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Fini la peur, les riches ont la rage

Le 20 septembre, la chaîne économique de télévision américaine CNBC diffusait une rencontre entre Barack Obama et un groupe d’Américains – petits entrepreneurs, cadres d’institutions financières, salariés, retraités, étudiants… – représentatifs de ces classes moyennes dont on répète ici qu’elles ont été les plus touchées par la crise.
En réalité, les classes moyennes dites “basses” (précarisées) ont été plus affectées. Mais, à six semaines d’élections législatives générales, la Maison Blanche avait choisi cet échantillon parce qu’il est politiquement utile : il vote plus que les moins fortunés. S’il n’en était pas encore conscient, M. Obama put, une heure durant, se faire une idée des angoisses et de la rogne qui, jusque parmi ses partisans, se sont emparées de ces classes moyennes. Comme souvent avec un panel représentatif, tout et son contraire lui fut reproché. Beaucoup jugèrent qu’ils n’avaient pas de “plan de sauvetage” clair pour relancer l’économie. D’autres au contraire qu’il en avait un, transparent mais néfaste.[print_link]

La plupart de ses interlocuteurs lui reprochèrent d’avoir laissé filer le chômage et privilégié le sauvetage des banques tout en négligeant leur sort. “Je suis épuisée d’avoir à vous défendre, vous et votre administration, défendre un changement pour lequel j’avais voté”, lui lança une Africaine-Américaine travaillant à la direction financière d’une entreprise. L’emploi, encore et encore, et dans une moindre mesure la dégradation du niveau de vie, apparurent comme les préoccupations majeures.

A l’inverse, un cadre de fonds spéculatif accusa M. Obama, en régulant les marchés, de “fouetter les fesses” des financiers comme lui… S’il est un paradoxe aujourd’hui aux Etats-Unis, c’est bien cette convergence entre ceux qui voient dans le président un suppôt des “banquiers de Wall Street”, objet de détestation, et ceux pour qui il incarne, au contraire, “le socialisme” – terme censé définir toute politique économique publique autre que la dérégulation et le désinvestissement de l’Etat.

Bref, il y a une colère des classes moyennes, mais aussi une “rage des riches”, comme l’a récemment cataloguée l’économiste Paul Krugman. “La vraie rage politique, celle qui amène des gens à comparer Obama à Hitler ou à l’accuser de trahison, n’allez pas la chercher du côté des Américains qui souffrent réellement. Vous la trouverez plutôt parmi les très privilégiés, ces gens qui n’ont aucune crainte de perdre leur emploi, leur maison ou leur assurance-maladie, mais qui sont littéralement enragés à l’idée de payer des impôts modestement supérieurs” à ceux qu’ils règlent depuis que George Bush leur a offert un bouclier fiscal de première classe, une “menace” qu’ils perçoivent comme un crime contre leur bon droit et contre l’Amérique telle qu’ils la conçoivent, écrit-il.

Ceux-là mêmes qui ont couru quémander la manne publique lorsque leur établissement financier était menacé, poursuit-il, sont aujourd’hui scandalisés que l’on entende légiférer sur le montant de leurs primes (une mesure que le milliardaire Stephen Schwarzman a comparée à l’invasion nazie de la Pologne…).

M. Krugman cite une enquête en “une” de Forbes, mensuel assumé des riches, qui présente le président Obama comme projetant de rabaisser la puissance des Etats-Unis au profit d’une ambition “kényane anticoloniale” dont il serait investi. De plus en plus fréquemment s’exprime cette vision d’un président étranger au rêve américain qu’eux-mêmes, les riches, incarnent, grâce à l’absence de contraintes (la “liberté”) dont ils ont bénéficié depuis trente ans : de fait, nulle part au monde on ne compte autant de millionnaires proportionnellement à la population.

Le 9 juin, Dorothy Rabinowitz, membre du comité directeur du Wall Street Journal, expliquait que “l’identification du président réside ailleurs” que dans son pays. “Ses croyances et attitudes (…) sont à chercher dans les salons de la gauche mondiale et dans l’establishment académique où prolifèrent les radicaux et leur progéniture.” Les mots, le style, tout y est. L’article était intitulé : “The Alien in the White House”. En anglais, Alien signifie “étranger” mais aussi “étrange”, “venu d’ailleurs”. Voilà où en est le niveau d’une campagne politique quotidiennement menée dans les pages éditoriales du Wall Street Journal sur deux axes essentiels : la bizarrerie suggérée comme non américaine de ce président et l’hostilité à tout “accompagnement social” de la crise économique.

Le 21 septembre, le magnat Mort Zuckerman y attaquait la politique Obama visant à limiter (un peu) les expulsions d’emprunteurs immobiliers insolvables et à ne pas laisser s’effondrer les prix du bâti qui mettrait des millions de foyers américains sur la paille. Son alternative : laisser le marché “trouver son propre équilibre”. Le 25, un membre du cercle ultralibéral Cato Institute y a affirmé comme “une évidence claire” que l’abaissement maximal de l’imposition des plus fortunés “produit plus de revenus sur le long terme” pour la majorité. Les chiffres de la dernière décennie aux Etats-Unis démontrent l’inverse, qu’importe… Deux exemples entre cent.

Contre l’imposition des plus riches, contre l’élargissement de l’assurance-maladie, contre la régulation des marchés, contre, contre… Il y a eu deux ans exactement, avec la faillite de Lehman Brothers, une peur panique s’était emparée des riches aux Etats-Unis. Aujourd’hui, la finance assainie et les bénéfices de retour, avec la confiance retrouvée est venu le temps de la rage.
LEMONDE | 28.09.10 | 13h51  •  Mis à jour le 28.09.10 | 16h46

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