ÉTATS-UNIS – Les soldes tournent au cauchemar
Le 28 novembre, un salarié d’un supermarché a été piétiné à mort par des clients venus profiter des bonnes affaires. Une tragédie révélatrice de l’état d’anxiété des consommateurs américains en ces temps de crise, estime The New York Times.
Dans un supermarché Wal-Mart
La crise de 1929 nous a laissé le souvenir des files d’attente devant les soupes populaires. Les chocs pétroliers des années 1970 ont marqué les mémoires avec les files de voitures qui serpentaient devant les stations-service. Parmi les scènes révélatrices de notre époque, on retiendra celle du supermarché Wal-Mart de Long Island, où, le 28 novembre, 2 000 clients frénétiques ont piétiné à mort un salarié en se ruant pour profiter des bonnes affaires qui les attendaient à l’intérieur. Cette tragédie n’a rien d’un accident. Si tous ces gens étaient là, s’ils faisaient la queue dans le froid et l’obscurité, c’est parce que des stratégies marketing élaborées ont produit cette journée que l’on appelle le Black Friday [le vendredi noir, premier jour des soldes de la période des fêtes]. Ils se livraient au shopping matinal [ce jour-là, les magasins ouvrent à 5 heures du matin, voire plus tôt] comme on pratique un sport de contact. Aux Etats-Unis, les marchands savent à merveille créer un sentiment de pénurie au sein même de l’abondance. Or la pénurie engendre l’anxiété, chacun craignant de passer à côté des bonnes affaires s’il ne se précipite pas.
Cette année, l’anxiété est à son comble pour tous les acteurs : les consommateurs, parfaitement conscients de la gravité de la crise économique et pour lesquels les promotions sont plus importantes que jamais ; les magasins, confrontés à ce qui pourrait être la pire des périodes de fêtes de toute leur histoire ; enfin les décideurs politiques de la planète, qui vont devoir trouver un remplaçant au consommateur américain dont le goût prononcé pour les nouveaux gadgets et vêtements a longtemps été le moteur de la croissance économique mondiale, depuis Canton jusqu’à Guatemala. En effet, pendant des décennies, les Américains ont été littéralement programmés pour le shopping. La Chine, le Japon et d’autres grandes puissances leur ont fourni les moyens de se procurer leurs marchandises en achetant de la dette américaine en quantité faramineuse. Les institutions financières ont proposé des offres de crédit à tout-va et ont transformé nos logements en distributeurs de billets de banque. Enfin, Hollywood et Madison Avenue [artère new-yorkaise ou sont concentrées les agences de publicité] ont su à merveille nous convaincre de dépenser sans compter pendant les fêtes de fin d’année, de peur de passer pour des rapiats aux yeux de ceux qu’on aime.
Après le 11 septembre 2001, le président Bush a envoyé les Américains dans les centres commerciaux comme s’il s’agissait d’un acte patriotique. Au début de l’année, quand l’économie a commencé à battre de l’aile, les pouvoirs publics ont distribué des crédits d’impôts et invité les gens à dépenser. En un sens, les écrans plats “made in China” qui trônent dans les Wal-Mart sont devenus une source de réconfort pour les Américains. Et pourtant, le pouvoir d’achat diminue à la vitesse grand V. Des millions d’Américains doivent maintenant à leur banque des sommes dépassant la valeur de leur logement, ce qui leur interdit tout accès supplémentaire au crédit. Les banques elles-mêmes s’arc-boutent, espérant survivre à la tourmente. Arrêtons de vivre au-dessus de nos moyens, faisons des économies. Ce nouveau mot d’ordre est entré dans les conversations, même s’il va à l’encontre d’un impératif très ancré : dépenser. Et pourtant, une bonne partie de nos déboires actuels sont liés non pas tant au fait que nous sommes dépensiers, mais plutôt à celui que de nombreux foyers n’ont plus du tout des moyens correspondant au mode de vie des classes moyennes traditionnelles.
Les salaires réels de la plupart des Américains n’ont cessé de diminuer depuis huit ans. Les retraites ont été transformées en plan 401(k) [système d’épargne retraite financé par des fonds de pension]. Les prestations maladie se sont détériorées, quand elles n’ont pas été purement et simplement supprimées. Le temps de travail a été réduit, et de nombreux travailleurs sont contraints de trouver des emplois via des agences de travail temporaire. De fait, telle était la situation de ce malheureux homme qui travaillait au Wal-Mart de Long Island, le vendredi 28 novembre à 5 heures du matin. Il était intérimaire pour le compte d’une société emblématique de cette pratique des bas salaires. Il essayait tant bien que mal de gagner sa vie en maîtrisant une foule déchaînée. Voilà donc une tragédie digne de notre époque : la période des fêtes a débuté par des scènes de violence, nourries de désespoir. Une foule de consommateurs cherchaient frénétiquement à atteindre des choses dont ils avaient très envie, tout en sachant qu’ils risquaient de rentrer chez eux les mains vides.
Peter S. Goodman
The New York Times
Très chères soldes, Xmas s’annonce délicieusement “on crisis” cette annnée historique, l’hybris blessé est encore plus brutal. Ils ont peur de manquer et cette peur de la misère les rend plus misérables encor.
A vos marques-préférés-!
Prêts-toxiques et variés-!
Partez en vrille et piétinez l’employé!