Chine : « prend ce que tu peux »
A la suite de cet article, le fil d’infos sur la Chine. dndf
Ecrit en 2016 et toujours d’actualité : Une interview sur le projet Chuang
« nous ne prétendons pas que les grèves ou les revendications salariales sont d’une importance secondaire par rapport aux émeutes. En fait, les deux sont très souvent combinées. Nous soulignons seulement que les émeutes semblent effectivement plus fréquentes, et qu’elles ont tendance à concerner des parties plus larges de la population, par opposition à des luttes très spécifiques destinées à des types particuliers de négociation sur le salaire. Mais même ces grèves revendicatives n’ont pas vraiment le caractère des mouvements ouvriers traditionnels, dans la mesure ou de nombreux migrants ne s’attendent même pas à travailler là pour très longtemps, dans l’avenir. Il y a peu d’incitation pour les travailleurs à se doter d’institutions qui pourraient mener à bien les restructurations fondamentales dans l’entreprise, ou de plan pour une prise de contrôle révolutionnaire de la production, car il y a peu d’identification entre le travail et la vie de chacun – très différent du genre d’un « job à vie » comme on pouvait le rechercher dans les usines automobiles de milieu du 20e siècle à Detroit, par exemple. Donc, ces mouvements en Chine prennent souvent la forme de sorte de pillages, avec une mentalité du « prend ce que tu peux ». Une fenêtre apparaît dans laquelle il devient possible d’obtenir des arriérés de salaires, des primes de vacances, des prestations non versées, ou tout simplement de se venger de gestionnaires qui ont harcelé sexuellement les travailleurs, des propriétaires qui ont embauché des voyous pour battre les travailleurs qui se battent pour eux-mêmes, etc., Alors les travailleurs sautent sur l’occasion, mais souvent, ils prennent juste l’argent et partent. Ces actions sont de plus en plus collectives, mais elles présentent beaucoup plus de similitudes avec des grèves et des émeutes contemporaines dans d’autres pays que les gens ne le supposent généralement. »
« TAIPEI, 25 novembre (Reuters) – Plus de 20 000 employés de l’ immense usine chinoise du fournisseur Foxconn (2317.TW) d’Apple Inc ( AAPL.O), pour la plupart de nouvelles recrues ne travaillant pas encore sur les lignes de production, sont partis, a déclaré une source de Foxconn familière avec le affaire a déclaré à Reuters vendredi. »
https://archive.ph/6UieU
« la situation au sein de l’usine n’est pas stable »
Foxconn a déclaré à tous les employés mercredi soir, dans un SMS vu par Nikkei, que l’entreprise accueillerait ceux qui « espéraient démissionner » et leur verserait 10 000 yuans chacun, y compris le salaire, les frais de quarantaine et les frais de voyage pour rentrer chez eux, dans un effort pour calmer la situation.
À l’approche de Noël, Foxconn avait augmenté les primes pour attirer davantage de travailleurs afin de répondre à la demande de production. Les autorités de la province du Henan ont également exhorté chaque village à envoyer un travailleur sur place pour aider, reflétant l’importance économique de l’entreprise taïwanaise.
Les travailleurs migrants qui se sont rendus à Zhengzhou pour rejoindre Foxconn ont dû rester dans une salle de quarantaine de 8 à 10 personnes avant de commencer à travailler.
Foxconn a déclaré jeudi dans un communiqué que le retard de la prime pour les travailleurs nouvellement recrutés était dû à « une erreur technique » survenue lors du processus d’intégration.
« Nous comprenons parfaitement les inquiétudes de certains employés nouvellement recrutés dans le parc de Zhengzhou concernant d’éventuels changements dans la politique de subvention… Nous nous excusons pour une erreur de saisie dans le système informatique et garantissons que le salaire réel est le même que celui convenu et [sur] les affiches officielles de recrutement », indique le communiqué.
Certains employés ont déclaré sur les réseaux sociaux qu’ils avaient reçu 8 000 yuans sur leurs comptes bancaires et qu’ils recevraient les 2 000 yuans restants une fois qu’ils seraient montés dans le bus pour leur ville natale. « Je suis vraiment ravie. J’étais en quarantaine avant de commencer à travailler sur la chaîne de production, donc je n’ai pas travaillé un seul jour », a déclaré une femme dans une vidéo auto-shot publiée sur Douyin, l’équivalent chinois de TikTok, avec un capture d’écran de son relevé bancaire. « Gagner 10 000 yuans était si facile. »
Deux agences d’emploi à Zhengzhou ont déclaré à Nikkei Asia que le portail de recrutement de Foxconn avait été fermé après les troubles de mardi et ont déclaré qu’elles avaient suspendu l’envoi de travailleurs à l’usine de Zhengzhou. « Foxconn renvoie certains travailleurs chez eux, et nous ne recommandons pas à de nouveaux travailleurs de rejoindre l’usine à ce stade car la situation au sein de l’usine n’est pas stable », a déclaré l’un d’eux. »
https://asia.nikkei.com/Business/China-tech/Apple-supplier-Foxconn-offers-1-400-payouts-after-factory-unrest#:~:text=HONG%20KONG%20%2D%2D%20Apple%20supplier,amid%20a%20COVID%2D19%20outbreak.
« Tout est sur le point de commencer. »
« Dans un acte inhabituellement audacieux montrant le désespoir des gens, une foule à Shanghai a appelé à la destitution du parti communiste et de Xi Jinping lors d’une confrontation avec la police samedi, selon des vidéos diffusées sur Twitter…
Selon des photos et des vidéos sur Sina Weibo qui ont ensuite été supprimées, à l’Université de communication de Chine à Nanjing, dans l’est de la Chine, deux étudiants ont brandi samedi des feuilles de papier blanches sur une place du campus. La nuit, ils ont été rejoints par des foules d’étudiants qui ont allumé leurs téléphones portables et chanté l’hymne national avec ses paroles “Lève-toi, ceux qui refusent d’être esclaves”…
Des séquences vidéo qui auraient été filmées à Pékin montraient des gens chantant l’Internationale et scandant “La liberté ou la mort!” à l’extérieur d’un complexe d’habitation pendant la nuit. L’emplacement n’a pas pu être confirmé.
Une vidéo, prétendument filmée à Guangzhou, montrait des foules abattant des barrières de verrouillage dans un complexe de logements, tandis qu’une autre – prétendument filmée à Tongzhou près de Pékin – montrait également des foules écrasant des barrières de verrouillage tout en scandant «Non aux tests PCR». Leurs emplacements n’ont pas pu être vérifiés de manière indépendante.
China Digital Times, un site d’information basé aux États-Unis, a rapporté que des manifestations avaient également eu lieu à l’Académie des beaux-arts de Xi’an dans le nord-ouest et à l’Université des langues étrangères du Sichuan dans le sud-ouest. »
https://www.theguardian.com/world/2022/nov/27/anti-lockdown-protests-spread-across-china-amid-growing-anger-at-zero-covid-strategy
« La nuit dernière (( 26 novembre), des troupes ont été envoyées dans le district de Haizhu à Guangzhou pour tenir les habitants de Haizhu à distance. »
https://twitter.com/i/status/1596759047918665728
Pour plus d’infos et vidéos : https://twitter.com/247ChinaNews
« les troubles sont loin de ceux observés en 1989, lorsque les manifestations ont culminé avec la répression sanglante de la place Tiananmen. »
Affrontements à Shanghai
« Urumqi (Xinjiang), Shanghaï, Pékin, Nankin (Jiangsu), Canton (Guangdong), Zhengzhou (Henan), Wuhan (Hubei), Chengdu (Sichuan), Changsha (Hunan), Chongqing… Depuis vendredi 25 novembre, des dizaines de milliers de personnes participent à des manifestations collectives en Chine, malgré les risques encourus. Les grèves et les protestations sont moins rares dans ce pays qu’on a tendance à le croire en Occident. Néanmoins, un tel mouvement d’ampleur nationale est inédit depuis juin 1989. »
https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/28/en-chine-le-silence-du-pouvoir-face-aux-manifestations-de-plus-en-plus-politiques-contre-la-strategie-zero-covid_6151930_3210.html
« Des centaines de manifestants et de policiers se sont affrontés à Shanghai alors que les protestations contre les restrictions strictes de Covid en Chine ont éclaté pour un troisième jour et se sont étendues à plusieurs villes, dans le plus grand test pour le président Xi Jinping depuis qu’il a obtenu un troisième mandat historique au pouvoir….
Parmi les autres villes qui ont connu une dissidence publique, citons Lanzhou dans le nord-ouest, où les habitants ont renversé samedi les tentes du personnel de Covid et détruit les cabines de test…
Pourtant, a-t-il dit, « les troubles sont loin de ceux observés en 1989, lorsque les manifestations ont culminé avec la répression sanglante de la place Tiananmen. »
https://www.theguardian.com/world/2022/nov/28/clashes-in-shanghai-as-protests-over-zero-covid-policy-grip-china
A propos de Tiananmen 1989 :
« Revue Chuang : A propos de Tiananmen 1989 »
https://dndf.org/?p=17823#more-17823
« CHINE : le 5 juin 1989 »
https://dndf.org/?p=16920#more-16920
« Les manifestations de la Chine : signe avant-coureur ou tempête passagère ? »
Extraits traduits avec DeepL
« Les manifestations semblent être une véritable manifestation de colère entre les classes sociales, avec des jeunes et des travailleurs instruits qui se rassemblent dans tout le pays. La cause aiguë de cette protestation est la frustration suscitée par le programme “Covid zéro”. Cette politique a eu des effets à la fois généralisés et concentrés. Les médias occidentaux ont bien rendu compte des effets généraux de la réduction de la croissance économique et des problèmes quotidiens liés au port du masque, aux tests et aux restrictions de voyage. Cependant, au-delà de ces impacts, la politique s’est abattue de manière disproportionnée sur les pauvres qui ont besoin d’emplois pour survivre, sur ceux qui ont perdu toutes leurs économies à cause des entreprises familiales détruites par le covid, et sur les innombrables personnes qui ont souffert des quarantaines forcées.
Les manifestants n’ont pas limité leurs demandes aux seules restrictions du Covid. Des vidéos circulent de chants réclamant la liberté d’expression, la liberté des Ouïghours et même l’éviction de Xi. Au-delà de Covid Zero, les frustrations résultant de la gouvernance de plus en plus autocratique de Xi se manifestent.
À court terme, Xi a deux décisions à prendre : comment gérer Covid Zero et avec quelle sévérité réprimer les manifestations de rue et en ligne. La principale inconnue est le degré d’élan durable derrière le mouvement populaire actuel, et la manière dont les décisions concernant la politique de Covid et la répression auront un impact sur l’opinion publique et sur l’intensité et l’ampleur des manifestations de rue…
Cela dit, il est peu probable que ces protestations se transforment en une préoccupation permanente attirant des dizaines de milliers de personnes ou s’étendant sur plusieurs mois. Les Hongkongais ont eu plusieurs séries de protestations dans les années 2010 pour apprendre et s’organiser avant l’été et l’automne 2019. De petites actions comme la campagne de syndicalisation de l’usine Jasic en 2018 sont loin d’Occupy Central et du Mouvement des parapluies. Hong Kong a également bénéficié de communications sécurisées sur Signal et Telegram ainsi que d’une force de police qui, dans les premières semaines, était à la fois trop douce dans la répression et trop indisciplinée pour ne pas créer des moments viraux de violence »
https://www.chinatalk.media/p/chinas-protests-harbinger-or-passing?fbclid=IwAR1NN37vDdXbzCyYFCt8rAt8MXDHzLj9DqyL_tbvlHOPuvxeV4S23BoN6Yc
«Même si les mouvements semblent « spontanés », presque des happenings qui surgissent brusquement, ils s’appuient néanmoins sur des formes de solidarité qui échappent à l’État-Parti, lequel se défie de toute organisation alternative : les ouvriers sont collègues, ils partagent des chambrées à douze, et se regroupent souvent en fonction de leur localité d’origine. Le maillage est certes lâche, pas bien coordonné, et sans leaders apparents, mais ces petites solidarités se superposent et peuvent très vite se consolider quand les ouvriers sont confrontés à des injustices patentes et qu’ils font l’expérience commune de la lutte. »
Chine : « Je ne vois pas comment cet embrasement s’arrêterait »
Il y a une semaine, les ouvriers de la plus grosse usine de production d’iPhone se révoltaient, ouvrant la voie à un mouvement de protestation dans toute la Chine, exaspérée par la politique « zéro Covid ». Entretien avec la sociologue Jenny Chan, spécialiste du monde ouvrier chinois.
HongHong Kong (Chine).– Depuis quelques jours, la société civile chinoise est en ébullition. Partout, de Canton à Pékin, en passant par Shanghai, Nankin ou Xian, des centaines et parfois des milliers de personnes défilent dans la rue et sur les campus, clamant haut et fort leur exaspération et dénonçant avec force slogans les souffrances imposées par les mesures sanitaires très strictes d’une politique « zéro Covid » qui dure depuis bientôt trois ans.
Mi-octobre, puis à nouveau fin novembre, plusieurs dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses de l’usine Foxconn de Zhengzhou, dans le Henan, ceux-là mêmes qui fabriquent les iPhone 14 Pro et Pro Max d’Apple, avaient ouvert la voie à l’expression de ce ras-le-bol généralisé.
Sur place, dans cette ville-usine, sans la possibilité d’établir un véritable dialogue social et pour les ouvriers de faire entendre leur voix et leurs inquiétudes, la peur a fini par l’emporter.
Pour mieux comprendre la situation, la professeure de sociologie Jenny Chan, de l’université polytechnique de Hong Kong, elle-même autrice d’une thèse sur Foxconn au début des années 2010 – « Dying for an iPhone » et coautrice du livre La machine est ton seigneur et ton maître (Agone) – et s’intéressant toujours de près aux évolutions de ce site qui emploie jusqu’à 300 000 ouvriers et ouvrières, nous éclaire sur les enjeux présents et à venir d’un monde ouvrier qui n’a, comble de l’ironie, bien souvent à perdre que ses chaînes.
Mediapart : Le mouvement de protestation actuel en Chine a débuté il y a tout juste une semaine à Zhengzhou, dans l’usine Foxconn. Est-ce un signe d’une plus grande maturité des demandes du monde ouvrier, ou la réaction est-elle plus contextuelle, liée à l’exaspération provoquée par les mesures anti-Covid ?
Jenny Chan : C’est vraiment le signe d’une exaspération, d’un ras-le-bol rendu d’autant plus insupportable que les ouvriers n’ont personne vers qui se tourner : les autorités locales agissent comme des subordonnés de la direction de l’usine et le syndicat officiel est totalement absent. Il s’agissait pour eux d’évacuer un trop-plein de colère. Si les manifestants s’en sont pris aux cabines de test et aux caméras de surveillance, c’est bien le dispositif mettant leur vie en danger qu’ils visaient, sinon ils s’en seraient pris à leur outil de production… ce qui n’a pas du tout été le cas.
Il est également intéressant de constater qu’en dépit d’une prétention du pouvoir à contrôler plus étroitement la société et les espaces d’expression en ligne depuis quelques années, on a en réalité bénéficié d’une très grande visibilité sur ce qui se passait sur le terrain, plus même qu’il y a dix ans. Les travailleurs ont eu recours à Bilibili, Douyin et d’autres plateformes pour diffuser des vidéos et des documents, notamment les nouveaux contrats et les directives de Foxconn, autant de choses qui n’ont plus d’existence papier mais qui sont envoyées depuis les comptes numériques officiels de l’entreprise, indiquant aussi les rémunérations et toutes les retenues – pour la nourriture, le logement et les différents fonds de sécurité sociale. Le mensonge est donc apparent, quasiment en temps réel.
Le fait de pouvoir filmer les choses, restituer la réalité brute en élargissant le cadre et l’action en temps réel via des “live streams” change complètement la donne.
Sur les réseaux sociaux, j’ai moi-même pu constater que sur certains groupes WeChat plus aucune image des heurts violents des 22 et 23 novembre n’apparaissait, alors que les images de l’exode d’octobre avaient largement circulé. En revanche, de nombreuses vidéos ont circulé sur Twitter, pourtant interdit en Chine, depuis des comptes en chinois, et il n’est pas à exclure que des ouvriers aient eu recours à des VPN, ce qui était plutôt l’apanage des intellos, des activistes et des classes moyennes auparavant.
Le fait de pouvoir filmer les choses, restituer la réalité brute en élargissant le cadre et l’action en temps réel via des live streams change complètement la donne. Ça n’a plus rien à voir avec mon expérience de 2010 lorsque j’enquêtais sur les suicides à répétition dans l’usine Foxconn de Shenzhen. Cette fois, les travailleurs filmaient les affrontements en direct depuis leur dortoir au 7e ou 8e étage. Et peu importe la source au final, ce qui compte c’est la multiplicité des points de vue et la capacité à les faire circuler très vite.
Malgré la censure, les termes de recherche bannis pendant plusieurs jours (« émeutes » ; « Hon Hai », le nom en Chine de Foxconn ; etc.) et la non-existence du phénomène dans la presse officielle, l’information continue d’être disponible.
Et la colère va au-delà de la classe ouvrière…
Avec ce qui se passe un peu partout en Chine après l’incendie à Urumqi, au Xinjiang, lequel a fait dix morts surtout parce que les secours ont tardé à arriver en raison des mesures de filtrage et de restriction d’accès liées à la politique « zéro Covid », on sent bien que l’exaspération est à son comble.
Des manifestations « spontanées » ont eu lieu partout en Chine durant le week-end dernier, avec des modes d’expression semblables et des slogans se faisant écho. Jusque et y compris à Hong Kong, sur le campus de Hong Kong University notamment [depuis aussi et plus massivement sur les campus de Hong Kong Baptist University et Chinese University of Hong Kong – ndlr]. Et tout cela alors que les chiffres d’infection n’ont jamais été aussi hauts – avec plus de 30 000 cas par jour à l’échelle du pays, et bientôt beaucoup plus.
En Chine continentale, les autorités ont réagi en réprimant et en isolant, voire en interdisant l’accès à la rue Urumqi, à Shanghai, afin de prévenir les manifestations à répétition.
Les mobilisations en ligne qui se traduisent par des mobilisations effectives, dans les usines et dans la rue, méritent donc d’être étudiées de plus près, car en dépit de la censure, la toile chinoise est un lieu d’affrontement et de débat dans lequel l’État veut dire sa « vérité » et les opprimés font entendre leur voix. Foxconn même s’est senti obligé de présenter des excuses, en ligne, forcément.
Même si les mouvements semblent « spontanés », presque des happenings qui surgissent brusquement, ils s’appuient néanmoins sur des formes de solidarité qui échappent à l’État-Parti, lequel se défie de toute organisation alternative : les ouvriers sont collègues, ils partagent des chambrées à douze, et se regroupent souvent en fonction de leur localité d’origine. Le maillage est certes lâche, pas bien coordonné, et sans leaders apparents, mais ces petites solidarités se superposent et peuvent très vite se consolider quand les ouvriers sont confrontés à des injustices patentes et qu’ils font l’expérience commune de la lutte.
Par ailleurs, je ne crois pas qu’il y ait un degré plus élevé de maturité de la classe ouvrière – peut-on d’ailleurs vraiment parler de conscience de classe ? – car j’avais pu constater il y a plus de dix ans que les travailleurs connaissaient déjà très bien leurs droits : certains n’hésitaient pas à recourir ainsi au système des pétitions adressées au gouvernement local, notamment lorsqu’ils ne percevaient pas leurs indemnités de licenciement – encore aujourd’hui un gros problème en Chine.
Ce à quoi nous assistons en ce moment, c’est un mouvement de rébellion contre la politique “zéro Covid” qui isole et circonscrit les populations.
Le changement majeur est lié à ces trois dernières années et à la politique « zéro Covid », laquelle, si elle a certainement permis de sauver des vies au départ, a depuis largement contribué à dégrader les conditions de vie de la population et les conditions de travail en particulier.
D’un côté, les ouvriers ne sont pas tenus bien informés quant aux risques de la pandémie, et sont confinés dans leur petit dortoir, avec pour seul passe-temps l’usage de leur téléphone portable. Le climat est particulièrement malsain, psychologiquement et physiquement. De l’autre, Foxconn s’avère incapable d’assurer la sécurité sanitaire sur les lieux de travail et Apple est obsédé par les délais de livraison des iPhone à l’approche de Noël et du Nouvel An. Les autorités locales, censées pourtant garantir les droits fondamentaux des travailleurs, sont prises entre une collusion avec les entreprises et des exigences venues de plus haut dans l’administration qui les rendent responsables de toute nouvelle flambée de la pandémie.
Peut-on voir d’autres usines dans d’autres provinces se soulever ?
Il n’y a pas vraiment d’autres sites en Chine qui emploient jusqu’à 300 000 travailleurs au moment des pics de production. Foxconn à Zhengzhou, c’est une ville dans la ville. Néanmoins, le mécontentement dans d’autres villes et sites industriels s’était déjà fait entendre, s’agissant notamment des méthodes de production en « circuit fermé », véritable atteinte à la liberté de circulation.
Lors de la vague pandémique à Shanghai, surtout en avril et mai, plusieurs entreprises avaient eu recours à ce mode de gestion quasi carcéral, et les mécontentements s’étaient fortement exprimés – chez Quanta, un autre fournisseur d’Apple, 3M, Tesla et bien d’autres. Certains dormaient à même le sol de l’usine ! On avait alors assisté à une déshumanisation complète des conditions de travail. Toutes les mesures de lutte contre le Covid en entreprise sont inspirées par la nécessité de maintenir la production, alors même que les « bulles » censées isoler les lieux de travail du reste du monde finissent toujours par devenir poreuses.
Ce à quoi nous assistons en ce moment, c’est un mouvement de rébellion contre la politique « zéro Covid » qui isole et circonscrit les populations : les travailleurs à l’usine, les étudiants sur les campus et on peut même dire que les citoyens en général sont prisonniers de leur propre maison. Le mécontentement est général, et je ne vois pas pourquoi ni comment cet « embrasement » s’arrêterait si l’on ne fait pas plus confiance à la responsabilité citoyenne et même aux gouvernements locaux, lesquels n’ont en réalité plus aucune marge de manœuvre.
Pour revenir sur les événements de Zhengzhou, quelles sont les responsabilités ?
Tout semblait rentrer dans l’ordre après la fuite de milliers d’ouvriers à la suite de premiers cas de Covid en octobre. Certains nouveaux arrivants avaient commencé à travailler tandis que d’autres attendaient d’être confirmés négatifs au Covid dans les dortoirs.
Quand de violents affrontements entre les travailleurs, la direction et la police ont éclaté les 22 et 23 novembre, tout le monde a donc été surpris. Très rapidement, cependant, on s’est rendu compte via les médias sociaux que les nouveaux travailleurs avaient beaucoup à redire sur la nourriture et les conditions de vie dans les dortoirs, notamment parce que les risques d’infection entre ouvriers déjà sur place et nouveaux arrivants demeuraient importants.
Lorsque Foxconn a demandé aux nouveaux travailleurs de signer un contrat qui ne correspondait pas aux termes et conditions convenus, la frustration s’est vite muée en colère. Ils ont eu le sentiment d’avoir été trompés, particulièrement les temporaires qui se voyaient mis au pied du mur pour signer un contrat courant jusqu’à mi-mars au lieu de mi-février et devant attendre fin mai pour obtenir le deuxième paiement de 3 000 yuans (plus de 400 euros) de leur prime de respect de planning.
Face aux mécontentements, Foxconn a immédiatement fait appel à la police antiémeute, et les travailleurs récalcitrants ont été brutalement battus, certaines images sur le Net montrant des visages couverts de sang. La police, tantôt en équipement noir antiémeute avec bouclier et matraque, tantôt en combinaison Hazmat blanche, a utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser la foule en colère, ce à quoi les travailleurs ont riposté en cassant les caméras de vidéosurveillance et les cabines de tests anti-Covid, en jetant toutes sortes de projectiles, en mettant le feu aux poubelles, et en retournant même une voiture de police. Puis les employés se sont mis à défiler depuis les dortoirs jusqu’à l’usine pour demander des compensations.
Pour moi, les images montrent clairement qu’il y a eu provocation policière et que les travailleurs étaient sur la défensive, exaspérés par les mensonges de la direction de Foxconn qui n’a rien trouvé d’autre à dire que « le malentendu » sur les contrats était le produit d’une « erreur de saisie informatique ». Mais le mal était fait, d’où la proposition de Foxconn, le 23 novembre, d’offrir une indemnité de 10 000 yuans à ceux désirant quitter le site – 8 000 pour leur temps de travail et 2 000 pour rentrer chez eux.
Foxconn est particulièrement coutumier de promesses de salaires élevés, qui ne sont finalement pas tenues. La grande différence entre les départs d’octobre et ceux de novembre, c’est que les ouvriers fraîchement recrutés ont décidé de prendre les choses en main et de ne pas repartir les mains vides, défiant la direction de l’usine, ses abus et la réponse purement répressive en cheville avec les autorités locales. »
https://www.mediapart.fr/journal/international/291122/chine-je-ne-vois-pas-comment-cet-embrasement-s-arreterait
« Le soulèvement de Foxconn à Zhengzhou
Le lien explosif du travail et de la reproduction sociale en Chine »
Extraits en traduction DeepL
« Quelle est la signification de Foxconn Zhengzhou dans le paysage de la politique du travail en Chine dans son ensemble ?
YD : Comme je l’ai mentionné précédemment, la délocalisation de Foxconn de Shenzhen, où 18 suicides d’ouvriers ont choqué le monde en 2010, vers l’intérieur de la Chine, y compris Zhengzhou, n’est pas un cas isolé, mais élucide certains changements majeurs dans la structure industrielle de la Chine et dans la politique du travail en général1 .
Tout d’abord, à l’échelle nationale, avec l’augmentation du coût de la main-d’œuvre chinoise, les capitaux (y compris Foxconn) ont fui la Chine ou se sont déplacés vers ses régions intérieures à la recherche d’une main-d’œuvre moins chère. En conséquence, la fabrication de produits électroniques a remplacé la production de textiles en coton pour devenir le principal employeur de travailleurs peu qualifiés à Zhengzhou. Parallèlement, les services bas de gamme ont dépassé la fabrication à forte intensité de main-d’œuvre pour devenir le plus grand secteur employant des travailleurs peu qualifiés dans le pays. Dans le cadre de mes propres recherches, j’ai constaté que de nombreux travailleurs du textile licenciés sont passés au secteur des services, devenant des nounous post-partum et d’autres types de travailleurs sociaux.
Deuxièmement, en raison du déplacement du capital vers l’intérieur des terres et de l’industrialisation rapide qui en a résulté, certains changements fondamentaux sont intervenus dans la main-d’œuvre migrante chinoise. Alors que dans le passé, la majorité des travailleurs migrants quittaient leur ville natale, qui était généralement une région intérieure spécialisée dans l’agriculture, pour travailler dans les zones économiques spéciales (ZES) côtières, aujourd’hui, un nombre croissant d’entre eux deviennent des migrants à l’intérieur de la province, travaillant dans les villes voisines qui ont été rapidement industrialisées. C’est pourquoi, dans le cas de Zhengzhou Foxconn, plus de 90 % des travailleurs sont originaires du Henan, dont certains ont pu rentrer chez eux à pied lors du récent “grand exode”. En outre, la main-d’œuvre du secteur manufacturier vieillit rapidement, l’âge moyen étant d’environ 40 ans. En d’autres termes, ce ne sont plus les “filles et garçons d’usine” qui fabriquent nos iPhones, mais plutôt les oncles et tantes.
Troisièmement, chose surprenante pour beaucoup, la Chine a connu récemment un processus de “formalisation” du travail. En 2014, le gouvernement central a promulgué une nouvelle loi qui interdit aux employeurs d’embaucher des travailleurs détachés, qui sont des contractants temporaires recrutés par une agence de placement indépendante de l’entreprise – une pratique tristement célèbre pour Foxconn. Lorsque je travaillais à Zhengzhou Foxconn il y a quelques années, la plupart des nouvelles recrues se voyaient proposer un contrat officiel avec assurance sociale, du moins sur le papier. Pourtant, une grande partie de ces travailleurs de Foxconn préfèrent se transformer en main-d’œuvre informelle de facto : ils entrent dans l’usine, y travaillent pendant quelques mois, puis partent volontairement après la haute saison ; l’année suivante, beaucoup reviennent dans la même usine en tant que nouvelles recrues. Alors que par le passé, la main-d’œuvre migrante chinoise restait généralement dans la même usine ou la même ville pendant plusieurs années et ne se rendait chez elle qu’une fois par an, aujourd’hui, un emploi dans l’industrie manufacturière ressemble à un emploi temporaire dans la “gig economy” qui prévaut dans les sociétés néolibérales post-industrialisées. Dans l’article à paraître, j’appelle ce phénomène “gig manufacturing”.
Alors, comment expliquer cette énigme ? Pourquoi les travailleurs préfèrent-ils renoncer aux avantages liés à un contrat officiel et rester dans une position plus précaire ? Je soutiens que des dynamiques sont à l’œuvre tant au niveau de la production qu’au niveau de la reproduction sociale.
Au point de production, c’est-à-dire à l’atelier de fabrication de l’iPhone, comme l’entreprise a maintenu le salaire de base à un niveau très bas – presque identique au salaire minimum de Zhengzhou (2100 yuans/mois, soit environ 300 dollars/mois), tous les travailleurs comptent sur la possibilité de faire des heures supplémentaires pour gagner un revenu supplémentaire. Pendant la haute saison, généralement l’été avant la sortie des nouveaux produits Apple en septembre, un travailleur peut gagner jusqu’à 6000-8000 yuans/mois grâce à de longues heures supplémentaires. Mais après la haute saison, ils ne trouveront plus d’intérêt à ne faire que des heures normales.
Pendant ce temps, au niveau de la reproduction sociale, qui est essentiellement constituée par les familles des travailleurs dans les communautés rurales, on constate une intensification croissante de la demande de travail de soins aux enfants et aux personnes âgées – une demande hautement sexuée qui touche de manière disproportionnée les mères travaillant à Foxconn. Cette importance croissante du travail de soins est le résultat de la marchandisation rapide de la reproduction sociale, y compris la privatisation des soins aux enfants, aux personnes âgées et à l’éducation dans la Chine rurale.
Ensemble, ces facteurs créent un dilemme pour ces travailleurs : le besoin urgent de revenus en espèces pousse les parents ruraux, qui représentent une part importante de la main-d’œuvre, à venir travailler chez Foxconn ; d’un autre côté, la demande de la famille en matière de soins et de travail émotionnel attire les travailleurs, en particulier les mères, vers leur famille. En fin de compte, de nombreux travailleurs finissent par faire de cet emploi un travail saisonnier. »
https://www.tempestmag.org/2022/12/the-foxconn-uprising-in-zhengzhou/
« Si vous nous touchez, ça va devenir un nouveau Foxconn ici ! »
« Si l’heure semble être à une lente et très progressive réouverture, le quotidien de centaines de millions de Chinois continue d’être marqué par les contraintes sanitaires. Des étudiants ont manifesté contre le confinement de leur université dans l’est de la Chine, selon des vidéos publiées mardi 6 décembre sur les réseaux sociaux chinois….
Dans la vidéo, on voit des étudiants se disputer avec des représentants de l’université. « Si vous nous touchez, ça va devenir un nouveau Foxconn ici ! », crie un jeune en référence aux violentes manifestations d’ouvriers le mois dernier dans l’usine chinoise du géant taïwanais, qui fabrique les iPhone pour Apple. »
https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/12/06/en-chine-des-etudiants-manifestent-contre-le-confinement-de-leur-universite_6153178_3244.html