Avec la crise, Pékin obsédé par le risque de troubles sociaux
A Pékin, les yeux sont rivés sur l’indice de croissance. L’enjeu est de taille : en-dessous d’un certain seuil, les autorités craignent plus que tout de se retrouver confrontées à leur hantise, un chômage de masse et des troubles sociaux et politiques.
Migrants à la gare de Ningbo (Est) pour rentrer chez eux
La 4e puissance économique mondiale entre dans une zone “rouge” si sa croissance tombe sous les 8%, seuil en-dessous duquel elle ne peut plus créer 12 millions d’emplois par an, selon des chiffres sur lesquels s’accordent les analystes.
Pour la première fois en cinq ans, Pékin a vu sa croissance trimestrielle baisser, à 9%, et pour 2009 les autorités chinoises, comme le FMI, prévoient une décélération, entre 8 et 9%, en raison de l’impact de la crise financière.
“On rentre dans une période difficile”, estime Françoise Nicolas, économiste à l’Institut français des relations internationales, pour qui, sous le seuil des 8%, “on peut craindre des problèmes sociaux majeurs (…) encore plus d’émeutes que d’habitude”.
Les villages et villes de Chine sont chaque année secoués par des dizaines de milliers de protestations sporadiques, souvent violentes.
Expropriation de paysans, corruption de cadres locaux, arbitraire ou violences de la police mettent souvent le feu aux poudres. Le plan de relance colossal de 455 milliards d’euros que vient d’annoncer Pékin, avec d’énormes travaux d’infrastructures, apparaît comme un moyen de désarmorcer la bombe sociale que serait un chômage accru.
“La pression sur l’emploi est énorme, le risque social est aussi dangereux pour la Chine que le choc financier l’est pour le reste du monde”, estime Dong Tao, analyste pour le Crédit Suisse à Hong Kong.
Dans le Sud manufacturier, la crise financière mondiale a aggravé les effets d’un retournement déjà sensible. Des milliers de “mingong” – ces “ouvriers paysans” qui ont construit les centre-villes rutilants de tant de métropoles depuis 30 ans et qui seraient aujourd’hui 200 millions – commencent à regagner leurs provinces rurales, dans un reflux tout à fait inhabituel.
Dans le delta de la Rivière des perles, beaucoup ont été licenciés dans les usines exportatrices. Dans le secteur du jouet, 53% des exportateurs ont fermé au cours des sept premiers mois de l’année.
“Les migrants sont les premiers fusibles, les entreprises ferment et les patrons disparaissent dans la nature, il y a zéro recours”, relève Mme Nicolas, “certains se retournent contre le gouvernement ces temps-ci, et parfois le gouvernement (local) apporte son aide”.
Des milliers de “mingong” ont protesté sans effet devant leurs usines fermées, avant de rentrer dans leurs campagnes jusqu’après le nouvel an chinois, fin janvier, ayant perdu l’espoir de retrouver un emploi. Des campagnes où déjà 120 millions de Chinois sont au chômage.
Quant au taux officiel de chômage de 4,5% dans les métropoles, où la “population flottante” n’est pas comptabilisée, il n’est pas crédible pour les économistes. “Il y a une crainte qui transparaît dans le discours”, note un diplomate occidental au sujet des dirigeants du Parti communiste chinois, “cela les inquiète s’il y a beaucoup de chômage”.
La légitimité du PCC ne repose plus, dans une Chine désormais tout entière tendue vers le profit, que sur la croissance économique. Le soulèvement de Tiananmen en mai-juin 1989 avait débuté avec l’exaspération du peuple face à l’inflation.
On voit “une montée des crises, des gens qui attaquent des commissariats, une forme de ras-le-bol. Je ne pense pas que ça puisse prendre des dimensions nationales”, estime ce diplomate, “mais il risque d’y avoir de plus en plus de flambées sporadiques”.
Des flambées que le Parti et son redoutable appareil policier ne devraient théoriquement pas autoriser à prendre de l’ampleur. “La révolte, ça suppose des partis derrière”, dit-il. En Chine, “il n’y a pas d’organisation, pas de leader”. Mais, note-t-il, “aujourd’hui il y a l’internet”. Y compris dans les campagnes.
le 15/11/2008 à 8h32 par AFP
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