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Face à la crise, les entreprises se sont protégées aux dépens des salariés les plus fragiles

La flexibilité a protégé les entreprises. Pour faire face aux ralentissements conjoncturels des derniers trimestres, elles ont joué sur deux tableaux. Sur les ajustements internes, avec le recours au chômage partiel, sur le périmètre externe avec l’utilisation de l’intérim et des contrats à durée déterminée (CDD).[print_link]

Au final, s’est conforté un marché du travail “à deux vitesses”. Comme l’analyse le Centre d’analyse stratégique (CAS) dans sa note de novembre (n° 156). Pour René Sève, son directeur, la crise a causé un choc conjoncturel intense. Pour y faire face, les entreprises se sont resserrées sur leur coeur de métier et sur leurs salariés en CDI. “Les salariés en contrats stables appartenant au coeur de l’emploi ont été relativement épargnés par les destructions d’emplois au second trimestre 2009”, note bien le CAS. En externe, le travail intérimaire a joué “le rôle d’amortisseur de choc conjoncturel, notamment dans l’industrie où il a représenté plus de la moitié des destructions d’emplois entre le 1er avril 2008 et le 30 juin 2009”.

Dans les services marchands, ce sont les CDD qui ont joué ce rôle. Pour préserver ce “coeur” de main-d’oeuvre, les entreprises ont aussi recouru massivement au chômage partiel : “Le nombre total de personnes salariées en chômage partiel en France métropolitaine dépassait au second trimestre 2009, le nombre maximal atteint lors du choc de 1993”, dit le CAS.

Des inégalités criantes

Cette protection des salariés “stables” – observée aussi en Allemagne – a accentué la “dualisation du marché du travail”.

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il a connu un coup d’accélérateur. Il a commencé à se dessiner au fil de la seconde moitié des années 1990 et des recompositions successives du tissu productif français, avec des entreprises qui, en se recentrant sur leur coeur de métier, ont recouru massivement à la sous-traitance, contribuant à généraliser l’intérim.

Cette dualité du marché du travail, qui a joué son rôle de bouclier pendant la récession, risque maintenant de desservir les entreprises qu’elle a protégées. Cette gestion par l’externe pourrait se montrer inefficace en sortie de crise si les entreprises n’en profitent pas pour préparer l’avenir. “L’enjeu est de savoir si elles sauront organiser la “mobilité interne”, à savoir la formation de leurs salariés aux nouveaux métiers, aux nouvelles technologies”, explique M. Sève.

Au-delà du gisement supposé d’emplois autour de l’environnement, du développement durable ou des nouvelles technologies, former ses salariés à de nouvelles tâches est désormais le premier levier pour augmenter l’efficacité de l’entreprise. “Pour assurer sa profitabilité, si elle veut dégager des marges, accroître sa valeur en cas de revente, attirer des fonds, l’entreprise doit développer une stratégie industrielle et, pour ce faire, organiser cette mobilité”, déclare M. Sève.

Problème, explique l’auteur de la note, Maxime Liégey, “il n’est pas sûr que les entreprises existantes puissent d’elles-mêmes s’adapter et redéployer leurs efforts vers de nouveaux marchés”. Surtout les petites et moyennes, qui peinent le plus à se convertir à de nouvelles logiques. Et ce, malgré l’opportunité que représente le recours massif aux dispositifs de chômage partiel ou aux actions de reclassement, avec les possibilités de formation qui les accompagnent.

La situation varie là encore d’un secteur à l’autre, ce qui amplifie encore les inégalités et différencie le sort des salariés. Les secteurs d’activité qui recourent le plus facilement aux contrats courts et intérimaires sont aussi ceux qui ont aussi le plus de difficultés à organiser les formations. Contrairement aux secteurs qui offrent des emplois stables, à faible rotation, des salaires plus élevés et des perspectives d’évolution.

La crise aura eu un rôle d’accélérateur dans l’esquisse d’un marché du travail hexagonal véritablement dual, où certains salariés cumulent les inconvénients.

Rémi Barroux
Article paru dans l’édition du 13.11.09

LE MONDE | 12.11.09 | 14h20  •  Mis à jour le 12.11.09 | 14h20

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  1. Patlotch
    12/11/2009 à 23:49 | #1

    Pour ce que j’en ai étudié dans la Fonction Publique, il faut aussi considérer la dynamique démographique (et géographique) en projection, du fait que nous sommes dans les pleines années d’arrivée à l’âge de la retraite des enfants du baby-boom. Et ceci dans le contexte de la crise, qui accèlère le processus.

    Dire que “Pour y faire face, les entreprises se sont resserrées sur leur coeur de métier et sur leurs salariés en CDI.” masque le fait qu’il n’est pas nécessaire de licencier ces salariés (du public ou du privé) pour se débarrasser du caractère relativement stable des contrats CDI, ou des fonctionnaires – ce qu’illustre la règle gouvernementale de la RGPP (Révision générale des politiques publiques), dont un aspect est le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux. Ce rythme était déja considéré en haut lieu comme insuffisant avant la crise, ce qui annonce, progressivement – après la loi de mobilité de juillet dernier – des mesures législatives autorisant le licenciement de fonctionnaires (en masse seront d’abord concernées les catégories C).

    Pour l’heure, même les entreprises qui tournent à peu près amortissent les effets de la crise sur les plus précaires (CDD…). Mais l’exemple de celles qui licencient CDD ET CDI va probablement s’étendre, parce le seul flux de l’amortissement par les mesures évoquées dans l’article sera vite insuffisant.

  2. Patlotch
    13/11/2009 à 22:51 | #2

    Dans la boîte où bosse une proche amie, une filiale européenne d’une des plus grandes multinationales de la chimie, à base japonaise, secteur de pointe, salaires élevés, contrats CDI meilleur que la moyenne de la convention collective “chimie” (la meilleure en France après la métallurgie), résultats européens les meilleurs du groupe en 2008, les commandes faiblissent sur fond de crise tous azimuts (aéronautique principalement)… L’éthique des patrons japonais est “pas de licenciements”, c’est le discours du PDG au premier janvier dernier. Salaires des cadres nettoyés des primes, plus de photocopies couleur, limitation drastique des déplacements en avion, etc… Valse des cadres pour aligner le management sur la nécessité économique, sans états d’âmes. On a commencé par ne pas renouveller les contrats d’intérim, faire faire à un ce que faisaient deux, etc… . Deux à trois mois de chômage partiel sont prévus après Noël dans l’usine de production française, à l’exception des technico-commerciaux, sous pression pour écouler les stocks faute de mieux. Selon le DRH, les gars – les ouvriers – seraient contents, des vacances payées 80% sur la base de salaires élevés, que demande le peuple ?… Mais bon, mon petit doigt me dit qu’ils sont pas plus cons que ça, qu’ils font avec en attendant la phase suivante, au retour de “vacances”… Il y a deux ans, les jeunes embauchés sur CDI, avec les meilleurs salaires de la région, non syndiqués, bloquaient l’usine pour des compensations horaires et autres… La fédé CGT suivait, mais ça passait très mal dans les autres boîtes où l’on gagnait deux fois moins…

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