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Plus anticapitalistes que révolutionnaires

“L’heure est aux “antitout” : des mouvements radicalisés, prêts à faire le coup de poing, sans programme réel. Tour d’Europe.”

A Londres, Chris Knight, un sexagénaire membre du mouvement trotskiste britannique Militant Tendency [fondé en 1964] et organisateur de la manifestation anti-G20, arbore frac et chapeau haut-de-forme ; il porte sur la poitrine une pancarte “Eat bankers !” [Mangez du banquier !]. D’autres ont pendu la poupée d’un banquier en complet-veston. Ce jour-là [2 avril], sir Fred Goodwin, l’ex-président de la Royal Bank of Scotland (RBS), honni pour s’être octroyé une retraite annuelle de près de 1 million d’euros après avoir conduit sa banque à la ruine (l’établissement a finalement été sauvé par l’argent des contribuables), était la cible de la fureur des manifestants. A Londres, la foule a franchi les barrières de police et, au milieu d’une forêt de caméras et de webcams – omniprésentes dans les manifestations postmodernes -, a fait voler en éclats les vitres du siège de la RBS, dans la City. [print_link]

Coordonnés grâce aux SMS, à Facebook et à Twitter, les sans-culottes* du XXIe siècle disposent tous des mêmes moyens technologiques, mais ils diffèrent par leurs objectifs. “Un gamin m’a dit qu’il partait faire la révolution. J’ai vu un ami à moi portant cagoule et mouchoir sur le nez”, raconte une blogueuse de 23 ans. “Ce sont des anticapitalistes, mais je ne crois pas qu’ils sachent exactement ce qu’ils veulent.” La plus grave crise économique depuis la Grande Dépression s’assortit d’un mouvement de contestation qui lui est propre. Plusieurs villes, d’Athènes à Londres et de Sofia à Dublin, ont connu des manifestations, voire des émeutes. Mais, dans l’histoire de la contestation, ce sont là des formes nouvelles. Bien que le Fonds monétaire international (FMI) lui-même compare cette crise à celle des années 1930, les manifestations n’ont pas grand-chose à voir avec la sinistre marche de la Faim qui, en 1936, avait traversé l’Angleterre depuis les chantiers navals de Jarrow, dans le Nord-Est, jusqu’à Londres. Ni avec l’idéalisme utopique de la génération de mai 1968. Pas plus qu’avec le nihilisme de la génération X, née dans les années 1970. On a affaire ici à des contestations politiquement engagées et antitout. “Ça y est, tout est anti. Le socialisme est devenu anticapitalisme et antimondialisation”, constate John Gray, philosophe à la London School of Economics et ancien conseiller de Margaret Thatcher. “Et les coalitions ratissent large. L’anticapitalisme englobe déjà des groupes qui ont des programmes non seulement différents, mais qui parfois aussi entrent en conflit les uns avec les autres.”

En France, le trotskiste Olivier Besancenot a merveilleusement bien capté l’air du temps en changeant le nom de son parti, passant de “communiste révolutionnaire” à “anticapitaliste”. Mais, pour certains observateurs, ces révoltes de la “deuxième Grande Dépression”, plus “anti” que “pro”, se révèlent très décevantes. “On a là des gamins pourris gâtés, représentants de la civilisation des loisirs, qui se filment avec une webcam en se faisant une banque ou un McDo”, résumait Jon Bew, rédacteur en chef du magazine Democratiya, lors d’un débat sur la culture contestataire sur la BBC. “Il n’y a aucune vision de l’après-capitalisme”, déplorait l’historien Tristram Hunt.

“Fumiers de millionnaires” à la une du tabloïd “The Sun”

L’intellectuel et écrivain Tariq Ali, qui était à la tête des manifestations d’étudiants à Londres en mai 1968, n’y voit pas très clair non plus. “Le choix de l’anticapitalisme est un choix opportuniste qui vise à créer une alliance entre des gens qui ne savent pas nécessairement ce qu’ils veulent, estime-t-il. Mais il peut être dangereux de faire des banquiers les boucs émissaires, car ils ne font que ce que les gouvernements les laissent faire. Même The Sun (tabloïd britannique sensationnaliste et conservateur de Rupert Murdoch) a rejoint la campagne antibanquiers.” Le journal a ainsi mis sur sa couverture une photo de banquiers titrée “Scumbag millionaires” [Fumiers de millionnaires], jeu de mots à partir de Slumdog Millionaire, le film aux huit oscars de Danny Boyle. Cette une du Sun, qui compte quelque 3 millions de lecteurs, est sans doute la preuve que les anti deviennent un catalyseur inédit de l’état d’esprit de l’opinion. “On constate actuellement un certain populisme, chez des gens que le culot des banquiers a rendus furieux”, juge John Gray. Dans les pays où les conséquences sociales de la crise sont le plus violentes, des ponts inimaginables auparavant se créent entre fauteurs de troubles à webcam et rassemblements syndicaux.

En Grèce, le jeudi 2 avril dernier, près de quatre mois après les six jours d’émeutes et de batailles rangées entre la police et les jeunes anti (pour la plupart des représentants de la génération dite des 700 euros en raison de leur salaire moyen dérisoire), un appel à la grève générale a été lancé et largement suivi par les employés des transports, les contrôleurs aériens et même les journalistes. “Le capitalisme doit payer pour la crise”, clamait le slogan commun. Pourtant, la revendication était moins “anti” qu’ailleurs, appelant à la fin de la diminution des dépenses publiques, comme l’exigent d’ailleurs le G20, l’Union européenne et le FMI. “Et nous ne vivons pour le moment que les premières conséquences sociales de cette crise”, met en garde John Gray.

* En français dans le texte.

Courrier International

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