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Une critique de la revue “Théorie Communiste”, de la communisation…

Après quelques hésitations, notament du fait du coté “inside joke” et des références qui ne parleront souvent qu’à un tout petit milieu, également à cause  de la virulence de certains éléments critiques , nous publions finalement ce texte qui présente, à partir d’une démarche personnelle, une critique très construite et très intéressante des derniers débats qui traversent le micro milieu de la communisation. Comme ce texte est publié sur internet, nous nous considérons légitimes  à le signaler, même si son auteur a souhaité rompre tout lien avec dndf…

Pour en finir avec mon communisme-théorique

Le présent texte fait le point sur mon rapport au communisme, en tant que théorie, système d’idée, but ou chemin (idéal à atteindre ou mouvement dans lequel on s’engage), idéologie… S’il s’inscrit dans la continuité des précédents, notamment en ciblant particulièrement Théorie communisme, il rompt avec la violence par laquelle je m’exprimais. À cela deux raisons. D’une part je ne peux tenir rigueur à Théorie communiste (TC), hormis certains procédés jésuites et manipulateurs et plus ou moins conscients, d’avoir été un temps son (leur) compagnon de route, dans la mesure où je suis entièrement responsable des idées que j’ai partagées, défendues, diffusées. Ces idées, pour l’essentiel, je ne les partage plus : je suis un técéiste défroqué. D’autre part la discussion sur la communisation, en tant qu’élaboration théorique d’une perspective inscrite au présent, n’avait pour moi d’intérêt qu’en rapport avec le seul corpus élaboré comme “théorie lourde”. Ce n’est plus le cas. Je précise qu’en toute rigueur, on ne devrait pouvoir tirer de ce qui suit aucun argument, qu’essentiellement sain, pour ou contre la communisation. “En finir avec le communisme théorique” est à prendre d’abord au sens propre : le communisme ne relève pas essentiellement d’une théorie. Ensuite au sens commun, à connotation péjorative, de ce qui n’est que “théorique”. C’est davantage une articulation “bien trouvée” de concepts projetés sur le réel qu’une analyse objective du réel. Pour moi, Senonevero (se non è vero è bene trovato), c’est bien trouvé mais c’est pas vrai.

Ces réflexions tiennent non à la seule cogitation personnelle, mais au fait que Théorie communiste a opéré, en deux étapes révélatrices, d’abord son engagement dans Meeting, ensuite avec SIC, un tournant théorico-pratique. Ses derniers textes permettent de saisir la cohérence entre sa théorie (au sens “restreint”, “lourd”, voire “abstrait”), et sa pratique qui, avec SIC n’est plus strictement une pratique théorique, mais le fondement d’une activité militante, si l’on veut bien ne pas réduire ce terme à la vision critique péjorative qu’en ont les communisateurs, puisqu’ils sont, par leurs activités revendiquées, des militants. Sur quoi je reviendrai, notamment à propos du texte de Roland Simon (RS) sur la conjoncture comme “concept nécessaire à la théorie de la communisation”, mais surtout à partir d’un double point plus important que cet objet central de son texte, j’entends le communisme comme combat idéologique, et comme projet, dans les termes de RS : « Dans l’objectivité du processus révolutionnaire, le communisme est projet, c’est la forme idéologique du combat dans laquelle il est mené jusqu’au bout. » – pour plaisanter, on ne sait pas si le bout est un but, du moins si l’on en croit l’impossibilité de parler du communisme comme monde débarrassé du capitalisme, et les contorsions de Léon de Mattis, dans Qu’est-ce que la communisation ?(numéro 1 de Sic, novembre 2011), qu’a épinglées Claude Guillon dans “communisation”, l’impensable projet, avril 2012. Mais l’on verra que cette ambiguïté, que j’ai relevée à plusieurs reprises depuis quelques années, participe elle-même des contradictions (au sens commun) desquelles TC ne pouvait se sortir, car elle est inhérente à sa théorie de la révolution – à la forme de sa théorisation.

Il faut comprendre que cette controverse m’est d’abord nécessaire de moi à moi, dans la mesure où la violence des textes précèdents s’explique par la schizophrénie dont j’étais atteint dans mon rapport à la théorie de la communisation. Cette schizophrénie n’est pas – même si j’ai pu la vivre aussi et la faire vivre à d’autres à nos dépens – celle dont parlait il y a quelques années Bernard Lyon (de TC), à savoir en substance souhaiter et redouter le moment révolutionnaire et ne pouvoir vivre, en attendant, que “normalement” – je ne peux vivre qu’anormalement, d’où la fonction pour moi de la poésie, en tant que je ne suis pas confronté à des difficultés immédiatement matérielles (la poésie est fondamentalement une escroquerie, un “non-sens”, bien que pas n’importe lesquels, voire notes / poétique  20 juin. Mais pour renverser et paraphraser Lacan, on pourrait dire que la poésie n’est pas davantage une escroquerie que la théorie). Ma schizophrénie tenait à ce que je ne parvenais pas à mettre en harmonie mes critiques à l’égard de TC, qui pour certaines remettaient en cause le corpus entier (par exemple dès 2006 avec Communisation, troisième courant), et la participation à une critique interne, une collaboration même distanciée, consistant à parfaire la théorie en considérant ses bases comme acquises. Un certain nombre d’élaborations me semblent toujours validées concrètement par le cours du capital (par exemple le décomposition du programmatisme, la restructuration globale du système capitaliste, la critique du démocratisme radical à l’époque de laquelle je découvrais cette théorie, grâce à quoi j’ai pu tourner la page de ma tentation alternative). Mais au-delà, l’élaboration d’une théorie de la révolution sur cette base ne l’est pas. Cette schizophrénie, source de conflits autant intérieur qu’extérieurs, il fallait que j’en sorte pour ma santé mentale. Il me semble y être aujourd’hui parvenu.

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Je pose d’emblée que j’entends par communiste quelqu’un qui s’engage dans des activités qui ont pour objectif d’en finir avec le capitalisme. Activités qui peuvent être d’ordre théorique ou pratique, si l’on veut bien considérer ces deux champs comme existant à la fois ensemble et séparément, et la différence entre strictement écrire voire diffuser des textes théoriques, et participer à des actions de combat avec une dimension physique, dans la lutte de classes. Si cette opposition a pu faire les beaux jours de la critique “ouvriériste” contre les “intellos”, ou opposer “activistes” et “théoricistes”, on la voit potentiellement s’effacer dans le projet SIC, qui associe d’ex-participants à Meeting parvenus à une rupture en apparence rédhibitoire en 2009 (2008 ? vérifier), sauf à la poursuivre “sur une autre base”, comme le disait à l’époque TC (“La fin de Meeting”, TC n° ?). N’ayant pas participé aux réunions d’élaboration de SIC, je ne sais pas si ces bases ont été discutées sous cet angle, ou fait l’objet d’un accord explicite, partiel, ou simplement tacite. Peu importe puisque ces bases, nous les avons sous les yeux avec SIC n°1 (sorti en novembre 2010 bien que la plupart des textes datent des deux années précédentes), son existence et ses contenus. Nous trouvons maintenant ces bases théorisées dans le dernier texte de Roland Simon sur la conjoncture. Il faut bien comprendre que s’agissant de Théorie communiste, un tournant s’entend d’abord comme tournant théorique; même s’il peut être présenté comme une évolution logique adéquate à celle du mouvement de l’histoire, c’est plus discrètement la nécessité de remettre en ordre une pratique théorique confrontée à son emballement (cf Le moment présent, et l’affirmation de l’éditorial de Sic n°1 : « Dans le moment actuel, la théorie comme ensemble d’activités concrètes (écriture, revue, réunion, diffusion sous de multiples formes, etc.) devient directement elle-même une détermination objective. » 

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Sur la conjoncture comme concept nécessaire à la théorie de la communisation

Je n’ai pas grand chose à redire au développement de RS. D’une certaine façon, et d’un point de vue interne à cette théorie, il présente plusieurs avantages :

– en finir avec la “détermination de l’économie en dernière instance”, dans le prolongement des réflexions d’Althusser, mais sans tomber dans son matérialisme aléatoire de la rencontre épicurienne des atomes crochus révolutionnaires.

– ranger définitivement la nécessité pour engager la révolution de conditions objectives ou subjectives au magasin des accessoires, précisément, objectivistes ou subjectivistes.

– complexifier et assouplir la présentation binaire de la contradiction essentielle (l’exploitation et particulièrement son deuxième moment, l’extraction de la force de travail), en faisant jouer un rôle à des déterminations sociales liées à d’autres instances de la reproduction capitaliste en crise. Cette complexification, dans le jeu de trapèzes técéiste conjuguant dialectique et rhétorique dans le discours théoricien, ne supporte aucune reformulation sans être déformée, voire trahie, ce que n’entend que le théoricien lui-même ou quelques rares discrets. On observe dans le milieu communiste en général et communisateur en particulier un grand flou artistique dans l’utilisation même des concepts ou des mots qui les portent, tels que prolétariat, classe ouvrière, production, exploitation, aliénation, classes moyennes, voire capitalisme – ceci bien au-delà de débats de fonds (par exemple concernant l’aliénation, entre TC et Aufhebung/Endnotes). C’est ce flou qui permet au milieu d’exister, car il crée un commun, une identité communiste qu’il est préférable de ne pas questionner. J’avoue quant à moi avoir abandonner l’idée de parler ou d’agir pour sauver le monde entier, et sentir m’éloigner de ceux qui prétendent devenir hommes nouveaux de ce monde sauvé, une fois éliminés ceux qui n’auront pas voulu l’être par eux.

Je rappelle que mon point de vue n’est pas ici de contribuer à un blindage interne du corpus técéien. Pour autant que j’en serais capable, je n’en ai pas envie. Je ne souhaite pas alimenter le fantasme totalisant dont parlait Daredevil à propos de TropLoin et autres, vu par TC. Désolé, faute de moyens à la hauteur, pour mon allergie au “dialogue” à sens unique.

Je passe sur le fait que dans ce texte de RS, les références au passé (citations d’entrée de texte) renvoient étonnamment à des (tentatives de) révolutions qui ont échoué, sur une base d’objectifs communistes dont TC et tous les théoriciens de la communisation nous disent à juste titre que, relevant de la période programmatique du communisme ouvrier, ils n’ont rien à voir avec la communisation. Merci pour la leçon de déshistorisation, à géométrie variable… Quant à Octobre, (comme la seule révolution réussie ?), la révérence à Lénine flaire bon le cynisme plus que l’humour qu’elle revendique, venue d’un héritier de l’ultra-gauche – certes à balle dans le pied – critique du bolchévisme trostko-léniniste, compte tenu de ce qui s’en suivit (ceci de ma part, supposé ancien “stalinien”). C’est à se demander si ce ne serait pas à prendre au premier degré, tant la question semble justement posée par le nouveau positionnement de TC dans le courant communisateur… (ce qu’a relevé à sa manière Bruno Astarian, Où va TC ? Hic Salta).

Le (non-)pouvoir de l’impuissance

Il faudrait certes revenir sur la fascination actuelle pour le non-pouvoir de dominer au nom du pouvoir de faire. John Holloway désamorce la communisation comme tous les marxistes impuissants qui répugnent à envisager la destruction du pouvoir capitaliste par une révolution, tournant autour du pot de la violence nécessaire en histoire, et flattant les mouvements à la mode, de Marcos aux Indignés, en passant par la Grèce, cf Nous sommes tous grecs dont les premiers mots sont : « Je n’aime pas la violence. Je ne pense pas que l’on peut gagner beaucoup de choses en incendiant des banques et en brisant des vitrines » où l’on ne voit plus trop quoi et qui Holloway soutient, dans un mouvement dont on ne saurait choisir qu’une partie, qu’un parti pris, en le privant précisément de ce qui en produit la dynamique, à savoir la violence – sympathique mais pas très réaliste.

Un fantasme de maîtrise totalisant

Pour être sincère, je suis injuste avec ce texte, La conjoncture, mais sur des points marginaux relativement à sa dynamique essentielle. Je mets en question la volonté fantasmatique de maîtriser la totalité – par exemple la reconnaissance du fait qu’on ne fait la révolution que par ultime intérêt matériel, ce qui interroge le statut de quiconque prétend en causer sans en avoir le besoin objectif, lequel sera porté à en rajouter pour donner preuve de son engagement – cf les dérives théoricistes d’hommes théoriciens, concernant le genre, cf plus bas Amer Simpson. Si “les prolos” ou “les femmes” doivent faire ceci ou cela, que les mecs qui ne sont ni l’un ni l’autre ne prétendent donc pas les auto-organiser à leur place, en Lénine communisateur – leurs activités, par où qu’on les prennent, n’ont en définitive pas d’autre sens, et c’est pourquoi (conscientes de ce grand écart ?) elles se présentent discrètes (l’absence de débats visibles ne s’explique pas d’abord par la police) et contorsionnées, pour ne pas dire contordues, comme de qui voudrait que ça chauffe, mais sans se brûler. Ce qu’on prétend qu’il s’agit de ne pas faire, qu’on ne le fasse pas.

Je pense qu’il n’est pas indispensable d’élever la conjoncture au rang de concept pour faire une théorie de la communisation au sens général (c’est-à-dire non réduite à la pensée TC). Mais peut-être la révolution n’est-elle pas théorisable, pas même un objet théorique ? Il va sans dire que si l’on prend le mot conjoncture dans son sens commun en français – au-delà même de son utilisation en économie – comme faisceau de circonstances et d’événements constituant la situation d’un objet donné à un moment donné, il est évident et quasi-tautologique d’affirmer qu’une révolution abolissant le capitalisme ne peut advenir que dans une conjoncture donnée adéquate à cette production. Hormis les avantages évoqués plus haut, pourquoi alors TC a-t-il besoin d’en faire un concept à part entière ? J’ai deux éléments d’explication.

Le communisme comme manque

Le premier est qu’il s’agit, une fois de plus, pour TC, de combler par un raisonnement ce qui fait défaut dans le réel – remarque souvent faite par Dauvé et Nesic, de TropLoin. Ici, personne ne pourrait affirmer – hormis quelques furieux “immédiatistes”, mais la mode en a passé…- que le monde vit, au présent, dans une conjoncture révolutionnaire. Pour autant, TC ne nous dit pas plus concrètement sur quels critères concrets reconnaître une telle situation, mais seulement qu’elle peut suivre des cheminements qui ne sont pas rigoureusement prévisibles (conjecturables…), parce que, selon, ils tiennent à ce que les contradictions et luttes portant sur tel moment, telle instance du capitalisme, deviennent sinon déterminantes (surdétermination, Althusser encore à quelque chose), mais au moins déclencheuses d’une “défaisance” des articulations conduisant au dépassement de la contradiction essentielle, l’exploitation. TC, comme d’habitude, se garde bien de proposer des recettes ou d’apparaître normatif. On dira, ça nous fait une belle jambe, de savoir qu’une conjoncture sera nécessaire. Autrement dit, et c’est une des raisons pour lesquelles il faut que la conjoncture s’éléve au statut de concept, le concept est vide de toute forme concrète – mais pas de considérations abstraites précises. Ben c’est normal, objectera-t-on, puisqu’une telle conjoncture n’est pas encore là… Mais de plus, j’exagère, car il y a bel et bien une représentation concrète, celle du week-end grec décrit dans Sans toi aucun rouage ne tourne… avec le commentaire fait alors par RS d’alors, repris dans sa conclusion (et le vrai faux gag sur Lénine). Dans la méthode d’élaboration de RS, qu’il veut proche de celle de Marx dans le Capital, nous savons que ce n’est pas “un exemple”, mais un point d’appui au raisonnement, une matière événementielle – telle une “lutte théoricienne” – dont RS, en tant que théoricien, tire la substantifique moelle abstraite, puisqu’aucun protagoniste grec n’avait ça en tête (sauf peut-être les rédacteurs de Sans toi…, eux-mêmes, émargeurs du “non-sujet, en tant que théoriciens participant à SIC – Blaumachen).

Ici je considère que cette théorie prend ses désirs pour des réalités, prolongeant à son concept défendant le mot d’ordre situ de 68  – ce pourrait être sa part de poésie… si celle-ci était ce qu’en dit Annie Lebrun en héritière post-surréalo-situ – on se souvient de ses commentaires sur la pancarte “Rêve générale” du 29 janvier 2009, autrement dit la (non-)revendication même, de prendre ses désirs pour des réalités, annonçant “Je lutte de classes”. Même à la poésie, je n’en demanderais pas tant, comme quoi je me situe nulle part, ailleurs ?

Nous sommes bien d’accord que toute lutte de classe particulière, locale, s’interprète comme produite (dans une conjoncture donnée…) dans et par une situation mondiale, au sens où RS pouvait affirmer en 2005 (je cite de mémoire) « les émeutes française de novembre sont un événement mondial » (La voiture du voisin, Meeting n°?). Certes, les petits ruisseaux font les grandes rivières, mais l’affirmation ne saurait trouver une réciproque telle que : les émeutes françaises vont déclencher des émeutes mondiales, ou la situation grecque est représentative de ce qui peut se passer dans le monde. RS ne dit évidemment pas ça. J’avais déjà observé qu’à aucun moment TC ne prend en compte dans son analyse un facteur quantitatif qui lui permettrait de donner à la qualité de tel événement une valeur susceptible d’être considérée comme valable à titre prospectif dans la perspective communisatrice mondiale, dont il nous donne par ailleurs quelques exigences minimales, quant à la crise en tant que crise de reproduction, sa profondeur, son étendue, etc. Nous sommes bien d’accord, précisément, pour considérer qu’une telle révolution ne pourrait réussir qu’en étant simultanément mondiale, en tout cas en de nombreux foyers quasi simultanés dans le monde, et portant le même sens explicite et conscient d’abolition du capital à un certain degré d’incandescance et de puissance. S’il y a sans aucun doute nécessité d’une conjoncture événementielle mondiale pour qu’une révolution advienne mondialement, devienne événement réellement mondial, rien dans les événements observés en Grèce ne permet de passer de l’un à l’autre, ce qui suppose un saut quantitatif et qualitatif (ce B A BA de la dialectique du concret), le passage d’un seuil dans la situation mondiale en cause, en d’autres termes l’émergence d’une conjoncture quantitativement et qualitativement nouvelle ayant bien d’autres exigences que celles ayant abouti au surgissement de cette conjoncture grecque particulière… non révolutionnaire au sens communisateur du terme (sauf à la voir d’une œil immédiatiste, “amorce” ou tentative ratée, comme Denis-Léon de Mattis à l’époque de Meeting). D’ailleurs, si les Grecs n’ont pas “franchi le pas”, cela signifie que ladite conjoncture n’était pas révolutionnaire selon les pré-requis técéistes, et pour cause, puisqu’en tant qu’événement mondial, elle n’était pas de nature (de qualité ni de quantité) à être produite simultanément ailleurs. 

Pour conclure à propos de cette première raison pour TC d’élaborer la conjoncture comme concept, je dirais que cela renvoie à la nature du rapport de TC, et particulièrement de Roland Simon, au communisme, à la théorie communiste, aux raisons pour lesquelles ils font ça, n’étant pour la plupart pas soumis à l’exploitation qui en ferait des prolétaires contraints de « réaliser leur être de classes…» [à cet égard je pense que les considérations sur le prolétariat strictement productif ne tiennent plus dans le capitalisme contemporain, et donc dans pour une quelconque perspective révolutionnaire, hors une satisfaction purement conceptuelle, à reconstruire après comme historien des choses advenues – on vous l’avait bien dit… Sur ce mode inutile, TC ne saurait avoir tort].  Je n’en dirai pas davantage, mais cela renvoie naturellement à mes considérations précédentes sur le communisme comme foi, idéologie, engagement… et ceci avec des aspects qui ne tiennent pas à l’appartenance de classe, mais à la conviction, au registre des idées.

Leurre des concepts

La seconde raison pour laquelle la conjoncture serait “un concept nécessaire à la théorie de la communisation” (autrement dit à cette théorie selon TC) recoupe la première mais de façon plus fonctionnelle, comme participant à la cohérence interne du corpus técéien (son caractère inattaquable de l’intérieur, son absence de faille de raisonnement une fois posé le noyau dur, à la manière d’une axiomatique mathématique). La conjoncture comme concept permet de répondre à certaines critiques, dont les miennes (sur l’insuffisance de la contradiction binaire de l’exploitation, qui au demeurant a dû être adaptée à l’introduction de la problématique de genre – adaptation toute de papier, puisque cette élaboration n’en est qu’à sa montée vers l’abstraction, dont on voit les besogneuses redescentes concrètes – chez Amer Simpson, par exemple, voir plus bas Homme maintenant).

L’idée m’est venue qu’un certain nombre de concepts n’ont dans TC qu’une valeur démonstrative ou explicative de la validité théorique du corpus, sans qu’ils soient véritablement nécessaires à la compréhension du moment capitaliste en question (en soi, savoir que la conjoncture est déterminante ne dit rien de plus, si on ne sait pas laquelle concrètement, et la modéliser en termes généraux n’a d’intérêt que dans le contexte técéiste). C’est ainsi que se sont construits, à mon avis, les concepts d’écart, de limites sinon de dynamique, des concepts fonctionnels pour cette théorie, qui en eux-mêmes ne contiennent rien, que le manque à combler traduisant le fait que justement, le pas révolutionnaire n’est nulle part franchi ni même annoncé par ses protagonistes – célibataires réels de la révolution. On peut considérer que le concept de cycle de luttes est pour partie, de même, un concept-leurre. Pour partie, parce que concernant le passé, on peut admettre son intérêt pour boucler logiquement des périodes du capitalisme sous l’angle des luttes de classes et de leurs conceptions d’alors (“programmatisme” ouvrier). Dans ce cas, on fait œuvre d’historien au sens propre du terme, de l’interprétation. Pour ce qui est d’accompagner la restructuration actuelle, côté capital, d’un cycle de lutte côté prolétariat, c’est beaucoup plus discutable, parce que rien ne dit que cette période de “restructuration sans fin” se boucle par une révolution communiste mondiale, aux niveaux, encore une fois, de qualité et quantité suffisants pour qu’on puisse interpréter ce moment globalement comme celui d’une révolution communiste, et pas seulement comme une période de chaos avec une impossibilité durable du capitalisme de se refaire une santé mondiale, accompagnée de poussées révolutionnaires importantes. Autrement dit, parler de cycle de luttes actuel se boucle effectivement au sein de la théorie de façon conséquente, mais du côté du réel, cela relève de la prédiction, du pari communisateur, de la foi communiste.

Théorie communiste « folie de langage » ?

Massivement, Théorie communiste relève de la philosophie spéculative davantage que Marx, qui distinguait entre critique du capital et praxis politique, et ne les mêlait pas dans un discours théorique unifiant, alors qu’il définissait pourtant une perspective programmatique au communisme, avec des transitions politiques, qui se prêtait plus au mélange des genres… De ce point de vue, il se fait comme un basculement d’une théorie (en tant que discours de représentation) qui se voudrait la plus radicalement matérialiste, en idéalisme, si l’on devait s’en tenir à ces deux catégories philosophiques. En théorie, le diable n’est pas un détail.

« Il y a chez Heidegger une sorte de folie (de langage) […] qui est peut-être le plus intéressant.» Gilles Deleuze à Henri Meschonnic, qui lui a envoyé “Le langage Heidegger”, 22 juin 1990.

Dans son numéro de mars 2012 que la revue europe consacre à Meschonnic, Serge Martin ajoute que Deleuze “avance avec de nombreuses modalisations hypothétiques l’idée d’une “folie de langage” de Heidegger […], ouvrant comme à une histoire de cette folie en philosophie.» Je ne suis pas loin de penser (j’en ai l’intuition convaincue, mais ne suis pas armé pour le démontrer) que, pour des raisons tenant au rapport de la forme (le style d’écriture) au fond (le corpus conceptuel), Théorie communiste se structure comme le langage d’une « folie de théorie », et relèverait de cette folie philosophique de langage. Il est toutefois remarquable que, depuis le tournant théorique dont j’ai parlé, les textes de Roland Simon se distribuent entre un mode d’écriture comparable à celui des plus spéculatifs (abstraits – le genre, avec fort peu de matière “théoricienne“) et un autre beaucoup plus clair (textes de Sic), par la nécessité d’être plus lisibles (c’est un euphémisme). Il est tout aussi remarquable que le texte La conjoncture tienne des deux. C’est dans la redescente vers le concret que ça dérape de façon significative,  et d’autant qu’elle est de seconde main – Femme maintenant, d’Amer Simpson, déclinant ou pensant le faire, les fondements técéistes de la critique du genre.

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Je précise, comme je l’avais laissé entendre dans une intervention précédente, en considérant que TC comportait plusieurs “sous-théories” – dont une critique du capitalisme contemporain et une théorie de la révolution communiste -, que les concepts de programmatisme, restructuration, implication réciproque (dans certaines limites), démocratisme radical… en tant qu’ils participent d’une critique pertinente du capitalisme quasi indépendamment d’une perspective communisatrice, sont à distinguer de ces concepts-leurres que je pointe relativement à la dimension théorie de la révolution et à son fonctionnement idéologique bétonnant son noyau dur – structuré  comme un inconscient. Je considère que la partie théorie de la révolution est massivement une théorie du manque révolutionnaire, construite sur l’articulation entre concepts-leurres dont j’ai parlé et des concepts proprement nécessaires à l’analyse du présent.

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Quel tournant théorico-pratique de Théorie communiste ? Le communisme comme idéologie et projet, ou la nouvelle alliance

Le texte sur la conjoncture comporte, je disais, compte tenu de ce que je pense de l’intérêt conceptuel, deux points qui me semblent plus importants, parce qu’ils permettent à cette théorie de se mettre à jour théoriquement avec sa pratique théorique (SIC), et en non contradiction de le faire au côté d’anciens protagonistes de SIC (Léon de Mattis pour le plus en vue), avec lesquels la rupture, à la fin de Meeting, semblait consommée. Je ne connais pas les épisodes détaillés de leur histoire… Ce qu’écrit Roland Simon à propos d’idéologie, que je ne discute pas dans ce contexte, se comprend assez bien pour moi comme réponse aux critiques que j’avais formulées ces derniers mois, dans des textes que j’ai un temps mis de côté, compte tenu de leur outrance polémiste. Les déductions que j’avais faites, à leur style près et leur formulation non théoricienne à proprement parler, sont en quelque sorte prises en compte, comme de réels problèmes, et retournées positivement pour justifier le tournant dont je parle. Il devenait inévitable de reconnaître, logiquement, ce qui était nié auparavant – en particulièrement contre Léon de Mattis sous le pseudo de Denis dans Meeting – que le communisme relève d’un projet. Y voir un projet sous-entendait alors pour TC une activité en ce sens, une pratique au-delà d’une théorie, une pratique suspecte d’activisme immédiatiste. L’activité théorique liée à ce projet, SIC en première étape, nous l’avons sous les yeux, avec le premier numéro, la programmation annoncée du second, et les activités de diffusion ciblées. Les nouvelles bases pour travailler ensemble se sont construites chemin faisant, et trouvent un nouvel équilibre transitoire, comme Théorie communiste un débouché à sa fuite en avant. On peut dire que ces deux tendances, à l’activisme d’un côté, au structuralisme de l’autre, étaient de nature à se rencontrer, faces d’une même monnaie. Il n’y a plus à ergoter : “Roland Simon” est identique à “Léon de Mattis”, en tant que leurs activités ne peuvent exister qu’ensemble, la théorie ne peut être diffusée que dans une forme qui la contredit – c’est le prix à payer, le pas affranchi. On peut même, avec humour, considérer que cela tient à la conjoncture présente, dans laquelle rien ne s’annonce d’une révolution communiste. L’annonce en est marrie.

La contradiction entre “activistes” et “théoricistes” a disparu, sous certaines conditions (en rejetant ses extrêmes immédiatistes ou par trop universitaires si elles existent*, hors de SIC). Ces conditions supposent que les désaccords ne soient pas mis en avant, puisque l’édifice s’effondrerait. Peu importe, car la dynamique n’est pas à ces désaccords, et le pari est fait qu’elle n’y reviendra plus. Cela ne signifie pas qu’il n’y en aurait plus, mais que ces convergences nouvelles justifient de les passer pragmatiquement derrière les élaborations solidifiant la revue, dans son contenu comme dans sa diffusion. Je n’insiste pas sur ce que porte, en creux, le texte de Léon de Mattis définissant la communisation en la déproblématisant (SIC n°1), ni celui proposé concernant les classes moyennes, auquel un certain Alain C. a déjà porté de sérieux coups, concernant la velléité de fabriquer un sujet révolutionnaire adéquat à certaines pratiques militantes, sur la base d’une approche théorique qui ne serait rien sans TC. Les désaccords sont à lire en creux dans ce texte, entre les lignes.

* Sans assimiler aux communisateurs les tenants de la Critique radicale de la valeur, il y a des points communs dans leurs critiques de l’économie politique (le côté post-structuraliste), mais on note qu’ils ne sont pas fort portés sur la lutte de classes, ni même sur aucune lutte comme déterminante pour abolir le capital (le “capital-automate” de Postone). Par ailleurs, les auteurs d’Endnotes, participant à SIC, m’apparaissent davantage théoriciens du capital que de la révolution, ce qui ne semble pas poser de problème à la dynamique fondamentale, dans SIC, de la confrontation franco-française, à laquelle sont intéressés les Grecs, au cœur de ce qui l’alimente actuellement.

Un corollaire à tout cela, qui est loin d’être complet et d’épuiser ce que je pourrais en dire, c’est une question adressée à tout ce petit monde : si c’est le prolétariat acculé qui doit faire la révolution, à quel titre y participe-t-on de cette manière anticipée, quand on en n’a pas un furieux besoin matériel ? Pour certains, la réponse me semble claire, plus qu’un besoin de communisme – qui n’aurait alors rien à voir avec ce qu’ils théorisent -, c’est un besoin de théorie, plus exactement de communisme-théorique (comme on dit humanisme-théorique). Pour d’autres, c’est le besoin d’agir contre un monde qu’ils ne supportent plus, et de le mettre en perspective révolutionnaire, ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui font la lutte de classes telle qu’elle est au présent, c’est-à-dire massivement, voire exclusivement, non révolutionnaire. Question subsidiaire, peut-être déjà posée : si tout le prolétariat n’est pas révolutionnaire dans la communisation, voire si la “frange communisatrice” y est minoritaire, mais qu’émerge une fraction importante de communistes, y compris hors du prolétariat, quelle est la nature de ce sujet révolutionnaire ? (les Grecs ont déjà considéré qu’il s’agissait d’un “non-sujet”…). À mon sens, et hors d’une vision conceptuelle très éloignée de ses formes d’apparitions, affirmer que c’est le prolétariat qui fait la révolution n’a plus beaucoup d’importance. Il est tautologique de dire que seuls les communistes seront révolutionnaires, et réciproquement (pour TC ceux qui n’étaient pas prolos avant auront été prolétarisés le temps de faire la révolution…). Ceci parce qu’ils mettront en œuvre leur projet. Ce projet dont ces “préviseurs” ont déjà commencé à faire un programme communisateur – les “mesures” communisatrices -, et pour lequel, par leurs activités théoriques objectivement déterminantes organisées, ils ont posé les bases sinon d’un parti, de la nécessité d’une organisation communisatrice, ce qui rend caducs leurs développements hérités de l’ultra-gauche et relativise leur anarchisme…

Homme maintenant : les concepts ne font pas l’amour

Le texte d’Amer Simpson, “Femme maintenant“, dans sa description du présent, même si j’en suis le raisonnement abstrait, me paraît, par ses absences et sa méconnaissance du rapport homme-femme en certaines dimensions notamment sexuelle qu’il ramène globalement à ses extrêmes – au nom d’une critique conceptuelle aussi sourde à la qualité et à la quantité, concrètes, que la théorie mère de TC dont il accouche ce texte repoussant -, un monstrueux avatar de la théorie que je mets en cause, concernant les rapports des hommes et des femmes… La critique du genre – un certain Jayce l’avait noté sur DNDF, relevant le puritanisme lié à cette critique du genre  – fait écrire n’importe quoi à des gens dont on se demande, même si le problème ne peut s’approcher de façon personnelle, singulière – ce qu’ils vivent, ont vécu, savent de quoi et comment les gens vivent. Aragon écrivait “Est-ce ainsi que les hommes vivent ?”. Signe des temps, un roman récent lui répond en écho “Est-ce ainsi que les femmes meurent ?”… Imagine-t-on seulement une femme (singulière comme Amer Simpson est, sauf erreur, un “homme maintenant”) écrire ce texte ? Comment un homme peut-il écrire une chose pareille et continuer à toucher une femme ? D’où parle-t-il, si ce n’est de sa singularité ? Se demande-t-on pourquoi la métaphore (qui n’en est plus une chez lui) de la prostitution est si peu venue en théorie à propos des prolétaires hommes, qui ne font pourtant que vendre leur force de travail – donc à la base, leurs corps – au capital ? A-t-on vu un-e théoricien-ne parler des prolos “tous des putes” ? Je ne sais pas si cela existe chez les théoriciennes de l’abolition du genre, mais pourquoi cela vient-il justement sous la plume (c’est un euphémisme) d’un homme singulier à propos des femmes en général ? Qu’est-ce que porte singulièrement,avec ce texte, Amer Simpson, qui serait du côté de l’insistance culpabilisée à nous administrer je ne sais quelle preuve de son adhésion d’homme à la cause de l’abolition du genre “pour les femmes” ? auxquelles il distille in fine ses conseils dérisoires de lutter néanmoins pour le travail et la sécurité, dans  une chute técéiste dont il a le secret, un secret qui ne mange pas de pain. Je prends ce texte comme un symptôme complémentaire, du côté de la dérive spéculative et du pouvoir de possession de l’abstraction, de ce que j’ai pointé sur le versant pratique concernant Théorie communiste, dont Amer Simpson est un des plus fidèles suivistes [il s’est empressé de fourguer de la conjoncture dans ses interventions récentes, au demeurant intéressantes comme analyse des mouvements type Indignés, Québec…]. Dans peu, le désir sexué deviendra contre-révolutionnaire, sans parler de l’amour, on aura bel et bien renversé 68…

Communisme but “vs” communisme chemin

Quant à la distinction entre communisme comme but (état du monde débarrassé du capital), et mouvement (“chemin“), que j’ai longuement abordée précédemment, on comprend mieux ce qui fait le fond des thèses de TC. Parler du premier vous fait suspecter d’idéalisme. Parler du second comme le fait TC, avec son identité entre mouvement du communisme et cours du capital, apporte une réponse déjà là; il ne s’agit plus que de savoir « Comment une classe…», étant considéré acquis qu’elle le fera, qu’elle le fera en tant que classe. Le mouvement du communisme décrit l’arc historique par lequel, par sa contradiction au capital et via le prolétariat, l’humanité sort des sociétés d’exploitation… Certes, TC ne fait pas « bouillir les marmites de l’avenir » (Marx) au-delà de la révolution, dont on ne peut rien dire du but positivement, mais bel et bien chauffer les casseroles de la communisation, considérant le « processus révolutionnaire » comme « objectivité », et donc, logiquement, comme relevant d’un combat idéologique et d’un projet.

En définitive, mes remarques rejoignent ce qui est pour le moins le scepticisme de Christian Charrier (La Matérielle) parlant de Syllogisme prolétarien, et de Daredevil Sur Théorie communiste, Daredevil décembre 2007. Voir leur discussion de 2003. Charrier parlant de l’intérieur se condamnait à ne pas pouvoir dire ce qu’il pensait, ce qu’il était aisé à RS de remarquer. Daredevil pouvait être gentil à une époque où TC n’avait pas encore mis ses casseroles sur le feu… Autrement dit, le concept de conjoncture, à la suite d’autres, devient nécessaire à la théorie pour masquer une faiblesse qu’elle a bien entendue de multiples parts, mais face à laquelle elle ne peut que fuire en avant, dans un couple théorie/pratique insécable présenté comme objectivité au présent, à croire et prendre sur parole. C’est pourquoi il est impossible de faire une critique radicale de Théorie communiste en demeurant dans le petit milieu théorico-activiste. On s’y retrouve étiqueté comme leurs dissidents par les Témoins de Jéhova. C’est pourquoi désormais l’ordre règne chez Patlotch, roi de son non-pouvoir, prince de son désordre radical qu’il est le bien le dernier à vouloir maîtriser. Liberté bien désordonnée commence par soi-même.

L’engagement communisateur selon cette théorie

Être communisateur aujourdhui (du moins au stade théorique, le seul possible), relève comme je le disais précédemment d’un choix idéologique, d’une adhésion, et non d’une nécessité que produirait au présent la lutte de classes, si ce n’est dans la théorie qui se donne pour son expression objective : on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Comme cette théorie n’est portée que par ceux qui l’élaborent, au sens large (SIC), on peine à penser qu’ils puissent s’abstraire en toute bonne foi d’un rôle de guide, voir d’avant-garde. Ils peuvent en critiquer d’autres sur ce point. Ils ne peuvent plus échapper à leur propre critique. Bref, la théorie communisatrice n’en a pas fini avec l’essence, la nature, du sujet révolutionnaire…

Positivité communiste

Un autre point de désaccord essentiel que j’ai avec cette façon de mettre en perspective une possible communisation, ce sont les éléments positifs actuels, dans l’activité humaine, à partir desquels il peut être produit comme “état” (je mets des guillemets pour éviter toute confusion avec État. Je ne trouve pas d’autre mot, et je fais aussi allusion aux mots de Marx et Engels dans l’Idéologie allemande : « Le communisme n’est pour nous ni un idéal, ni un état…»).

Je me suis trompé (je crois l’avoir déjà reconnu), en considérant qu’il était nécessaire de parler positivement du communisme comme état post-capitaliste, autrement dit de le décrire sous un jour attractif à même de lui apporter des adeptes (double idéalisme, de prévisionniste, et de militant). On a beau jeu d’y voir de l’idéalisme, ou pour le moins un moteur dans la subjectivation révolutionnaire – nonobstant la puissance de la négation (de la négation), il ne suffira pas d’agir que pour détruire, de faire “table rase”, de considérer que « tout ce qui existe mérite de périr » (Faust Gœthe détourné par Marx et repris par un membre de TC). Vrai que cela vous pose comme plus radicalement radical que tout le monde : plus révolutionnaire que moi tu meurres, on a déjà entendu ça sous tous les registres…

Ce qui importe à mon sens, c’est de considérer que nombre d’activités humaines actuelles, même menacées et/ou redéfinies par le contexte capitaliste, portent des potentialités de reconversion dans un contexte de monde non capitaliste, non échangiste, non marchand, selon d’autres critères de valeur, sans jeu de mot, en admettant qu’à défaut de droit, d’Etat, le nouveau monde produise ses propres valeurs déterminant les nouveaux rapports entre individus, communauté, comme on voudra…

Naturellement, et c’est en quoi je suis d’accord avec les communisateurs, ce ne sont pas des activités susceptibles en elles-mêmes de détruire les rapports sociaux capitalistes. Il importe de ne pas créer la moindre illusion en ce sens, y compris de les combattre (idéologiquement, donc) en ce qu’elles prétendraient porter, au-delà d’un mode de vie de fuite, une stratégie de fuite possible vers “un autre monde”. Je ne suis pas loin moi-même d’y avoir recours à ma manière, mais je ne le confonds pas avec une activité proprement révolutionnaire.

Pourtant, cela ressort de l’évidence pour tout un chacun et sans besoin de théorie, c’est dans un premier temps sur la base de ces activités, c’est-à-dire de ces connaissances, de ces savoirs-faires, de ces techniques, de cette imagination créatrice, etc. dont les exemples sont multiples, que la communisation pourra conjuguer la destruction de l’ancien et la construction du nouveau, et faire en sorte que l’humanité, au moins survive dans le chaos et les adversités destructrices – c’est pourquoi, au demeurant, il importe que la communisation n’apparaisse pas sous un monstrueuse utopie nihiliste. Tout simplement parce qu’il y aura encore histoire, mouvement historique, transformant un existant selon une logique de survie et de vie commune, serait-elle conflictuelle.

On notera que bon nombre de ces savoirs, de ces connaissances, de ces techniques, sont le fait de catégories de la population qui ne sont pas des prolétaires directement liés à la production (de plus-value), et l’on ne peut réduire leurs activités, même si le contexte capitaliste les (re)définies dans leur intérêt marchand ou reproducteurs du système, à leur définition capitaliste. C’est évident, sous réserve d’inventaire – qu’il ne s’agit pas de faire non plus – dans les domaines de l’agriculture (manger pour vivre), du l’habitat (avoir un toit), de la santé (lutter contre les maladies, la mort), sans parler de la teneur de moult échanges inter-individuels ou collectifs désintéressés (dont ceux-là mêmes desdits communisateurs) etc. Mais il est vrai qu’à force de confondre humanisme au sens commun et humanisme théorique, certains doivent être proprement déchirés.

Pourquoi diantre ne faudrait-il pas y voir une positivité, une capacité présente des individus humains, prolétaires ou pas, de vivre sans le joug capitaliste et la loi de ses valeurs ? Une positivité sur laquelle seront produites d’autres valeurs ? Des valeurs communistes… Une telle considération est hors champ des élaborations de Théorie communiste, soit qu’elle relève d’une évidence (ils nous diront bientôt qu’ils ne sont pas contre, que seulement ils n’en parlaient pas jusque-là… que cela n’est pas faux mais ne sert à rien… comme ils l’ont fait naguère à propos des femmes, et comme plus généralement ils sont capables de dire le contraire de l’avant-veille en le présentant comme continuité de leur théorie, du fait de son évolution objective avec le cours capital…). Voilà qui me semble relever davantage de l’amour propre que de la recherche théorique, mais celle-ci semble par moment importer moins que la réputation du théoricien… d’être quelqu’un qui a tout vu avant tout le monde et qui depuis ne se trompe jamais.

Le problème, c’est que prendre en compte de telles considérations est incompatible, sauf à ce qu’elle change de base strictement prolétariste, avec ce qui définit Théorie communisme. À trop avoir considéré, quelque part, que le communisme est “identique” au capitalisme, il faut croire que cela vaut pour la théorie “adéquate” aussi. Tel sera pris qui croyait prendre.

Il n’y a pas ici pour moi de mistigri : le communisme théorique n’échappe pas de l’humanisme programmatique, mais ce constat est dénué de sens et d’importance pratiques, l’humanité ne se posant jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre…

(à corriger, à modifier, à suivre, ou pas, je verrai…)

LA SOURCE: le site de Patloch

  1. amer simpson
    07/08/2012 à 22:38 | #1

    Quoi dire ? « Je me sens comme un cheveux prolétarien dans la soupe des ingénieurs. »

    Étrange ou douteuse, cette façon de confondre mon rapport avec TC comme une rencontre (sous la forme d’une dégringolade) de la théorie restreinte de TC avec un prolétariat concret qui écrit sans retenu des grossiertés ?
    Étrange, parce que je suis bien se prolo qui s’improvise théoricien de la révolution sans avoir les capacités académiques de s’y prêter avec autant de rigueur… tout simplement parce que je n’ai pas fait long feu sur les bancs d’école et que j’ai vécu dans la rue un bout temps pour finalement travailler dans des shops.
    Douteuse parce que tout cela ne prouve rien sur TC et sa théorie mais aussi parce que de tels propos construisent un rapport asymétrique entre la théorie restreinte et la théorie générale comme si les prolétaires avaient pour objetif de s’approprier la théorie restreinte et non de produire leur propre théorie en relation avec la théorie restreinte déjà existante; les prolos ne s’approprient pas la théorie, il la produisent comme ni générale ni restreinte mais comme activité de lutte.
    Bref, la théorie n’appartient pas plus à TC qu’à l’académie des sciences et je ne vois pas en quoi le fait que mon activité théorique devrait se plier aux exigences académique du rigorisme scientifique sans quoi elle sera ridiculisée, insultée et discriminée. J’écris avec les moyens et les connaissance que j’ai et je ne vois pas en quoi mes difficultés littéraires serait suffisantes pour juger de mes idées et de ma personne.

    De quel homme parle-t-on lorsqu’on se demande comment un homme peut-il toucher un femme après avoir écrit des choses comme ça… comme quoi ? Est-ce qu’il s’agit d’un homme qui travaille le jour comme un gars et vie le soir comme une fille; d’un homme qui fut jadis une femme avec vagin; d’un homme qui aime les hommes… faudrait voir de quel homme il s’agit avant de conclure que tous les hommes ont une façon commune donc normale de toucher une femme.
    C’est du jolie de ramener tous les hommes à celui qui dit NÉCESSAIREMENT des choses ou des termes que les femmes ne diraient pas… et par là même occasion, de remettre les femmes à leur place en rendant inimaginable une femme qui parlerait en ces termes.

    Du jolie n’est-ce pas, tout comme cette notion religieuse de la culpabilité qui sert plus souvent qu’autrement à minimiser la réalité que vivent les femmes et à nier que nous sommes le simple produit prolétarien des détermination sociales du capitalisme; la conscience malheureuse du problème n’est jamais la solution positive qui permet de sortir du problème, au contraire, on ne fait que perdre des illusions sur ce qui nous détermine comme classe du capital sans devenir pour autant moins prolétaire.
    La question n’est donc pas de se sentir coupable (ou non) mais de se sentir révolté d’être entièrement des prolétaires sexuées et exploitées et rien d’autre.

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