« Reconstruire Haïti » pour ses salaires de misère
« Parce que c’est un pays pauvre et que le marché du travail y est relativement peu réglementé, les coûts du travail sont en Haïti compétitifs avec ceux de la Chine, le pays avec lequel il faut se comparer mondialement »
Des ministres gouvernementaux, des banquiers internationaux et des organismes humanitaires se sont réunis à Montréal lundi pour discuter des plans de reconstruction d’Haïti, ravagé par un tremblement de terre. Au cœur de leurs propositions se trouve l’exploitation des travailleurs haïtiens à des salaires de misère.[print_link]
La conférence n’a rien offert de concret sur le plan d’aide nouvelle et a plutôt servi à planifier une rencontre de donateurs aux Nations unies en mars. La majeure partie du discours provenant de la conférence semblait avoir peu de liens avec la situation sur le terrain en Haïti, où 150 000 personnes ont été confirmées mortes, des centaines de milliers de plus ont été blessées et plus de 1,5 million fait sans-abris.
Le premier ministre Jean-Max Bellerive, représentant ce qui reste du gouvernement haïtien et accompagné de ministres des Affaires étrangères de l’Europe et des Amériques a souligné qu’il fallait que la souveraineté d’Haïti soit respectée, que les forces militaires étrangères soient subordonnées aux efforts humanitaires et que les Haïtiens puissent déterminer et mener leurs propres efforts de reconstruction.
Des responsables de premier plan, incluant le directeur du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, sont allés jusqu’à parler d’un « plan Marshall » pour Haïti.
En réalité, Haïti est maintenant en train d’être dirigé par l’armée américaine, qui a déployé 13 000 soldats et pris unilatéralement le contrôle des aéroports et des ports du pays. Le Pentagone a dominé l’approvisionnement en aide et l’a subordonné à la tâche prioritaire de déployer des soldats et des Marines américains équipés pour combattre. Cela s’est fait principalement au détriment des Haïtiens blessés et affamés qui attendent de la nourriture et des équipements médicaux pour sauver leurs vies.
L’hebdomadaire américain Times a reflété la véritable situation. Il a fait référence au plus haut commandant militaire américain dans le pays, le lieutenant-général américain Ken Keen, en le décrivant comme un « roi de facto en Haïti ». Au même moment, le peuple haïtien n’a rien vu ou entendu du président haïtien René Préval.
Derrière les discussions sur les Haïtiens déterminant leur futur et le gouvernement du pays qui dirige, un plan échafaudé dans les mois précédents le tremblement de terre est discuté, un plan dicté par les intérêts de profit des banques et des entreprises américaines, accompagnés de ceux de l’élite riche haïtienne.
S’adressant à des journalistes en déplacement entre Washington et Montréal, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a fait référence à ce plan en louangeant le travail de son mari, l’ancien président Bill Clinton, qui a tenté de l’implanter depuis sa fonction de délégué des Nations unies à Haïti.
« Il vient tout juste d’y avoir une conférence avec 500 individus du monde des affaires », a-t-elle dit. « Ils signaient des contrats, ils faisaient des investissements. »
Elle a poursuivi : « Alors, nous avons un plan. C’était un plan légitime, réalisé conjointement avec les autres donateurs internationaux, avec les Nations unies. Et je ne veux pas recommencer à zéro, mais nous devons reconnaître les nouveaux défis que nous confrontons. »
Le plan, établi l’année dernière à la demande des Nations unies, est destiné à développer l’économie haïtienne par le développement de zones de libre-échange basées sur des ateliers de misère de vêtements dans lesquelles les travailleurs haïtiens recevraient des salaires miséreux.
Cette initiative se base sur un rapport de l’ONU écrit par le professeur en économie de l’Université d’Oxford, Paul Collier. La pauvreté en Haïti, la pire dans les Amériques, y est présentée, de façon perverse, comme son principal atout dans une économie capitaliste mondialisée.
« Parce que c’est un pays pauvre et que le marché du travail y est relativement peu réglementé, les coûts du travail sont en Haïti compétitifs avec ceux de la Chine, le pays avec lequel il faut se comparer mondialement », écrit Collier.
Cet « atout » fait l’objet d’une garde jalouse tant par Washington que par l’élite dirigeante parasitaire d’Haïti. L’ancien président Jean-Bertrand Aristide a été renversé deux fois, la première en 1991 et la deuxième en 2004, par des coups sanglants orchestrés par la CIA en alliance avec les propriétaires d’usines haïtiennes, en large mesure parce qu’il avait suggéré d’augmenter le salaire minimum haïtien.
Après avoir été élu pour une deuxième fois en 2000, Aristide a doublé le salaire minimum et interdit le travail à la pièce dans les fabriques de vêtements, ce qui a rencontré une vive opposition au sein des propriétaires de ces entreprises. Andy Apaid, le propriétaire américano-haïtien des plus grands ateliers de misère en Haïti et un des principaux alliés de Clinton avec son dernier plan de « développement », a été un acteur clé dans le coup d’Etat de 2004. Lors de ce coup, Aristide a été enlevé et expulsé du pays par des soldats américains et des milliers d’Haïtiens ont été massacrés par les escadrons de la mort de la droite.
L’an dernier, après des manifestations de masse des étudiants et des travailleurs au cours desquelles de nombreuses personnes ont été tuées ou blessées, le président Préval a été forcé d’accepter une augmentation du salaire minimum qui avait été votée en chambre. Toutefois, il a imposé un salaire minimum spécial plus bas pour l’industrie du textile de 2,98 $ par jour, soit environ vingt fois moins que le salaire minimum aux Etats-Unis.
Alors qu’un tel système permettra aux industriels du textile d’empocher des surprofits et à l’oligarchie haïtienne de s’enrichir encore plus, il n’améliorera en rien la pauvreté abjecte du pays et ne fera qu’empirer l’inégalité sociale, déjà la pire au pays. La confection de vêtements en Haïti dans des zones de libre échange avec des tissus importés et pour le marché extérieur n’aura qu’un impact minimal sur l’économie locale.
Alors que la secrétaire d’Etat Clinton a indiqué que ce plan de travail d’esclave est toujours celui que Washington veut implanter même après le tremblement de terre du 12 janvier, elle admet que la catastrophe signifie qu’il faudra lui apporter des modifications.
Clinton a accueilli les propos de Bellerive sur la « décentralisation » de l’économie haïtienne. « Dans le cadre des efforts multilatéraux d’aide à Haïti, nous devrions considérer la façon dont allons décentraliser l’opportunité économique et travailler avec le gouvernement et le peuple d’Haïti pour venir en aide au relogement. Déjà, ils le font d’eux-mêmes en quittant Port-au-Prince pour retourner dans la campagne dont ils viennent tous pour la plupart », a-t-elle dit.
Les autorités haïtiennes, appuyées par Washington et l’ONU, ont commencé à mettre en œuvre leur plan pour déplacer des centaines de milliers de personnes, des pauvres surtout, de Port-au-Prince vers des camps de relogement. Des terrains ont été préparés pour un de ces camps à Croix-des-Bouquets, à douze kilomètres de la capitale, pour accueillir dix mille personnes. D’autres sites ont aussi été désignés dans l’idée que les personnes évacuées de la capitale s’y installent de façon permanente.
Dans une société qui connaît des divisions aussi aigües, le soi-disant plan de reconstruction d’Haïti est inévitablement développé selon des intérêts de classe. Peut-être verrons-nous que les nouveaux camps de relogement serviront à offrir une source de travail captive pour les zones de libre-échange qui seront établies juste à côté.
Au même moment, Port-au-Prince sera reconstruite moins grande, dans une taille qui siéra mieux aux intérêts des riches du pays. C’est ce qu’a laissé entendre l’ambassadeur d’Haïti à Washington, Raymond Joseph, dans une récente déclaration. Dans une émission portant sur la tragédie infligée au peuple haïtien diffusée sur C-SPAN, le réseau de télévision américain consacré à la retransmission des travaux du Congrès, il a déclaré : « C’est une opportunité en or. Ce qui n’était pas possible politiquement a été accompli par le tremblement de terre. Nous reconstruirons de façon différente. »
De telles réingénieries sociales réalisées au nom des intérêts de la classe dirigeante du pays et du capital étranger, aux dépens des larges masses des travailleurs et des pauvres Haïtiens, résulteront inévitablement des soulèvements sociaux et de la résistance. Voilà pourquoi Washington a mis l’envoi « de bottes sur le terrain » en tête de liste de ses priorités, avant le sauvetage des vies des victimes du tremblement de terre.
Article original en anglais, WSWS, paru le 26 janvier 2010.
Bill Van Auken, WSWS
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