parler d’une absence de visibilité sur les conséquences aussi bien régionales qu’intérieures aux États-Unis).

    Alors il se peut que la perte d’hégémonie américaine dans la mondialisation offre un degré supplémentaire de liberté d’initiative ou de surenchère aux vassaux des USA, mais c’est dialectiquement dans la mesure où ils en sont dépendants. Netanyahu est un supplétif.

    Bref, il n’y a pas que le titre de l’article pour poser un problème, et tout son contenu pour se demander quel en est l’enjeu pour nous.

    PS : une seule chose est sûre, Israël n’est pas soumis au “parapluie nucléaire américain”, puisque selon de récentes révélations, ce pays est sans doute la 4ème puissance nucléaire au monde (300 ogives probables et non 90), ni retenu comme l’Iran par la signature du Traité de non prolifération… Vive le mensonge permanent : qui menace qui et quoi ? À qui ferait-t-on croire que la technologie militaire avant-gardiste d’Israël, avec IA oblige, est purement défensive, quand on observe son expansionnisme congénital bien réel ?

    Je dirais que tous les articles repris par Réalité ne sont pas du même intérêt, et que le choix de certains dans le cadre d’une réflexion communiste avec une perspective communisatrice est douteux.

  2. Anne O’Neem
    22/06/2025 à 11:03 | #2

    « Les Etats-Unis sont engagés dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient, sous l’autorité d’un président, Donald Trump, qui ne jurait que par la paix, le commerce et les seuls intérêts nationaux. Samedi 21 juin, Washington a comblé les attentes d’Israël et mené une opération aérienne d’ampleur contre l’Iran, afin de compromettre définitivement son programme nucléaire. 

    Après avoir fait mine d’hésiter pendant une semaine, Donald Trump a pris un risque historique, auquel ses prédécesseurs, de George W. Bush à Joe Biden, en passant par Barack Obama, s’étaient refusés. Il a donné le feu vert aux bombardiers B-2, déployés dans la région, pour viser trois sites : Natanz, lieu d’enrichissement d’uranium déjà endommagé par l’aviation israélienne ; Ispahan, où seraient conservés des stocks importants de matière fissile, et enfin Fordo, l’installation la plus enfouie, au pied d’une montagne. »

    https://www.lemonde.fr/international/article/2025/06/22/les-etats-unis-attaquent-l-iran-et-font-basculer-la-guerre-au-moyen-orient-dans-une-incertitude-totale_6615266_3210.h

  3. Lisbeth Salander
    22/06/2025 à 18:45 | #3

    Il faut peut-être arrêter de faire des prévisions péremptoires qui se révèlent caduques le lendemain….. Trump prend tout le monde de court. On a le temps de réfléchir un peu…

  4. Un passant réfléchit un peu
    23/06/2025 à 12:49 | #4

    C’est vrai qu’on se sent plus spectateur que jamais d’une actualité dans laquelle on ne peut ni agir ni même souhaiter une chose ou son contraire. En tant que communiste un peu réfléchi et dénué de naïveté politique ou démocratique, on ne va pas soutenir “le droit international bafoué” ou s’en prendre à la logique de la force contre la diplomatie dans les rapports entre nations, gesticulation d’impuissants moralistes qui n’abuse plus personne.

    Au demeurant, hormis les réactions politiques et diplomatiques convenues et sans plus d’effets que l’existence même de l’ONU ou des organismes de justice internationaux, on ne constate aucune manifestation ni appel à manifester pour les uns ou contre les autres, pas même dans les pays de l’affrontement. Et pas davantage de manifestation pour la paix. Le monde semble tétanisé devant ce concours du plus machiavélique des chefs d’État. À moins qu’une bonne partie n’approuve “ceux qui font le sale boulot pour tout le monde” comme dit le nouveau dirigeant allemand, et Macron première réaction, “Israël a le droit de se défendre”.

    Piètre consolation, c’est peut-être le plus positif, dans ce bordel mondial, que les gens et le prolétariat en particulier ne s’engagent ni d’un côté ni de l’autre ? La vie est ailleurs, chacun à ses abris.

    On ne s’attend quand même pas à ce que le prolétariat ouvrier de l’industrie d’armement se plaigne ou “résiste” à l’augmentation des commandes ; quelle aubaine : “canons à ven-dre !” . Ce serait sauf erreur une première historique, je dirais même plus, un “écart”. Et l’on mesure alors ce que ça supposerait de réflexion dans la tête d’un prolétaire qui aurait son salaire à perdre pour un monde à gagner. Je réfléchis un peu mais j’ose pas y penser.

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