“En Chine, le capitalisme alliait entreprises et Etat dès le XIXe siècle”
Comment le capitalisme chinois s’est-il développé historiquement ?
Ce capitalisme hybride est l’héritier de trois traditions. Tout d’abord celle, très ancienne, du capitalisme commercial qui existait en Chine du XVIe au XVIIIe siècle. La deuxième tradition remonte à l’ouverture forcée de la Chine dans les années 1860-1870, avec le développement de l’interventionnisme étatique. Enfin, le capitalisme chinois actuel est aussi issu du régime maoïste et de son économie dirigée.[print_link]
Que reste-t-il aujourd’hui des structures qui précédaient l’arrivée des Occidentaux au XIXe siècle ?
Ce qui persiste depuis l’époque la plus ancienne, celle du capitalisme commercial, c’est l’importance des solidarités familiales, régionales, des clans, des réseaux, des transactions informelles. Cela se retrouve dans toute l’activité économique chinoise, et particulièrement dans le secteur des petites et moyennes entreprises (PME). Faute d’accès au crédit bancaire, elles se financent généralement par leur réseau de relations, grâce à des prêts informels ou des tontines. On retrouve aussi cette tradition dans l’importance de l’oralité par rapport au contrat écrit.
L’implication de l’Etat dans l’économie est-elle un héritage du communisme ?
Non, le capitalisme chinois alliait entreprises et Etat dès le milieu du XIXe siècle : les marchands, enrichis par le commerce avec les étrangers, ont commencé à s’associer avec les gouverneurs de régions dans des entreprises mixtes. Les marchands assuraient le financement et la gestion, les hauts fonctionnaires fournissaient le patronage politique, obtenant auprès des autorités centrales des monopoles, des concessions, des exemptions de taxes… On retrouve cette association entre cadres administratifs et entrepreneurs privés dans le modèle actuel.
A cette tradition est venu s’ajouter l’héritage du régime maoïste. La réforme commencée dans les années 1980 a été très progressive. On a d’abord rendu aux entreprises leur autonomie de gestion, puis l’Etat s’est plus ou moins retiré du capital selon les situations. Certaines sont restées publiques, d’autres non, certaines ont été louées. Les statuts sont extrêmement flous.
Ni capitalisme d’Etat ni capitalisme privé tel qu’il s’est développé en Occident, le capitalisme chinois est avant tout bureaucratique. Il est impossible de développer son entreprise sans accord avec la bureaucratie pour avoir accès aux marchés de capitaux ou aux crédits bancaires, par exemple. En Chine, la maîtrise d’un réseau de relations est plus importante que la possession du capital. Les entrepreneurs privés sont appelés à violer régulièrement la légalité – soit qu’ils ne paient pas les impôts, n’appliquent pas les règlements sociaux, ne respectent pas la propriété intellectuelle… S’ils deviennent trop importants ou s’ils ne sont pas assez dociles, l’Etat peut très facilement les faire tomber. Les entrepreneurs ne forment pas une bourgeoisie conquérante, qui va revendiquer des droits, mais bien une bourgeoisie consentante, qui a les mêmes objectifs que le pouvoir, à savoir croissance économique et stabilité sociale.
La mondialisation, les entreprises étrangères qui s’implantent en Chine, l’internationalisation des entreprises chinoises, la formation des élites chinoises à l’étranger ne mettent-elles pas en cause ces particularités ?
C’est ce que disent beaucoup d’observateurs. Selon les néolibéraux, la croissance du capitalisme chinois l’amènera à converger avec les “normes universelles” du capitalisme – et même à déboucher sur la démocratie. Je ne le crois pas.
Les particularités chinoises sont bien incrustées. Les grandes entreprises ont des capitaux publics et des cadres venus du parti. Elles ne volent de leurs propres ailes que du point de vue de la gestion. L’influence des entreprises étrangères, en dehors des transferts technologiques et financiers, est limitée. Celles qui réussissent le mieux sont celles qui acceptent la coopération imposée par les Chinois. Quant aux jeunes formés à l’étranger, ils amènent des éléments nouveaux, certes, mais ils doivent respecter les normes culturelles, telles que la solidarité familiale. C’est une société qui n’est pas aussi proche de l’Occident que pourraient le faire croire ses gratte-ciel !
LE MONDE ECONOMIE | 22.02.10 | 17h04
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