Chili : le séisme a fait surgir les symptômes du malaise social,
Le tremblement de terre et le tsunami du 27 février au Chili se soldent par un lourd bilan matériel et humain : 497 morts “identifiés”, et sans doute plus de 800 selon un décompte officieux ; 500 000 logements détruits et 1 million endommagés ; des dizaines d’écoles, d’hôpitaux, de ponts, de routes, à reconstruire.
Le gouvernement évalue à 3,5 milliards d’euros le coût provisoire de la remise sur pied des seules infrastructures publiques. Mais il sera peut-être plus difficile de réparer les dégâts politiques, sociaux et psychologiques provoqués par une catastrophe survenue à douze jours du passage de relais, intervenu le 11 mars, entre la présidente socialiste sortante Michelle Bachelet et son successeur, élu le 17 janvier, Sebastian Piñera.[print_link]
Forte, à la veille du séisme, d’une popularité record – 84 % d’opinions favorables – et légitimement fière d’un mandat globalement réussi, Mme Bachelet rêvait de quitter la scène en beauté. La nature en furie en a décidé autrement. L’ampleur du cataclysme, qui aurait pris de court n’importe quel gouvernement, au Chili ou ailleurs, ne dispense pas la présidente de tirer les leçons de ses quelques erreurs de jugement et, surtout, des défaillances de l’Etat, dans un pays que ses citoyens aiment présenter comme le plus moderne d’Amérique latine. Et cela, bien que la popularité de Mme Bachelet n’ait pas souffert de la catastrophe : selon un sondage publié le 9 mars, 75 % des Chiliens approuvent sa manière de gérer cette épreuve.
Le diagnostic initial incorrect de la marine, excluant un tsunami, a coûté des centaines de vies. A cette méprise se sont ajoutés d’autres dysfonctionnements : une mauvaise coordination entre civils et militaires, une trop longue attente pour envoyer l’armée sur le terrain, une syncope du réseau de communications.
Dans un entretien au journal El Sur, José Antonio Viera Gallo, secrétaire général de la présidence de la République, a reconnu que lui-même n’avait pas pu communiquer avec les autorités des régions sinistrées pendant “plusieurs jours”. A cet égard, les clubs de radioamateurs déplorent que personne n’ait songé à faire appel à leurs services. Ces graves déficiences sont encore plus surprenantes dans un pays à la longue mémoire sismique. M. Piñera a promis de réformer de fond en comble et de moderniser toutes les procédures d’alerte.
Le caractère particulièrement meurtrier de la catastrophe, la peur des répliques, l’impuissance des autorités locales, l’apparente disparition de la force publique, les pénuries de produits de base, réelles ou supposées imminentes, ont favorisé à la fois une psychose du manque et un vide du pouvoir, propices aux exactions.
A Concepcion notamment, les pillards ont profité du chaos ambiant pour dévaliser, mettre à sac, voire incendier les supermarchés. Ils s’en sont pris aussi à des petits commerces ou aux simples maisons particulières. Les images de ces pillages ont profondément blessé la fierté de la majorité des Chiliens. Après ces deux journées folles, les 14 000 soldats déployés dans les régions sinistrées ont été accueillis avec un immense soulagement.
“Nous pensions être un peuple développé. Nous nous rendons compte que nous ressemblons plus à Haïti qu’au Japon”, déplore le politologue Patricio Navia. “Que nous arrive-t-il ?”, demande la sociologue Lucia Dammert. “Ce vandalisme, c’est le pire de nous-mêmes !”, lançait un reporter à l’antenne d’une radio locale.
Selon l’armée, à Concepcion, 90 % des pillards arrêtés n’ont aucun précédent judiciaire. La plupart appartiennent à un milieu modeste, les autres à la classe moyenne. La petite mafia locale a aussi profité de l’aubaine. Crainte ou remords ? Beaucoup ont, comme les carabiniers le leur demandaient, “restitué” leur butin en l’abandonnant sur des chemins.
Tout en promettant aux quelque 300 pillards appréhendés un châtiment sévère, le gouvernement a tenté de relativiser cet événement, évoquant des scènes semblables en 2005 à La Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina. Elles sont propres aux situations de catastrophe, où l’absence d’autorité entraîne une perte de confiance dans l’Etat. Pour beaucoup d’analystes, ces pillages sont révélateurs d’une fracture sociale. Dans cette région, une des plus pauvres du pays, les pillards auraient exprimé leur rage et leur frustration face à une réalité perçue, selon le sociologue Emilio Torres, comme “de plus en plus inégalitaire”.
Vingt années de centre gauche au pouvoir ont permis de ramener à 14 % le taux de pauvreté. Mais le bon fonctionnement de l’économie sociale de marché, à l’origine du “miracle chilien”, n’a pas réduit le fossé entre riches et pauvres, les premiers concentrant 45 % de la richesse nationale.
Fier d’avoir adhéré en janvier à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Chili reste l’un des pays les plus inégalitaires de l’Amérique latine. Un jeune sur quatre est au chômage. Trois sur dix ne trouvent pas d’emploi à la sortie de l’université. Entrepreneur multimillionnaire, représentant d’un
par Jean-Pierre Langellier
LE MONDE | 12.03.10 | 13h38 • Mis à jour le 12.03.10 | 20h50
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