Canada : les déserteurs de l’armée US menacés d’expulsion
On estime à près de 200 le nombre de déserteurs de l’armée américaine réfugiés au Canada. La plupart restent pour l’instant menacés de déportation, mais les choses pourraient changer avec l’ouverture de la nouvelle cession parlementaire canadienne, si les trois partis d’opposition décidaient de soutenir la loi C-440.
« Un soldat, c’est juste un uniforme qui suit des ordres. Un guerrier, c’est un homme ou une femme qui suit sa conscience, et fait ce qui est juste face à l’adversité », lance Robin Long. L’ancien soldat a fuit son unité de Fort Knox, dans le Kentucky, juste avant qu’elle ne rejoigne l’Irak.
En juin 2005, il a rallié l’île canadienne de Terre-Neuve sur le pouce, avant de lancer une demande de statut de réfugié. Pourtant, le gouvernement du Premier ministre de l’époque, Paul Martin, ne l’entendait pas de cette oreille et le 15 juillet 2008, il ordonnait sa déportation aux États-Unis, où il a purgé une peine de prison de 15 mois à la base militaire de Miramar.
Pour vivre heureux, ils vivent cachés
Michèle Robidoux, porte-parole de la Campagne d’appui aux résistants à la guerre (Carg), à Toronto, explique :
« Nous travaillons avec une cinquantaine de résistants qui vivent à découvert, mais nous estimons que beaucoup d’autres restent cachés par peur d’être expulsés. »
La plupart vivent aujourd’hui en Ontario ou en Colombie-Britannique, mais il ne serait pas improbable d’en trouver au Québec, où la population est majoritairement opposée à la guerre en Irak.
La Carg a commencé ses activités en 2004, au moment de l’arrivée de Jeremy Hinzman en sol canadien. Soldat d’élite dans la 82e division aéroportée, Hinzman a demandé le statut d’objecteur de conscience avant d’être déployé en Afghanistan, où il a servi comme cuisinier. À son retour aux États-Unis, il a fuit à Toronto plutôt que d’être déployé en Irak.
Le Carg fournit une assistance légale aux déserteurs, en les assistant dans leur demande de statut de réfugié, et effectue en parallèle un travail de lobbying. Bien que l’organisme ait été créé en réponse à la guerre en Irak, Michèle Robidoux admet être régulièrement contactée par des soldats qui ne souhaitent pas être déployés en Afghanistan :
« Nous rencontrons un fort soutien du public contre la guerre en Irak, ce qui ne serait peut-être pas le cas avec l’Afghanistan, où le Canada s’est engagé. »
64% des Canadiens soutiennent les résistants
Aujourd’hui, l’espoir de Jeremy, Robin et des autres repose entre les mains de Gerard Kennedy, député libéral à Toronto et porteur du projet de loi C-440, qui permettrait d’attribuer le statut de résident permanent à un étranger qui :
« […] a quitté l’armée de son ancien pays de résidence […] du fait de ses convictions morales, politiques ou religieuses pour éviter de participer à un conflit armé non approuvé par les Nations unies. »
Pour l’instant, alors que 64% des Canadiens se disent opposés à la déportation des résistants, le Parlement a voté le 3 juin 2009 une motion soutenant les droits des opposants à la guerre. Le projet de loi en lui-même ne sera voté qu’après la reprise des travaux parlementaires le 3 mars prochain.
Le Canada, terre d’accueil ?
Il y a quelques décennies pourtant, le Canada savait se montrer d’emblée plus accueillant. On estime que de 50 000 à 125 000 citoyens américains auraient fuit vers le Canada entre 1964 et 1977, pour échapper à la guerre du Vietnam. À l’époque, le Premier ministre Pierre Trudeau avait déclaré :
« Ceux qui font le choix conscient de ne pas participer à cette guerre reçoivent mes sympathies, d’ailleurs notre politique a été de les accueillir au Canada. »
Aujourd’hui, ils sont encore plusieurs à vivre à Montréal. Ainsi, Michael Hendricks, arrivé au Québec en 1968, s’est retrouvé embauché au Québec, où il a dû apprendre le français sur le tas :
« Là bas, les gens se souvenaient des conscriptions de la Deuxième Guerre mondiale, alors je recevais un soutien massif de la population. »
Aujourd’hui, il fustige ceux qui différencient les « draft-dodgers » [littéralement « réfractaires des conscriptions », ndlr] d’hier et les déserteurs d’aujourd’hui. Il conclut :
« Leurs histoires et leurs motivations sont les mêmes que les nôtres. »
Michèle Robidoux témoigne d’ailleurs que les draft-dodgers, amnistiés en 1977 par le Président Carter, sont aujourd’hui très actifs dans la Carg.
Par Valérian Mazataud | Québec89 | 22/02/2010 | 18H20
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