Accueil > Nouvelles du monde > Des favelas plus tout à fait comme les autres….

Des favelas plus tout à fait comme les autres….

bresil_rio

Dans la série “la restructuration capitaliste, c’est pas si simple”, au coté des multiples outils de la Disciplinarisation, le capital en marche utilise aussi des moyens “fordistes” de gestion de la force de travail. (cf “a fair amount of killing” : http://dndf.org/?p=2272)

Dans la favela Dona Marta, à Botafogo, au sud de Rio de Janeiro, Igor Nascimento Lourenço, 12 ans, jauge le vent et prépare son cerf-volant. Un geste habituel dans tous les quartiers de la ville. Mais ici, cela a une tout autre signification. Dans les favelas de Rio, les trafiquants ont toujours obligé les gamins à déployer leurs cerfs-volants pour signaler l’arrivée de la police. Dona Marta est l’une des cinq favelas de la ville d’où la police a chassé les criminels, il y a un an. Désormais, Igor sait qu’il ne court pas le risque d’être confondu avec un guetteur.[print_link]

Pour entrer dans une favela dominée par le trafic, il faut, au préalable, téléphoner à l’association des habitants. Comme l’Etat de Rio prétend que celle de Dona Marta a été libérée, j’ai décidé de m’y rendre sans prévenir personne. Avant de gravir la favela, je suis passé par le poste de police. Un policier souriant, tapant sur son ordinateur portable, m’a accueilli d’un “vous pouvez y aller, c’est tranquille”. Un policier sympathique ? Avec un portable ? J’ai pris un funiculaire – inauguré en mai 2008 – qui m’a amené presque au sommet car la dernière station est hors service. Les deux mille personnes qui l’empruntent gratuitement chaque jour ont vu des touristes se joindre à eux pour voir la favela de près, profitant du climat de paix. Dans les ruelles bondées, des gens montent et descendent, les radios déversent leur musique à plein tube, l’odeur unique des égouts de la favela flotte dans l’air. Sur les toits, pas de bandit à l’horizon. Malgré cette évolution positive, la méfiance est toujours de mise. Presque personne n’accepte de parler. On craint que la police s’en aille et qu’il faille alors rendre des comptes.

Dona Marta a été la première favela de Rio à disposer d’une Unité de police pacificatrice (UPP) qui a succédé au Batalhão de operações especiais, le redouté BOPE [unité d’élite de la police militaire de l’Etat de Rio] dont la mission était de pourchasser les trafiquants. Les membres de l’UPP restent en permanence dans la favela. Ils sont jeunes pour la plupart et ont une formation de “surveillance communautaire”. Ils ne sont pas là pour se battre. Le capitaine Hugo Coque, présent dans la favela de Babilônia/Chapéu Mangueira [au sud-est de la ville], est l’un d’eux. A 23 ans, il a étudié à São Paulo, suivi un enseignement en droit, puis la formation des officiers de la police militaire (PM). “La population a déjà compris que nous sommes ici pour les aider, dit-il. Elle nous a bien reçus.” Le commandant Felipe Lopes, 27 ans, est là aussi. Pendant qu’il discute avec moi, il est défié par Gabriel Souza, 10 ans. “Tu vas prendre une raclée, tu vas voir”, lui lance le petit. Dona Percília da Silva, présidente de l’association des habitants de Chapéu Mangueira, âgée de 70 ans, aperçoit le commandant et vient pour discuter. Felipe Lopes sort un carnet et prend des notes sur ce qu’elle dit. C’est difficile à croire. Si je n’étais pas arrivé par surprise, je croirais au coup monté. Auparavant, les trafiquants empêchaient les habitants de parler avec la police.

Dans la favela du Batam, à Realengo, à l’ouest de la ville, c’était la milice – et non les trafiquants – qui imposait sa loi de la terreur. En mai 2008, des membres de l’équipe du journal O Dia y avaient été torturés par des miliciens. J’y suis entré dans une voiture banalisée. Des habitants m’ont raconté que la milice avait ses tarifs : les “grands” commerçants par exemple payaient 150 reais [56 euros] par semaine ; les autres, 100. Les miliciens contrôlaient la distribution du gaz, ils avaient également la mainmise sur la télévision par câble clandestin. La police a arrêté une partie d’entre eux et les autres se sont enfuis. Aujourd’hui, le Batam voit les véhicules des entreprises de gaz circuler librement et la télévision par câble est arrivée officiellement.
Il est incontestable que les favelas où la police est présente sont plus tranquilles. Mais cette présence n’a pas entraîné de baisse significative de la délinquance. A Dona Marta, le vol à l’étalage a même augmenté de 50 %. Cependant, d’autres délits, comme le vol de voitures, ont chuté dans les mêmes proportions. “C’est un travail de longue haleine. La délinquance ne va pas disparaître parce que les criminels sont partis ailleurs. La favela ne va pas devenir un havre de paix simplement parce que la police y est arrivée”, rappelle José Mariano Beltrame, secrétaire d’Etat à la Sécurité. “Nous aurons bientôt des enfants nés à Dona Marta qui n’auront jamais entendu un tir de carabine. A partir de ce moment-là, la criminalité chutera”, ajoute-t-il. Personne ne sait si cette méthode va se pérenniser et s’il est possible de l’appliquer dans les quelque mille autres favelas de l’Etat. Personne ne sait si un nouveau gouvernement poursuivrait ce programme ou s’il ne s’agit pas en définitive d’une carte postale électorale. Mais ce qui est sûr, c’est que la présence policière commence à donner des résultats inimaginables. Il y a quelques jours, des habitants du Chapéu Mangueira ont organisé une manifestation. Ils réclamaient un réseau d’égouts, l’électricité et des structures de loisirs. Une manière de se considérer comme des citoyens ordinaires.

Courrier international

Categories: Nouvelles du monde Tags:
  1. Pas encore de commentaire
  1. Pas encore de trackbacks

%d blogueurs aiment cette page :