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“Comme nous sommes obligés de le faire, nous le faisons très lentement…”

en écho au mouvement actuel sur le code du travail en France

“Comme nous sommes obligés de le faire, nous le faisons très lentement…

http://www.onda.la/2016/realslow

trabajoLe travailleur idéal: “Damned! Il semblerait que la boite ne fasse pas les bénéfices qu’elle devrait … eh bien, n’en disons pas plus! : demain je me barre sans compensation ni rien du tout … et comme je vais protester, j’appelle la police anti-émeute et qu’ils m’ouvrent la tête!”

À Los Angeles, être contre le Capital se présente généralement comme une position pro-travail ou pro travailleur. Le problème n’est jamais le travail lui-même, sa nature ou le fait que le travail soit salarié, mais plutôt l’extension du syndicalisme et l’augmentation des salaires. Prenons par exemple la campagne CLEAN Carwash, où les travailleurs des stations de lavage (qui sont surtout des hommes immigrants) sont syndiqués au local 675 des United Steelworkers. Bien que cette campagne apporte beaucoup d’améliorations des conditions travail et des salaires pour ces travailleurs, cela ne révèle pas que le travail d’un laveur de voiture peut et a déjà été automatisé. Mais bien sûr, le mouvement ouvrier affaibli n’est pas concerné du tout par le renversement du capitalisme ou l’abolition du travail. Ce rêve a été perdu avec le mouvement ouvrier.

L’expression d’une position anti-travail fut soit minoritaire soit inconnue. Dans une ville où les conditions de travail pour les immigrants peuvent être bien inférieures aux normes juridiques établies par l’État et le gouvernement fédéral, la pression pour plus de protection et de droits en milieu de travail prend le dessus. Un sentiment anti-travail  (plutôt qu’une position de bonne foi) chez les immigrants mexicains et / ou mexicains-américains peut habituellement se trouver sous des formes culturelles et ne prend pas souvent des formes antipolitiques ou anticapitalistes explicites. Alors que les formes culturelles ludiques et humoristiques sont abondantes, il y a peu d’autres formes entre les deux.

ANTI- travail / ANTI-CAPITALISME: UNE INTRODUCTION

Ma première rencontre avec une position anti-travail explicite est venu de Chican @, des amis croisés en 2001, fortement influencés par le théoricien marxiste français Guy Debord et l’Internationale situationniste. En 1953, le jeune Guy Debord peint sur un mur de la rue de Seine «Ne travaillez jamais». Une déclaration difficile à comprendre conceptuellement pour moi à l’époque mais qui m’a immédiatement aspiré. Jusque-là, toute la littérature anarchiste que j’avais lu sur le travail se préoccupait de la façon dont le travail salarié était le vol de notre temps et de notre force de travail et la solution n’était pas l’abolition du travail en soi, mais l’autogestion ouvrière. [Pensez à toute la nostalgie que certains anarchistes de gauche ont pour la révolution perdue par les anarcho-syndicalistes pendant la guerre civile espagnole.]

Ayant grandi dans un foyer mexicain où était privilégiée l’opportunité de trouver un emploi bien rémunéré ainsi que le respect d’une chaleureuse éthique de travail, ce fut une position scandaleuse. Bien que le point de départ de l’opposition de Guy Debord à un monde du travail n’était pas un refus, du genre mode de vie beatnik et bohème commun aux années 1950, mais plutôt un rejet de l’étrangeté de la vie sous le capitalisme et une part de l’ensemble d’un projet visant à renverser le Spectacle et à faire de la vie une affaire joyeuse à nouveau.

La critique du travail peut être trouvée ailleurs à travers l’histoire, comme dans  «Le droit à la paresse » (1883) de Paul Lafargue, écrit par le gendre de Karl Marx, ou dans le fameux “Abolition du travail » (1985) de l’anarchiste Bob Black et dans «Eclipse et réémergence du Mouvement communiste » (1970) de Gilles Dauvé dans lequel il clarifie ce que l’abolition du travail pourrait signifier et dit: «ce que nous voulons c’est l’abolition du travail comme activité séparée du reste de la vie. » Plus loin, il explique que la question n’est pas que nous fassions ou pas les choses, mais que sous le capitalisme ce que nous faisons est souvent imbriqué dans  le travail salarié. Nous supposons que seules les choses payées par un salaire ont une valeur et que seules les choses produites sont nécessaires à la vie humaine.

Les mexicains-américains et le travail

Cela dit, il ne manque pas de productions culturelles des immigrants mexicains, ou des mexicains-américains (dont certains s’identifient comme Chicanx) qui s’en prennent à la façon dont le travail est rendu nécessaire à notre reproduction sociale. (1) Prenez par exemple une chanson comique dans “Up In Smoke” (1978), où le personnage Pedro de Pacas chante une chanson en essayant de bouleverser les notions populaires d’identité mexicaine-américaine et dit: «Les mexicains-américains n’aiment pas se lever tôt le matin, mais ils doivent le faire, alors, ils le font très lentement ».

Ici, nous avons un moment clé dans la subjectivité du travailleur racialisé comme mexicain-américain, pris dans le paradigme où le travail est géré par des frontières. Il est entendu que le travail et la préparation au travail sont une corvée, mais également que si le refus de travail se révèle impossible, ce qui est reconnu, mais cède la place à une sorte de sabotage de la productivité en le « faisant très lentement ».

La production spectaculaire du Mexicain en tant que travailleur aux Etats-Unis (ou mexicain-américain) est souvent liée à un diptyque gros travailleur / voleur de job ou paresseux / profiteur du Welfare. Comme on le voit dans les propos récents de Donald Trump, il y a aussi la perception du Mexicain comme un criminel dangereux, formant une trinité de préjugés qui revient opportunément quand les nativistes, les politiciens racistes en ont besoin. Ce type de caractérisation a été initiée lorsque les américains ont arraché par la force le présumé sud ouest américain au Mexique et que les bandits comme Tiburcio Vasquez hantaient l’esprit des vagues d’anglo-américains conquérant l’Ouest.

Poser une position anti-travail et prendre en compte la racialisation des travailleurs aux Etats-Unis se profile comme une tâche impossible. Souvent, les immigrants intériorisent une éthique de travail encore plus enracinée que celle des Anglo-américains de droite qui décrivent les États-Unis comme une méritocratie. Ceci est plus une nécessité qu’une réaction, contraints qu’ils sont aux taches les plus épuisantes que la plupart des natifs ou que les Anglo-américains ne vont tout simplement pas vouloir: la cueillette de fruits et des légumes, la construction, la restauration, la garde des enfants, l’aménagement paysager, etc. Nous travaillons dur parce que nous le devons et nous construisons une mythologie autour, dans laquelle nous sommes ceux qui travaillent dur, les autres étant ceux qui ne le font pas, et où notamment des éléments anti-noirs apparaissent au premier plan.

Afin de poursuivre le mythe de l’immigrant qui travaille dur, qui ne menace pas l’ordre social colonial capitaliste des Etats-Unis, on doit dépouiller les immigrants de l’expression de la révolte. À une époque où le racisme nativiste atteint à nouveau des sommets, nous devons réaliser que cette prolifération de mythes ne constitue pas un filet de sécurité contre les rafles de l’immigration ou autres actes de violence raciste. Il n’y a pas de fierté à nous présenter comme durs au travail, puisque sous le capitalisme travailler dur signifie simplement plus de travail pour le même salaire. En effet, nous réduisons nos salaires en travaillant plus que ce l’on attend et cela nous rend hyper-exploités. Si nous devions exprimer collectivement notre réticence ou le refus de travailler au-delà du strict minimum, nous pourrions commencer à infléchir la capacité de notre force de travail. (Un moment emblématique de ce genre d’inflexion fut la grève générale du 1er mai 2006, où les immigrants en grande partie auto-organisés ont fait grève pour montrer combien leur travail est une partie intégrante du fonctionnement du capitalisme ; à Los Angeles 1 à 2 millions de personnes sont descendus les rues et plus de 90% du trafic du port de LA a été bloqué.)

Et comme il a été noté, de plus en plus de mexicains reviennent au Mexique plutôt que de venir aux Etats-Unis, la récompense pour ce travail acharné est en déclin. J’ai entendu parmi les amis et la famille que de nombreux immigrants mexicains récents trouvent que le travail qu’ils trouvent aux Etats-Unis est trop dangereux, trop difficile ou trop difficile à trouver.

UNE ISSUE?
Mais ce désir d’être le mexicain le plus travailleur au monde n’a pas toujours été la norme. Dans le texte de 67 « Time, Work-Discipline, and Industrial Capitalism » l’historien britannique E.P. Thompson a mentionné comment les théoriciens économiques de la croissance ont considéré les mineurs mexicains comme « des gens indolents et enfantins » parce qu’ils manquaient de discipline. Il note par exemple, à partir d’un livre sur L’industrie mexicaine des mines, 1890-1950,  que les mineurs mexicains présentaient:
« [un] manque d’initiative, [une] incapacité à économiser, des absences parce qu’ils prennent trop de vacances,  la volonté de travailler seulement trois ou quatre jours par semaine pour leurs nécessités, [et] un désir insatiable pour l’alcool … « (Bernstein)

Il semble que les temps changent peu. Bien sûr, à bien des égards nous avons toujours su que nous ne voulions pas vraiment travailler et que nous avons seulement du mépris pour ceux qui n’ont pas à le faire parce que nous ne sommes pas eux. Que nous adorons la pause d’hiver où nous nous gavons de tamales et de bières et passons les soirées à parler de ce que nous aimerions vraiment faire et de nos rêves pour l’avenir.
Même l’obsession de la gauche pour le travailleur collectif mythifié qui est socialement responsable, ponctuel et qui s’identifie à son travail est en grande partie une invention du mouvement ouvrier défunt.
La revue de théorie communiste antiétatique, Endnotes, stipule que:
«L’identité présumée que le mouvement ouvrier a construit s’est avérée être particulière. Elle n’a subsumé les travailleurs que dans la mesure où ils ont été estampillés ou étaient prêts à être estampillés par un caractère très particulier. Autrement dit, elle a inclus les travailleurs non pas comme ils étaient en eux-mêmes, mais seulement dans la mesure où ils étaient conformes à une certaine image de la respectabilité, la dignité, le travail, la famille, l’organisation, la sobriété, l’athéisme, et ainsi de suite. »(2)

Trop souvent, on nous raconte que la seule façon de progresser est de se soumettre à la rationalisation du système capitaliste; que nous avons simplement besoin de réveiller le géant endormi que représente le possible bloc électoral Latino; que les riches sont riches parce qu’ils savent vraiment comment gérer leur argent; que si seulement nous pouvions influencer le Congrès pour pousser la réforme de l’immigration; si seulement nous pouvions obtenir que les universités nous rappellent nos histoires ou nous rattachent … mais en fait,  le seul moyen d’en sortir est d’abolir la relation sociale qui est le capitalisme …. qui se protège par l’État; qui se protège par des frontières, la police et une armée permanente; qui contrôle la façon dont nous envisageons notre vie avec des carrières, la gestion du temps et les rôles de genre; qui transforme tout en marchandise y compris la façon dont nous choisissons de passer nos heures de non-travail, qui pourtant sont encore consacrées à la préparation ou la récupération de ces heures de travail.

¿PERO CÓMO RESISTEREMOS POR MIENTRAS? / COMMENT POUVONS-NOUS RESISTER MAINTENANT ?

Ou nous avons résisté tout ce temps /

En repensant aux années 90, quand la fête consistait à la fois en une évasion du terrible LAUSD (Los Angeles Unified School District) ainsi qu’à une forme de résistance à la scolarité obligatoire la plus aliénante: à bien des égards, ces adolescents qui ne voulaient pas paraître à l’école faisaient montre d’une plus grande sensibilisation à la société environnante que les gosses qui essayaient de la jouer «droit comme un I »puis étudiaient  dans les Chicano /Studies. Ces enfants comprenaient implicitement le toboggan que le LAUSD constituait,  vers les bas salaires, le travail de service d’entrée de gamme où ils auraient à appliquer plus de  règles, respecter, pousser des boutons, porter des uniformes que développer de la pensée critique. C’était comme s’ils étaient en mesure de prévoir l’avenir actuel.

Donc, beaucoup d’entre nous participent déjà en secret à la résistance au travail:
• nous nous relâchons au travail, ce qui, en termes marxistes pourrait être considéré comme un moyen d’élever notre propre salaire puisque nous produisons moins de travail pour la même durée.
• nous volons au travail et donc rendons notre temps de travail beaucoup plus intéressant, et obtenons même quelques bons cadeaux pour les amis et la famille.
• nous sabotons le flux de la productivité en travaillant très lentement, ou en fermant l’Internet, ou en parlant à nos collègues de choses hors travail, ou en ne travaillant pas du tout et en faisant une bonne sieste.
• nous nous portons malades quand nous ne le somme pas ou quand nous avons tout simplement la gueule de bois de la veille.

Un monde sans travail semble être une impossibilité, une utopie, un rêve improbable surtout quand la plupart de notre temps d’éveil est consacré à la réflexion sur la façon dont nous allons payer le loyer, la facture d’électricité, l’assurance automobile, les prêts étudiants, la probable dette sur la carte de crédit ou l’ardoise au bar … mais un monde sans travail est aussi un monde sans capitalisme … .un monde du communisme.

Ce monde est un monde sans travail salarié, sans patriarcat, sans race, sans classe, sans Etat, sans police où nous déciderions de nos vies selon nos propres termes, sans les limitations de la production de valeur, sans le contrôle des frontières, sans le lundi matin, sans la mort sociale, sans les crises artificielles, où nous n’aurions pas à subir les affronts d’être harcelé par le patron, un monde au-delà de la comptabilité, un monde où ce que nous faisons ne défini pas ce que nous sommes les uns pour les autres.

1 DÉFINITION: tout le travail qui doit être fait pour que les travailleurs retournent travailler le lendemain. Ce travail est souvent non payé, même s’il est nécessaire à tout travail à faire sous le capitalisme. Par exemple: la lessive, les soins aux enfants, le sexe, le lave-vaisselle, la préparation des aliments, les déplacements.

2 Lien vers le texte http://endnotes.org.uk/en/endnotes-history-of-separation-part-2text: (“A History of Separation”)

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