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La Chine bouge, les éléments déclencheurs

Pour le sinologue Jean-Phillippe Béja (voir aricle plus bas, note dndf), “cette carence conjoncturelle s’inscrit dans une tendance structurelle de réduction de la croissance démographique. On compte qu’à partir de 2015, la population active commencera à décroître, et notamment le nombre des 15-24 ans qui constituent l’essentiel de la main d’œuvre employée dans les usines produisant pour l’exportation. La main d’œuvre restera naturellement abondante mais on peut penser que cette réduction relative permettra aux travailleurs d’obtenir des améliorations tant au niveau des conditions de travail que des rémunérations. [print_link]

L’autre raison qui peut être avancée pour expliquer l’émergence de ces conflits sociaux est une certaine évolution dans la mentalité et les aspirations des jeunes travailleurs. Nés après les réformes d’ouverture, ils ne sont plus prêts à accepter l’exploitation que subissaient leurs parents. De plus, avec le développement des technologies de communication, ils sont beaucoup mieux informés qu’avant et prennent conscience de la précarité de leur situation, mais aussi de leur force… “La nouvelle génération de travailleurs est moins disposée à se contenter d’un travail mal payé et une vie ennuyeuse”, confirmait récemment Lai Desheng, professeur en économie du travail à l’université normale de Beijing au “Christian science monitor”. Enfin, les travailleurs sont également aidés par l’amélioration de la qualité des produits fabriqués dans les usines, comme l’explique Jim Leininger, employé d’une entreprise de ressources humaines. Pour lui, “la tendance à la haute qualité et la productivité nécessite des travailleurs plus qualifiés et ces derniers peuvent donc réclamer des salaires plus élevés”.

Des grèves très encadrées
Depuis 2008, la Chine dispose d’un nouveau code du travail, plus favorable aux travailleurs. Si il n’autorise pas le droit de grève ou la liberté de se syndiquer, ce texte apporte tout de même des avancées, la plus significative étant l’obligation de régir les relations de travail par un contrat écrit. “Cela permet aux travailleurs d’être protégés par un cadre légal, et de pouvoir prouver la relation qui les lie avec leur patron en cas d’accident ou de conflit”, explique Li Hua, avocate spécialisée en droit du travail pour le cabinet Gide. Mais malgré l’obligation, de nombreuses entreprises ne signent pas de contrat” . “Les travailleurs peu éduqués venus des régions pauvres ne connaissent pas leurs droits”, poursuit Li Hua. “Et puis, il hésitent avant de se lancer dans une procédure pénale et préfèrent régler le conflit à l’amiable ou tout simplement endurer, car ils craignent qu’après cela ils ne puissent pas retrouver du travail. Pourtant, quand des cas sont portés devant la justice, ce sont la plupart du temps les employés qui les gagnent!”
Quant aux grèves, elles se déroulent en fait dans un cadre légal flou, comme l’explique l’avocate. “Le droit de grève a été enlevé de la constitution en 1982, raconte t-elle. Mais il n’a pas été remplacé par une interdiction. Il y a donc un vide juridique et pour moi, quand quelque chose n’est pas interdit, c’est qu’il est autorisé”.

Une question de vocabulaire
Pourtant, dans les usines, ce flou juridique n’a pas empêché les grévistes de prendre des précautions. C’est pourquoi les ouvriers ont souvent appelé leurs collègues à des “promenades” au lieu de parler directement de grève. “Nous n’appelons pas ça une grève. Nous disons juste que nous avons arrêté le travail”, expliquait récemment un dénommé Zhang à un journaliste du Guardian, sur le site de Honda à Zhongshan. Les leaders, eux, sont souvent demeurés discrets, voire anonymes. Ils savaient en effet les risques qu’ils prenaient, face au gouvernement et à leurs patrons bien sûr, mais également face au syndicat unique, émanation directe du Parti Communiste dans les entreprises, plus enclin à organiser des compétition sportives et des sorties qu’à défendre les intérêts des travailleurs. Dans les quelques 27 grèves qui ont eu lieu ces derniers temps, plusieurs cas d’agression physique des membres du syndicat contre des grévistes ont été constatés. Illustration de ces tensions dans les entreprises touchées par des mouvements sociaux : la prudence et la modération des grévistes… Pour éviter toute confrontation directe, les ouvriers utilisent des slogans modérés, appelant par exemple plutôt à la “reconstruction” des syndicats qu’à la création de syndicats autonomes.

La fin du “made in China” ?
Largement commentées par les médias internationaux, les conséquences de ces mouvements sociaux sont en partie imprévisibles, mais elles risquent d’être multiples. D’abord, la situation, qui s’est déjà améliorée pour la plupart des grévistes, semble pour l’instant annoncer d’autres conflits. Car selon certains observateurs, ces événements ont fait prendre conscience aux ouvriers chinois de leur pouvoir comme de leur condition de classe. La perspective d’autres mouvements similaires est donc envisageable. “Je pense qu’il y aura de plus en plus de grèves, estime Liu Kaiming, de l’Institut d’Observation Contemporaine. Les travailleurs se préoccupent maintenant de leurs droits et de leurs revenus. Ils ont commencé à comprendre que leur pauvreté économique est liée à leur faiblesse politique.”

Quels changements pour les entreprises étrangères ?
La question qui se pose également est celle de l’avenir des entreprises étrangères en Chine, et du fameux statut “d’atelier du monde” attribué depuis quelques années à l’empire du milieu. L’augmentation des salaires minimum et des droits des travailleurs chinois va t-elle pousser les entreprises à délocaliser vers des pays moins coûteux ? Pour Laurent David, patron de l’entreprise Easybox qui produit des écrins pour de grandes marques dans la banlieue de Canton, cela est envisageable. “Cette augmentation du SMIC chinois a été très soudaine, raconte t-il. Ça a eu une conséquence importante, c’est que nos prix de revient ont augmenté fortement alors que nos coûts de vente n’ont pas bougé, donc forcément c’est la marge qui a fondu. Un certain nombre d’entreprises et d’entrepreneurs se posent aujourd’hui la question de s’implanter ailleurs, soit dans le centre ou le long de la côte ou les salaires vont être plus faibles ou même à quitter la Chine”, explique t-il. (Voir le reportage sur Aujourdhui la Chine.com : “Grèves, suicides : colère dans l’atelier du monde”)L’époque où les entreprises des pays riches pouvaient conserver des prix de vente bas et des marges élevées est donc effectivement remise en cause par les événements récents. Cependant, si certaines entreprises tablent déjà sur des pays à la main d’oeuvre moins coûteuse comme le Vietnam, il est peu probable que ce phénomène se généralise, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, délocaliser a un coût et l’adaptation à un nouveau pays peut être longue et difficile. D’autant que beaucoup d’entreprises sont présentes dans les bassins industriels chinois depuis assez longtemps pour avoir constitué entre elles et avec les entreprises chinoises des réseaux qu’elles mettraient du temps à re-créer ailleurs. Enfin, l’immense marché chinois représente pour beaucoup d’entre elles une cible privilégiée. Dans ces conditions, il ne semble pas évident de s’en aller produire ailleurs.

La position du pouvoir
Et le gouvernement dans tout ça? Pour le Parti communiste, ces mouvements représentent sans aucun doute une préoccupation majeure. En témoignent les augmentations des salaires minimum dans plusieurs régions, parfois de plus de 20% : il s’agit manifestement d’une volonté très claire d’éteindre vite tous les foyers d’incendie sociaux. Ces derniers temps, on a également vu bon nombre de cadres hauts placé au Parti s’exprimer sur la question, en insistant sur leur solidarité avec les travailleurs et sur la nécessité de réduire les inégalités. Lors du récent forum national sur les relations du travail, des membres du gouvernement avaient appelé à la généralisation du “travail décent” afin de préserver la paix sociale. Plus récemment, le premier ministre Wen Jiabao a demandé aux Chinois de “traiter les jeunes travailleurs migrants comme leurs propres enfants” et de “respecter la contribution des travailleurs migrants à l’enrichissement du pays et à la construction de gratte-ciel dans nos villes”. (Lire l’article : “Le Made in China à un tournant crucial”) Pourtant, malgré cette multiplication de belles paroles, force est de constater que rien ou presque n’est fait par les autorités pour soulager les “laissés pour compte de la croissance”. L’attitude des membres du syndicat officiel démontre bien la volonté du pouvoir de contenir les grèves, de même que l’ordre gouvernemental donné aux médias de ne pas trop couvrir ces événements afin d’éviter leur propagation.En outre, la création d’une sécurité sociale pour tous les ouvriers, promise de longue date, ne semble toujours pas au goût du jour, de même que la suppression du système de passeport intérieur (Hukou), vecteur de nombreuses inégalités.

Le soutien des universitaires aux travailleurs
Mais en dépit de cette apparente immobilité, des voix commencent a s’élever pour changer la situation plus rapidement que ce que le gouvernement fait actuellement. Plus pour préserver une certaine stabilité sociale que de bon cœur. Ainsi par exemple, dix universitaires ont-ils co-signé un appel à “en finir avec un modèle de développement sacrifiant la dignité des gens”. Interviewée par l’AFP le 3 juin 2010, une des co-signataires de cet appel, Guo Yuhua, a affirmé que “la Chine doit changer son mode de développement actuel où domine un faible niveau de droits de l’homme”. Ce qui est nouveau, c’est que ces préoccupations peuvent s’exprimer et qu’elles rejoignent ainsi des luttes menées au cœur des entreprises elles mêmes … A petite échelle, certes, au regarde de l’énorme masse d’entreprises où des millions d’ouvriers continuent en silence à ne pas gagner leur vie : mais manifestement les choses changent, dans le monde du travail chinois. Tout le problème est de savoir combien de temps le gouvernement composera avec cette nouvelle génération de travailleurs, prêts à en découdre pour ne plus être exploités comme leurs parents, mais qui remettent en cause des équilibres économique qui ont jusqu’ici largement profité au Parti et à ses amis …

ARTE Journal -7 juillet 2010 Benoît Guivellic Aujourd’hui la Chine)

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