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Athènes : “Nous sommes à un stade embryonnaire de la démocratie directe”

Nous signalons ce texte issu du site LieuxCommuns au sujet du mouvement en Grèce qui a suivi celui des” indignés”. Il est à mettre en parallèlle avec le  texte  “l’ère des émeutes”. Beaucoup moins intéressant au niveau théorique que celui des camarades de Blaumachen, il vient apporter des éléments sur ces  mouvements d’après les printemps arabes et aider à les comprendre.
Sp. a 33 ans. Il milite depuis 15 ans dans les milieux anarchistes-autonomes et dans le syndicat de base de sa filière (travailleurs des librairies, imprimeries et maisons d’édition). Il n’a pas participé intensivement aux activités du mouvement de la place de la Constitution, à l’exception de quelques assemblées générales et des trois journées de grève.

Commençons par les soulèvements arabes. Comment penses-tu qu’ils ont influencé le mouvement de la place de la Constitution ?
En termes d’événements et de résultat final, il n’y a aucun rapport entre les deux. En termes de représentation, les soulèvements arabes ont influencé le mouvement actuel de manière positive. Dans les pays du Maghreb et en Egypte, le peuple s’est affronté à des régimes corrompus, autoritaires, et à des gouvernements illégitimes. Mais alors qu’ici le pacifisme était présenté comme un trait fondamental du mouvement et comme une attitude face à la répression, lors des soulèvements arabes, il y a eu de la violence, ça a été la guerre. Et ce qui est étonnant, c’est que ces peuples ont été intransigeants, prêts à aller jusqu’au bout. Ils n’auraient pas reculé s’ils n’avaient pas réussi à chasser les dictateurs. Ils ont affronté l’armée, il y a eu des morts, mais ils n’ont pas reculé. Et l’essentiel, c’est précisément cela.Ils ont réussi à atteindre leurs buts déclarés : les régimes se sont effondrés, les classes dominantes ont été chassées. Cela a laissé l’impression d’un peuple, d’hommes et de femmes ordinaires, qui se battent à mort et qui triomphent. En Grèce au contraire, on a échoué.

Une idée répandue veut que toute cette histoire ait commencé par des appels de citoyens « indignés » lancés à travers les réseaux sociaux. C’est aussi ton impression ?
Ecoute, les choses sont un peu complexes. En Grèce il y a depuis un certain temps une attitude assez courante de rejet des partis qui traduit une crise, disons, de confiance vis-à-vis du régime politique en général. Les gens n’ont pas confiance dans les politiciens, même s’ils votent pour eux. C’est la logique du bras d’honneur [assez typique en Grèce, le geste de la main ouverte est très insultant] devant le Parlement. Ils accusent les députés de tous les maux et votent pour eux en même temps. C’est problématique, parce que ça vise aussi des gens qui ne sont pas directement impliqués dans les affaires. Les députés du PC et de Synaspismos [gauche réformiste] n’ont pas la même participation au pouvoir et la même implication dans les scandales, la corruption, etc. Je veux dire que cette attitude obéit à la logique du « tous pourris ». En ce qui nous concerne, nous qui sommes contre le parlementarisme, qui mettons en avant la démocratie directe et qui visons toujours une société autonome et libertaire, cela ne nous réjouit pas : c’est très ambivalent et ça peut se retourner contre nous : cette mentalité antipolitique peut s’attaquer aussi à des initiatives qui essaieraient d’articuler un discours politique concret. Je veux dire que cette aversion pour l’organisation, pour l’engagement politique en général, et pour l’activité politique dans le cadre d’un parti cache deux pièges. Le premier c’est que ça pourrait conforter l’idée selon laquelle on pourrait se passer de toute logique d’organisation comme mode d’action politique en général. Autrement dit, qu’on pourrait quand même avancer sans engagement, sans prise de responsabilité et sans respect de procédures et de décisions collectives. Et le second, c’est que ça risque d’assimiler tous ceux qui forment des organisations, des collectivités politiques à des tricheurs, des imposteurs qui visent à instaurer un régime identique ou proche de celui en place actuellement.

Je dirais donc qu’il n’y a pas une disposition, une volonté des gens d’intégrer toutes ces petites contre-structures qui sont en train de naître actuellement sur les places publiques, dans une logique d’organisation à grande échelle. Il est peut-être d’ailleurs trop tôt, vu que pour moi, en Grèce, tout cela ne fait que commencer. Je veux dire qu’il y a des germes, des choses qui ont surgi et qui pourraient peut-être conduire à des évolutions qu’on n’imagine pas. D’ailleurs, le fait qu’on ait mis en avant la démocratie directe est peut-être un signe.

C’est très intéressant. Comment penses-tu que la société perçoit cela ? Et pourquoi la démocratie directe ?
C’est un peu complexe. Et intriqué. Les mouvements des places publiques mettent en avant plusieurs choses. Ils demandent que le mémorandum soit supprimé [le Mémorandum désigne l’accord entre le gouvernement grec et la troika (FMI, BCE, Commission Européenne) qui dicte la politique financière de l’Etat grec afin qu’il puisse rembourser sa dette], que le FMI et la troïka s’en aillent, que le gouvernement s’en aille aussi, que le pays sorte de l’UE. En tout cas, quand bien même le projet positif serait vraiment la démocratie directe, il ne saurait y avoir démocratie directe sans travail du local vers le global, l’universel. Ce travail au niveau du local (des quartiers) cette élaboration et cette articulation n’ont pas encore été faits. Et cela parce que les assemblées de quartiers, par exemple, se bornent à une posture d’opposition. Les gens s’y rassemblent, discutent et font des choses mais n’ont pas encore essayé d’aller plus loin. Pour moi, s’orienter vers la démocratie directe, cela présuppose des structures qui fassent remonter le mouvement du local vers le global. Donc, pour commencer, les assemblées de quartiers devraient passer à une logique d’action plus étendue et plus profonde.

Tu peux développer, donner des exemples ?
Oui. Les assemblées de quartiers pourraient, par exemple, décider d’entreprendre des actions dans des domaines désertés par l’Etat, corriger les lacunes, les défauts, non dans une logique d’action complémentaire, mais à la racine. L’Argentine est un exemple en la matière. Quelques domaines de la fonction publique ainsi qu’une partie de l’activité privée sont passés à l’autogestion, à l’auto-organisation. Sans cela, dans un premier temps, il ne saurait y avoir de démocratie directe ; il ne saurait y en avoir, même sous la forme partielle et obscure dont les gens la conçoivent actuellement. Et puis, la démocratie directe doit être réalisée, structurée et déployée du bas vers le haut. Mais il est trop tôt. Nous sommes à un stade embryonnaire. Les gens commencent à peine à se parler, à discuter entre eux et à réfléchir à ces questions. Qui plus est, je ne sais pas vraiment ce qu’ils entendent par démocratie directe, ni si ceux qui en parlent la veulent vraiment ; j’ai quelques réserves là-dessus.

Comment comprends-tu cette contradiction entre les mots d’ordre radicaux comme « démocratie directe », « tout le pouvoir aux assemblées populaires », et les revendications réformistes ?
D’un certain point de vue, c’est normal. Cette contradiction reflète le caractère hétéroclite du mouvement. Ceux qui étaient déjà dans des organisations politiques mettent en avant les projets politiques de leur organisation. Ceux qui militaient dans le mouvement social en général mettent en avant leur idéologie. Ceux qui sont descendus dans la rue pour la première fois l’ont fait surtout pour dénoncer tout ce qui se passe et s’extérioriser. Il y a quand même une frange qui n’appartenait jusque là à aucune organisation ou structure, qui ne militait pas, mais qui veut prendre les choses au sérieux et qui se pose des questions, des gens qui veulent aller plus loin. Et sur ces gens-là, il est trop tôt pour se prononcer. Je dirais seulement que beaucoup de choses dépendront de la volonté de ces gens d’élucider ces questions et d’entreprendre une action politique.

Comme je l’ai dit, le mouvement est hétéroclite. Il y a des petit-bourgeois qui ne veulent pas faire le deuil de la consommation. Il y a des gens « à sec », en situation précaire, qui se rendent compte que ca ne peut plus durer ainsi. Il y en a d’autres qui ne veulent plus de ce régime politique et qui réalisent que le monde ne changera pas sans leur participation effective et active. Pour moi, il y a quatre éléments qui, globalement, caractérisent ce mouvement.
– D’abord, la lutte contre le mémorandum et les nouvelles mesures d’austérité.
– Ensuite, le succès rencontré par l’assemblée en tant que telle, l’assemblée comme institution si j’ose dire – et l’idée que la participation et la procédure en elles-mêmes sont des questions importantes, majeures.
– Troisièmement, une volonté de parler librement, de s’exprimer et, en même temps, une volonté que tous les points de vue, les opinions soient entendus.
– Et enfin, la mise en avant paradoxale de la démocratie directe. Il est paradoxal parce qu’une grande partie des gens impliqués dans le mouvement, et bien sûr de la société elle-même, n’est pas du tout dans cette logique, dans cet esprit et que, malgré ça, il a rencontré un succès stupéfiant ! Imagine-toi bien qu’il s’agit de toute une frange qui ne participait à rien, de gens qui n’avaient jamais – ou quasiment jamais – milité, qui étaient « exclus » – au sens où il manquait les structures qui auraient pu les intégrer, et où tout un système social concourait à leur non-participation. Et cela est d’autant plus contradictoire que les gens posent dés le début ce qui est le but final, le projet final. Et cela il ne faudrait pas le prendre comme quelque chose de négatif. Parce que les choses commencent à bouger maintenant, je pense.

Durant ce mouvement, il y a eu deux moments importants : le 15 juin et les 28-29 juin, ces trois jours ayant été des journées de grève générale. Quel a été l’héritage de ces trois journées ? Ont-elles contribué à faire avancer les choses, ou ont-elles constitué un recul ?
Je dois d’abord ajouter un mot à ce que je disais tout à l’heure. En un certain sens, les « indignés » proprement dits, c’est toute cette « masse cruciale », qui n’est ni les déjà-politisés, ni les syndiqués, ni les militants en général, ni les petit-bourgeois qui veulent revenir à leur niveau de vie antérieure, ni une partie des précaires. Je veux dire par là que les « indignés » d’aujourd’hui ne sont pas les « indignés » d’autrefois – qui ne se satisfaisaient ni de la situation ni du système politique en général et qui voulaient autre chose, ce qui, pour eux, était concret et clair (leur propre programme ou idéologie politique par exemple). Ceux d’aujourd’hui ne veulent pas de ce qui se passe actuellement mais ils ne savent pas non plus ce qu’ils veulent ni quoi faire.

Je dis cela parce que c’est lié à la réponse à ta question. En fait, et c’est pour cela que les deux dates sont importantes, cette « masse cruciale » n’est pas descendue dans la rue pendant les jours de grève générale. Le 15 juin surtout, jour le plus important à mes yeux, les gens en grève et dans la rue étaient ceux qui participent régulièrement aux mobilisations. Je veux dire que cette « masse cruciale », lors de ces trois jours, a fait ce qu’elle faisait auparavant. Elle n’y a pas participé. C’est pour cela que toute cette histoire de blocage a abouti à un échec, ça n’a été qu’une fanfaronnade déconnectée du mouvement, de ses limites, de l’état d’esprit des gens. Bref, je dirais que durant ces trois jours les indignés ont déserté les initiatives des franges les plus mobilisées et les plus combatives de la société.

A cela s’ajoute le fait que lors des rassemblements paneuropéens, les dimanches [où l’assemblée appelait les autre peuples à se mobiliser], il y avait énormément de monde sur la place de la Constitution. Les indignés étaient là le dimanche 12 juin, chahutant et dénonçant tous azimuts, mais ils étaient absents le mercredi 15, jour de la grève générale et du blocage du Parlement. Idem pour les événements des 28-29 juin, qui ont tourné en défaveur du mouvement parce que d’un côté les indignés étaient absents, et que de l’autre, la répression a accéléré sa dégénérescence.

Est-ce que cela est dû au fait que l’objectif du blocage était peut-être trop ambitieux ?
Je pense que l’objectif lui-même n’était peut-être pas trop ambitieux. Le problème c’est que les gens, lors des assemblées avant le 15 juin, ont voté pour le blocage, puis ont laissé les autres aller s’affronter aux flics. Et là surgit le problème principal de l’engagement et de la responsabilité. La démocratie directe exige une participation active et un investissement personnel. Cela n’a pas été compris.

C’est un problème majeur. Penses-tu que cette attitude est courante dans la société grecque actuellement ?
La culture politique du régime représentatif est précisément de produire des individus, des attitudes, des comportements « irresponsablo-responsables ». A travers la violence de toute la structure sociale, à travers le modèle de représentation qu’il propose, le régime actuel oblige, ou incite, soit à la non-participation, soit à la participation partielle. Je pense que ce qu’on a vu de l’attitude des indignés est un produit, un résultat du système. Elle est « normale », habituelle. Et la situation actuelle, vue globalement, est en quelque sorte l’expression en creux de la crise du système représentatif. En conséquence, si les gens veulent dépasser les limites du mouvement de la place de la Constitution, ils devront combler cet écart entre leurs mœurs politiques actuelles et l’attitude qu’exige un régime vraiment démocratique.

Pourrais-tu nous parler un peu de la provenance de classe des gens qui ont participé dans ce mouvement ?
C’était assez hétérogène. Il y avait des gens de presque toutes les couches moyennes. Il y avait même des patrons de PME. Il y avait aussi beaucoup de petit-bourgeois avec tout ce que cela comporte de négatif. Il y avait aussi clairement des jeunes « précaires » et des gens issus de couches plus populaires. Mais pas d’immigrés, ni de gens issus des couches les plus basses ou à la limite de la pauvreté, ni les marginaux ou les lumpen. Contrairement à décembre 2008, ces gens-là étaient exclus. De plus, je ne pense pas que les structures et les procédures du mouvement auraient pu les intégrer. Il y avait une distance culturelle qui n’a pas pu être comblée.

Le programme de moyen terme a été voté [il s’agit du paquet de nouvelles mesures d’austérité pour la période 2011-2015 afin que l’Etat grec puisse équilibrer ses finances publique], et le mouvement de la place est en train de s’essouffler. Comment vois-tu l’évolution des choses dans les mois à venir ?
Je pense que dans la société, il y aura, en gros, deux tendances : celle qu’on appelle le cannibalisme social, et celle qui mettra en avant la solidarité et l’entraide. Et je pense que la première l’emportera, étant donné la culture et le type anthropologique dominants. De la part des gens du mouvement social, il y aura un effort pour continuer le combat, sous de formes qui restent à définir. Ce qui est sûr, pour moi, c’est que la violence va augmenter. Je parle de la violence sociale, interclasse, interpersonnelle, dans la vie quotidienne, au travail. L’enjeu consistera en la disposition, en la volonté des gens de contribuer à la solidarité sociale et à l’entraide. Au niveau local, dans les quartiers, l’enjeu principal sera l’attachement des gens à la participation active aux luttes collectives et à la solidarité.

Compte tenu de l’histoire particulière de la Grèce moderne, penses-tu qu’une guerre civile est probable ?
C’est sans doute la question la plus pertinente et la plus cruciale. Je ne pense pas d’ailleurs que la guerre civile soit finie. Je te rappelle qu’un des slogans écrits sur les murs lors des événements de décembre 2008 était : « L’accord de Varkiza n’est plus valide, on est en guerre (1) ». De plus, lors du mouvement, il y avait aussi une logique de Varkiza, si j’ose dire : c’est dans ce sens que j’interprète l’appel à l’unité, selon lequel on serait « tous ensemble », on serait « unis », on aurait un ennemi « commun », notre but « commun » serait de chasser la troïka et d’abolir le programme de moyen terme, etc. Mais ce n’est pas vrai. La guerre civile n’est pas finie. Et j’ose dire qu’elle est déjà là, dans un certain sens : depuis plusieurs années, il y a une frange de la société grecque dont les dominants se fichent, même s’ils n’arrêtent pas de répéter les âneries sur « la participation aux élections, etc ». Et cette frange pourrait atteindre entre dix et vingt pour cent de la population. Alors qui sont ces gens-là ? Ce sont peut-être des électeurs du PC ou de Synaspismos. Ce sont peut-être aussi ces gens qui ne participent à rien et qui l’admettent cyniquement. Je veux dire qu’il y a une partie de la population qui est négligée, dont on se fout, mais aussi dont on ne parvient pas à cerner l’état d’esprit. Je peux seulement dire que beaucoup parmi les indignés appartiennent à cette catégorie-là, et donc que les indignés ont aussi été, entre autres, ceux dont on ne voulait pas entendre la parole. Il y a aussi la mouvance anarchiste-antiautoritaire-autonome qui a beaucoup augmenté en nombre depuis décembre 2008. Ce qui pourrait déclencher une guerre civile ouverte, ce serait une dictature, modérée ou brutale. Bien sûr, une telle dictature est déjà là, sous la forme du régime parlementaire. C’est la démonstration de ce que nous disions depuis toujours, à savoir que le parlementarisme est, essentiellement, une dictature – mais on nous prenait pour des extrémistes.

En tout cas, la possibilité d’une dérive dictatoriale est une des raisons pour lesquelles je pense qu’il faudra quitter le modèle centraliste de la place de la Constitution et se tourner vers le local, les quartiers. Ce centralisme reproduit en creux celui du Parlement.

Comment comprends-tu cet appel constant et obsessionnel à l’unité et ce rejet des partis politiques ? Cet appel pourrait-il cacher le danger d’une évolution vers des phénomènes de manipulation de masse ?
Je répondrai en commençant par la fin de ta question : heureusement qu’il n’y a eu, jusqu’à présent, aucun leader charismatique capable de regrouper les gens autour de lui. D’un autre côté, il est évident que le PASOK n’a pas besoin de leaders, de dictateurs. Le PASOK est un dictateur collectif et il s’en sort très bien. Dans quelque temps, il aura peut-être recours à un gouvernement de coalition. Et quand ce gouvernement ne pourra plus continuer, alors là, on verra peut-être un gouvernement de technocrates universellement acceptés. Cela est déjà mis en avant par quelques libéraux. Ils proposent un gouvernement de spécialistes qui ne se sont pas mêlés de politique auparavant – et qui sont, donc, incorruptibles.

Lors des premiers jours du mouvement, on a aussi entendu cette idée, exprimée par des participants, de remplacer les politiciens corrompus actuels par une oligarchie de spécialistes.

Cette idée a surtout été élaborée et diffusée par la nomenklatura grecque. Tous ceux, de droite ou du PASOK qui ont participé au mouvement l’ont bien accueillie, je pense. Mais il me semble qu’un tel régime serait un régime d’état d’urgence. Ce serait une version modérée de la dictature, molle si je puis dire. Mais je reviens à mon idée centrale qui veut que le régime représentatif est déjà cela. On a pu le constater lors des événements du 29 juin, en termes de répression et de « gestion » d’une foule enragée.

Sur la question de l’unité : ça pourrait être une sorte de prise de conscience collective de la situation merdique dans laquelle nous nous trouvons « tous ensemble ». Ca pourrait aussi dissimuler un apolitisme sous-jacent, dans le sens où ça nous évite de parler du fait qu’on n’a rien fait depuis longtemps et qu’actuellement nous nous unissons derrière un projet commun que, cependant, nous n’explicitons ni n’essayons de réaliser. Il est vrai que l’invocation de l’unité était constante lors des grands moments révolutionnaires du passé, mais pas du tout sous la forme qu’elle a prise lors de ce mouvement. Enfin, l’unité est invoquée par les indignés les plus atypiques, si je puis dire : des gens de droite, une partie des gens du PASOK, en général les gens les mieux intégrés au système actuel. Et ils le font afin de maintenir dans la société la mentalité apolitique, et de faire reculer les dispositions radicales. Bref, je trouve que la logique de l’unité devient une arme contre les idées politiques, contre les propositions politiques concrètes et les projets, qu’on y souscrive ou pas.

Notes

1 – L’accord de Varkiza fut signé en février 1945, après les affrontements sanglants de décembre 44 entre les forces armés des communistes d’un côté et l’armée britannique et les forces du gouvernement officiel de l’autre. Il imposait le désarmement des communistes qui, après avoir mené la résistance contre les nazis et gagné un soutien social considérable, aspiraient au pouvoir. En contrepartie, leur intégrité physique devait être garantie. Ce dernier terme ne fut respecté ni par l’Etat ni surtout par les milieux de droite et, un an plus tard, la guerre civile éclatait
Propos recueillis à Athènes courant juillet 2011, par le Collectif Lieux Communs.

Ce texte fait partie d’un travail préparatoire sur le mouvement grec en vue d’une brochure qui devrait sortir mi-septembre.

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