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La flexibilité plus le chômage

‘une des caractéristiques frappantes de la crise actuelle est la synchronisation des réactions des entreprises. D’un bout de la planète à l’autre, celles-ci réagissent en même temps aux mêmes informations, et leurs anticipations sont parfaitement parallèles.

Sauf sur un point: l’emploi. Depuis un an, le taux de chômage a augmenté de 8 points en Espagne et de 6 points en Irlande, mais il n’a pratiquement pas bougé en Allemagne et aux Pays-Bas, et il ne s’est encore accru que d’un point et demi en France. Pour partie, ces écarts reflètent bien sûr l’inégale sévérité de la récession: même si les évolutions sont synchrones, l’ampleur du retournement varie d’un pays à l’autre.{print_link]

Mais l’explication ne vaut ni pour l’Allemagne ni pour l’Espagne. L’Allemagne est en effet à la fois un des pays où la chute de la production est la plus prononcée, et l’un de ceux où le marché du travail s’est le moins dégradé. Et malgré sa crise immobilière, l’Espagne ne fait pas partie des pays où le recul du produit intérieur brut (PIB) est le plus fort.

L’explication de ce paradoxe réside dans les modalités d’ajustement de l’emploi. L’Espagne est championne du monde des contrats à durée déterminée (CDD). Après la fin du franquisme, qui avait mis en place une législation de l’emploi très protectrice des salariés, le marché du travail a été “flexibilisé” à la marge par l’introduction des CDD, qui représentent aujourd’hui un tiers de l’emploi salarié, contre moins de 5% aux Etats-Unis et un peu plus de 13% en France.

Plus que partout ailleurs, le travail en CDD y est devenu un mode d’existence quasi permanent. A défaut d’être juste, cette situation était tolérable tant que durait le boom. Mais dès que la conjoncture s’est retournée, les entreprises ont mis fin aux contrats temporaires et le chômage a bondi.

A l’inverse, l’Allemagne a, depuis l’automne 2008, fait massivement appel au Kurzarbeit (travail court), qui permet d’ajuster la durée du travail annuelle à la baisse. L’entreprise réduit le salaire mensuel en proportion des heures travaillées et l’Etat compense la perte subie par le salarié à hauteur de deux tiers. Cette forme de chômage partiel est souvent prévue par les conventions collectives, et a été fortement encouragée par le plan de relance.

Les deux économies sont ainsi l’une et l’autre flexibles, au sens où les entreprises ajustent leurs effectifs et réduisent leurs coûts, mais de manière très différente. L’Espagne fait reposer l’ajustement sur l’emploi des jeunes et des moins qualifiés, quand l’Allemagne joue sur la souplesse des heures de travail et mutualise le coût social de leur réduction.

Il y a des limites à l’opposition des deux modèles. En Espagne, la construction immobilière ne se redressera pas avant longtemps et y conserver des salariés inutiles n’aurait aucun sens.

En Allemagne, une réduction temporaire du temps de travail permet d’amortir le choc pendant quelques trimestres, mais il est clair que le chômage va maintenant augmenter fortement. Si donc le contraste s’atténuera, cependant il ne disparaîtra pas. Ces choix collectifs ne s’opposent pas seulement par leurs conséquences sociales. Ils risquent aussi d’avoir des conséquences économiques différentes.

La priorité des politiques de l’emploi, dans les temps à venir, va être d’éviter que le chômage induit par la crise ne débouche sur la mise à l’écart permanente d’une partie de la population active.

C’est ce qui s’est produit en Europe avec les préretraites des années 1980, et dans la plupart des pays qui ont subi de graves crises financières. Même s’ils ne sont pas mis en retraite, des travailleurs durablement éloignés de l’emploi perdent leurs qualifications et leur motivation, et ne peuvent être ensuite réinsérés qu’au prix d’efforts considérables. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) vient d’estimer que, même après que ses effets immédiats auront été résorbés, la crise pourrait induire une hausse du chômage dit structurel d’un point et demi dans la zone euro. De manière significative, cette hausse serait beaucoup plus forte en Espagne (plus de 2,5points) qu’en Allemagne (0,5point).

La crise repose ainsi, sous un jour nouveau, la question de la flexibilité du travail. Hier, il s’agissait de favoriser les réallocations d’emplois entre secteurs et entreprises, et d’accompagner un retour graduel vers le plein-emploi. Aujourd’hui, il s’agit d’absorber un choc violent en minimisant ses coûts sociaux immédiats et ses coûts économiques à long terme. Dans un cas comme dans l’autre, certains modèles sociaux vont se révéler plus justes ou plus efficaces que d’autres.

Courriel : chroniquepisani-ferry.net
Jean Pisani-Ferry, économiste et directeur de BruegelArticle paru dans l’édition du 30.06.09

Jean Pisani-Ferrry LE MONDE ECONOMIE | 30.06.09 |

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